Nos travers/Patriotisme

C.O. Beauchemin & Fils (p. 10-11).

PATRIOTISME

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Champlain n’avait pas mauvais goût. Je suis bien aise de lui faire ce compliment rétrospectif au moment où l’on inaugure sa statue dans cet adorable Québec qu’il a fondé. On comprend qu’une telle nature à laquelle s’associe le souvenir du vaillant saintongeois ait inspiré les plus belles pages du chef d’œuvre de l’un de nos meilleurs écrivains : « À l’Œuvre et à l’Épreuve, » par Laure Conan.

Il est très beau le noble gentilhomme français qui salue fièrement et d’un geste chevaleresque, le sol dont il se rend maître. Du haut de son socle de pierre il regarde sa ville et tourne le dos à la route de l’océan, à la patrie, au passé. Il y a dans sa pose hardie de l’enthousiasme, et de la tendresse déjà, pour le pays nouveau auquel il se voue corps et âme. Sa silhouette de bronze, cambrée sous l’élégant habit du 17e siècle, se détache avec majesté, avec une exquise harmonie aussi, sur l’azur intense et sur l’immense horizon des montagnes lointaines qu’étoilent aujourd’hui les pointes de vingt clochers.

On est heureux de le voir là, ce père de la colonie, comme si les progrès de son œuvre pouvaient le récompenser encore des dures épreuves du début. On tressaille d’orgueil en entendant à ses pieds, en un jour de fête française, nos hommes d’État le louer dans la belle langue qui fut la sienne et qu’un siècle et demi de domination étrangère n’a ni détruite, ni altérée.

On est fier aussi de voir sur cette Terrasse où passe incessamment le flot cosmopolite des voyageurs, les étrangers apprendre le nom de Champlain et acquérir l’admiration de notre histoire avec le respect de notre nationalité.

Je voudrais maintenant qu’on inscrivît sur la pierre du piédestal la maxime que l’un de nos jeunes et excellents écrivains a mise au frontispice du livre intitulé « L’avenir du peuple canadien-français » : « Soyons fiers, nous serons forts ».

Faut-il dire que nous n’usons pas assez de notre prérogative d’être fiers.

Oublions-nous donc la gloire de notre origine et que nous sommes issus de la première nation du monde ? Ne savons-nous pas que du moment où nos ancêtres descendirent sur ce continent, habité déjà par d’autres Européens, l’Amérique ne retentit plus que du bruit de leurs exploits ; et que les Champlain, les Marquette, les la Salle, les d’Iberville éclipsèrent, abattirent, et domptèrent tout ce qu’il y avait d’Anglais, de Hollandais, d’Espagnols et de Portugais de la baie d’Hudson au golfe du Mexique, de l’Atlantique au Pacifique ?

Ignorons-nous que rien ne fit jamais pâlir la gloire du nom français à travers tous les malheurs de cette colonie, pas même la défaite qui nous donna un nouveau maître. Quand l’armée du chevalier de Lévis, oubliée de la France, écrasée par le nombre, capitula, l’ennemi lui présenta les armes comme à un vainqueur.

Et cette liberté parfaite dont, colons anglais ou français nous jouissons tous dans une autonomie complète, qui donc eut le courage de la revendiquer d’un tyran tout-puissant ? qui l’acheta enfin au prix de son sang, si ce n’est le Français-canadien ?

Aujourd’hui encore, héritiers du génie latin, nous n’avons qu’à le vouloir pour nous affirmer et nous distinguer.

Rien donc ne peut nous abaisser que l’excès de notre humilité. Sachons que personne ici ne nous est supérieur. Relevons la tête, ayons conscience de notre valeur. Opposons s’il le faut la hauteur à la morgue.

Soyons fiers, nous serons forts !