Noëls éteints (Grégoire Le Roy)

Parnasse de la Jeune BelgiqueLéon Vanier, éditeur (p. 201-202).


Noëls éteints


C’est l’heure de mon cœur, et le soir sur le monde
Joint ses mains de sommeil, ses ténébreuses mains ;
C’est l’heure doucement où se rêve la ronde
Des vieilles de légende et des mystiques nains.

Entendez-vous, là-bas, là-bas, dans ma pensée,
Les aïeules conter de fabuleux récits,
Comme un silence d’aile et de branche froissée,
Le passage muet sur l’ombre des esprits ?

Je vois dans les maisons anciennes de mon âme,
La veille des petits devant le feu ronflant :
Ils entendent de rêve une très vieille femme
Et le vent qui dans l’ombre erre rhythmique et lent.

Ce sont de très vieux soirs dans de vieilles chaumières ;
Ce sont de vieux hivers qui neigent au dehors…
Alors, dans la douceur tremblante des lumières,
Doucement, doucement, ô mon cœur, tu t’endors…


La vieille parle au loin, et l’histoire s’achève
Au loin, dans un manoir, comme une fin de jour,
Tandis que dans un coin très vague, un rouet rêve
Comme un cœur de princesse exilé de l’amour.

Ô douceur ! Ô langueur ! Ce souvenir de choses
Qui ne furent jamais pour nous qu’en souvenir !
Ô jours si peu vécus, si plaintifs et si roses,
Et morts ! Si douces morts qu’on en voudrait mourir !

Quelqu’un, dans notre enfance, un prince, une princesse,
Que nous pleurons parfois, vainement rappelé
D’amour et de regret ! Quelqu’un de la tristesse,
Quelqu’un de bien-aimé, quelqu’un s’en est allé…