Nos enfants/Le Jour de Catherine

Hachette (p. 22-23).

LE JOUR DE CATHERINE


Il est cinq heures. Mademoiselle Catherine reçoit ses poupées. C’est son jour. Les poupées ne parlent pas : le petit Génie qui leur donna le sourire leur refusa la parole. Il agit ainsi pour le bien du monde : si les poupées parlaient, on n’entendrait qu’elles. Pourtant le cercle est animé. Mademoiselle Catherine parle pour ses visiteuses aussi bien que pour elle-même ; elle fait les demandes et les réponses.

« Comment allez-vous, madame ? — Très bien, madame. Je me suis cassé le bras hier matin en allant acheter des gâteaux. Mais c’est guéri. — Ah ! tant mieux ! — Et comment va votre petite ? — Elle a la coqueluche. — Ah ! quel malheur ! Elle tousse ? — Non, c’est une coqueluche qui ne tousse pas. — Vous savez, madame, j’ai encore eu deux enfants la semaine dernière. — Vraiment ? Cela fait quatre. — Quatre ou cinq, je ne sais plus. Quand on en a tant, on s’embrouille. — Vous avez une bien jolie toilette. — Oh ! j’en ai de bien plus belles encore à la maison. —

LE PETIT GÉNIE QUI DONNA LE SOURIRE AUX POUPÉES LEUR REFUSA LA PAROLE. IL AGIT AINSI POUR LE BIEN DU MONDE : SI LES POUPÉES PARLAIENT ON N’ENTENDRAIT QU’ELLES. POURTANT LE CERCLE EST ANIMÉ. CATHERINE PARLE POUR LES VISITEUSES AUSSI BIEN QUE POUR ELLE-MÊME.

Allez-vous au théâtre ? — Tous les soirs. J’étais hier à l’Opéra ; mais Polichinelle n’a pas joué, parce que le loup l’avait mangé. — Moi, ma chère, je vais au bal tous les jours. — C’est bien amusant. — Oui, je mets une robe bleue et je danse avec des jeunes gens, tout ce qu’il y a de mieux, des généraux, des princes, des confiseurs. — Vous êtes jolie comme un cœur aujourd’hui, ma mignonne. — C’est le printemps. — Oui, mais quel dommage qu’il neige ! — Moi, j’aime la neige, parce qu’elle est blanche. — Oh ! il y a de la neige noire. — Oui, mais c’est la vilaine neige. »

Voilà une belle conversation ; Mademoiselle Catherine la soutient avec agilité. Je lui ferai pourtant un reproche : elle cause sans cesse avec la même visiteuse qui est jolie et qui a une belle robe. Elle a tort. Une bonne maîtresse de maison est également affable avec toutes les invitées. Elle les traite toutes avec sollicitude et, si elle peut montrer quelque préférence, ce n’est qu’aux plus modestes et aux moins heureuses. Il faut flatter le malheur : c’est la seule flatterie qui soit permise. Mais Catherine l’a compris d’elle-même. Elle a deviné la vraie politesse : c’est le cœur qui l’inspire. Elle sert le thé à ses hôtesses et elle n’en oublie aucune. Elle insiste au contraire auprès des poupées qu’elle sait pauvres, malheureuses et timides, pour qu’elles prennent des petits gâteaux invisibles et des sandwichs faits avec des dominos.

Catherine aura un jour un salon où fleurira la vieille politesse française.