Nobiliaire et armorial de Bretagne/Introduction

NOBILIAIRE

ET

ARMORIAL DE BRETAGNE


INTRODUCTION DE LA PREMIÈRE ÉDITION

publiée en 1846.



Aujourd’hui que la noblesse n’a plus de privilèges, la publication d’un ouvrage héraldique peut sembler un anachronisme. Nous avons à dire quels motifs nous ont déterminé à tenter celle d’un Nobiliaire de Bretagne et à quelles conditions nous en avons compris l’utilité.

L’abolition des privilèges, dont on oublie trop souvent que la noblesse fit elle-même le généreux abandon dans la fameuse nuit du 4 août 1789, n’a pu effacer tout un passé de gloire et d’honneur, et les esprits les plus exigeants en fait d’égalité sociale ne sauraient repousser ces souvenirs de famille, ces hommages à la mémoire des aïeux, que résume en quelque sorte un Nobiliaire. Il y a plus : l’histoire particulière d’un corps illustre, que les anciennes constitutions de la Bretagne ont appelé pendant plusieurs siècles à exercer sur la société une influence prépondérante, est assurément essentielle à connaître pour l’intelligence de l’histoire générale de notre province. Aussi est-ce une tâche sérieuse que nous avons entreprise. On ne trouvera dans notre travail, tout de patience et d’érudition, rien de frivole, rien d’asservi à des intérêts actuels ; nous n’avons pas voulu flatter les amours-propres, spéculer sur les vanités, ou chercher par des révélations malveillantes un succès de scandale. Notre but est plus élevé, et consiste à présenter le tableau historique de la noblesse bretonne. Nous avons donc cru devoir traiter avec le même soin les articles consacrés aux familles éteintes même depuis plusieurs siècles, et ceux relatifs aux familles existantes.

Si nous sommes parvenu au but que nous nous proposions, notre recueil sera aussi bien consulté par les archéologues et les historiens qui s’occupent de nos origines, que par les gentilshommes dont les noms y sont consignés. Il nous a semblé, de plus, qu’à une époque où l’absence de toute pénalité a favorisé les usurpations nobiliaires les plus audacieuses, un tableau complet de l’aristocratie bretonne, depuis ses commencements jusqu’à nos jours, aurait au moins le mérite de l’opportunité, et nous sommes fondé à croire, qu’en n’admettant dans notre travail que des faits prouvés par actes authentiques ou puisés à des sources toujours indiquées, nous aurons contribué, autant qu’il était en notre pouvoir, à rétablir la vérité si souvent altérée par de fausses et vaniteuses prétentions, que le ridicule ne suffit pas toujours à arrêter.

Si ces usurpations ne peuvent plus préjudicier aux intérêts généraux, il n’en a pas toujours été de même, et, à différentes époques, les souverains faisant droit aux justes doléances de ceux de leurs sujets sur lesquels retombait la charge de l’impôt, ordonnèrent des Réformations ou recherches des usurpateurs de noblesse[1].

Ces recherches avaient pour but de découvrir les personnes qui s’étaient indûment affranchies du paiement des fouages, tailles, subsides et autres levées de deniers, dont la noblesse était exempte à cause de son obligation du service militaire.

En interrogeant dans chaque paroisse des témoins choisis parmi les collecteurs, fabriqueurs ou autres paroissiens, les commissaires parvenaient à établir, d’après la notoriété publique, le rôle des personnes et des terres sujettes à l’impôt.

De là une meilleure répartition des charges entre les contribuants, dont le nombre s’augmentait de tous ceux dont les droits à l’exemption étaient mal fondés. D’un autre côté, les souverains, qui profitaient des amendes dont on frappait les usurpateurs, trouvèrent dans ces mesures une source de revenus dont ils n’abusèrent que trop souvent.

La première réformation connue en Bretagne fut commencée en 1423, sous le règne du duc Jean V, et continuée pendant plusieurs années dans les neuf évêchés.

Une nouvelle recherche générale eut lieu sous le duc François Ier en 1440 et son successeur Pierre, et se continua jusqu’en 1483 pour les évêchés de Rennes, Nantes, Saint-Malo et Dol.

La reine Anne, sous l’autorité de Louis XII, en ordonna une autre en 1513, qui fut effectuée dans les évêchés de Rennes, Nantes, Saint-Malo, Vannes, Saint-Brieuc et Dol et dans quelques paroisses de Tréguier.

