Note sur l’état des forces navales de la France



NOTE
SUR
L’ÉTAT DES FORCES NAVALES
DE LA FRANCE.

On s’entretient, depuis quelques jours, dans le monde politique, d’une Note de haute importance, surtout dans la situation actuelle, tant par la source élevée d’où émane cet écrit que par la fermeté et le talent avec lesquels s’y trouve traitée une des grandes questions de notre politique extérieure. Nous avons été assez heureux pour avoir communication de cette Note, et nous voulions d’abord nous borner au rôle d’appréciateurs, en donnant seulement quelques extraits ; mais, après avoir lu, nous avons été surtout frappés d’une chose : c’est l’intérêt qu’avait le pays à connaître la situation de sa marine et les moyens de la mettre sur un pied plus respectable. Or, rien mieux que cet écrit, si net, si lumineux, ne pouvait, selon nous, indiquer le but que tout homme politique doit se proposer en cette matière. Nous avons donc cru devoir faire violence à nos scrupules, en renonçant à notre premier projet, pour citer l’écrit tout entier. Peut-être commettons-nous une sorte d’indiscrétion ; mais le noble auteur de la Note voudra bien nous pardonner en faveur des motifs patriotiques qui nous animent. Il est bon d’ailleurs que la France sache, et c’en est là un nouvel exemple, que dans les régions les plus hautes il est de jeunes cœurs qui battent pour elle. N’est-ce pas aussi un devoir de porter à son appréciation les travaux qui attestent sur quels dévouemens intelligens et courageux elle pourrait compter un jour pour sa défense et pour sa gloire. ?


Le but de la présente note est d’appeler sur notre marine l’attention des esprits sérieux et réfléchis.

Le pays, à qui l’instinct de ses vrais intérêts ne manque jamais, le pays veut une marine ; il la veut forte et puissante. Cette volonté se révèle par des faits incontestables.

Seulement on ne sait pas bien quels sont les élémens essentiels, les véritables conditions de cette force dont on sent le besoin ; on ne s’enquiert pas assez de ce qui se passe ; on n’étudie pas assez la manière dont les fonds votés par les chambres sont employés. On vit toujours sur le vieux préjugé, qu’il faut être marin, c’est-à-dire posséder des connaissances théoriques et pratiques toutes spéciales, pour être apte à connaître les affaires de la marine. Et ce préjugé, entretenu par diverses circonstances, a empêché jusqu’ici beaucoup de bons esprits de se livrer à l’étude de l’état réel de notre puissance navale.

L’auteur de cette note voudrait, par quelques faits de la plus claire évidence, par quelques calculs très simples, et enfin par des raisonnemens à la portée de tout le monde, dissiper les ténèbres dont la question a été enveloppée comme à plaisir ; et s’il parvenait à la rendre ainsi accessible et familière à chacun de ceux qui peuvent être appelés à en décider, il croirait avoir rendu un service véritable à l’arme à laquelle il appartient.


Je crois pouvoir établir, sans crainte d’être contredit, que la popularité dont jouit la marine en France, que le désir ardent et si souvent manifesté d’avoir une marine forte et puissante, prennent leur source dans un sentiment qui peut se traduire ainsi :

« Sur mer, comme sur terre, nous voulons être respectés. Là, comme ailleurs, nous voulons être en état de protéger nos intérêts, de maintenir notre indépendance, de défendre notre honneur, de quelque part que viennent les attaques qui pourraient les menacer. »

Et avant d’aller plus loin, je veux qu’il soit bien entendu que je ne prétends pas faire de politique dans cette note consacrée uniquement aux affaires de la marine. Si je parle de l’Angleterre, comme de toute autre puissance, ce ne sera pas par un étroit esprit d’animosité ou même de rivalité nationale, mais bien pour faire voir, d’après ce qui se passe chez les peuples étrangers, ce que nous devons rechercher, ce que nous devons éviter. Si je parle de guerre, ce n’est pas que je veuille voir mon pays échanger les bienfaits de la paix contre de ruineux hasards : non. Je crois seulement que, pour que la paix soit digne et durable, il faut qu’elle s’appuie sur une force toujours capable de se faire respecter.

Prenant donc le cas de guerre pour base de mes raisonnemens, je chercherai un exemple qui éclaircisse ma pensée, et je supposerai la France obligée de se défendre contre la plus forte des puissances maritimes : c’est nommer l’Angleterre. Cela posé, et procédant d’une façon tout abstraite et par voie d’hypothèse, j’entre dans mon sujet.

Un fait d’une portée immense, qui s’accomplit depuis quelques années, nous a donné les moyens de relever notre puissance navale déchue, de la faire reparaître sous une forme nouvelle, admirablement appropriée à nos ressources et à notre génie national.

Ce fait, c’est l’établissement et le progrès de la navigation par la vapeur.

Notre marine ne pouvait être qu’une création factice alors que l’empire de la mer appartenait à celui qui mettait sur l’eau le plus de matelots. Notre navigation marchande ruinée ne nous fournissait plus assez de marins. On aurait lutté énergiquement pour venger des affronts, pour effacer de tristes souvenirs ; mais, quand même des succès passagers fussent venus attester le courage de nos marins, le nombre aurait fini par étouffer nos efforts. La marine à vapeur a changé la face des choses ; ce sont maintenant nos ressources militaires qui viennent prendre la place de notre personnel naval appauvri. Nous aurons toujours assez d’officiers et de matelots pour remplir le rôle laissé au marin sur un bateau à vapeur. La machine suppléera à des centaines de bras, et je n’ai pas besoin de dire que l’argent ne nous manquera jamais pour construire des machines, pas plus que les soldats ne nous manqueront quand il s’agira de soutenir l’honneur du pays.

Avec la marine à vapeur, la guerre d’agression la plus audacieuse est permise sur mer. Nous sommes sûrs de nos mouvemens, libres de nos actions. Le temps, le vent, les marées, ne nous inquiéteront plus. Nous calculons à jour et heure fixes.

En cas de guerre continentale, les diversions les plus inattendues sont possibles. On transportera en quelques heures des armées de France en Italie, en Hollande, en Prusse. Ce qui a été fait une fois à Ancône, avec une rapidité que les vents ont secondée, pourra se faire tous les jours sans eux, et presque contre eux, avec une rapidité plus grande encore.

Comme je le disais tout à l’heure, ces ressources nouvelles nous conviennent à merveille, et la forme de la guerre ainsi modifiée ne laisse plus les chances telles qu’elles étaient, il y a trente ans, entre la France et les ennemis qu’elle peut rencontrer. Aussi est-il curieux de voir à quel point les progrès de la vapeur et son emploi probable excitent l’attention de nos voisins.

Le duc de Wellington, dans son témoignage devant le comité des naufrages institué par la chambre des communes, dit, à propos des côtes d’Angleterre opposées aux côtes de France :

« En cas de guerre, je considérerais que le manque de protection et de refuge qui existe maintenant laisserait le commerce de cette partie de la côte, et la côte elle-même, dans une situation très précaire. »

Dans la séance de la chambre des communes du 29 février 1844, une motion a été faite sur les ports de refuge à établir sur la côte d’Angleterre, et il est dit dans cette motion :

« Que c’était le devoir du gouvernement de Sa Majesté de pourvoir aux moyens de sécurité, non-seulement du commerce anglais, mais aussi des côtes de la Grande-Bretagne. On était tout-à-fait d’avis que si, à l’époque du camp de Boulogne, les bateaux à vapeur eussent été en usage, Napoléon aurait eu facilement les moyens de débarquer quinze à vingt mille hommes sur la côte. On ajoutait qu’on ne voulait pas dire qu’un semblable débarquement eût eu beaucoup de succès, mais l’effet qu’il eût produit aurait été de détruire cette confiance que nous inspire maintenant notre position insulaire. » On terminait en adjurant la législature de prendre en considération les grands changemens opérés depuis quelques années dans la navigation à la vapeur, et l’usage qui pourrait en être fait dans le cas d’une nouvelle guerre.

L’avertissement est bon pour la Grande-Bretagne ; il l’est aussi pour tous ceux à qui elle apprend que sa force réside dans cette confiance que lui inspire sa position insulaire.

Malheureusement, nous n’en profitons pas.

Ces cris d’alarme jetés au sein du parlement anglais devraient avoir dans nos chambres et par toute la France un retentissement salutaire ; notre ligne de conduite nous devrait être tracée de la main de nos voisins mêmes. Mais il n’en est pas ainsi : nous nous croisons les bras, l’Angleterre agit ; nous discutons des théories, elle poursuit des applications. Elle se crée avec activité une force à vapeur redoutable et réduit le nombre de ses vaisseaux à voiles, dont elle a reconnu l’impuissance. Nous, qui eussions dû la précéder dans cette réforme, et qui du moins devrions l’y suivre avec ardeur, c’est à peine, sur le chiffre de nos navires à vapeur, si nous en avons six qui soient capables de soutenir la comparaison avec ceux de la marine britannique.

Il est triste de le dire, mais on s’est endormi et l’on a endormi le pays avec des paroles flatteuses et des chiffres erronés ; on s’est persuadé, et l’on a réussi à lui persuader qu’il possédait une marine à vapeur forte et respectable. Erreur déplorable, source d’une confiance plus déplorable encore.

Je ne suis pas de ceux qui, dans l’illusion de l’amour-propre national, nous croient en état de lutter sur mer d’égaux à égaux contre la puissance britannique ; mais je ne voudrais pas non plus entendre dire qu’en aucun cas nous ne puissions lui résister.

Ma pensée bien arrêtée est qu’il nous est possible de soutenir la guerre contre quelque puissance que ce soit, fût-ce l’Angleterre, et que, rétablissant une sorte d’égalité par l’emploi judicieux de nos ressources, nous pouvons, sinon remporter d’éclatans succès, au moins marcher sûrement vers notre but, qui doit être de maintenir à la France le rang qui lui appartient.

Nos succès ne seront points éclatans, parce que nous nous garderons bien de compromettre toutes nos ressources à la fois dans des rencontres décisives.

Mais nous ferons la guerre sûrement, parce que nous nous attaquerons à deux choses également vulnérables, la confiance du peuple anglais dans sa position insulaire, et son commerce maritime.

Qui peut douter qu’avec une marine à vapeur fortement organisée nous n’ayons les moyens d’infliger aux côtes ennemies des pertes et des souffrances inconnues à une nation qui n’a jamais ressenti tout ce que la guerre entraîne de misères ? Et à la suite de ces souffrances lui viendrait le mal, également nouveau pour elle, de la confiance perdue. Les richesses accumulées sur ses côtes et dans ses ports auraient cessé d’être en sûreté.

Et cela pendant que, par des croisières bien entendues dont je développerai plus tard le plan, nous agirions efficacement contre son commerce répandu sur toute la surface des mers.

La lutte ne serait donc plus si inégale !

Je continue de raisonner dans l’hypothèse de la guerre. Notre marine à vapeur aurait alors deux théâtres d’action bien distincts : la Manche d’abord, où nos ports pourraient abriter une force considérable, qui, sortant à la faveur de la nuit, braverait les croisières les plus nombreuses et les plus serrées. Rien n’empêcherait cette force de se réunir avant le jour sur tel point convenu des côtes britanniques, et là elle agirait impunément. Il n’a fallu que quelques heures à sir Sidney Smith pour nous faire à Toulon un mal irréparable.

Dans la Méditerranée, nous régnerions en maîtres ; nous assurerions notre conquête d’Alger, ce vaste champ ouvert à notre commerce et à notre civilisation. Et puis la Méditerranée est trop loin de l’Angleterre : ce ne sont pas les arsenaux de Malte et de Gibraltar qui pourront entretenir une flotte à vapeur, si difficile et si coûteuse à approvisionner, et toujours en crainte de se voir réduite à l’inaction par le défaut de combustible. Libre donc à la France d’agir victorieusement sur ce théâtre ; tous ses projets, elle pourra les accomplir avec des navires à vapeur, sans s’inquiéter des escadres à voiles, dont toute la surveillance sera trompée, dont toute la vitesse sera devancée.

