Note sur Théodore Leclercq

Note sur Théodore Leclercq

Théodore Leclercq, l’auteur des Proverbes dramatiques, est mort le 15 février à la suite d’une douloureuse maladie, dont il avait ressenti les premières atteintes il y a près de trois ans. Personne n’avait mieux conservé ces traditions de politesse et d’urbanité qui distinguaient la société française du XVIIIe siècle, et qui sont peut-être incompatibles avec le développement des mœurs constitutionnelles ; mais les manières de M. Théodore Leclercq n’étaient pas de celles qui s’apprennent et qui sont à l’usage de tout le monde. Elles étaient l’expression d’un esprit vif et délicat, d’un cœur bienveillant et expansif. Ajoutez à cela un enjouement plein de grace, une certaine coquetterie naturelle, et, surtout le désir de plaire, disposition qui n’a rien de commun avec le désir de briller. M. Leclercq voulait se faire aimer, et il y réussissait. Un bon mot s’arrêtait sur ses lèvres s’il pouvait blesser quelque susceptibilité, et il semblait ne vouloir se servir de son esprit que pour mettre en relief celui des autres.

Sa conversation était charmante. Personne n’a su raconter plus agréablement. On pouvait deviner l’auteur, et l’acteur des Proverbes aux changemens rapides de sa physionomie et aux expressions variées de sa voix ; mais tout cela était si naturel, si improvisé ; qu’un sot même n’eût osé l’accuser de préparation. Sa gaieté était communicative, et nous n’y pouvions résister nous-mêmes, nous autres grands enfans du XIXe siècle, qui nous étudions à être graves et tristes. Dans les dernières années de sa vie, M. Leclercq fut éprouvé par des pertes cruelles. La mort d’une sœur et celle de M. Fiévée, son ami enfance, dont il ne s’était jamais séparé, lui portèrent un coup terrible. On le retrouva toujours bienveillant, aimable, spirituel ; mais sa gaieté devant ses hôtes était un effort, et l’on sentait que l’effort était douloureux.

Il était ne à Paris, en 1777, d’une famille honorable et dans l’aisance. Ses parens voulaient qu’il fît quelque chose, qu’il eût un état, et lui ne se trouvait pas de vocation décidée. On eut quelque peine à lui faire accepter une place dans les finances qui n’exigeait que peu de soins, peu de travail, et qui rapportait des émolumens considérables, fort au-dessus de son ambition de jeune homme. Au bout de quelques mois, la charge parut trop lourde à son humeur indépendante. Une caisse à garder, des subalternes à surveiller, des réprimandes à faire, des solliciteurs à éconduire, que de tracas ! il en perdait la tête. Sa responsabilité, c’était comme un spectre attaché à ses pas. Il se dit, après dix-huit mois de gestion, qu’il n’avait que faire de tant d’argent, que sa liberté valait cent fois mieux, et, sa démission donnée, il se retrouva aussi heureux que le savetier de son proverbe, lorsqu’il s’est débarrassé du sac d’écus.

C’est à Mme de Genlis qu’il dut la révélation de son talent dramatique. Un jour elle daigna le choisir pour lui donner la réplique dans un proverbe qu’elle jouait en bonne et nombreuse compagnie. Le rôle de Mme de Genlis était celui d’une femme de lettres ridicule (je pense qu’elle le jouait assez bien) ; M. Leclercq représentait un jeune poète à sa première élégie. Dans un aparté de cinq minutes, le canevas fut arrangé entre les deux interlocuteurs, et quant au dialogue, on devait l’improviser. L’auditoire trouva que Mme de Genlis n’avais jamais eu tant d’esprit ; elle en sut gré à son jeune acteur et l’engagea à composer des comédies. Il fallait les encouragemens de cette femme illustre pour vaincre la timidité naturelle de M. Leclercq. Quant aux conseils qu’elle lui donna dans l’art d’écrire, on en peut juger par l’anecdote suivante, que je tiens de M. Leclercq lui-même. Un jour, il lui racontait une scène plaisante, à laquelle il venait d’assister. « C’est bien, dit-elle, mais il faut changer la fin. — Comment ! s’écria-t-il, mais je l’ai vu de mes yeux ; c’est la vérité. -Eh ! qu’importe la vérité ? Il faut être amusant avant tout. » On voit, en lisant les Proverbes dramatiques, qu’il ne suivit pas à la lettre les leçons de Mme de Genlis. Il sut être amusant mais il resta toujours vrai.