François Ier fit réformer, de 1535 à 1543, les évêchés de Saint-Brieuc, Vannes, Cornouaille, Léon et Tréguier

Enfin, Louis XIV, à l’instigation du grand Colbert, ordonna une recherche générale pour toute la France.

Cette mesure, venant dans notre province après une longue paix qui avait succédé aux troubles religieux du XVIe siècle, devait atteindre surtout deux classes de personnes : les pauvres gentilshommes ruinés par les guerres de la Ligue, et mis dans l’impuissance pécuniaire de faire à leurs frais les recherches nécessaires à la production de leurs titres dispersés, sinon détruits, et les bourgeois enrichis par le commerce, et devenus possesseurs des fiefs des familles éteintes, auxquelles ils voulaient se substituer.

Le roi nomma, pour la recherche des usurpateurs en Bretagne, une commission composée du premier président au parlement de cette province, d’un président à mortier, du procureur-général et de seize conseillers. Les moyens que cette commission employa pour la vérification de la noblesse, bien qu’incomplets, ne laissaient pas que d’être bons, si elle ne s’était pas écartée elle-même des principes qu’elle avait posés.

Mais d’abord, parmi ces commissaires exclusivement pris dans la robe, plus de la moitié appartenaient à des familles anoblies par charge. De là, la partialité qu’ils montrèrent contre la noblesse d’épée, de là aussi leur refus d’admettre les montres militaires comme preuves. Ils commencèrent par être juges et parties dans leur propre cause, et se donnèrent invariablement la qualité de chevalier, quoique cette qualité, regardée comme héréditaire en Bretagne, ne dût appartenir qu’aux plus anciennes maisons, à celles qui avaient partagé à bienfait et viage, c’est-à-dire suivant l’assise du comte Geoffroy, établie en l’an 1185 pour le règlement des partages nobles.

Après s’être montrés pour eux-mêmes si généreux, l’esprit de corps porta encore les commissaires à favoriser de la même manière tous les membres du parlement. Non-seulement ceux-ci furent décorés du titre de chevalier, mais on donna à la grande majorité d’entre eux la qualification d’ancienne extraction, quoique plusieurs ne fussent pas encore à leur premier partage noble, le partage noble n’ayant lieu qu’après trois générations d’exercice de la charge qui conférait la noblesse.

On fit plus encore, on accorda souvent à une branche d’une famille la qualité d’ancienne extraction en la refusant à une autre, quoique ces deux branches eussent une souche commune. Il est donc évident que les commissaires eurent moins égard à la vraie ancienneté des familles qu’à des raisons particulières d’alliance, de parenté et peut-être d’intérêt.

Nous appuyant sur les principes posés par la chambre elle-même, mais dont nous ne nous sommes jamais départi, et sur deux déclarations des États, postérieures à la réformation, nous avons accordé la qualité d’ancienne extraction à toutes les familles qui ont prouvé, par une filiation suivie jusqu’en 1668, leur attache, sans trace d’anoblissement connu, aux réformations du XVe siècle. Mais ces réformations n’ayant point eu lieu dans toutes les paroisses, particulièrement dans celles situées dans les Marches communes de Bretagne et de Poitou, qui étaient exemptes de fouages, nous avons néanmoins conservé l’ancienne extraction, aux familles possessionnées dans ces paroisses, qui ont produit un partage noble au XVe siècle ; le partage noble supposant, dit avec raison Chérin, dont l’opinion doit faire autorité, une possession antérieure de cent ans de noblesse, au moins.

Nous avons compris dans la même catégorie les familles absentes de leurs paroisses dans le temps de ces mêmes réformations, lorsque nous trouvons leurs noms cités à la même époque ou antérieurement dans des montres militaires ou des rôles de gens d’armes, avec la qualité de noble, écuyer ou chevalier. Enfin, il est des familles qui négligèrent d’articuler aucun degré de généalogie en 1668, parce que l’ancienneté de leur race était notoire, et qui furent aussi déclarées d’ancienne extraction, quoiqu’elles n’eussent pas de charge au parlement ; nous avons dû leur conserver cette qualification, lorsque leurs noms se trouvent aussi employés dans les réformations du XVe siècle, et toujours sans trace d’anoblissement.