À la marine à vapeur encore, et à elle seule, est réservé le rôle d’éclairer nos côtes et de signaler l’approche des ennemis, de couvrir notre cabotage et de s’opposer de vive force, quand faire se pourra, aux débarquemens, aux bombardemens et à toutes les agressions de l’ennemi, car il va sans dire que la marine à vapeur ne saurait nous donner d’avantages qui ne puissent être retournés contre nous. La moitié de nos frontières est frontière maritime. Jadis cette vaste étendue de côtes pouvait être défendue par notre armée de terre : presque partout inaccessible, ou au moins d’une approche dangereuse aux navires à voiles, les débarquemens y étaient peu à craindre, et les points importans, les grands ports et les lieux où la nature n’avait rien fait pour la défense, l’art s’en était emparé et les avait mis hors de toute atteinte. Aujourd’hui tout est changé : avec des navires à vapeur, nos côtes peuvent être abordées sur toute leur vaste étendue ; de Dunkerque à Bayonne, l’Angleterre peut contre nous tout ce que nous pouvons contre elle. En quelques heures, une armée embarquée sur une flotte à vapeur à Portsmouth ou dans la Tamise se présentera sur un des points de notre littoral, pénétrera dans nos rivières, opérera un débarquement ou détruira avec la bombe nos villes, nos arsenaux et nos richesses commerciales. La rapidité de ses mouvemens assurera son succès. L’armée française, ses forts et ses canons ne pourront être partout à la fois, et l’on saura en même temps l’apparition de l’ennemi, l’accomplissement de ses projets et son départ. À l’heure qu’il est, si une déclaration de guerre survenait, nous apprendrions dès le lendemain peut-être la destruction de Dunkerque, de Boulogne, du Havre, etc., que rien ne peut défendre contre un bombardement. Nous aurions la douleur de voir le drapeau anglais flotter dans la rade de Brest, notre grand arsenal, jusqu’à présent protégé par les difficultés de navigation multipliées à ses alentours, difficultés que l’emploi des bateaux à vapeur ferait disparaître.

Ainsi, à l’aide de la marine à vapeur, l’Angleterre est en état de menacer toutes nos côtes sur l’Océan, et de régner même sur la Méditerranée en nous coupant avec Alger toutes nos communications ; elle peut, en outre, bloquer étroitement et efficacement tous nos ports, et cela dès aujourd’hui, si bon lui semble. Et pour lui résister, il n’y a pour nous qu’une seule ressource, qu’un seul moyen, celui dont elle userait contre nous, une marine à vapeur.

Eh bien, il faut le redire, c’est là le côté douloureux de la question ; malgré toutes les illusions dont nous aimons à nous satisfaire, malgré tous les faits avancés, tous les chiffres alignés, nous n’avons qu’une force impuissante, une force dont l’existence purement nominale est toute sur le papier. Sur quoi se fonde-t-on, en effet, pour rassurer la France et lui prouver que sa marine est dans un état respectable ? Sur une escadre à voiles parfaitement armée, j’en conviens, et certes ce n’est pas moi qui lui dénierai ses mérites et sa gloire ; mais s’il est vrai que, par le simple progrès des choses, ce qui était le principal, ce qui était tout il y a vingt ans encore, n’est plus aujourd’hui qu’un accessoire dans la force navale, cette belle escadre serait bien près de n’être qu’une dépense inutile. Examinons un peu des faits qui se sont passés sous nos yeux, c’est de l’histoire contemporaine que chacun peut apprécier avec ses souvenirs.

Depuis que les progrès de la navigation ont fait abandonner les galères (ceci est assez ancien), chaque état a eu des escadres, ou réunions de vaisseaux à voiles, comme expression de sa force navale. Les flottes françaises et anglaises se sont, pendant un siècle et demi, disputé l’empire de la mer, et, après des luttes longues et sanglantes, le pavillon britannique s’est promené d’un bout à l’autre du globe en vainqueur et en maître. On a pu croire la marine française anéantie.

Elle ne l’était pas pourtant, et, la paix ramenant avec elle la tranquillité, la confiance et le commerce, notre navigation marchande a pu employer et former assez de matelots pour qu’en 1840 on ait vu une escadre de vingt vaisseaux faire flotter avec honneur le pavillon français dans la Méditerranée.

Bien des esprits ont été éblouis de ce brillant résultat ; ils ont vu avec douleur cette belle flotte condamnée à l’inaction alors que le sentiment national était en eux si vivement blessé. Nous avions à ce moment sur l’escadre britannique la supériorité de l’organisation et du nombre. Nos matelots, commandés par un chef habile et actif, étaient bien exercés, et tout leur promettait la victoire. Je n’invoque pas là mes souvenirs, mais ceux d’un des plus habiles officiers de la marine anglaise.

Admettons que la querelle se fût engagée alors ; admettons que le Dieu des batailles eût été favorable à la France : on eût poussé des cris de joie par tout le royaume ; on n’eût pas songé que le triomphe devait être de courte durée. Il faut bien le dire, dans une rencontre entre deux escadres française et anglaise, le succès sera toujours vivement disputé ; il appartiendra au plus habile, au plus persévérant, mais il aura été payé bien cher, et de part et d’autre les pertes auront été énormes, plusieurs des vaisseaux détruits ou hors de combat. Il s’ensuit que chacun rentrera dans ses ports avec une escadre délabrée, veuve de ses meilleurs officiers et de ses meilleurs matelots.

Mais je veux supposer ce qui est sans exemple : j’accorde que vingt vaisseaux et quinze mille matelots anglais prisonniers puissent jamais être ramenés dans Toulon par notre escadre triomphante. La victoire en sera-t-elle plus décisive ? Aurons-nous vaincu un ennemi qui se laisse abattre du premier coup, à qui les ressources manquent pour réparer une défaite, et qui, pour laver un outrage, soit accoutumé à mesurer ses sacrifices ? Pour qui connaît le peuple anglais, il est évident qu’en de pareilles circonstances, on le verra animé d’un immense désir de venger un échec inconnu dans ses annales, un échec qui touche à son existence même. On verra toutes les ressources navales de cet immense empire, son nombreux personnel, ses richesses matérielles, s’unir pour effacer la tache imprimée à l’honneur de la marine britannique. Au bout d’un mois, une, deux, trois escadres aussi puissamment organisées que celle que nous leur aurons enlevée seront devant nos ports. Qu’aurons-nous à leur opposer ? Rien que des débris. Et c’est ici le lieu de déchirer le voile sous lequel se dérobe à nos yeux le secret de notre faiblesse. Disons-le tout haut, une victoire, comme celle qui nous semblait promise en 1840, eût été pour la marine française le commencement d’une nouvelle ruine. Nous étions à bout de nos ressources : notre matériel n’était pas assez riche pour réparer du jour au lendemain le mal que nos vingt vaisseaux auraient souffert, et notre personnel eût offert le spectacle d’une impuissance plus désolante encore. On ne sait pas assez tout ce qu’il en avait coûté d’efforts pour armer alors ces vingt vaisseaux qui donnaient à la France tant de confiance et d’orgueil ; on ne sait pas assez que les cadres épuisés de l’inscription n’avaient plus de matelots à fournir. Et ce qu’il faut ajouter, c’est qu’au premier bruit de guerre, la pépinière si appauvrie de notre marine marchande se fût réduite à rien : le peu de bras qui pouvaient lui rester se fussent donnés tout aussitôt à la productive spéculation des armemens en course.

Plusieurs fois dans le cours de son histoire, la France, alors qu’on la croyait sans soldats, a bien pu en faire sortir des milliers de son sein, comme par enchantement ; mais il n’en va pas ainsi à l’égard des flottes : le matelot ne s’improvise pas ; c’est un ouvrier d’art qui, s’il n’est façonné, dès son enfance, au métier de la mer, conserve toujours une inévitable infériorité. Depuis le temps où nous cherchons à faire des matelots, nous sommes parvenus, il faut le reconnaître, à avoir des gens qui n’ont pas le mal de mer ; mais le nom de matelot ne se gagne pas à si bon marché.

Voilà donc les débris de notre escadre victorieuse ou bloqués ou assaillis par des forces nombreuses qui à la puissance de leur organisation joignent l’ardent désir de venger une défaite. Le fruit du succès et du sang versé est perdu. Il n’est plus permis d’appeler du nom de victoire une supériorité d’un moment, qui n’a laissé après elle que la certitude de prochains revers, et cela, parce que, sans prévoyance du lendemain, nous aurons compromis toutes nos ressources à la fois.

Non, il ne faut pas accoutumer le pays à jouer en temps de paix avec des escadres, et à se complaire dans la fausse idée qu’elles lui donnent de sa puissance. N’oublions jamais l’effet que produisit le rappel de la flotte en 1840 : c’était pourtant ce qu’il fallait faire alors, et ce qu’il faudrait faire encore à la première menace d’une guerre.

Il est donc clair que le rôle des vaisseaux ne peut plus être désormais de former le corps même de notre puissance navale ; l’emploi des navires à vapeur les réduit forcément à la destination subalterne de l’artillerie de siége dans une armée de terre. On les emmènera à la suite des escadres à vapeur, alors que l’expédition aura un but déterminé, alors qu’on aura à agir contre un fort, une ville maritime, qu’il faudra foudroyer avec une grande masse de canons réunis sur un même point. Hors de là, on ne leur demandera point des services qu’ils ne peuvent, qu’ils ne doivent plus rendre, et l’on se gardera de persévérer, par un respect exagéré pour d’anciennes traditions, dans une voie dangereuse, au bout de laquelle il pourrait y avoir quelque jour un compte bien sérieux à rendre à la France désabusée.

Je n’hésiterais pas, pour mon compte, à entrer dès aujourd’hui dans la route contraire, et je me poserais nettement la question de savoir si maintenir huit vaisseaux armés et huit en commission, pour n’en retirer d’autre avantage que celui de frapper de loin les yeux des observateurs superficiels, ce n’est pas beaucoup trop.

On me répondra peut-être que ces vaisseaux sont l’école des officiers, de la discipline.

Mais toute réunion de navires, qu’ils soient à voiles ou à vapeur, atteindra le même but. Il n’est pas nécessaire d’avoir pour cela des vaisseaux, de toutes les machines flottantes les plus coûteuses, des vaisseaux que, la guerre venant, il faudrait désarmer.

Ne vaut-il pas mieux employer les loisirs de la paix à préparer et à aiguiser une lame qui porterait des coups assurés en temps de guerre ? Je ne crains pas de l’affirmer, de la formation d’une escadre à vapeur sortiraient plus d’idées nouvelles et de véritables progrès qu’il n’y en a eu depuis les leçons de la dernière guerre.

Enfin, et tout est là, portons nos regards au-delà du détroit, et voyons ce que fait l’Angleterre ; voyons la décision avec laquelle ce pays si sagace, si éclairé sur ses intérêts, a su renoncer aux vieux instrumens de sa puissance, et se saisir d’une arme nouvelle[1].

Assurément, si quelque part on devait tenir au maintien des escadres à voiles, c’était dans les conseils de l’amirauté britannique : on en a tiré assez de profit et de gloire.

Mais on a suivi la marche du temps, on a écouté les conseils de l’expérience, et l’on a compris que les vaisseaux devenaient inutiles alors qu’une nouvelle force navale, capable de tout faire en dépit d’eux, était entrée dans le monde.

Aussi, regardons-le, à notre escadre, clouée depuis long-temps par la force des choses dans la Méditerranée, qu’oppose le gouvernement anglais ? Trois vaisseaux[2] ; mais en revanche il a onze bateaux à vapeur, dont neuf de grande dimension, et avec cette force il en a assez pour faire régner son pavillon et triompher sa politique. Notre budget, je le sais, nous donne un effectif de quarante-trois navires à vapeur : c’est quelque chose ; mais on sait en Angleterre à quoi s’en tenir sur la valeur sérieuse de ces navires, et voici quel total on met en regard du nôtre.

En tout, la Grande-Bretagne compte aujourd’hui cent vingt-cinq navires à vapeur de guerre. Sur ce nombre, soixante-dix-sept sont armés, et il faut y ajouter deux cents bateaux de marche supérieure, aptes à porter du gros canon et des troupes, que la navigation marchande fournirait à l’état le jour où cela serait nécessaire.

