Dussault & Proulx, imprimeurs (p. 42-47).
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VI.


La mélodie du cantique Silence, ciel ; silence, terre, a servi de thème à messire J.-J. Perrault, prêtre du Séminaire de Saint-Sulpice, à Montréal, pour un joli travail harmonique qui fait le début (Kyrie) de sa messe intitulée : Deo Infanti, et dédiée à l’Enfant Jésus.

Joseph-Julien Perrault naquit à Montréal, en 1826, d’une famille honorable, l’une des plus anciennes de la cité et alliée à des personnages politiques qui jouèrent un rôle proéminent dans l’histoire de notre pays. Il fit ses études classiques au Collège de Montréal et son cours de théologie au Séminaire de Saint-Sulpice, à Paris. Élevé au sacerdoce et devenu enfant de la grande famille religieuse de Monsieur Olier, l’abbé Perrault revint au Canada en 1850 comme professeur au Collège de Montréal. En 1853, il exerça le ministère à la paroisse de Notre-Dame de Montréal. En 1862, il fut nommé chapelain de la communauté des Frères de la Doctrine Chrétienne. Actif et zélé dans l’accomplissement de ses devoirs, il s’acquit encore une réputation méritée d’orateur.

Ce fut lui qui prêcha la retraite du Jubilé, donnée à Montréal en décembre 1865. Ce fut le plus grand acte de son ministère ; le dernier aussi malheureusement. Quelques jours après, à la suite des fatigues encourues par ce puissant effort d’éloquence, les premiers symptômes du mal qui devait l’emporter se déclarèrent. L’abbé Perrault mourut le 22 août 1866, dans la quarantième année de son âge, et la seizième de son sacerdoce.

En dehors des travaux absorbants du saint ministère, l’abbé Perrault étudiait et pratiquait avec un grand succès la musique religieuse pour laquelle il avait manifesté, dès l’enfance, des aptitudes et un goût très vif. Il s’était formé à peu près seul, et sans maître. « Personne mieux que lui, » écrivait en 1870 un de ses confrères sulpiciens, l’abbé Lazare-Arsène Barbarin, « personne mieux que lui ne lisait plus rapidement une partition et ne l’appréciait plus sûrement. Sans le secours d’aucun instrument, dans le silence de son cabinet d’études, et à première vue, il pénétrait à fond un ouvrage, si compliquée qu’en fût sa composition. »

Également familier avec les instruments d’orchestre, il savait bien saisir le caractère de chacun d’eux. Il les employait avec intelligence, toujours à propos, et de la manière la plus agréable. Il avait du reste ce qu’on pourrait appeler l’instinct de l’effet et devinait avec un bonheur et une justesse remarquables tout ce qui était le mieux apte à le produire.

C’est avec ce concours heureux de connaissances théoriques et expérimentales qu’il entreprit, en 1859, la composition d’une messe dédiée à l’Enfant Jésus, Deo Infanti, écrite, en entier, sur d’anciens airs de cantiques de Noël.

L’initiative dans ce genre de travail ne lui appartient pas. L’honneur et le mérite en reviennent à un musicien français Stéphane-Louis Nicou-Choron, et Perrault s’inspira, non point de l’œuvre, mais de l’idée de ce maître qui avait publié une Petite messe pour la Nativité de Notre-Seigneur, entièrement composée sur des airs de noëls, — pour trois voix d’enfants, avec orgue et orchestre.

Né à Paris, le 20 avril 1809, Nicou fut admis dès l’âge de dix ans à l’école de Choron qui le prit en affection à cause de son intelligence et de ses dispositions artistiques. Il devint, plus tard, professeur de cette même école, et, en 1832, y fut nommé inspecteur des études. À la mort de son maître, dont il était devenu le gendre, Nicou prit la direction effective de l’école, mais celle-ci, abandonnée par le gouvernement et laissée à ses seules forces, ne tarda pas à disparaître. Tout en se livrant à l’enseignement particulier, Nicou-Choron s’adonna avec ardeur à la composition et publia, ou fit exécuter, un grand nombre d’œuvres de musique religieuse. On lui doit, entre autres, plusieurs messes solennelles avec orchestre, des messes brèves, à une ou plusieurs voix, avec accompagnement d’orgue, de nombreux motets et des cantiques plus nombreux encore, des oratorios pour Noël, Pâques et la Pentecôte, plusieurs cantates, une marche religieuse à grand orchestre, etc., etc.[1]