Nous avons encore maintenu le titre de chevalier à toutes les maisons auxquelles les commissaires l’avaient donné et à celles qui, à raison du montement de leur fief, avaient comparu en équipage d’hommes d’armes aux montres militaires des XVe et XVIe siècles, en exceptant toutefois les familles dont le principe de noblesse était aperçu.

Les familles dont les noms se trouvent mentionnés dans les réformations de 1513 à 1543, et dans celle de 1668, ou qui ont justifié à cette dernière époque, au moins de trois générations nobles, sont comprises dans notre recueil sous la qualification de nobles d’extraction.

C’est ici le lieu d’expliquer une contradiction apparente. Nous citons quelquefois, comme ayant figuré dans les réformations du XVIe siècle, des familles anoblies postérieurement. La raison en est qu’à l’époque de ces réformations, ces familles possédaient des terres nobles ou prétendaient comme nobles à des exemptions qui leur étaient contestées.

Il arriva souvent que, dans ce dernier cas, on coupa court à tout débat soit par l’acquisition de charges conférant la noblesse, soit en obtenant du souverain des lettres recognitoires ou de surannation, nommées aussi relief de noblesse.

Nous venons d’indiquer qu’à la noblesse militaire et féodale vint se mêler une noblesse de robe, qui dut son origine aux privilèges attachés à l’exercice de certaines charges. Bien que ce mode d’anoblissement, fondé le plus souvent sur la vénalité, puisse à bon droit être considéré comme abusif, les familles qui en ont profité ont irrévocablement pris rang dans un corps que beaucoup d’entre elles ont honoré.

Les charges d’audienciers, contrôleurs et secrétaires du Roi près la chancellerie de Bretagne, celles de trésoriers-payeurs des gages des officiers de la chancellerie, donnaient, après vingt ans d’exercice ou la mort en charge du titulaire, la noblesse transmissible ou héréditaire, sous la condition expresse que les titulaires prissent des lettres d’honneur ou de vétérance[2].

Une déclaration du Roi, de 1669, accorda les mêmes privilèges aux référendaires, qui n’avaient eu jusqu’alors que la noblesse personnelle.

Les charges du parlement de Bretagne et celles de la chambre des comptes de Nantes n’avaient d’abord conféré qu’une noblesse graduelle, c’est-à-dire qu’elle n’était acquise aux descendants d’un anobli par charge, qu’autant que le père et l’aïeul eussent successivement rempli la charge qui donnait naissance à leur noblesse. On nommait pour cela cette noblesse a patre et avo consulibus.

Une déclaration du Roi, de 1659, confirmée par un édit de 1704, accorda la noblesse, au premier degré, aux officiers de chaque cour des parlements, après vingt ans d’exercice ou aux enfants de ceux décédés revêtus de leurs offices.

Un édit de 1669 accorda aussi la noblesse, au premier degré, aux présidents procureurs-généraux, maîtres et correcteurs de la chambre des comptes de Nantes ; un autre édit de 1692 étendit cette faveur aux auditeurs et à leurs descendants.

Ce serait cependant une grande erreur de supposer que l’ancienne noblesse dédaignât de faire partie du parlement ou de la chambre des comptes ; nous y retrouvons souvent, au contraire, les noms les plus illustres de la province.

Une autre espèce de noblesse héréditaire, mais qui ne fut jamais reçue à partager noblement, était celle des maires, échevins, procureurs-syndics et greffiers de la ville de Nantes, qui furent déclarés écuyers, en conséquence des privilèges attachés à ces charges, par lettres du roi François II, de 1559, privilèges révoqués par deux ordonnances de Louis XIV, de 1667 et 1669, qui disposent qu’à l’avenir les maires seuls seront anoblis après trois ans d’exercice[3]. Les mêmes ordonnances enjoignaient aux commissaires de confirmer dans leur noblesse tous les descendants de maires et échevins, moyennant le paiement d’une somme de 1,000 livres, dont furent seulement exemptés ceux dont les ancêtres avaient exercé ces fonctions avant l’an 1600.

Les anoblis par lettres patentes, à dater du 1er janvier 1610, furent atteints également par cette mesure fiscale, et eurent à opter entre l’abandon de droits acquis et le paiement d’une semblable somme de 1,000 livres.

Les désastres qui marquèrent la fin du règne de Louis XIV, la pénurie du trésor, ne sauraient justifier les édits de 1696, 1702 et 1711, portant création de lettres de noblesse moyennant finance.