Ce n’est pas tout ; pour se faire une idée de la force réelle de cette flotte à vapeur, il faut avoir vu de près tout ce que son armement a de redoutable, il faut avoir vu le soin et l’habile prévoyance avec lesquels tout y a été étudié. Les steamers de guerre anglais n’ont pas été construits et garantis bons pour tous les services indistinctement. Dans leur construction, on n’a eu qu’une idée, un but : la guerre. Ils réunissent, avec une entente merveilleuse des choses de la mer, grande vitesse, puissante artillerie, et vaste emplacement pour des troupes passagères.

Oui, cet armement est formidable ; oui, ce soin exclusif que met l’Angleterre à accroître et à perfectionner cette branche de son service maritime est un avertissement que nous ne devons pas négliger, sous peine de voir un jour en péril tout ce qu’il y a de plus cher à un peuple, l’intégrité de notre territoire, et notre honneur national.

Or, je le répète, il y a pour nous un moyen bien simple d’écarter ce péril et de rendre les chances de la lutte moins inégales, si jamais elles venaient à se présenter : c’est de nous armer comme on s’arme contre nous, c’est de donner à notre marine à vapeur, qui languit encore dans l’incertitude des expériences, une puissante impulsion et un large développement. Avec les ressources que cette marine ainsi perfectionnée nous fournira pour l’attaque et pour la défense, la France pourra légitimement se reposer dans le sentiment de sa force. Mais, il faut bien que je le dise, en cela comme en toute chose, pour faire le bien, il est nécessaire de s’en occuper, et de s’en occuper sérieusement.

Notre marine à vapeur date de 1829 ; l’expédition d’Alger fut le théâtre de ses premiers essais. On fut frappé alors des avantages qu’il était possible d’en retirer, et l’on s’empressa de jeter dans le même moule un assez grand nombre de navires semblables à ceux qui avaient servi dans cette expédition. Cependant telle était l’importance tous les jours croissante du service d’Alger, que ces navires à peine construits devaient aussitôt s’y approprier, et que sans cesse requis d’urgence, et souvent même forcés de marcher sans que leurs réparations fussent terminées, ils ne pouvaient fournir la matière d’aucun essai fructueux, d’aucune amélioration. Ce qui leur manquait surtout, c’était d’être employés dans les stations où ils auraient pu être mis en comparaison avec les navires étrangers. Cet inconvénient, joint aux préventions exclusivement régnantes en faveur de la marine à voiles, fit que de 1830 à 1840 les progrès de notre flotte à vapeur furent nuls. Cependant la science avait marché. La marine royale d’Angleterre, ayant le loisir d’expérimenter, et de plus, ayant sous les yeux une marine à vapeur marchande où le nombre et la concurrence amenaient des progrès de tous les jours, avait mis en mer des navires magnifiques.

Les hommes qui gouvernaient nos affaires en 1840 furent frappés de ces progrès, et en sentirent la portée : une tentative énergique fut faite pour donner à la France une véritable marine à vapeur, par la création de nos paquebots transatlantiques.

Malheureusement cette tentative a été la seule : malgré les efforts si louables et si persévérans du département des finances pour tracer une voie d’amélioration à la marine à vapeur par l’exemple de ses paquebots, on s’est obstiné à la laisser végéter, et aujourd’hui elle ne suffit plus aux besoins de la paix, loin d’offrir les ressources qu’elle devrait fournir pour la guerre.

Et l’on ne saurait accuser les chambres de cette triste insuffisance. Chaque fois que des fonds ont été demandés pour doter la France d’une marine à vapeur, ils ont été votés avec un patriotique empressement. L’argent ne s’est jamais fait attendre ; mais on espérait qu’il y aurait un résultat qui répondrait à tant de dépenses, à tant de sacrifices. Ce résultat apparaît maintenant à tous les yeux. Par un excès de prévoyance trop commun chez nous, l’administration a cru devoir, avant tout, créer des moyens de réparation pour la nouvelle marine. Dans tous nos ports s’élèvent aujourd’hui de magnifiques ateliers enfermés dans des monumens grandioses. Ces ateliers sont destinés à réparer les avaries et à pourvoir aux besoins de la marine à vapeur, et cette marine ne fait que de naître.

Cependant, comme on ne peut pas laisser ces vastes ateliers sans emploi et leurs ouvriers sans ouvrage ; comme, du reste, par la force des choses, tout ce que nous avons de navires à vapeur est employé à Toulon, et que là seulement il y a des navires à réparer, qu’a-t-on fait des ateliers construits dans les ports de l’Océan ? On les a employés à fabriquer des machines, au lieu d’en donner la construction, comme un encouragement, à l’industrie particulière.

Nous avions déjà Indret, et ses coûteux produits. Fallait-il ajouter encore à ce luxe de constructions ? Fallait-il employer l’argent destiné à l’accroissement et à l’amélioration de la flotte, pour élever des monumens dont l’utilité présente est loin d’être démontrée ?

Nous avons toujours été portés à augmenter sans mesure les immeubles de la marine, au détriment de ce qu’il y a dans l’arme d’efficace et d’agissant. Il serait bon d’essayer du système contraire, et j’ai la conviction que l’on trouverait aisément les moyens d’armer une véritable flotte à vapeur et d’encourager une industrie utile, en demandant au commerce de belles et bonnes machines, comme il sait les faire.

Si je traçais ici le tableau réel de notre marine à vapeur, si je disais que sur ce chiffre de quarante-trois navires à flot que comporte le budget, il n’y en a pas six qui puissent soutenir la comparaison avec les navires anglais, on ne me croirait pas, et je n’aurais pourtant avancé que la stricte vérité. Le plus grand nombre de nos bâtimens appartient à cette classe de navires bons en 1830, où ils furent créés, mais aujourd’hui, à coup sûr, fort en arrière de tout progrès. Ces navires, assujettis dans la Méditerranée à une navigation sans repos, sont presque tous arrivés à une vieillesse prématurée. Comme je l’indiquais tout à l’heure, ils ne suffisent plus au service d’Alger et aux missions politiques qu’il faut bien leur confier, à défaut de bâtimens meilleurs. Les officiers qui les conduisent rougissent de se voir faibles et impuissans, je ne dirai pas seulement à côté des Anglais, mais des Russes, des Américains, des Hollandais, des Napolitains, qui ont mieux que nous.

On m’accuserait d’atténuer comme à plaisir nos ressources de guerre, si je n’y faisais pas entrer nos paquebots transatlantiques et ceux de l’administration des postes. Sans doute il y a quelque utilité à attendre de ces navires ; mais d’abord ils n’appartiennent pas à la marine, qui n’a rien à leur demander en temps de paix, et l’on s’est trompé, en outre, quand on a cru pouvoir dans leur construction et leurs aménagemens les approprier à la fois à leur service et à celui de la guerre[3].

On fait contre l’emploi général d’une marine à vapeur l’objection de la dépense.

Ma première réponse sera qu’en fait de précautions à prendre pour la garde de son honneur et la défense de son territoire, la France a souvent prouvé qu’elle ne calculait pas ses sacrifices. Mais j’accepte l’objection, et j’accorde que les machines et les chaudières coûtent fort cher ; j’ajoute seulement que rien n’obligerait à faire en une seule année toute la dépense, et que, dans l’intérêt même d’une fabrication aussi étendue, il y aurait avantage à en répartir la charge sur plusieurs budgets consécutifs. Il faut considérer ensuite que les machines bien entretenues durent fort long-temps, de 20 à 25 ans, et que, si les chaudières s’usent beaucoup plus vite, il est possible de les rendre moins coûteuses, en substituant dans leur construction le cuivre à la tôle : non que ce premier métal ne soit plus cher que l’autre ; mais il dure davantage, et, après l’appareil usé, conserve encore sa valeur.

J’ai essayé d’établir des calculs sur les frais de création et d’entretien du matériel des navires à vapeur comparés aux frais qu’entraîne le matériel des navires à voiles ; malheureusement je n’ai pu donner à ces calculs toute la rigueur désirable, n’ayant eu d’autre base à leur fournir que des hypothèses : les publications officielles n’offrent que des données incertaines à cet égard. M. le baron Tupinier, dans un ouvrage plein d’intérêt[4], s’est livré, dans le même but que moi, à des calculs qui ne sont que de savantes probabilités, et qui, comme les miens, sont exposés à pécher par la base, puisqu’ils ne reposent que sur des suppositions.

Dans cette fâcheuse impuissance de donner des résultats d’une exactitude mathématique, j’ai laissé de côté les dépenses du matériel des navires à vapeur, me bornant à faire observer que les navires à voiles ont aussi un matériel qui s’use vite et en tout temps, tandis que celui des bâtimens à vapeur ne s’use que lorsque la machine marche et rend des services.

Puis j’ai pris la solde et l’habillement des équipages, la consommation du charbon, seules données appréciables, et de ces données j’ai tiré cette conclusion, qu’un vaisseau de deuxième rang entraîne une dépense équivalente à celle de quatre navires de 220 chevaux ;

Qu’ensuite notre escadre actuelle de Toulon coûte ce que coûterait une escadre de

5 frégates à vapeur de 450 chevaux,
22 corvettes à vapeur de 220 chevaux,
11 bateaux à vapeur de 160 chevaux.
38 navires pouvant porter 20,000 hommes de troupes.

Je demande maintenant que l’on compare les services que pourraient rendre, d’une part, 8 vaisseaux, 1 frégate et 2 bâtimens à vapeur, lents et incertains dans leurs mouvemens, absorbant un effectif de 7,767 matelots ; de l’autre, 38 navires à vapeur montés par 4,529 matelots et pouvant porter tout un corps d’armée de 20,000 hommes. Vienne la guerre, et il faudra désarmer la première de ces escadres, tandis que la seconde est bonne en tout temps[5].

J’aurais pu étendre bien d’avantage ces considérations relatives à la marine à vapeur, mais je me borne à de simples aperçus, laissant à d’autres le soin de presser mes conclusions et d’en faire sortir tout ce qu’elles renferment. Je crois toutefois avoir démontré d’une manière suffisante qu’une flotte à vapeur est seule bonne aujourd’hui pour la guerre offensive et défensive, seule bonne pour protéger nos côtes ou agir contre celles de l’ennemi, et seconder efficacement les opérations de nos armées de terre. Il me reste maintenant à parler d’un autre moyen d’action que nous aurions à employer, au cas d’une guerre à soutenir contre l’Angleterre.

Sans avoir pris part aux longues luttes de la marine française contre la marine britannique dans les temps de la révolution et de l’empire, on peut en avoir étudié l’histoire et en avoir recueilli l’expérience. C’est un fait bien reconnu aujourd’hui que, si, pendant ces vingt années, la guerre d’escadre contre escadre nous a presque toujours été funeste, presque toujours aussi les croisières de nos corsaires ont été heureuses. Vers la fin de l’empire, des divisions de frégates, sorties de nos ports avec mission d’écumer la mer sans se compromettre inutilement contre un ennemi supérieur en nombre, ont infligé au commerce anglais des pertes considérables. Or, toucher à ce commerce, c’est toucher au principe vital de l’Angleterre, c’est la frapper au cœur.

Jusqu’à l’époque dont je viens de parler, nos coups n’avaient point porté là, et nous avions laissé l’esprit de spéculation britannique accroître par la guerre ses prodigieux bénéfices. La leçon ne doit pas être perdue aujourd’hui pour nous, et nous devons nous mettre en état, au premier coup de canon qui serait tiré, d’agir assez puissamment contre le commerce anglais pour ébranler sa confiance. Or ce but, la France l’atteindra en établissant sur tous les points du globe des croisières habilement distribuées. Dans la Manche et la Méditerranée, ce rôle pourra être confié très bien à des navires à vapeur. Ceux qui font l’office de paquebots pendant la paix feraient, par leur grande vitesse, d’excellens corsaires en temps de guerre. Ils pourraient atteindre un navire marchand, le piller, le brûler, et échapper aux navires à vapeur de guerre eux-mêmes, dont la marche serait retardée par leur lourde construction.

Il n’en saurait être ainsi sur les mers lointaines : là ce sont des frégates qu’il faut spécialement destiner aux croisières, et quoiqu’en apparence il n’y ait rien de fort nouveau dans ce que je vais dire, je voudrais pourtant appeler sur ce point l’attention.

Mon opinion sur les frégates n’est point du tout la même que sur les vaisseaux. Loin d’en réduire le nombre, je voudrais l’accroître ; pour la paix comme pour la guerre, il y a à leur demander d’excellens services, et on les obtiendrait sans surcroît de dépense, en distribuant seulement nos stations d’une manière mieux entendue.