Ses premiers proverbes furent composés ; et joués à Hambourg, dans une petite société française que les événemens politiques y avaient réunie au commencement de l’empire. Des militaires, des diplomates furent ses premiers acteurs, et lui, comme Shakspeare et Molière, auteur, directeur, acteur, l’ame de troupe en un mot. En 1814 et 1815, il créa encore un théâtre de société à Nevers, recruta ses comédiens dans toutes les maisons, leur apprit leur métier en moins de rien, et obligea des provinciaux à s’amuser et à être amusans. Quelques années plus tard, nous le retrouvons établi à Paris pour n’en plus sortir, et cette fois à la tête d’une troupe, qui, dit-on, n’avait point d’égale. On se réunissait dans le salon de M. Roger, secrétaire général des postes. M. et Mme Mennechet, M. Augier de l’Académie française, Mme Augier étaient ses premiers sujets. L’auditoire, peu nombreux, était digne de comprendre de tels acteurs. Les représentations se succédaient, et le spectacle était toujours varié. Cependant l’idée de publier ses proverbes était encore loin de la pensée de M. Leclercq, qui s’imaginait que ses dialogues si vifs et si spirituels ne pouvaient se passer du jeu des acteurs. Il fallut, pour le décider à se faire imprimer, que le public fût déjà plus qu’à moitié dans sa confidence. Bien des indiscrétions avaient été commises. Les acteurs montraient leurs rôles, on citait maints traits charmans dans les salons, des auteurs comiques empruntaient sans façon sujet et dialogue et croyaient avoir tout inventé lorsqu’ils avaient changé le titre de proverbe en celui de vaudeville ou de comédie. M. Leclercq avait si peu le caractère de l’homme de lettres, qu’il sut peut-être bon gré à ces messieurs de leurs emprunts. C’était un éloge indirect auquel il était sensible, et qui lui donna le courage de se produire, non pourtant devant tout le public, car les deux premiers volumes des Proverbes dramatiques furent d’abord imprimés à ses frais et distribués à ses amis seulement. Les journaux en parlèrent, les éditeurs vinrent frapper à sa porte, et bon gré, mal gré, son livre fut mis en vente. Je me souviens de lui avoir entendu raconter fort gaiement l’espèce de honte qu’il éprouva lorsque son premier éditeur vint lui apporter le prix de ses œuvres. Il ne savait s’il devait le prendre et craignait de ruiner son libraire. Sur ce point il fut bientôt rassuré. Plusieurs éditions se succédèrent rapidement, et peu d’ouvrages ont eu tant de débit, dans un temps où la réclame n’était pas encore inventée.

Tout le monde a lu les proverbes de M. Théodore Leclercq, ils sont dans toutes les bibliothèques, et se jouent encore, l’automne, dans maint château où se conserve le goût des plaisirs intellectuels. Chacune de ces petites comédies renferme, dans un cadre très rétréci en apparence, une foule d’observations ingénieuses, des traits d’un naturel exquis et une variété étonnante de caractères esquissés avec tant d’art,.que dans quelques scènes on connaît chaque personnage comme si on l’avait pratiqué pendant des années. Moraliste indulgent et critique enjoué, M. Leclercq, nous a représenté, dans une suite de tableaux de genre, les vices, les travers, les ridicules de tous les temps, mais avec les traits distinctifs de notre époque. Qui n’a connu M. Partout, M. Parlavide, et tant d’autres types excellens qu’on ne pourrait citer sans copier les noms de tous les personnages des huit volumes des Proverbes dramatiques ? – Un certain nombre de pièces sont des satires politiques écrites avec une verve hardie et qui peignent la situation des esprits dans les dernières années de la restauration, car M. Leclercq, bien qu’il eût peu de goût pour la politique, ne pouvait demeurer indifférent aux grands débats qui agitaient la société de son temps. Je crains qu’il ne faille joindre un commentaire aux nouvelles éditions de cette partie de ses œuvres. Tout change et tout s’oublie si vite, dans notre pays, que les grandes passions du public, sous le ministère de M. de Villèle ou M. de Polignac, ne seront bientôt guère mieux connues que celles de la ligue ou de la fronde. Remarquons en passant que la critique de M. Leclercq, pour vive qu’elle soit, ne va jamais jusqu’à l’injure, encore moins à la calomnie. Ses traits sont aigus, mais non pas empoisonnés. Il sait railler, mais il ne sait pas haïr. On commence à savoir ce que c’est que la haine en France. La politique nous a fait ce présent, et elle a tué chez nous la gaieté.

