Notes (Pensée des jardins)/Sur une cellule végétale

Société du Mercure de France (p. 13-15).

SUR UNE CELLULE VEGETALE

… Car il faut rendre ce qui est dû : aux Morts les honneurs, à la gloire l’indifférence qui la fait mieux goûter, aux hommes un scepticisme libéré même de dédain et d’amertume. Comme Lucrèce, il faut goûter la tempête à cause du calme.

Si je donne toute sa valeur à ce globe que ma pensée embrasse, c’est que, ayant laissé là mon microscope, je me replace sur cette même cellule que je croyais si infime, et que je pensais avoir perdue de vue.

Ce soir, dans l’ouragan, je ressentais plus encore cette vérité : que je suis bien réellement transporté sur ce grain de pollen, et que le mystère que je lui prête n’est que le mien. Le petit moine de carton que j’ai donné à ma nièce a coiffé son capuchon, sa canne indicatrice marque la grande pluie, je sens rouler sous moi des eaux et la terre se gonfler sous elles comme fait à l’humidité cette cellule végétale où s’établissent des flux et des reflux.

Oui, je foule une des cellules du tissu de cet univers dont les lacunes sont l’espace, et, au moment que je suis dans cette terrible contemplation, deux jeunes gens ouvrent ma porte et viennent m’entretenir, l’un de son mariage et l’autre de ses vers. Je me montre aimable pour eux, n’interromps point ma pipe. Je pense comme Rabelais « qu’il faut à un chacun faire droit sans oublier ni excepter personne », et qu’eux aussi méritent d’être remarqués. Je leur réponds comme si je n’avais jamais aimé, comme si jamais je ne m’étais occupé de poésie. J’écoute le premier. Il me raconte ma propre histoire, sauf le cadre que je voudrais en ce moment d’un vert sombre avec des cerfs, et qu’il imagine peut-être d’un bleu de villa sur la mer. J’écoute le deuxième. Il me demande ce que j’allais lui répondre. Mais, par délicatesse, nous convenons tacitement de différer sur un point. Je lui affirme détester Alfred de Vigny qu’il me dit adorer. Ils me serrent la main, ces deux braves infusoires qui, ayant remis leurs pardessus, disparaissent dans la rafale, sur ce grain de pollen, sous des parapluies éclos exactement comme des champignons microscopiques.