Plus difficilement encore on trouverait une excuse aux édits postérieurs qui révoquaient tous ces anoblissements, sans restituer aux familles les sommes qu’elles avaient payées, ou ne les maintenaient qu’en leur imposant de nouveaux sacrifices.

Louis XV, en établissant, par son édit de 1750, la noblesse graduelle en faveur des militaires, comprit bien mieux les intérêts d’un corps qu’on avait semblé vouloir déconsidérer. La principale disposition de cet édit portait que trois générations de capitaines et chevaliers de Saint-Louis conféreraient la noblesse héréditaire. Mais une ordonnance royale du 22 mai 1781 ne tarda pas à en arrêter les effets, en établissant pour la première fois que nul ne pourrait devenir officier dans les armées françaises, s’il n’était noble ou fils de chevalier de Saint-Louis. Les armes de l’artillerie et du génie furent toutefois exemptées de cette obligation qui fut étendue à la marine, par ordonnance du 1er janvier 1786.

La réformation de Bretagne, terminée en 1671 par les commissaires nommés par le Roi, fut reprise en 1696 et années suivantes jusqu’en 1727, par les intendants et les commissaires départis. Beaucoup de familles précédemment condamnées firent réviser leur procès, rassemblèrent de nouveaux titres à l’appui de leurs prétentions et obtinrent des arrêts favorables. N’y eut-il encore aucun abus dans cette nouvelle manière de procéder ? On assure qu’il s’en glissa beaucoup, et que si les premiers juges s’étaient montrés trop sévères, les nouveaux ne le furent pas assez. En effet, les intendants, très étrangers à de telles vérifications, furent obligés de les confier à des subalternes de leur choix, d’autant moins incorruptibles que, s’il y avait appel contre les déboutements, il n’existait aucun contrôle pour les admissions.

Nous n’avons donc pas toujours enregistré avec une foi bien vive les jugements des intendants, et nous leur préférons de beaucoup les arrêts du parlement que plusieurs familles, d’abord interloquées ou condamnées, obtinrent postérieurement à la Réformation, après avoir recouvré leurs titres égarés ou dispersés lors de la production ou induction de 1668 et années suivantes.

Une ordonnance de l’intendant donnait droit aux exemptions fiscales ; mais pour entrer aux États, il fallait un arrêt au parlement.

L’admission aux États de Bretagne est donc une preuve irrécusable de noblesse ; l’article 2 des lettres de Louis XV, de 1736, pour régler la constitution des États, le fait voir clairement. Il est ainsi conçu :

« N’auront entrée et séance dans l’ordre de la noblesse, que ceux qui auront au moins cent ans de noblesse et de gouvernement noble non contestés, et dont l’aïeul et le père auront partagé, ou été en droit de partager noblement, à peine, contre les contrevenants, d’être exclus de l’assemblée et d’avoir leurs noms rayés sur les registres. »

Nous avons eu soin de mentionner, pour les familles maintenues depuis la dernière réformation, et pour celles qui, à cette époque, n’étaient point fixées en Bretagne, leur présence aux dernières tenues d’États ; nous avons aussi admis, comme présomptions plausibles, sinon comme preuves, les arrêtés, mémoires et protestations de la noblesse de Bretagne au Roi, en 1788, contre les édits portant atteinte aux droits, franchises, privilèges, libertés et immunités de la province. Nous ferons seulement observer que plusieurs des signataires de ces protestations avaient une noblesse d’une date trop récente, pour avoir encore entrée aux États, ou seulement la noblesse graduelle militaire ou de robe ; aussi leurs noms ne se trouvent pas tous, dans les procès-verbaux de ces assemblées.

Si les ordonnances des intendants laissent subsister des doutes sur l’extraction des familles, les arrêts du conseil d’État sont plus suspects encore. En effet, quand on avait le parlement, son juge naturel, sous la main, on ne devait recourir au conseil, moyen beaucoup plus dispendieux, que dans l’impossibilité de réussir au parlement. Le Roi, séant en son conseil, suppléait par sa toute-puissance au défaut de titres, et les arrêts rendus comportaient toujours l’anoblissement en tant que besoin. Aussi, quand on examine attentivement ces arrêts, on demeure convaincu que la plupart ne reposent sur aucune base solide, et que des généalogies évidemment fabuleuses y ont été acceptées.