La Petite messe pour la Nativité de Notre-Seigneur qui servit de modèle à l’œuvre de Perrault fut composée en entier — chant et accompagnement — sur d’anciens airs de noëls. « C’est, nous dit encore l’abbé Barbarin, un ouvrage infiniment délicat, où se mêlent avec une connaissance parfaite de l’harmonie, une grande facilité de style et le plus aimable coloris. L’auteur a composé cette messe sur une quinzaine d’airs différents, distribués en chants et en symphonies. Tous ces airs, moins trois ou quatre, se retrouvent dans la messe de Perrault. L’omission de ces derniers s’explique par le fait que l’habile sulpicien ne les trouvait pas suffisamment connus au Canada ; en revanche il en a employé une quinzaine d’autres que vous ne trouvez pas dans Choron. Dans les deux ouvrages, le choix des airs pour les paroles, ou des paroles pour les airs, ne saurait être plus différent. En cela, l’abbé Perrault agit à dessein, pour éviter sans doute le danger de tomber malgré lui dans le copiage, et, partant, l’ennui d’être accusé de plagiat. Si le contraste entre ces deux messes se bornait là, il ne serait que matériel, mais il existe tout particulièrement et dans le style et dans la manière de leurs auteurs, qui n’ont absolument rien de commun. »

Je n’ai pas l’intention de continuer ici la reproduction du parallèle que l’abbé Barbarin fait soutenir aux messes comparées de Perrault et de Choron, non plus que l’analyse et la critique de l’œuvre du prêtre-musicien,[2]J’ai voulu seulement, en consacrant une page de ce livre à la biographie du sulpicien Perrault, honorer d’un souvenir reconnaissant la mémoire d’un artiste dont le talent, aussi distingué que modeste, donna aux Noëls anciens de la Nouvelle-France un regain étonnant de vogue et de popularité. Je m’explique l’enthousiasme patriotique des Montréalais à la première audition de cette messe à Notre-Dame, et leurs instances réitérées auprès des Messieurs de Saint-Sulpice qui hésitaient à la publier. Le Collège de Montréal se rendit enfin aux légitimes désirs du public. Il y consentit d’autant plus volontiers qu’en cédant à cette douce violence il ne faisait que donner suite à la pieuse intention de l’auteur en composant cet ouvrage. Perrault avait depuis longtemps observé la ferveur et la solennité avec lesquelles, au Canada français et catholique, les familles chrétiennes célèbrent la grande fête de Noël. Il savait qu’alors, dans la province de Québec, chaque foyer domestique se transforme en chapelle familiale, en pieux oratoire où, dans une belle verdure de sapins parfumant toute la demeure, trônait, dans la lumière irradiée des cierges, une Étable de Bethléem devant laquelle les enfants, réunis sous le regard ému des grands parents, chantaient les vieux cantiques des ancêtres. Qui ne se souvient avec attendrissement d’avoir appris ces douces mélodies sur les genoux de sa mère ? Nos pères les tenaient de leurs aïeux qui, eux-mêmes, les avaient apportées de France — notre inoubliable mère patrie — pour les transmettre à leur tour, les léguer à leurs descendants, dans toutes leurs beautés intégrales, comme leur meilleur part d’héritage, après celui de la religion et de la langue.

Touché de ces souvenirs et convaincu, mieux que personne, de la puissance émotionnelle des chants religieux populaires sur l’âme impressionnable de la jeunesse et de sa longue influence sur tous les âges de la vie, l’abbé Perrault conçut l’idée de réunir et d’agencer en un tissu harmonique toutes les mélodies familières et connues que les plus vieux recueils de noëls, en usage dans le pays, pouvaient lui procurer. Il en réunit au delà de trente qu’il a toutes employées. Ce n’est pas qu’il eût besoin d’autant d’éléments divers, car il n’est pas de mélodie si simple qui ne soit susceptible d’un développement indéfini. Ce premier motif de la Messe impériale d’Haydn, une simple intonation de quelques notes formant à peine deux mesures et incessamment répétées, n’en offre-t-il pas un saisissant exemple ? Mais l’abbé Perrault aima mieux que son œuvre fut un répertoire complet de tous les noëls chantés au Canada français entre les années 1859 et 1865.