La frégate seule me paraît propre à aller représenter la France au loin, et encore, la frégate de la plus puissante dimension. Seule, en effet, elle peut, avec une force efficace et un nombreux équipage, porter les vivres nécessaires pour tenir la mer long-temps de suite ; seule elle peut, comme je l’indiquerai tout à l’heure, s’approprier également aux besoins de la paix et à ceux de la guerre. À mille ou deux mille lieues des côtes de France, je n’admets plus de distinction entre ces deux états ; les stations lointaines, qui peuvent apprendre une guerre plusieurs mois après qu’elle a été déclarée, doivent toujours être constituées sur le pied le plus formidable. Les motifs d’économie doivent ici disparaître devant des idées plus grandes et plus élevées. Il ne faut pas que jamais, par une ruineuse parcimonie, les forces de la France puissent être sacrifiées ou même compromises.

Jusqu’à présent nos stations lointaines ont été composées d’une frégate portant le pavillon de l’officier-général commandant la station, et de plusieurs corvettes ou bricks. Deux motifs ont amené cet état de choses : les demandes des consuls, toujours désireux d’avoir un bâtiment de guerre à portée de leur résidence ; et, en second lieu, la grande raison de l’économie, si souvent invoquée, qui a fait réduire la force et l’espèce des navires, dont on ne pouvait réduire le nombre.

Il en est résulté que, voulant être partout, nous avons été partout faibles et impuissans.

C’est ainsi que nous envoyons des frégates de 40 canons[6] et de 300 hommes d’équipage là où l’Angleterre et les États-Unis d’Amérique ont des frégates de 50 canons et plus, avec 500 hommes à bord. Les unes et les autres ne sont pourtant que des frégates, et s’il fallait qu’elles se rencontrassent un jour de combat, on dirait partout qu’une frégate française a été prise ou coulée par une frégate anglaise ou américaine ; et quoique les forces n’eussent pas été égales, notre pavillon n’en resterait pas moins humilié par une défaite.

En principe, j’établirais que les stations ne se composent chacune que de deux ou trois frégates de la plus forte dimension. Ces frégates marcheraient ensemble sous les ordres d’un amiral, et profiteraient ainsi de tous les avantages de la navigation en escadre. Constamment à la mer, chefs et matelots apprendraient à se connaître et à s’apprécier, et l’on ne reprocherait pas à nos amiraux cette paresseuse immobilité qui semble les clouer au chef-lieu de leur station. Partout où cette division navale se montrerait, et elle devrait être continuellement employée à parcourir toute l’étendue de sa circonscription, on la verrait forte et respectable, ayant les moyens de réprimer sur-le-champ les écarts des gouvernemens étrangers, sans ces coûteux appels à la mère-patrie, dont le Mexique et la Plata nous ont donné de si tristes exemples.

Nous n’aurions plus ces petits navires disséminés sur les points où résident nos agens diplomatiques, et si propres, par leur faiblesse même, à nous attirer des insultes que notre pavillon doit savoir éviter, mais ne jamais souffrir.

Nous ne serions plus exposés à voir, au début d’une guerre, la plupart de ces navires d’un si faible échantillon ramassés sans coup férir par les frégates ennemies.

Loin de là, nous aurions sur tous les points du globe des divisions de frégates, toutes prêtes à suivre les traces de ces glorieuses escadrilles qui ont si noblement lutté pour la patrie sur les mers de l’Inde. Elles croiseraient autour de nos colonies, autour de ces nouveaux points saisis sur des mers lointaines par une politique prévoyante, et destinés à servir de base à leurs opérations, aussi bien qu’à devenir l’asile de nos corsaires.

J’ajoute que cette manière de représenter au loin le pays serait bien plus avantageuse à notre commerce, que la manière dont nous le faisons aujourd’hui. En effet, on craindrait bien autrement la venue d’une division pourvue de tous les moyens de se faire respecter, que la présence permanente d’un petit navire que l’on s’habitue à voir et que bientôt on oublie. Ou je me trompe, ou cette visite toujours attendue, toujours imminente, serait pour les intérêts français une très puissante protection, et nos navires marchands se trouveraient beaucoup mieux de l’influence de notre pavillon ainsi montré de temps en temps à des pays qui se font une idée incomplète des forces de la France, que de la présence souvent tracassière pour eux de nos petits navires de guerre.

On a pu remarquer que je n’ai point parlé de bateaux à vapeur pour ces stations lointaines ; je crois que nous ne devons les y employer qu’accidentellement, et avec la résolution de les enfermer dans nos colonies au premier bruit de guerre.

En général, il faut que nos navires à vapeur ne s’écartent de nos côtes que d’une distance qui leur permette de les regagner sans renouveler leur combustible. Je raisonne toujours dans l’hypothèse convenue d’une guerre contre la Grande-Bretagne, et il tombe sous le sens que nous aurions en ce cas peu d’amis sur les mers ; notre commerce maritime ne tarderait pas à disparaître. Comment, loin de France, s’approvisionner alors de combustible ? Nos navires à vapeur, dénués de ce principe de toute leur action, seraient réduits à se servir uniquement de leurs voiles, et l’on sait qu’ils sont, quant à présent, de pauvres voiliers : ils n’auraient pas beau jeu contre les corvettes ou les bricks du plus mince échantillon.

Peut-être l’emploi et le perfectionnement de l’hélice, en laissant au bâtiment à vapeur toutes les facultés du navire à voiles, amèneront-ils un jour quelque changement à cet état de choses. La vapeur deviendrait alors un auxiliaire puissant pour nos croiseurs, mais cette alliance de la voile et de la vapeur ne devrait rien changer néanmoins à ce que j’ai établi plus haut. Le bateau à vapeur destiné à servir en escadre ou sur nos côtes devra toujours avoir une grande vitesse, à la vapeur seule, comme premier moyen de succès.


J’ai achevé ce que je voulais indiquer dans cette note, et n’ai plus qu’à me résumer en peu de mots.

Prenant les chances, quelque éloignées qu’elles soient, d’une guerre avec l’Angleterre, comme base de notre établissement naval, j’ai dit que je pensais qu’on pouvait le définir ainsi :

Puissante organisation et développement de notre marine à vapeur sur nos côtes et dans la Méditerranée ;

Établissement de croisières fortes et bien entendues sur tous les points du globe où, en paix, notre commerce a des intérêts, où, en guerre, nous pourrions agir avec avantage.

Pour réaliser la première partie de ce que je demande, il faut arrêter au plus vite le courant malheureux qui entraîne la marine dans des dépenses inutiles de matériel et d’établissements sans proportion avec ses besoins, aux dépens de la flotte, expression réelle et vivante de notre force navale.

Ceci nous donnera les moyens de subvenir aux dépenses vraiment nécessaires.

Il faut ensuite retirer notre confiance aux vaisseaux, et nous appliquer à étudier et perfectionner nos bateaux à vapeur ; les essayer surtout, avant d’en jeter un grand nombre dans le même moule, ce qui, en cas de non réussite, amène des mécomptes dont nous n’avons vu que trop d’exemples.

Faire à chaque service sa part.

Entretenir une escadre d’au moins vingt bateaux à vapeur installés pour la guerre. Livrer à cette escadre l’étude de la tactique à rédiger pour une flotte à vapeur.

Assigner au service de paquebots d’Alger une part suffisante, mais rigoureusement limitée, comme on l’a fait pour le service du Levant. Les besoins de la guerre ne sont pas tellement impérieux en Afrique qu’il faille y sacrifier toutes les ressources de la marine et toute idée d’ordre et d’économie. La marine pourrait se débarrasser avantageusement de ses bateaux de 160 chevaux en les donnant comme frais d’établissement à ce premier service.

Créer un certain nombre de navires à vapeur légers, où tout serait sacrifié à la vitesse, pour porter les ordres du gouvernement.

Enfin, tenir vingt-deux frégates de premier rang au moins armées pour le service des stations lointaines.

À part les frais de création des navires, les dépenses d’entretien ne dépasseraient pas celles de notre flotte actuelle. Avec une marine ainsi organisée, nous serions en mesure de résister à toute prétention qui blesserait notre honneur et nos intérêts, et une déclaration de guerre ne risquerait jamais de nous trouver sans défense. Enfin, nous aurions les moyens d’agir immédiatement, sans livrer à un seul hasard toutes nos ressources.

Et, j’insiste sur ce dernier point, tous ces résultats, nous les obtiendrions sans une sérieuse augmentation de dépense[7].

Que si, pour démentir mes assertions, on les appelait du nom d’utopies, nom merveilleusement propre à faire reculer les esprits timides, et à les enfoncer dans l’ornière de la routine, j’inviterais ceux qui me répondraient de la sorte à considérer attentivement tout ce qui s’est fait depuis quelques années et ce qui se fait encore aujourd’hui en Angleterre, et à dire ensuite si, de bonne foi, on ne peut aussi bien le réaliser en France.

Il m’en a coûté, dans tout le cours de ce petit écrit, de faire subir à mon pays un affligeant parallèle avec un pays qui le devance de si loin dans la science de ses intérêts ; il m’en a coûté de mettre à nu le secret de notre faiblesse en regard du tableau de la puissance britannique. Mais je m’estimerais heureux si je pouvais, par le sincère aveu de ces tristes vérités, dissiper l’illusion où sont tant de bons esprits sur l’état réel des forces navales de la France, et les décider à demander avec moi les salutaires réformes qui peuvent donner à notre marine une nouvelle ère de puissance et de gloire.


APPENDICE.
ANNEXE A.
L’état général de la flotte, au 1er  janvier 1844, porte :
43 navires à vapeur à flot ;
18 en construction ;
18
paquebots transatlantiques, dont plusieurs sont achevés, et les autres fort avancés ;
Enfin l’administration des postes compte pour le service de la correspondance du Levant, d’Alexandrie, de Corse et d’Angleterre :
24 paquebots de 220 à 50 chevaux ;
Total : 103

En tout 103 bâtimens à vapeur ; chiffre considérable, mais qu’il importe de réduire à sa valeur réelle.

On écartera d’abord de la liste les 24 paquebots de l’administration des postes et les 18 transatlantiques, construits, installés pour un service de paix. Il faudrait du temps pour rendre ces navires propres à la guerre. Cette transformation, il importe qu’on le sache, ne s’improviserait pas, surtout avec la nécessité de l’opérer simultanément sur 42 navires, la plupart de grande dimension. On se tromperait donc si l’on s’imaginait que ces paquebots, parce qu’ils sont solidement construits et percés de sabords, n’auraient plus, la guerre survenant, qu’à recevoir leurs canons et leurs poudres. Sait-on, d’ailleurs, puisque l’expérience n’en a pas été faite, si le poids d’un matériel de guerre ne les priverait pas du seul avantage qu’on leur ait reconnu jusqu’à présent, la vitesse ? Il y aurait à faire table rase, depuis la carlingue jusqu’au pont. Toutes ces installations coûteuses, toutes ces recherches du luxe et du comfort devraient faire place à la sévère nudité des ponts d’un navire de guerre. On ne loge pas un équipage de guerre comme on loge des passagers qui achètent le droit d’avoir leurs aises ; il faut de larges emplacemens pour l’eau et les vivres, pour les poudres et les projectiles. Tout serait à créer en vue d’une destination nouvelle et si différente. On le répète, une pareille transformation ne pourrait s’improviser ; elle ne peut qu’être lente et successive.

C’est donc à titre de réserve seulement que l’on aurait droit d’introduire ces 42 bâtimens dans l’évaluation de la force navale. Il nous paraît même que l’on s’abuserait en comptant sur l’intégrité de ce chiffre, puisqu’au début de la guerre, une portion de ces paquebots, occupés à poursuivre leur mission pacifique, tomberaient inévitablement aux mains des croiseurs ennemis, ou bien resteraient bloqués dans les ports neutres par le fait seul de la déclaration de guerre.

