Notes d’un musicien en voyage/Chapitre 17

Calmann Lévy (p. 173-177).
OFFENBACH-GARDEN

L’établissement où je devais donner des concerts était un jardin couvert, nouvellement construit sur le modèle de Gilmore garden ; mais en plus petit. Même estrade ; même cascade ; même Niagara, mêmes verres de couleur, mêmes loges rustiques. Parmi les ressemblances, celle qui me faisait le plus de plaisir c’est que j’avais à Philadelphie presque les mêmes musiciens qu’à New-York. Ils étaient, il est vrai, un peu moins nombreux — soixante-quinze au lieu de cent dix — la salle étant moins grande.

On m’avait demandé la permission de l’appeler Offenbach-garden. Je ne pouvais refuser.

Offenbach-garden me fut aussi favorable que Gilmore-garden. Même enthousiasme ; mêmes bis, mêmes brillants concerts. Le lendemain de chaque audition, les journaux m’accablaient d’éloges. Une seule fois un journal m’a fait un reproche auquel j’ai été très-sensible.

En parlant de ma personne, de ma tenue extrêmement convenable : habit noir, pantalon noir, cravate blanche, le critique fit observer que je portais des gants gris-perle. L’observation était juste. Je dois avouer en toute humilité que je n’ai porté que quatre fois dans ma vie des gants blancs : une fois comme garçon d’honneur, une fois le jour de mon mariage, et les deux autres fois, en mariant deux de mes filles.

On sait que, le dimanche, les concerts ne sont pas plus permis que les autres distractions. Un beau jour le propriétaire du jardin vint m’ annoncer qu’il avait obtenu l’autorisation de donner un concert religieux.

— Je compte sur vous, me dit-il. J’ai déjà fait faire des affiches. Tenez.

Et il me montra la pancarte que je transcris fidèlement pour la plus grande joie du lecteur qui voudra bien tourner la page.


Pendant huit jours mon Grand Sacred Concert fut placardé aux quatre coins de la ville. Pendant ce temps j’avais fait mon programme, un très joli programme.

Deo gracias, du Domino noir ;

Ave Maria, de Gounod ;

Marche religieuse, de la Haine ;

Ave Maria, de Schubert ;

Litanie de la Belle Hélène : dis-moi, Vénus ;

Hymne, d’Orphée aux Enfers ;

Prière, de la Grande-Duchesse (dites-lui) ;

Danse séraphique : polka burlesque.

Angelus, du Mariage aux Lanternes.

Malheureusement l’autorisation fut reprise au dernier moment. Je regrette que l’on n’ait pas donné suite à ce projet ; car je suis persuadé que mon Sacred Concert aurait eu du succès ce soir-là.