J’écris avec intention « entre les années 1859 et 1865, » car la Messe de Noël — Deo Infanti — à l’origine (1859) ne se composait que du Kyrie, du Gloria, du Sanctus et de l’Agnus Dei. Six ans plus tard seulement (1865), et sur les instances les plus vives de ses admirateurs et de ses amis, l’abbé Perrault écrivit le Credo et un Magnificat. Il lui fallut donc consulter de nouveau ses vieux recueils, ses bibles et travailler à toute vapeur, car la fête de Noël approchait. Choix et disposition des airs, partition vocale, accompagnements d’orgue et d’orchestre, répétitions, mise en train, tout cela fut l’affaire de trois semaines. Et le 25 décembre 1865, toute l’œuvre, j’entends l’œuvre capitale de Perrault, était donnée à Notre-Dame de Montréal. Bien que composés avec beaucoup plus de hâte que les autres parties de la messe, le Credo et ce Magnificat « n’en sont pas moins riches d’effets. » Telle est l’opinion de l’abbé Barbarin, l’ami trop intime de Messire Perrault pour n’en être pas aussi le trop indulgent critique. Car d’autres musiciens autorisés ont eu raison d’écrire que cette précipitation excessive, apportée dans l’exécution d’un travail de ce genre, compromit plus qu’elle n’assura l’avenir musical de cette messe, la première écrite au Canada.

Et cependant, cette fougue, cette recrudescence d’activité dévorante grandissent à mes yeux le personnage de l’abbé Perrault, l’élèvent bien au-dessus de lui-même, donnent à son talent un caractère d’héroïsme qui le consacre mieux que les plus beaux triomphes artistiques. Quels étaient donc la raison de cette hâte fébrile, le stimulant de cette ardeur haletante ? Vous soupçonnez quelque ambition secrète au fond de ce surmenage, un besoin de gloriole inavouée ? Erreur profonde. Seul, l’effroyable aiguillon de la mort le talonne et le presse. Chez tout autre, cette pensée du cercueil béant eût glacé l’inspiration, tué la muse. Mais la venue prochaine de la terrible visiteuse, qui s’annonçait par d’irrécusables pronostics, n’émut pas le saint prêtre. Il la regardait approcher, impassible comme Mozart, distrait comme lui peut-être, et rythmant au bruit de ses pas les sereines mélodies qui chantaient dans son âme. Il mesura seulement la distance probable qui le séparait d’elle, et lui compara froidement le temps nécessaire à parachever son travail. Ce n’était plus qu’une question de vitesse, une sinistre course au clocher. L’abbé Perrault arriva bon premier en apparence, mais, en réalité, serré de très près. La vérité, c’est que la mort l’atteignit beaucoup plus tôt qu’à la date de son décès (22 août 1866) : cette belle intelligence sombra avant le corps, et s’éteignit dans les ténèbres d’un ramollissement cérébral.

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  1. Cf : Fétis : Biographie universelle des Musiciens, — Supplément et Complément, tome 2, p. 272. Paris, 1880 — Librairie Firmin-Didot & Cie.
    Tout le monde connaît la fameuse définition de la mélodie par saint Jean Damascène : une suite de sons qui s’appellent. Choron en était à ce point émerveillé qu’il disait que pour ces seuls mots : qui s’appellent, Jean de Damas méritait bien d’être canonisé !
  2. Cette analyse et cette critique se lisent aux pages VI, VII, VIII, IX et X de la Notice sur Messire J.- J. Perrault et sur son ouvrage, publiée en tête de la Messe de Noël — Deo Infanti — et Magnificat de feu Messire J.- J. Perrault, Ptre S. S. — publiés par Messire L.- A. Barbarin, Ptre S, S. et M. A, Gosselin — Montréal, 1870.