Éd. de la Plume (p. 237-239).

XI

Le conteurachève son
Le conteur achève son récit

Il me fallut revenir en France. Des devoirs impérieux de famille me rappelaient.

Adieu, terre hospitalière, terre délicieuse, patrie de liberté et de beauté !

Je pars, vieilli de deux ans, rajeuni de vingt ans, plus barbare qu’à l’arrivée et bien plus instruit.

Oui, les sauvages ont enseigné bien des choses au vieux civilisé, bien des choses de la science ide vivre, ces ignorants, et de l’art d’être heureux. Surtout, ils m’ont fait me mieux connaître moi-même, ils m’ont dit ma propre vérité.

— Était-ce là ton Secret, monde mystérieux ? Ô monde mystérieux d’être la Toute Clarté, tu as fait en moi la lumière, et j’ai grandi dans l’admiration de ton antique beauté, qui est la jeunesse immémoriale de la Nature. Et je suis devenu meilleur d’avoir compris et d’avoir aimé ton âme humaine, — une fleur qui achève de fleurir et dont personne, désormais, ne respirera plus l’odeur.

Quand je quittai le quai, au moment de prendre la mer, je regardai pour la dernière fois Téhura. Elle avait pleuré plusieurs nuits durant. Lasse maintenant, et triste toujours, mais calme, elle se tenait assise sur la pierre, les jambes pendantes, effleurant de ses pieds larges et solides l’eau salée. La fleur qu’elle portait, le matin, à son oreille, était tombée sur ses genoux, fanée. De distance en distance, d’autres, comme elle, regardaient, fatiguées, muettes, mornes, sans pensées, la lourde fumée du navire qui nous emportait tous, bien loin, pour jamais, amants d’un jour. Et de la passerelle du navire, avec la lorgnette, longtemps encore, tandis que nous nous éloignions, il nous sembla lire sur leurs lèvres ces vieux vers maories :

Vous, légères brises du sud et de l’est,
Qui vous joignez pour vous jouer et vous caresser au-dessus de ma tête,

Hâtez-vous de courir ensemble à l’autre Île.
Vous y trouverez, assis à l’ombre de son arbre favori,
Celui qui m’a abandonnée.
Dites-lui que vous m’avez vue en pleurs.