Il nous reste à parler des terres titrées et à expliquer pourquoi, dans notre ouvrage, les titres sont si rares, tandis qu’on les prodigue avec une si grande facilité aujourd’hui, et même depuis deux siècles, dans les actes publics, malgré les défenses contraires[4].

Pour être marquis ou comte, il ne suffisait pas de posséder une terre érigée en marquisat ou en comté, il fallait encore : 1o ou que la terre eût été érigée en faveur du possesseur, ou, si elle l’avait été en faveur d’un autre, que le nouveau possesseur eût obtenu du Roi des lettres qui appropriassent à sa famille le titre qui avait été accordé à une autre ; 2o il était aussi nécessaire que la terre, depuis son érection, n’eût point été démembrée, ou, si elle l’avait été, qu’on se fît délivrer de nouvelles lettres-patentes pour conserver le titre, malgré le démembrement. Nous avons mentionné toutes les terres titrées dont l’érection a été enregistrée à la chambre des comptes de Bretagne ; nous avons mentionné également les lettres-patentes postérieures portant collation de titres héréditaires et institution de majorats, enregistrées à la cour royale de Rennes.

Quant à celles qu’un petit nombre de familles bretonnes ont pu faire enregistrer sous l’Empire ou la Restauration, dans d’autres cours du royaume, nous n’avons pu en avoir connaissance qu’autant que les familles nous les ont communiquées elles-mêmes. Cette remarque s’applique non-seulement aux titres, mais encore aux lettres d’anoblissement, et l’on comprend qu’il nous était impossible de faire à tout hasard les recherches nécessaires, pour combler des lacunes qui doivent être d’ailleurs bien peu nombreuses.

Il existe encore d’autres titres qu’il n’est pas entré dans notre cadre de rapporter ; on les désigne sous le nom de titres de courtoisie ou à brevet, et, depuis Louis XIV, les rois s’en sont montrés si peu avares, qu’il n’est presque pas de famille noble dont un membre n’en ait été décoré. En effet, dans les commissions, lettres ou brevets militaires délivrés par les rois aux officiers généraux ou même supérieurs, ainsi que dans les preuves de cour, les noms des gentilshommes étaient généralement précédés d’un titre qu’ils se regardaient comme autorisés à porter leur vie durant ; mais ces titres étaient personnels, malgré l’étrange abus qu’on a voulu faire prévaloir de les considérer comme transmissibles et héréditaires.

On a beaucoup parlé, il y a quelques années, de la salle des croisades au musée de Versailles et des preuves que les familles étaient obligées de fournir pour y être admises. Nous avons aussi mentionné, dans notre recueil, tous les seigneurs qui, à notre connaissance, avaient pris part aux guerres saintes ; mais on remarquera quelquefois une notable différence entre les armes que nous donnons aux croisés et celles qui leur ont été attribuées à Versailles. On semble en effet avoir presque établi en principe, pour les admissions, que, dès qu’il y a communauté de nom entre un croisé et une famille existante, il s’ensuit parenté, et par conséquent même écusson. Les armes des anciens croisés étant souvent inconnues, leurs homonymes ont obtenu qu’on y mît les leurs, bien certains que les morts ne pourraient s’inscrire en faux, et à l’appui de leurs prétentions, ils n’ont souvent apporté que la preuve illusoire de la maintenue de 1668, c’est-à-dire la preuve de cent ou deux cents ans de noblesse, pour un fait qui en exigeait quatre ou cinq cents. Nous n’avons pas dû procéder de cette manière ; toutes les fois qu’il y a identité de nom entre plusieurs familles d’ancienne extraction noble, nous n’avons pu attribuer à l’une d’elles, en particulier, une illustration à laquelle les autres peuvent prétendre avec les mêmes probabilités. Nous avons regretté que la facilité d’admission au musée de Versailles ait diminué la valeur morale de cette galerie féodale[5], comme nous avons applaudi à la haute pensée de justice qui élevait un moment à toutes les gloires de la France.

Dans un petit nombre de cas, nous avons tenu compte de traditions de familles, traditions toujours respectables, mais dont la preuve est impossible ; aussi ne les avons-nous admises qu’à titre de prétentions, sans nous porter garant de leur plus ou moins de fondement. Cette observation regarde spécialement les familles que nous déclarons issues en ramage ou juveigneurie de quelques maisons illustres et presque souveraines. Quant aux devises, quoique portées héréditairement, elles ont été arbitrairement prises, à l’exception d’un bien petit nombre, concédées par octroi souverain ; mais nous avons toujours trouvé intéressant de les reproduire.