Il ne reste plus, après cette élimination, qu’à s’occuper de la partie purement militaire de la flotte à vapeur, de celle qui en temps de guerre offrirait des ressources effectives et immédiates. Elle présente encore un chiffre de 61 navires ; mais ici nous trouverons une nouvelle réduction à faire, car les navires en construction ne peuvent figurer parmi les ressources présentes ; comme les paquebots, on ne peut les admettre qu’à titre de réserve, et encore à la condition qu’ils seraient avancés au 22/24 ; or, c’est ce qui n’a pas lieu pour le plus grand nombre. Plusieurs de ces navires ne sont pas commencés ; le Coligny, par exemple.

C’est donc en définitive à 43 navires que se réduit notre force à vapeur présentement disponible, présentement efficace, celle qui, dans une éventualité soudaine, serait appelée à porter ou à parer les premiers coups.

C’est ce chiffre de 43 que l’on se propose d’examiner :

On voit d’abord figurer sur l’état 3 bâtimens de 450 chevaux[8], le Gomer, l’Asmodée et l’Infernal, qualifiés du nom de frégates. Les deux premiers ont donné des résultats satisfaisans sous le rapport de la vitesse, mais ils n’ont pu recevoir l’armement qui leur était destiné. Le Gomer, avec son approvisionnement de combustible et ses 20 bouches à feu, était hors d’état de tenir la mer ; il fallait réduire son approvisionnement ou son artillerie. On s’est arrêté à ce dernier parti. Le Gomer a navigué assez facilement, mais ce n’était plus un navire de guerre, c’était un paquebot ; il n’avait pour toute artillerie que 8 canons, 2 de 80, et 6 obusiers de 30, enfermés dans des sabords étroits sur les flancs du navire, artillerie impuissante et inutile ; et encore, dans cet état, le navire fatiguait considérablement dans les mauvais temps.

Quant à l’Asmodée, il paraît avoir mieux réussi que le Gomer ; mais l’un et l’autre manquent de puissance, et, dans le mauvais temps, leur moteur est paralysé. Quoi qu’il en soit, on reconnaît volontiers qu’à la condition de leur appliquer un mode d’armement convenable, on en ferait des navires vraiment propres à la guerre.

Avant d’aller plus loin, il sera peut-être à propos d’expliquer ce que l’on entend, en ce qui touche les bâtimens à vapeur, par armement convenable ; on va le faire en peu de mots.

On sait que, dans le navire à vapeur, l’appareil moteur est placé au centre. C’est donc là qu’est la partie vulnérable, puisque la vitalité du navire y réside, et il est vrai de dire que, dans la vapeur, le centre ou le travers est le point faible.

Les extrémités, au contraire, par leur éloignement du moteur, par l’acuité de leurs formes et leur peu de surface comparée à celle du travers, protègent mieux ce moteur ou le mettent moins en prise.

C’est donc là qu’est le point fort.

Ce principe est fondamental ; il établit une différence tranchée, essentielle, entre le navire à voiles et le navire à vapeur ; entre leur mode de combattre ; entre l’armement qui convient au premier, et l’armement qui convient au second.

Dans le navire à voiles c’est le travers qui est le côté fort ; on y a développé une nombreuse artillerie ; il est donc convenable, il est rationnel de le faire combattre en présentant le travers ; de là, la ligne de bataille et tout le système de tactique dont elle est la base.

Mais dans le vapeur, où les conditions de force ne sont plus les mêmes, où le travers est au contraire le point faible, est-il également convenable, également rationnel d’armer le travers, puisqu’en y plaçant du canon, c’est dire qu’on l’offrira aux coups de l’ennemi ?

Non ; à moins de nier le principe qui vient d’être énoncé, cela n’est ni convenable ni rationnel.

Admettant ce principe, il est facile d’en tirer la conséquence : si l’avant et l’arrière sont les points forts dans le bateau à vapeur, c’est par là qu’il faut combattre, qu’il faut attaquer et se défendre ; c’est l’avant et l’arrière qu’il faut armer de canons. Le défaut d’espace ne permettant pas de développer sur ces points une nombreuse artillerie, il faut, autant que possible, compenser la puissance du nombre par celle du calibre, unir, si on le peut, la plus grande portée au plus grand effet.

Voilà, suivant nous, le mode général d’armement qui convient au vapeur de guerre.

Ce n’est pas là une théorie nouvelle : le principe que l’on vient d’exposer dans son expression la plus générale, a trouvé depuis long-temps son application en Angleterre et aux États-Unis ; cet exemple a eu des imitateurs en Russie, en Hollande, à Naples, chez tous les peuples maritimes. Nous seuls persistons à le méconnaître, à poursuivre dans la nouvelle marine une assimilation impossible et dangereuse, et cette persistance, on est forcé de le dire, est pour notre flotte à vapeur une cause générale d’infériorité. Nous la signalons une fois pour toutes, et pour n’y plus revenir dans le cours de cet examen.


Cela posé, nous continuons :


L’Infernal, le troisième des vapeurs de 450, a reçu de l’usine d’Indret une machine à quatre cylindres, système nouveau dont on a fait la première application sur un des vapeurs employés aux travaux de la digue de Cherbourg ; un second essai eut lieu bientôt après à bord du Comte d’Eu, construit dans les chantiers d’Indret, et destiné au roi, comme bâtiment de plaisance. Ces deux essais, le second surtout, ne furent pas heureux, et le Comte d’Eu, construit à grands frais, fut jugé impropre à sa destination.

Quoi qu’il en soit, on ne se tint pas pour battu ; deux autres navires, l’Infernal et l’Ardent, reçurent des appareils construits sur le même système, l’un de 450, l’autre de 220, et d’autres appareils semblables sont en voie d’achèvement. Cette nouvelle épreuve fournira-t-elle des résultats plus satisfaisans et plus décisifs ? Il faut sans doute l’espérer ; car, si elle devait justifier les défiances inspirées par les premiers résultats, il y aurait lieu de regretter que, par un excès de précipitation, on n’ait pas attendu une expérience décisive avant d’appliquer sur une grande échelle un système nouveau.

Le quatrième navire porté sur l’état est le Cuvier, de 320 chevaux. Lorsqu’en 1838, la Gorgon et le Cyclops sortirent des ports d’Angleterre, on fut frappé de leur puissance comme bâtimens de guerre, aussi bien que de leurs belles qualités à la mer. Aussi mit-on un louable empressement à se procurer les plans et les données nécessaires pour doter notre marine de bâtimens semblables, et c’est d’après ces plans, modifiés en vue d’améliorations douteuses, s’il faut en juger par le résultat, que l’on produisit le Cuvier.

Malheureusement, loin de ressembler au type dont il est sorti, le Cuvier n’a qu’une marche détestable, il ne peut non plus porter à la fois son artillerie et son combustible. Nous pouvons citer un fait récent qui témoignera de sa médiocrité : Ayant quitté Brest avec l’Archimède, de 220 chevaux, qui n’a cependant que des qualités fort ordinaires, le Cuvier fut obligé de relâcher, tandis que l’autre continuait tranquillement sa route.

Viennent ensuite le Gassendi et le Lavoisier, de 220, mauvais navires, mauvaises machines ; toujours en coûteuses réparations, ils sont loin d’avoir rendu des services équivalens, malgré les efforts des officiers qui les ont commandés.

Puis le Caméléon, qui ne peut atteindre que 7 nœuds à toute vapeur ; enfin le Platon, le Véloce, l’Archimède, de 220, comme le précédent. Ces trois navires sont les meilleurs de la marine, quoique trop lourds, eu égard à la force de leur moteur. Ils ont de bonnes qualités, et leur marche, sans être supérieure, est au moins satisfaisante. Partout où ils paraîtront dans les stations étrangères, nous n’aurons pas à subir d’humiliantes comparaisons ; nous n’aurons pas, comme récemment dans la station du Levant, le spectacle de deux navires, l’un anglais, l’autre français, tous deux sortis du Pirée pour porter secours à une de nos corvettes et l’arracher de la côte où elle s’était échouée, rentrant tous deux au même port, aux yeux de deux escadres réunies, l’un, l’anglais, traînant à la remorque notre corvette, et luttant de vitesse malgré cela avec le vapeur français, qui terminait ainsi le rôle d’impuissance qu’il avait commencé sur le lieu de l’échouage.

Les 6 vapeurs de 220 sont, comme les 450, réservés pour des missions politiques ou autres. Un d’eux, l’Archimède, vient de quitter Brest avec destination pour les mers de Chine, où il fera partie de la division navale qui s’y trouve réunie. Les 5 autres sont presque constamment requis pour les besoins de la politique, ou pour coopérer aux mutations qui s’opèrent en automne dans les troupes de l’Algérie.

Cette espèce de navires nous paraît, dans les conditions actuelles, particulièrement appropriée aux services de guerre que nous attendons d’une marine à vapeur. Une double expérience a lieu en ce moment ; deux systèmes d’armement sont essayés, l’un à bord du Caméléon, l’autre à bord du Pluton. Espérons que l’étude comparative de ces systèmes, qui tous deux sont un hommage rendu au principe que nous avons énoncé, servira à constater la supériorité de l’un ou de l’autre, ou fera apparaître une combinaison meilleure : quelle qu’elle soit, il est à désirer qu’on se hâte d’en faire l’application générale à bord de la flotte, car notre système actuel d’armement, ou plutôt l’absence de tout système, est une cause sérieuse d’infériorité militaire qu’il faut déplorer.

Nous arrivons maintenant à la classe des 160, classe nombreuse, et qui constitue la majeure partie de la flotte à vapeur.

Lorsque le Sphinx parut, en 1829, la marine militaire en était à ses débuts dans la navigation à la vapeur ; elle ne possédait qu’un petit nombre de navires, essais malheureux, propres tout au plus à être utilisés comme remorqueurs sur les rades. À cette époque, le Sphinx était un progrès, et un progrès très réel, qui laissait bien loin en arrière tout ce qu’on avait produit jusque-là. Aussi, pendant dix ans, le Sphinx demeura-t-il un type privilégié que l’on reproduisit fidèlement, mais souvent avec moins de bonheur. Dans toute cette période, nos 160 ne furent que des copies du Sphinx, et l’on croit même pouvoir avancer qu’en 1840 il est encore sorti un Sphinx de nos chantiers.

Ainsi, pendant plus de dix ans, nous sommes restés stationnaires, nous renfermant dans le culte exclusif d’un type unique, le 160, qui est à lui seul presque toute la flotte.

Les nécessités du service d’Afrique justifient suffisamment cette persistance. Il fallut tout d’un coup, presque à l’enfance de la navigation à la vapeur, improviser des moyens de transport proportionnés aux besoins d’une vaste occupation militaire, organiser une correspondance active et régulière, et c’est à la marine à vapeur qu’on s’adressa. Dès-lors toutes les ressources de cette marine naissante furent absorbées par des besoins impérieux et toujours croissans ; plus d’essais, plus d’améliorations possibles ; l’urgence dominait tout ; il fallait des navires à vapeur, un type existait, type heureux, type éprouvé, et dont toute la marine conviée à l’expédition d’Alger proclamait l’excellence ; on se hâta donc de jeter dans le même moule une foule de navires. De là toute cette famille des 160, qui aujourd’hui fait nombre au budget.

On a besoin d’insister sur cette situation pour expliquer l’excessif développement d’un type qui était bon sans doute lorsqu’il parut, mais qui a cessé de l’être parce qu’il n’a pas participé au progrès et parce qu’on exige aujourd’hui, dans le vapeur de guerre, d’autres conditions de force et de puissance. On ne se contente plus en effet des qualités qui, à l’aide des circonstances impérieuses que nous avons expliquées, ont pu faire des 160 l’objet d’une faveur si durable. Comme bâtiment de guerre, il est trop faible aujourd’hui pour être compté, et son infériorité de marche le rend impropre à un service de dépêches. Nous ne lui reconnaissons qu’une qualité essentielle, il est vrai, mais insuffisante lorsqu’elle est isolée : c’est qu’il se comporte très bien à la mer. Créé en vue du service d’Afrique, le service d’Afrique est sa spécialité ; aussi voyons-nous qu’en temps ordinaire, ce service en absorbe un nombre considérable.