La gaieté est, à mon avis, le caractère distinctif du talent de M. Leclercq ; elle éclate dans tous ses tableaux, même dans ceux où il avait.à reproduire les plus tristes défauts de notre temps. Courier a dit de notre grande nation, que nous ne sommes pas un peuple d’esclaves, mais un peuple de valets. Dans l’Esprit de servitude, M. Leclercq a repris avec moins d’amertume ce vice du Français, tantôt courtisan de Louis XIV, tantôt flatteur du peuple souverain. Ce vieux valet de chambre devenu un bon bourgeois dans l’aisance, et qui regrette son esclavage chez M. le marquis, donne une leçon tout aussi utile et infiniment plus amusante que ne pourrait faire un ministre disgracié ou un tribun oublié de la multitude. — Ce n’est pas seulement dans la peinture des défauts et des ridicules que M. Leclercq a montré son talent d’observation ; l’Honnête homme, comme on disait au XVIIIe siècle, est représenté dans quelques-unes de ses pièces avec des traits qui ne seraient pas désavoués par nos maîtres. Je ne connais pas de peinture plus ravissante du bonheur de la vie de famille que celle que nous a laissée M. Leclercq dans son Château de Cartes. C’est à mon avis un petit chef-d’œuvre de sensibilité et de grace, dont je conseille la lecture à tous ceux qui se trouveront incommodés d’un article de la Gazette des tribunaux, ou d’un premier-Paris dans un journal politique.

M. Leclercq a cessé d’écrire long-temps avant que son talent eût rien perdu de sa puissance et de sa souplesse, mais il aimait toujours à causer de littérature, et suivait avec curiosité et intérêt les essais de ses contemporains. On était sûr de trouver auprès de lui un critique aussi éclairé que bienveillant, sachant, chose rare, se placer à tous les points de vue pour mieux juger l’œuvre qui lui était soumise. Autant d’autres sont empressés à trouver les défauts autant il se montrait ingénieux à découvrir les qualités, à suggérer des corrections, ou même des idées nouvelles. Tous ses lecteurs sauront combien il fut homme d’esprit, ses amis seuls savent combien il fut aimable et bon.

Pr. Mérimée.


POÉSIES, par M. Charles Fournel[1]. — Les publications poétiques sont assez rares depuis quelque temps. Cela peut passer pour le signe de la défaillance de l’inspiration qu’on a appelée romantique, sans qu’il se manifeste rien, d’un autre côté, qui puisse faire augurer de l’avenir. Il y a quelques années encore, chaque mois, chaque semaine même apportait sa moisson poétique. Bien des jeunes gens qui devaient suivre plus tard des voies diverses, les uns devenir des écrivains d’un autre genre, les autres se jeter dans la politique active, d’autres enfin ; embrasser plus simplement, plus pratiquement les carrières administratives, se croyaient obligés, au début, de déposer leurs premiers rêves, leurs premiers sentimens dans un élégant volume. Aujourd’hui il n’en est plus ainsi : la brochure politique remplace le livre de vers pour le moment. Ne serait-ce point l’indice d’une transformation qui s’accomplit sourdement et irrévocablement dans les idées sur la poésie ? Quoi de plus vieilli par exemple, de plus suranné aujourd’hui, que cette inspiration intime, purement personnelle, qui était si vive autrefois ? Cette inspiration nous semble avoir des rides, et laisse éclater quelque chose de factice, quand on va la retrouver maintenant chez les maîtres même, et, à plus forte raison, chez leurs imitateurs débiles. Nous devons louer M. Fournel pour deux choses : pour sa fidélité à la poésie d’abord, et en outre pour se tenir en garde contre cette inspiration exclusivement personnelle dont nous parlions. Il faut noter un autre motif d’estime c’est ce titre modeste de Poésies qu’il donne à ses vers. M. Fournel, ne se livre pas une anatomie de son ame, à d’intimes effusions, à de langoureuses confidences. C’est plutôt un esprit distingué qui recherche les conditions de la poésie, qui s’essaie à des combinaisons rhythmiques, et fait passer dans la langue poétique de la France moderne soit des légendes populaires soit des fragmens de poètes étrangers. On peut citer, sous ce rapport, la Romance de Roncevaux, Robin Hood, la Fille de l’Hôtesse, d’Uhland. Il y a aussi d’autres morceaux d’une composition distinguée. M. Fournel est un jeune Français qui vit à Berlin depuis long-temps. Sa tentative prouve qu’en pleine Allemagne on peut ne point cesser de manier avec talent la langue de son pays. Il y a, si nous ne nous trompons, quelque chose de particulier dans des vers français conçus et écrits au milieu des fumées parfois un peu épaisses du teutonisme de nos voisins du Nord.




V. de Mars.
  1. Paris, chez Renouard, 1 vol. in-12.