Nos travers/Le soin des malades

C.O. Beauchemin & Fils (p. 209-210).

LE SOIN DES MALADES

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Un médecin d’expérience nous suggère de donner quelques conseils sur ce sujet important. Un grand obstacle au rétablissement de leurs patients serait, au dire d’un grand nombre de praticiens, les visites intempestives et prolongées, les friandises, les douceurs et aussi les conseils apportés par des amies trop zélées.

C’est un grand manque de tact que d’enlever à un malade la confiance qu’il a en celui qui a entrepris sa guérison. Il est des officieuses, qui, pour faire montre d’un intérêt compatissant, se livrent à une véritable enquête. Une fois informées de ce qui a été prescrit, elles critiquent approuvent ou condamnent avec assurance.

— « Quoi ! on vous ordonne telle chose. Ah bien, voilà qui est singulier ! En pareil cas, le docteur X faisait prendre ceci ou cela à ma cousine Z, qui s’en est admirablement bien trouvée. » Elles ont comme cela un tas d’exemples victorieux dans leur sac. Tandis qu’elles racontent avec des râlements ou des étouffements imitatifs ou avec des peintures sanglantes et cruellement détaillées les guérisons miraculeuses obtenues par des traitements différents de celui que subit l’amie souffrante, celle-ci a la chance, tout en acquérant la certitude qu’elle est mal soignée, de gagner à cet étourdissant verbiage une syncope ou une crise de nerfs.

Quand le médecin autorise une convalescente à recevoir ses amies, c’est à celles-ci à prendre garde de ne pas changer la distraction salutaire — résultat attendu de leur visite — en une fatigue. C’est différer beaucoup trop son départ que d’attendre pour prendre congé des signes de lassitude ou d’impatience de ceux qu’on est venu réconforter. Malgré le goût que peut témoigner d’abord le malade pour causer, il faut éviter de donner à la conversation trop d’entrain. C’est aux parents qui veillent dans la chambre ou à la garde qu’on adresse les questions témoignant d’un intérêt sympathique. On fera preuve de délicatesse en abaissant la voix auprès du lit d’un malade. Il faut se rappeler que pour les personnes affaiblies et énervées par la douleur tout est effort : parler, écouter, entendre même. Dans certains cas, un simple son, un mouvement brusque blessent une sensibilité exaspérée par la souffrance.

Il y a une étude à faire des sujets qu’on peut traiter dans ces visites de sympathie. Le bon sens dit qu’on ne doit pas entretenir de choses pénibles un malheureux que les afflictions corporelles inclinent déjà à voir tout en noir. Nous avons pourtant vu des dames charitables qui, visitant les victimes d’une épidémie, colportaient de malade en malade la liste des morts.

Une précaution dictée par un cœur délicat consiste à ne pas faire davantage un trop grand déploiement de gaîté, de façon que l’amie retenue prisonnière par la maladie ne voie pas sa tristesse augmentée du spectacle de plaisirs qu’elle ne peut partager et de la pensée un peu égoïste, mais bien naturelle, que sa disparition n’a rien changé dans les joyeuses habitudes de son cercle mondain.

On comprend qu’il serait des plus indiscrets d’insister pour voir un malade dont la famille a défendu la porte. On voit des gens bien intentionnés qui, dans la crainte de paraître indifférents, se font une espèce de violence pour aller porter de vive voix leurs condoléances. Il est si simple d’envoyer demander des nouvelles, de passer soi-même chez l’affligé, d’y laisser sa carte ou son nom en s’informant de l’état de celui de celle qu’on craint de fatiguer.

La charité bien entendue doit être discrète.