Ce qui précède suffit pour faire connaître sur quelles données et dans quel esprit nous avons composé notre livre. Un mot maintenant sur les ouvrages que nous avons le plus fréquemment consultés, sans préjudice du bulletin bibliographique qui suivra cette introduction.

Parmi les sources les plus sûres où nous avons puisé, nous devons placer en première ligne les histoires et les preuves de D. Lobineau et de D. Morice, l’histoire généalogique des grands officiers de la couronne, par le P. Anselme, et celle des illustres maisons de Bretagne, par le P. Augustin du Paz. Nous n’avons eu garde de négliger non plus l’Armorial breton de Guy le Borgne, parce qu’il est à juste titre très apprécié du bibliophile et de l’antiquaire, et nous l’avons cité chaque fois qu’il nous a fourni un nom nouveau.

Nous savons qu’il n’a pas tous les caractères d’authencité[sic] désirables ; il parut en 1667, un an avant la Réformation, et quelques-unes des familles qu’il mentionne ont été condamnées par les commissaires ; mais il est extrêmement précieux en ce qu’il fait connaître les familles éteintes avant cette époque ; il rapporte avec la naïveté d’un légendaire tout ce qu’on croyait autour de lui sur les familles, sauf, dit-il, au lecteur prudent et sage d’en faire le discernement, et son livre indique, principalement pour les évêchés de Tréguier et de Léon, qu’il connaissait mieux, quelles étaient de son temps les familles regardées comme nobles, ou vivants noblement et tenants terres et fiefs nobles, ce qui est déjà une grande présomption de noblesse. Combien de pompeux articles dans les ouvrages généalogiques, anciens ou modernes, n’ont pas un fondement aussi solide !

Nous avons eu aussi recours (mais seulement pour connaître la description héraldique des armes de plusieurs familles, condamnées à la réformation et maintenues ou anoblies depuis) à l’Armorial général dressé en vertu de l’ordonnance de 1696. Cette ordonnance, en créant un Armorial général de France, et dépôt public des armes et blasons du royaume, n’était encore qu’une mesure fiscale ; car elle obligea, non-seulement les gentilshommes à faire inscrire leurs noms et leurs armes sur un registre ad hoc, et à recevoir, revêtu de la signature de d’Hozier, un brevet d’armoiries qui coûtait 20 livres par personne ; mais encore les notables bourgeois, les villes, les corporations, les ecclésiastiques, tous les officiers d’épée, de robe, de finance et autres sujets ayant emploi, enfin une foule de riches marchands, à payer leurs 20 livres, moyennant lesquelles on délivrait des armes à ceux qui n’en déclaraient pas eux-mêmes. Tous payèrent, mais tous ne retirèrent pas leur brevet, et beaucoup de familles ignorent encore aujourd’hui les armes dont les gratifia, toujours moyennant 20 livres, l’imagination du juge d’armes. Enfin, pour les familles étrangères à la Bretagne au moment des dernières recherches, nous avons été obligé, quand nous n’avons pas eu connaissance des arrêts de maintenue, de nous en rapporter à des ouvrages qui ne nous inspiraient pas tous une égale confiance ; mais alors, en indiquant l’auteur qui avait cité une famille avant nous, nous lui laissons la responsabilité de ses assertions.

Les ouvrages des généalogistes, même de ceux revêtus jadis d’un caractère officiel, ou voulant aujourd’hui s’en attribuer un, ont été généralement composés avec des articles fournis par les familles elles-mêmes, et insérés à prix d’argent sans aucune critique. Aussi les familles les plus riches, et en même temps les plus obscures, sont quelquefois celles auxquelles un plus grand nombre de pages est consacré. Ces ouvrages peuvent toutefois offrir des renseignements utiles, mais ils ne doivent pas faire autorité. Le public d’ailleurs n’est jamais dupe des complaisants mensonges qu’ils renferment, et la satire de Boileau a fait justice des fraudes de ce genre qui avaient déjà lieu de son temps.

Mais quand un homme est riche, il vaut toujours son prix :
Et, l’eût-on vu porter la mandille à Paris,
N’eût-il de son vrai nom ni titre ni mémoire,
D’Hozier lui trouvera cent aïeux dans l’histoire.

