Navigation terrestre à Charlestown

CHARLESTOWN.Navigation terrestre. — Un voyage que l’on peut appeler maritime vient d’être exécuté sur le chemin de fer établi près de cette ville.

Une voile a été d’abord élevée et s’est déployée sur le char destiné à parcourir le chemin. Un immense concours de spectateurs se pressait autour du lieu où se faisaient ces préparatifs, et quinze passagers se sont embarqués dans cette voiture ou ce canot, comme on voudra l’appeler, qui a bientôt filé de 12 à 15 milles à l’heure. Mais le gréement et la voiture ayant été installés trop promptement pour qu’ils dussent être très-solides, on a vu tout cet appareil tomber sous l’effort d’une grande brise de nord-est. Plusieurs hommes de l’équipage, entraînés dans cette chute, s’en sont heureusement retirés aux cris de joie de tous les assistans. L’avarie que venait d’éprouver le terrestre navire a été réparée avec promptitude par quelques matelots, qui, présens au désastre, ont généralement prêté leur secours à leurs confrères, un peu désappointés. Alors on a vu le bâtiment, réparé, reprendre sa route au moyen d’un mât de fortune ; et ce qu’il y avait de plus divertissant, c’était de voir, pendant ce rapide trajet, le capitaine faire orienter les voiles selon la brise qui variait, ou selon le changement de direction que les sinuosités de la route imprimaient au navire.

N. B. L’honneur de cette invention remarquable vient d’être réclamé par un journal belge pour le célèbre Simon Stevin, de Bruges. Cet honneur lui appartient en effet, et on ne lira pas sans intérêt quelques détails sur une expérience du char à voiles faite en Belgique, il y a plus de deux siècles, et avec plus de succès que de nos jours.

Simon Stevin, né à Bruges, précepteur du prince Maurice d’Orange-Nassau, stathouder de la république batave, était en même temps quartier-maître-général des armées. Une des inventions les plus remarquables de ce savant mathématicien est celle d’un char garni de voiles et muni d’un gouvernail. Peu de jours après la victoire de Nieuport, le prince Maurice invita plusieurs personnes de distinction qui se trouvaient alors à La Haye à faire avec lui, le long de la plage de Scheveningen, une promenade en voiture sans chevaux. Les personnes invitées étaient au nombre de vingt-huit, parmi lesquelles se trouvaient le frère du roi de Danemarck, l’ambassadeur de France à La Haye, et l’amiral d’Arragon de Mendoza, général en chef des armées d’Espagne, fait prisonnier à la bataille de Nieuport.

Grande fut la surprise des assistans à la vue de ce singulier équipage, mais plus grande encore au moment où il s’éloigna tout à coup de Scheveningen avec une vitesse extraordinaire. Le prince Maurice se plaça au gouvernail et prit de l’autre main la corde qui assujétissait la voile. Un vent sud-est s’éleva, et, en moins de deux heures, le char à voiles avait transporté ses passagers au village de Petten, dans la Nord-Hollande, à quatorze lieues de Scheveningen. Au moment où on s’y attendait le moins, le prince, feignant de ne plus pouvoir maîtriser le mouvement trop rapide de son embarcation, laissa le char s’avancer vers la mer ; une frayeur subite s’empara de l’équipage qui montait ce vaisseau d’un nouveau genre ; mais le prince, revirant de bord par un coup de gouvernail, prouva qu’il était aussi adroit pilote que général expérimenté.

Grotius, quoique jeune encore, était au nombre des voyageurs, et il a laissé une description de cette singulière traversée renouvelée dernièrement en Angleterre. Le burin de Jacques de Geyn a reproduit dans une gravure ce grand char à voiles, ainsi qu’un plus petit, conservés long-temps à Scheveningen l’un et l’autre, dont le dernier existait encore en 1802.

M…