D’abord trois sont employés au transport des malades : ce sont le Grégeois, le Météore et le Cerbère. Ces trois navires ont été installés pour offrir un abri à leurs passagers ; on les a exhaussés en leur donnant un pont de plus. On conçoit d’ailleurs que la construction de cet abri n’ait pas ajouté à leurs qualités, et que même, dans certaines circonstances, elle puisse être une cause de danger et compromettre la sûreté du navire appesanti. Mais à ce prix les malades sont abrités, tandis que sur les autres navires, dans ce va et vient continuel entre les deux rives de la Méditerranée, entre Alger et les autres points d’occupation, nos soldats bivouaquent sur le pont, été comme hiver, mouillés par la pluie et par la mer, et cela dure depuis quatorze ans ; c’est l’état normal ! N’y a-t-il pas des misères qui nous touchent de moins près, et qui sont moins dignes d’exciter l’intérêt et la sollicitude du pays ?

Les relations ordinaires avec l’Algérie exigent le concours permanent de 9 bâtimens pour les transports et pour la correspondance entre la France, Alger, et les différens points du littoral. Dans un service aussi actif, opéré par des navires lourds de construction et souvent surchargés, les avaries sont fréquentes. On en compte communément 4 à 5 retenus au port par des besoins de réparation. Ce nombre va quelquefois jusqu’à 6, surtout en hiver, où les causes d’avaries sont plus multipliées. C’est donc au moins 4 à 5 navires qu’il faudrait tenir en réserve pour faire face à ces éventualités, sous peine d’interrompre la régularité des communications, et de jeter la perturbation dans un service dont on ne peut plus se passer.

Ainsi, outre une permanence de 9 bâtimens, il faut en compter 4 à 5 au moins pour former une réserve : en tout, 13 à 14 bâtimens.

De plus, quatre navires ayant été jugés nécessaires pour les stations du Brésil, des Antilles, de Bourbon et de l’Océanie, c’est encore aux 160 que l’on s’est adressé, faute de mieux.

Faute de mieux, il a fallu se résoudre à proclamer sur toutes les mers notre infériorité, en faisant figurer à côté des navires rivaux, comme le Cyclops, le Vesuvius, le Spiteful, et tant d’autres, nos honteux 160, seulement bons aujourd’hui à servir de transports.

Ajoutons à ce compte l’Ardent, qui fait des essais à Indret, le Fulton à Brest, pour les missions imprévues, un stationnaire à Tunis, un à Constantinople, aux ordres de notre ambassadeur, un autre désarmé et hors de service, c’est-à-dire 5, et nous atteignons, avec les 3 navires hôpitaux, le chiffre de 25 à 26, en comptant la réserve nécessaire pour assurer la régularité des communications avec Alger.

Les services que nous venons d’énumérer occupent, sur l’état de la flotte à vapeur, tous les navires compris depuis le no 11 jusqu’au no 34, en tout 24 navires, tandis que nous venons de voir qu’en comprenant dans ces services une réserve de 4 à 5 navires reconnus nécessaires, on arriverait au chiffre de 25 à 26.

C’est donc, en temps ordinaire, 1 à 2 qui font défaut pour compléter le service d’Afrique.

De là l’état de malaise et d’urgence qui tourmente incessamment ce service.

Supposons maintenant que les quatre 220 disponibles dans la Méditerranée soient en mission dans le Levant ou sur les côtes d’Espagne ; s’il survient une dépêche à expédier, une mission pressée à remplir, à moins d’employer l’Asmodée, qui coûte beaucoup, et qui d’ailleurs, à cause de ses grandes dimensions, ne convient pas à toutes les missions, il faut, bon gré mal gré, emprunter aux ressources déjà si obérées du service d’Afrique. Il faut donc clore à la hâte, tant bien que mal, une réparation commencée ; il faut d’urgence faire partir un navire. Aussi qu’arrive-t-il ? que sous l’empire de ce régime d’urgence, on a vu des navires quittant à plusieurs reprises l’atelier pour remplir des missions, y revenant chaque fois avec des avaries plus graves, et mis enfin complètement hors de service. Ce fait que l’on signale accuse à la fois l’insuffisance des ateliers et des moyens de réparation, et l’insuffisance des navires.

À Toulon, où, par la force des choses, s’est concentrée toute l’activité de la marine à vapeur, ce régime d’urgence a passé à l’état normal. Pour satisfaire aux besoins toujours croissans de la politique et de l’occupation, on y a appelé presque tous les navires à flot, on y a fondu dans une seule agglomération tous les services : service militaire, service de dépêches et de transport ; tous les bâtimens y concourent sans distinction, sans qu’on puisse jamais arriver à en satisfaire complètement un seul. Dans cette espèce d’anarchie, tout souffre, tout dépérit, et, tandis que les dépenses courantes s’accroissent outre mesure, on lègue à l’avenir des charges plus lourdes encore par l’usure et le dépérissement prématuré d’un matériel précieux.

C’est là une cause sérieuse de dépenses dont il est juste de se préoccuper. Les vues économiques des chambres n’y sont pas moins intéressées que l’avenir et le progrès de la marine à vapeur. De deux choses l’une : il faut mettre une limite à ces besoins toujours croissans, toujours insatiables, ou égaler aux besoins les forces de cette marine dont on paralyse l’essor par l’abus qu’on en fait.

À partir du chiffre 34[9], on compte 9 bâtimens à flot, tous au-dessous de 160 chevaux. Ces bâtimens, trop petits pour recevoir beaucoup de combustible, trop faibles pour porter du canon, ont été construits pour des services spéciaux et de localité, soit dans les colonies, soit sur nos côtes.

Résumons en peu de mots cet examen : on a d’abord établi que le chiffre de 103 navires se réduit à 43, constituant ce que l’on a appelé la partie militaire de la flotte à vapeur.

Sur ces 43 navires, 16 à 18 sont en réquisition permanente pour le service d’Afrique ; 9 autres, trop faibles pour figurer comme bâtimens de guerre, sont affectés à des services de localité.

Il reste donc 16 à 17 navires disponibles pour les missions éventuelles et pour les stations à l’étranger ; sur ce nombre on en compte 3 de 450 chevaux, 1 de 320, 6 de 220, et le reste de 160 et au-dessous.

Tel est l’enjeu qu’au début d’une guerre la France aurait à livrer à la fortune des batailles !

On croit à propos de présenter à la suite de cet aperçu l’état de la marine à vapeur de l’Angleterre ; il pourra surgir de ce simple rapprochement des enseignemens utiles.

Une publication officielle nous apprend d’abord que le chiffre total des armemens était, en mars dernier, de 77.

Sur ce nombre, la station de la Méditerranée emploie 10 bâtimens : 1 de 450, 4 de 320, 4 de 220, et 1 d’une force moindre 
10
Celle de la côte occidentale, d’Afrique en emploie 9 : 1 de 700 chevaux, la Pénélope, 4 de 320, 1 de 220, et 3 de 80 à 100 chevaux 
9
Celle d’Irlande, 12, dont 8 de 220 à 320 chevaux et 4 de moindre force 
12
Celle de l’Amérique du Nord, Canada, Bermudes et Antilles, 3 de 220 chevaux 
3
Celle des Indes et de la Chine, 3 de 320 
3
Enfin la station de la mer du Sud, 2 de 320 à 220 
2
9 autres, de différentes forces, remplissent des missions hydrographiques 
9
En tout 48 navires employés au service des stations 
48

Nous en consacrons à peine 8 au même service ! La différence de ces deux chiffres suffira pour faire apprécier la part faite à la marine à vapeur dans les deux pays, et quel degré d’importance lui est attribué dans l’emploi des forces navales.

Les autres bâtimens, complétant le chiffre 77, sont ou disponibles dans les ports pour les missions éventuelles et le service local, ou employés comme transports entre les différens points du littoral.

Dans le chiffre de 77 on n’a compris ni les navires construits sur les lacs du Canada, ni ceux affectés dans les colonies à des services de localité, ni ceux de la compagnie des Indes.

On n’y a pas compris non plus les bâtimens qui, au nombre de 11, sont à l’état de désarmement dans les ports ; situation inconnue et qui, jusqu’ici, n’a pas, en marine à vapeur, d’équivalent chez nous, où le nombre est loin de suffire aux besoins, mais qu’il est bon de signaler, parce qu’elle a cette signification, qu’en Angleterre la flotte à vapeur excède les besoins du service ordinaire, et que cette flotte compte dès aujourd’hui une réserve à flot.

Notre réserve à nous, elle consiste, si l’on veut, dans les 24 paquebots de l’administration des postes et dans les 18 transatlantiques, puisque c’est à ce titre que nous les avons admis à compter dans notre force navale. Mais qui ne sait que les grandes compagnies fondées en Angleterre par l’association privée disposent d’un matériel considérable, que plusieurs de ces compagnies sont subventionnées par le gouvernement, et que les navires qu’elles emploient, d’après les conditions de cette subvention, doivent être susceptibles, au besoin, d’être transformés en navires de guerre. On n’objectera donc pas que les paquebots anglais ne sont pas, comme les nôtres, propres à porter de l’artillerie[10].

On croit être très modéré en estimant au double des nôtres le nombre de ces paquebots ; mais si l’on se trompait dans cette estimation, il n’en resterait pas moins constant que les lignes anglaises fourniraient comme réserve un contingent bien supérieur à celui que nous pourrions tirer de nos lignes transatlantiques et de celles de la Méditerranée.

Pour compléter notre aperçu comparatif, il nous reste à parler des navires en construction en Angleterre.

En juillet 1843, le nombre en était de 13, et au commencement de 1844, nous le trouvons de 27. 2 navires de 800 chevaux figurent dans ce nombre ; 11 autres sont des 450, et dans le cours de l’exercice de 1844-1845, il sera mis 6 bâtimens de 450 sur les chantiers. Ainsi, tandis que sur la liste des bâtimens à flot nous ne comptons que deux 450, la Dévastation et le Firebrand, celle des bâtimens en construction nous présente un développement considérable de cette classe, et qui mérite d’être signalé. C’est que le 450 n’en est encore qu’à son début ; il a été précédé par le vapeur de 320 chevaux, qui, lui-même, n’est venu que plusieurs années après le 220.

Ces trois classes marquent trois périodes distinctes dans les constructions militaires de la Grande-Bretagne, et chacune de ces trois périodes présente des types perfectionnés et d’une puissance croissante.

En 1822, c’est le Medea de 220, qui ouvre cette carrière de progrès, et pendant six ans nous le voyons servir de modèle à toute la flotte. Mais avant que son adoption soit devenue définitive, quelle sage lenteur, quelle prudente réserve ! Quatre ports sont d’abord appelés, comme dans un concours, à satisfaire aux conditions d’un devis proposé ; puis les 4 navires sortis de ce concours sont réunis, soumis à des expériences comparatives, et c’est seulement après de longues études qu’un type nouveau, celui de 220, est introduit dans la flotte.

Plus tard, en 1838, la même prudence préside à l’introduction du 320. Les premiers types, la Gorgon et le Cyclops, durent être modifiés, et l’on eut à se féliciter de ne pas les avoir reproduits avant de les avoir jugés.

Cependant l’industrie, précédant la marine militaire, avait ouvert par des essais hardis la voie à des constructions plus importantes. La marine militaire, entraînée dans cette voie d’agrandissement, ne s’en tint pas au Cyclops, et la Dévastation parut, construction admirable et dont nous avons déjà eu l’occasion de signaler les brillantes qualités.

La Dévastation a tenu tout ce qu’elle promettait. Aussi voyons-nous, en 1843, ce type reproduit et occupant presque exclusivement les chantiers des arsenaux anglais, avec la désignation officielle de steamers de 1re  classe.

La construction des machines a suivi la même progression, et il ne sera pas sans intérêt de reproduire ici, d’après un document officiel[11], l’état des commandes faites par le gouvernement aux diverses usines, de 1839 jusqu’en 1843 ; car en Angleterre toutes les machines sont demandées à l’industrie, et les arsenaux ne possèdent que des ateliers de réparation.

En 1839, il a été demandé à l’industrie 
1565 chev. vap.
En 1840 
2100
En 1841 
1626
Et enfin en 1842 
5445

Toutefois, on ne s’est pas arrêté à la Dévastation ; la marine à vapeur n’a pas marqué là le terme de ses agrandissemens et de ses progrès ; après avoir créé successivement les trois classes que nous voyons figurer aujourd’hui, et avoir parcouru les trois périodes marquées à leur début par l’apparition du Medea, du Cyclops et de la Dévastation, elle aborde aujourd’hui des expériences nouvelles.