Le Nobiliaire de Bretagne, fait sans passion comme sans intérêt personnel, inspirera, nous le croyons, plus de confiance. Nous avons voulu avant tout être historien véridique, sans tenir compte des susceptibilités que notre ouvrage pouvait éveiller ; nous n’avons omis sciemment aucune illustration, aucun service rendu à l’Etat, mais nous avons dû commettre nécessairement quelques omissions et erreurs involontaires, dans un recueil qui renferme l’histoire abrégée de plus de quatre mille familles. Nous prouverons, par le supplément qui terminera cet ouvrage, que nous ne demandons pas mieux que d’être éclairé, et que nous renonçons facilement à nos opinions, lorsqu’il nous est démontré que nous nous sommes trompé.

Tel qu’il est, notre livre appartient désormais à la critique, qui ne perdra pas de vue, nous l’espérons, les immenses difficultés que nous avons eues à surmonter. Si nous n’avons pas senti défaillir notre courage en accomplissant le rude labeur que nous nous étions imposé, c’est que nous avons trouvé une véritable satisfaction à recueillir minutieusement, dans nos annales, les faits qui sont l’honneur et la gloire de la noblesse bretonne. Nous savons qu’une révolution sociale s’est accomplie sans retour, que les domines n’ont plus d’autre valeur que celle qu’ils tirent de leur mérite personnel, mais nous croyons que les familles, comme les nations, doivent conserver leur histoire, et ne pas répudier l’héritage que leur a légué le passé. Les grands exemples de courage, de vertu ou de dévouement contiennent des enseignements qui ne sont jamais perdus.

En voyant ce qu’ont fait leurs pères, ceux dont l’unique privilège consiste à porter des noms déjà honorés, ne comprendront que mieux les devoirs qu’ils ont à remplir envers la société nouvelle, et ils se garderont d’oublier le vieil adage : Noblesse oblige.

  1. En 1579, Noël du Fail, conseiller au parlement, dans une épitre aux États les exhortait à supplier le Roi : « que bons et véritables commissaires, gens choisis, soient députez pour chercher et vérifier les usurpations que quelques particuliers ont faictes depuis cent ans sur vostre noblesse ; chose qui revient à la grande foulle et oppression des pauvres gens du Tiers-État, sur le dos desquels passe tout le faix et charge des tailles et impositions, etc. »
  2. Si l’on s’étonnait de rencontrer dans notre recueil les noms de quelques officiers de la chancellerie ou autres, qui n’avaient pas exercé assez longtemps pour acquérir la noblesse, nous répondrions qu’il nous était impossible de vérifier exactement s’ils avaient obtenu leurs lettres d’honneur, ou rempli les conditions requises ; qu’ils ont du moins joui, pendant plusieurs années, des privilèges attachés à la noblesse ; nous risquions donc, en les excluant, de rendre notre travail incomplet et de commettre une injustice.
  3. Cette noblesse municipale se nomma noblesse de cloche, parce que c’est au son de la cloche que se font les assemblées des communautés de ville.
  4. Arrêt du parlement de Bretagne, du 15 juin 1679, portant défense, sur les peines portées par l’article 677 de la Coutume (300 livres d’amende), aux personnes de condition commune, de prendre la qualité d’écuyer, et aux procureurs de la donner, sur les mêmes peines ; et à tous nobles de prendre la qualité de messire, chevalier, châtelain, comte, vicomte, baron, marquis, s’ils n’ont titres ou lettres du Roi, dûment vérifiées ; item de prieur et abbé, sans titre ni qualité, et à toutes personnes de quelque qualité qu’elles soient de se qualifier seigneur haut et puissant, et chef de nom et armes.
  5. Grâce à cette complaisance, on voit figurer parmi les croisés bien des noms pour l’admission desquels l’homonymie seule a suffi. Aucune admission n’a été faite d’office, excepté celle des grands dignitaires cités dans Joinville et autres histoiriens des croisades ; mais les familles éteintes des simples gentilshommes et celles existantes qui n’ont pas sollicité leur admission de M. Trognon, improvisé juge d’armes par succession des d’Hozier, ne sont pas inscrites dans ce soi-disant Livre d’or. Le faubourg Saint-Germain boudait la cour du roi-citoyen ; en le prenant par la vanité, Louis-Philippe obtint un certain nombre de conversions et atteignit le but plus politique qu’historique qu’il se proposait, tout en récompensant les ralliés au système dit du Juste-milieu.