Femmes-Poëtes de la France, Texte établi par H. BlanvaletLibrairie allemande de J. Kessmann (p. 197-199).
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NOTE.


Ce petit volume n’a point la prétention de répondre pleinement à son titre ; loin de là, car il se trouve toujours, nolens volens, dans un livre de la sorte bon nombre d’omissions. Cependant nous ne croyons pas qu’il nous soit loisible de ne faire aucune mention de Marie de France, célèbre auteur fabuliste du XIIIe siècle et qui joint ainsi à son propre mérite celui d’avoir été en France la première femme-auteur de quelque renom. Si la langue dont elle se sert, trop vieillie pour être facilement comprise aujourd’hui, ne nous a pas permis de mettre son nom en tête de notre Recueil, comme l’ordre chronologique nous y invitait, nous réparerons, autant qu’il est en nous, nos torts à son égard en citant ici l’un de ses chefs-d’œuvre dont quelques-uns de nos lecteurs ne manqueront pas d’admirer la grâce, la finesse et la naïveté :


D’UN COC
QUI TROUVA UNE GEMME SOR UN FOMEROI.

Du coc racunte ki munta
Sour un fémier, è si grata
Selunc nature purchaceit,
Sa viande cum il soleit ;
Une chière jame truva,
Clérc la vit, si l’esgarda ;

Je cuidai, feit-il, purchacier
Ma viande sor cest fémier,
Or ai ici jame truvée,
Par moi ne serez remuée.
S’uns rice hum ci vus truvast
Bien sai ke d’or vus énurast ;
Si en créust vustre clartei,
Pur l’or ki a mult grant biautei.
Quand ma vulentei n’ai de tei
Jà nul hénor n’auraz par mei.


MORALITÉ

Autresi est de meinte gent,
Se tut ne vient à leur talent,
Cume dou coc é de la jame ;
Véu l’avuns d’ome é de fame :
Bien, ne hénor, noient ne prisent,
Les pis prendent, le mielx despisent.


Depuis Marie de France bien des femmes se sont essayées dans le genre de l’apologue, et plusieurs d’entre elles l’ont fait avec quelque bonheur : ainsi Mlle  Bernard, la Marquise de la Férandière, Mme  Joliveau. Cette dernière surtout a pris un certain rang parmi nos fabulistes, et personne ne songera à le lui contester qui sait qu’on rencontre souvent chez elle des fables telles que celle-ci :

JUPITER ET LA BREBIS.

En butte aux traits cruels des autres animaux,
La brebis au ton doux, à l’humble contenance,
Vint prier Jupiter de soulager ses maux ;
Elle éprouva du Dieu toute la bienveillance :
„Créature excellente, oui, je le vois trop bien,
J’aurais dû te donner des armes secourables ;

Désormais je prétends qu’il ne te manque rien.
Choisis, veux-tu des dents, des griffes redoutables ?
— Non, je ne veux rien de commun
Avec les animaux qui vivent de rapine.
— Peut-être un noir poison ? . . À moi, bonté divine !
Les serpents venimeux sont haïs de chacun.
— De cornes voudrais-tu que j’armasse ta tête,
Tel que le bouc ? Oh ! non, dit la brebis,
Si j’étais querelleuse ainsi que cette bête !
— Pour te défendre enfin contre tes ennemis,
Il faut être en état de nuire par toi-même.
— Grand Dieu ! dit-elle en soupirant,
Je n’implorerai plus ta puissance suprême,
Laisse-moi mon état présent ;
Si je pouvais nuire, ô mon père !
Je craindrais d’en voir naître en mon cœur le désir ;
J’aime bien mieux, au risque d’en périr,
Souffrir le mal que de le faire.