En effet, sans parler de l’essai isolé de la Pénélope de 700 chevaux[12], que l’on peut considérer comme en dehors de cette voie régulière d’accroissement, nous voyons figurer sur la liste des bâtimens en construction deux vapeurs de 800 chevaux : le Watt et le Terrible. Il est permis de douter de la réussite de ces masses géantes, de contester même en principe leur efficacité, tant que la science, en réduisant l’appareil moteur, n’aura pas fourni le moyen de l’abriter dans la partie immergée du navire. Mais la science n’a pas dit son dernier mot, et si ce problème n’a pas encore eu de solution, on peut dès à présent pressentir qu’il n’est pas insoluble. En attendant, les lords de l’amirauté se garderont bien, le témoignage du passé en est une garantie, de faire mettre sur les chantiers d’autres bâtimens comme le Watt et le Terrible, avant qu’il soit bien établi, par des essais dûment constatés, quelle est la valeur de ces constructions nouvelles.

C’est avec cette sage mesure, mais aussi avec cette continuité raisonnée, que l’on procède en Angleterre. Il est vrai qu’il n’en a pas toujours été ainsi, et que là, comme ailleurs, on a eu d’amères et coûteuses déceptions[13]; mais au moins on en a gardé le souvenir, et cette leçon du passé n’est pas perdue pour le présent.

Pourquoi n’avons-nous pas à signaler chez nous la même marche prudente et mesurée ? Pourquoi faut-il, au contraire, accuser une précipitation qui nous fait procéder par dizaines dans des essais au moins incertains, comme si, en construction navale, nous avions le droit de croire à notre infaillibilité ?

Si cette précipitation a créé pour l’avenir une situation grave, à Dieu ne plaise que notre pensée soit d’en faire retomber la responsabilité sur un corps aussi savant que dévoué, et que l’on nous envie à bon droit ! Non, la responsabilité appartient au pays tout entier. Quand on veut une marine, marine à voile ou marine à vapeur, ce n’est pas seulement au moment où le besoin se fait sentir qu’il faut la vouloir ; il faut la vouloir long-temps, il faut la vouloir toujours, parce qu’en marine rien ne s’improvise, pas plus les bâtimens que les hommes.

Cette vérité est devenue banale à force d’être répétée, et cependant pourquoi se lasser de la redire, puisqu’on ne se lasse pas de la méconnaître ? En 1840, on a voulu tout d’un coup une marine à vapeur ; on a voté des millions. Que ne pouvait-on aussi facilement voter des bâtimens éprouvés ! Pour répondre à cette impatience, qui ne se serait pas accommodée, à coup sûr, des sages lenteurs de la prudence, qui les aurait peut-être accusées, il a fallu se hâter, mettre en chantier des navires de 450, de 540 chevaux, couvrir les cales de nos arsenaux de constructions nouvelles et inconnues.

Dieu veuille que cette impatience, à laquelle il fallait obéir coûte que coûte, que cette précipitation, commandée alors par les circonstances, comme elle le sera toujours, toutes les fois qu’on se laissera surprendre, ne soit pas chèrement payée, et que nous n’ayons pas, comme autrefois l’Angleterre, nos quarante voleurs !


ANNEXE B.

S’il est vrai que, pour le commerce, la navigation à la voile est plus économique que la navigation à la vapeur, il n’en est pas de même pour la marine militaire.

Dans une marine militaire, les services des bâtimens à vapeur, comparés à ceux des bâtimens à voiles, sont beaucoup moins coûteux qu’on ne le croit généralement.

On va appuyer cette assertion sur l’autorité des chiffres.

La dépense d’entretien du bâtiment à vapeur à l’état d’armement se compose : de la solde, des vivres, du combustible.

On admet que le bateau à vapeur, en service actif, chauffe un jour sur cinq. Cette estimation est au-dessus de la moyenne déduite des relevés du service de la correspondance d’Afrique, le plus actif de tous les services. Il résulte en effet de ces relevés que la moyenne des jours de chauffe varie de 1 sur 5 à 1 sur 6.

Soit donc 1 jour sur 5, ou 73 jours par an le nombre des jours de chauffe.

On admet encore que la consommation moyenne du combustible est de 4 kilog. par cheval et par heure. Cette estimation est certainement suffisante, puisque, dans les circonstances de vent favorable ou de calme, l’emploi de la détente peut donner lieu à une économie notable.

Au reste, on a encore invoqué ici les documens que l’on vient de citer ; ce n’est point une donnée théorique, mais un résultat purement pratique fourni par une statistique officielle.

Quant aux prix du combustible, il est d’après le prix d’adjudication :

À Cherbourg de 
24 fr. 40 c. le tonneau.
À Alger de 
31 90
À Toulon de 
32 44
À Brest de 
23 80
La moyenne est de 
29 40
Soit en nombre rond 
30

C’est sur cette base, et en se référant, pour la solde et les vivres, aux chiffres fournis par le budget de 1845, que l’on a dressé le tableau no 1.

D’après ce tableau, on voit que l’entretien d’une frégate à vapeur de 450  chevaux (solde, vivres et combustible) coûte moins que celui d’une frégate à voiles de 2e rang (solde et vivres). Avec la dépense d’un vaisseau de 2e rang, on entretiendrait 2 frégates de 450 chevaux, ou 3 de 320, et avec celle d’un vaisseau de 1er  rang, on aurait près de 6 vapeurs de 220 chevaux capables de transporter, promptement et sûrement 3,000 hommes.

Nous avons à Toulon une escadre de 8 vaisseaux ; elle compte en outre 1 frégate, 1 vapeur de 450, 1 de 220. C’est une grosse dépense. Veut-on savoir quelle force à vapeur on aurait au même prix, non pas à l’état d’immobilité, mais naviguant un jour sur cinq, c’est-à-dire employée dans un service aussi actif que celui d’Afrique. Au moyen de notre tableau, le compte est facile à faire :

On a d’abord 
1 de 450
Et 
1 220
qui sont attachés à l’escadre.
Pour 1 vaisseau de 1er  rang, on pourrait avoir 
5 220
Et 
1 160
Pour les 2 vaisseaux de 2e rang 
4 450
Pour les 3 vaisseaux de 3e rang 
14 220
Et enfin pour 2 vaisseaux de 4e rang 
10 160
La frégate sera comptée, si l’on veut, pour 
2 220
C’est-à-dire qu’au même prix, on entretiendrait en activité de service :
5
frégates de 450 chevaux, à 1,000 hommes chaque 
5,000 h.
22
corvettes, de 220 à 500 hommes chaque 
11,000
11
vapeurs de 160 à 300 hommes. 
3,300
38 19,300 h.
En tout 
38 bât.
pouvant porter près de 20,000 hommes.

Voilà ce qu’on pourrait avoir au même prix.

On prévoit ici une objection facile : on dira que le rôle d’une marine militaire ne se borne pas à des transports de troupes. Non, sans doute ; mais lorsque la vapeur apparaît avec la mission de favoriser la guerre d’invasion par mer, il est juste, il est national, de se préoccuper, en vue de la force continentale de la France, de cette importante fonction de la marine à vapeur.

Est-ce à dire qu’en temps de guerre le rôle de cette marine se bornerait à un rôle de transport, de porte-faix ?

Encore une fois non.

Que les plus incrédules, que ceux qui, par conviction ou par intérêt, s’obstinent à nier la puissance militaire d’un vapeur, veuillent bien nous dire quelle serait l’issue d’une lutte engagée entre un vaisseau de 2e rang et 2 vapeurs de 450, ou bien entre ce même vaisseau et 3 vapeurs de 320, qui offrent un équivalent pour la dépense d’entretien ; qu’ils opposent à un vaisseau de 1er  rang 6 vapeurs de 220 !

Les chances sont-elles donc tellement inégales, qu’il y ait inévitablement succès d’un côté et défaite de l’autre ? On ne le croit pas. On croit que les chances seraient au moins balancées.

Le développement de cette opinion, qui compte aujourd’hui de nombreux partisans, est en dehors du cadre que l’on s’est tracé. On se borne à dire ici, d’une manière générale, et l’on espère être compris de tout le monde, qu’entre navires à voiles et navires à vapeur la force ne se compte plus par le nombre des canons ; que d’autres élémens sont entrés dans ce calcul : si le navire à voiles a pour lui le nombre de ses canons, le vapeur possède des avantages qui lui sont propres. Il est toujours libre d’accepter ou de refuser le combat, tandis que, dans presque tous les cas, il peut y contraindre son adversaire ; maître de son moteur, il peut choisir son point d’attaque et sa distance, et tandis que la masse de son adversaire offrira, aux coups bien pointés d’une artillerie puissante de calibre et d’effet, un large champ de mire, il échappera, par le mode spécial d’attaque qui lui convient, à la plupart des coups de son adversaire.

Quelle que soit la solution que l’on donne à la question, c’est en ces termes qu’il faut la poser aujourd’hui, et l’on croit qu’ainsi posée, il n’est pas nécessaire d’être marin pour la comprendre, sinon pour la juger.

Si, dans la comparaison que l’on a cherché à établir plus haut, on ne s’est pas occupé des dépenses d’entretien et de renouvellement du matériel, c’est que sur ce point on n’avait à produire que des hypothèses plus ou moins contestables. Cependant on possède une donnée empruntée à des documens officiels et que l’on croit propre à fournir un élément important de comparaison. L’expérience démontre que, dans le service d’Afrique, la durée moyenne des chaudières est de cinq à six ans. Or, si cette durée est admise, si l’on admet en même temps que, dans les vapeurs, le dépérissement des chaudières est une des causes les plus actives et les plus efficaces de dépense, on demande si des bâtimens à voiles soumis au même service, service incessant d’été et d’hiver, soumis de plus à des chances de naufrage auxquelles échappent les vapeurs, si ces navires à voiles n’occasionneraient pas des dépenses aussi considérables pour l’entretien et le renouvellement du matériel. Il est à remarquer, d’ailleurs, que l’on diminuerait notablement la dépense résultant de l’usure des chaudières, si l’on généralisait à bord de la flotte à vapeur l’emploi des chaudières en cuivre. Outre que ces chaudières n’exigent presque pas de réparations, elles durent au moins trois fois plus que celles en tôle, et quand elles sont arrivées au terme de leur durée, les matériaux provenant de leur démolition ont conservé presque toute leur valeur.

Au reste, sur ce point, nous ne réclamons que l’égalité ; mais si l’on ne croit pas devoir nous l’accorder, si l’on nous prouve que nous nous sommes trompés, nos calculs n’auront pas moins servi à démontrer notre proposition, à savoir : que, dans une marine militaire, les services des bâtimens à vapeur, comparés à ceux des bâtimens à voiles, sont moins coûteux qu’on ne pense.

Si l’on avait prétendu à autre chose, si l’on avait voulu rechercher laquelle des deux marines, prise dans son ensemble, coûtait le plus à l’état, il aurait fallu tenir compte des dépenses de premier établissement, calculer la valeur première des deux matériels. Or, on n’ignore pas que, pour le matériel à vapeur, cette dépense première est plus considérable que pour le matériel à voiles. Mais qu’en doit-il résulter ? Qu’en temps ordinaire la France mettra quinze ans, au lieu de dix, à mettre sa flotte à vapeur sur le pied qui lui convient : voilà tout.

Tel n’est pas le but qu’on s’est proposé ; on a seulement voulu combattre des idées fausses ou exagérées, d’autant plus dangereuses qu’elles auraient naturellement pour auxiliaires les vues économiques des chambres.


ANNEXE C.
EXPLICATION DU TABLEAU no  3.
On a calculé, d’après les données fournies par le budget de 1845, la dépense d’entretien en solde et vivres des navires à voiles armés, et des navires à voiles et à vapeur en commission, et l’on a trouvé qu’elle était de 
18,553,616 fr.
On a calculé ensuite, d’après les mêmes données, la dépense d’entretien en solde et vivres des navires à vapeur armés ; on y a joint les 1,800,000 francs portés au même budget pour frais de combustible, et l’on a trouvé que la dépense des navires à vapeur était de 
5,517,004fr.
Total pour l’entretien des bâtimens portés au budget 
24,070,620 fr.

On a cherché alors quelle serait, toujours dans les mêmes conditions, la dépense d’une flotte composée d’après les idées émises dans la note précédente, et dont voici le résumé :

1o  Pour les besoins de la politique :
Escadre ainsi composée 
1 vaisseau de 1er  rang
3 vaisseaux de ligne.
1 de 3e
1 de 4e
5 vapeurs de 450 ch.
20 bâtimens à vapeur.
5 de 320
10 de 220
2o  Stations : Antilles et Mexique, Brésil, Océanie,
mer du Sud, Bourbon et Chine.
On n’a porté que de grandes frégates, parce que ce sont les seules qu’on puisse opposer avec succès aux nouvelles frégates anglaises, telles que le Warspite, Vindictive, etc., armées de 50 canons de 68 et de plus de 500 hommes 
22 frégates de
1er  rang.
3o  Missions.
Bâtimens à vapeur 
1 de 450 chevaux
4 de 220
5 de 160
10 bâtimens
à vapeur
Bricks de 20 canons 
5
4o  Service local des colonies, pêcheries,
côte occidentale d’Afrique.
Canonnières, goëlettes, bâtimens de flotille 
27
Avec le temps, ces 27 navires pourraient être remplacés, au même prix d’entretien et avec avantage pour le service, par 18 navires à vapeur de 120 à 80 chevaux.
5o  Service d’Afrique : Correspondance, transport
d’hommes et de matériel.
Bâtimens à vapeur de 160 chevaux 
20
Corvettes de charge 
13
On obtiendrait une réduction notable sur l’entretien des corvettes de charge, en les armant commercialement.
6o  Service des ports et colonies.
Bâtimens à vapeur de 120 chevaux 
10
7o  Service divers.
Vaisseau école 
1
Bâtimens de servitude

D’après ce projet, la dépense des bâtimens armés serait de :

15,219,107 fr. pour les bâtimens à voiles.
24,135,672 fr.
8,916,565 à vapeur.

La dépense des bâtimens, portée au budget de 1845, est de :

18,553,616 fr. pour les bâtimens à voiles.
24,070,620 fr.
5,517,004 à vapeur.
Différence en plus au projet 
65,052 fr.

Nota. Le bâtiment à vapeur paraît être la solution la plus complète d’un problème dont on se préoccupe justement, que M. le ministre de la marine fait étudier par une commission, et que le budget de 1845 introduit dans la composition des armemens. On veut parler de l’état de commission de rade, c’est-à-dire un état intermédiaire entre l’armement et le désarmement, entre l’inactivité et le service, état qui concilie à la fois l’économie avec l’obligation d’entretenir une force navale immédiatement ou promptement disponible. À bord d’un vaisseau, il faut un équipage nombreux ; l’équipage, c’est la machine, et cette machine consomme tous les jours, en rade comme en mer, à l’ancre comme à la voile. — À bord d’un vapeur, la machine, qui tient lieu d’un grand nombre de bras, ne consomme qu’autant qu’on la fait fonctionner, qu’autant qu’on lui demande une production de force qui, au point de vue de la rapidité, de la sûreté des communications, n’admet aucune comparaison avec la voile, en même temps qu’elle constitue un élément de puissance militaire ; en rade, cette machine ne coûte rien.

C’est pourquoi, en donnant un grand développement aux armemens de bâtimens à vapeur, on a cru pouvoir se dispenser d’introduire dans le projet l’état de commission.

TABLEAU No 1.
LISTE DES BÂTIMENS À VAPEUR À FLOT.
1 L’Asmodée de 450 chevaux. 23 Le Papin de 160 chevaux
2 Le Gomer idem. 24 Le Phaëton idem.
3 L’Infernal idem. 25 Le Phare idem.
4 Le Cuvier de 320. 26 Le Sphinx idem.
5 Le Gassendi de 220. 27 Le Styx idem.
6 Le Lavoisier idem. 28 Le Tartare idem.
7 Le Pluton idem. 29 Le Ténare idem.
8 Le Véloce idem. 30 Le Tonnerre idem.
9 Le Caméléon idem. 31 Le Vautour idem.
10 L’Archimède idem. 32 Le Ramier de 150.
11 L’Achéron de 160. 33 Le Castor de 120.
12 L’Ardent idem. 34 Le Brazier idem.
13 Le Cerbère idem. 35 Le N… idem.
14 La Chimère idem. 36 Le Flambeau de 80.
15 Le Cocyte idem. 37 Le Galibi idem.
16 Le Crocodile idem. 38 Le Voyageur idem.
17 L’Etna idem. 39 L’Érèbe de 60.
18 L’Euphrate idem. 40 L’Alecton idem.
19 Le Fulton idem. 41 L’Éridan idem.
20 Le Grégeois idem. 42 Le Basilic de 30.
21 Le Grondeur idem. 43 Le Serpent idem.
22 Le Météore idem.
LISTE DES BÂTIMENS À VAPEUR EN CONSTRUCTION.
1 Le Vauban de 540 chevaux. 10 Le Cassini de 220 chevaux
2 Le Descartes idem. 11 Le Titan idem.
3 Le Sané de 450. 12 Le Coligny idem.
4 Le Monge idem. 13 N… idem, en fer.
5 Le Colbert de 320. 14 Le Chaptal idem.
6 Le Newton idem. 15 Le Brandon de 160.
7 Le Platon idem. 16 Le Solon idem, en fer.
8 Le Socrate idem. 17 La Salamandre de 80, en fer.
9 Le Roland idem. 18 L’Anacréon idem.
TABLEAU No 2.
DÉPENSES D’ENTRETIEN ANNUEL DE CHAQUE ESPÈCE DE NAVIRES.
VAISSEAUX. EFFECTIF. SOLDE ANNUELLE. VIVRES. COMBUSTIBLE. TOTAL.
1er  rang. 1087 SS 491,665 fr. 347,954 fr. 839,619 fr.
2e  916 421,681 292,896 714,577
3e  860 392,977 275,290 668,267
4e  677 327,672 216,711 544,383
FRÉGATES.
1er  rang. 513 254,623 164,213 418,836
2e  442 225,370 141,486 366,856
3e  311 177,971 99,552 277,524
VAPEURS.
450 ch. 303 166,088 96,991 94,608 fr. 357,688
320 191 107,946 61,140 67,276 236,362
220 100 69,081 32,010 46,252 147,344
160 74 50,771 23,687 33,638 108,097
120 50 41,102 16,005 25,228 82,336

La dépense en combustible est calculée sur le pied de 30 fr. par tonneau, et d’une consommation de 4 kil. par heure et par cheval, le nombre des jours de chauffe étant de 1 sur 5.

TABLEAU No 3.
BÂTIMENS À VOILES.




----— | 3 vaisseaux | 1 vaisseau de 1er  rang | 839,619 fr. |-bgcolor="#EFEFEF" | | 1 — de 2e | 668,267 |----— | | 1 — de 3e | 544,383 |-bgcolor="#EFEFEF" | 22 frégates de 1er  rang | | 9,214,392 |----— | 5 bricks de 20 canons | | 517,453 |-bgcolor="#EFEFEF" | 5 canonnières | | 272,510 |----— | 7 goélettes, cutters, etc | | 414,612 |-bgcolor="#EFEFEF" | 42 | A REPORTER | 12,471,236 fr. |}
42 REPORT 12,471,236 fr.
15 bâtimens de flottille 607,453
13 corvettes de charge 1,658,455
1 vaisseau école 199,310
Bâtimens de servitude 282,653
71 — La dépense d’entretien pour les 74 bâtimens à voiles du projet se monterait à la somme de 15,219,107
Le total des crédits demandés au budget de 1845 pour les bâtimens à voiles se monte à 18,553,616
Différence en moins au projet 3,334,509 fr.


BATIMENS A VAPEUR.


Solde, vivres et combustible
5 bâtimens de 450 chevaux. 1,788,440 fr.
5 — de 320 Escadre 1,181,815
10 — de 220 1,473,446
1 — de 450 357,688
4 — de 220 Missions. 589,376
5 — de 160 540,486
20 — de 160 Service d’Algérie 2,161,954
10 — de 120 Service des ports et colonies 823,360
60 Entretien des 60 bâtimens à vapeur portés au projet 8 916,565
Total des crédits demandés en 1845 pour les bâtimens à vapeur 5,516,612
Différence en plus au projet 3,399,953 fr.
Nota. Les 12 canonnières, goélettes et cutters, qui figurent au projet, coûteront 687,122 fr.
Les 15 bâtimens de flottille 607,453
Ensemble 1,294,575
On pourrait tenir armés, au même prix, 18 bâtimens à vapeur, à savoir 8 de 120 chevaux, coûtant 658,688 fr.
Et 10 de 80 chevaux, coûtant 625,050
Ensemble 1,283,738

Le coût des 10 bâtimens à vapeur de 80 chevaux a été calculé sur le pied de 40 hommes d’équipage.

TABLEAU N° 4.

EXTRAIT DU NAVY-ESTIMATES POUR L’ANNÉE 1844-5.


FONDS VOTÉS SPECIALEMENT POUR BATEAUX A VAPEUR.

¬¬¬

Charbon de terre pour bateaux à vapeur 2,760,887 fr
Achat de machines à vapeur. 5,796,000
Construction de navires à vapeur en fer 190,440
Construction de steamers en bois, confondue avec les dépenses du reste de la flotte »
Woolwich. — Réparations de machines à vapeur, construction de chaudières, augmentation des ateliers de réparation, bassin d’échouage pour les steamers, solde d’ouvriers à l’atelier des machines 2,142,000
Portsmouth. — Un bassin nouveau pour recevoir les bateaux à vapeur 756,000
Plymouth. — Un nouveau bassin pour bateaux à vapeur. 756,000
Malte. — Un nouveau bassin de radoub ; un quai et un magasin pour fournir promptement leur charbon, aux steamers. 76,409
Allocations et encouragemens à des compagnies, pour service de correspondance par steamers 10,489,928
22,967,664 fr.
  1. Voir annexe A et tableau no 4.
  2. Le gouvernement anglais réduit cette année de dix-sept à neuf le nombre de ses vaisseaux armés. Trois du premier rang (à trois ponts) seront employés comme vaisseaux de garde dans leurs ports : Sheerness, Portsmouth, Plymouth ; trois dans la Méditerranée, un dans l’Océan Pacifique, un en Chine, un aux Antilles et Amérique du Nord. Sept de ces neuf vaisseaux sont destinés à porter des pavillons d’officiers-généraux.
  3. Voir annexe A.
  4. Considérations sur la Marine et son budget.
  5. Voir annexes.
  6. Ainsi, pour la station du Brésil et de la Plata, nous avons une frégate portant le pavillon de l’amiral commandant la station. Les gouvernemens anglais et américain ont aussi une frégate ; mais voici la force respective de ces navires :

    France, Africaine 40 canons, 311 hommes.
    Angleterre, Alfred 50 445
    Amérique, Raritan 60 470

    Le reste de la station est composé de petits navires, et là encore nous sommes en infériorité de nombre et d’espèce.

    Autre exemple : Notre station de Bourbon et Madagascar, destinée à protéger notre établissement naissant de Mayotte, et à soutenir les catholiques d’Abyssinie, dont l’amitié conserve à la France une des clés de la mer Rouge, se composera de

    1 corvette de 22 canons ;
    1 brick de 20 canons ;
    1 gabare (transport) ;
    1 vapeur de 160 chevaux.

    Tandis que la station anglaise du Cap comptera :

    1 frégate de 50 canons ;
    1 frégate de 44 ;
    2 corvettes de 26 ;
    2 bricks de 16 ;
    1 vapeur de 320 chevaux.

  7. Voir annexe C.
  8. Voir tableau no 1.
  9. Voir tableau no 1.
  10. La subvention à ces compagnies est portée sur le budget de la marine anglaise de cette année à 10,489,928 fr.
  11. Return to an order of the honourable the house of commons. Dated 15 March 1843.
  12. La Pénélope est une frégate ordinaire (regular frigate) que l’on a pourvue d’un appareil de 700 chevaux, après l’avoir allongée de 40 pieds. Elle a fourni ses essais sans beaucoup de succès, et fait aujourd’hui partie de la station de la côte occidentale d’Afrique.
  13. Pendant la dernière guerre, 40 vaisseaux mis à la fois en chantier se trouvèrent si mauvais, qu’on les désigna sous le nom des quarante voleurs (forty thieves.)