Napoline/Chapitre III

Poésies complètesLibrairie Nouvelle (p. 129-140).
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                         CHAPITRE III


                               
LE LENDEMAIN D’UN BAL — UN SUICIDE — UN RENDEZ-VOUS

Elle n’a pu dormir la nuit… Elle a pleuré.

Le matin à des soins prudents est consacré ;
C’est un grand embarras qu’une mort volontaire.
Le jour où l’on se tue, on a beaucoup à faire.

Elle a revu son oncle avant de le quitter
Pour toujours. — L’aimable oncle a voulu plaisanter
Sur Alfred, la duchesse et le bal de la veille.
Napoline l’écoute en riant… ô merveille !

« Je l’avais dit ; Alfred ne te convenait point ;
Et nous sommes d’accord maintenant sur ce point.
N’y pensons plus !… Enfin, te voilà raisonnable.
Va, tu ne l’aimais pas… Allons nous mettre à table ! »

En causant tous les deux, ils dînèrent gaîment.
Le soir, elle rentra dans son appartement ;
Puis, on la vit sourire en taillant une plume ;
Mais, triste, elle exhalait ces mots pleins d’amertume :


« Il a dû recevoir ma lettre ce matin…
Point de réponse !… Un mot eût changé mon destin.
Hélas ! pour s’excuser qu’aurait-il pu me dire ?
Ce soir elle l’attend… il cède à son empire.
Il est tout au bonheur d’un premier rendez-vous !
Oh ! que j’aime à troubler ce souvenir si doux !
Oui… puisque le bonheur ne m’offre plus de chance,
Que l’horreur de ma mort, du moins, soit ma vengeance !
S’il me voyait mourir lentement dans les pleurs,
Il s’accoutumerait à mes longues douleurs.
Les médecins diraient :
                                    Morte de la poitrine,
Comme sa mère !
                            Et lui  : Faible, d’humeur chagrine,
Elle ne pouvait pas être heureuse ici-bas !

« Et, tranquille, il lirait le JOURNAL DES DÉBATS ;
Ou bien il s’en irait, de peur d’être malade,
Faire au bois de Boulogne un tour de promenade.
Au spectacle, il serait deux jours sans se montrer ;
Ou bien, pour se distraire, il irait s’enivrer !…
Mais, s’il me trouve un soir morte dans sa demeure,
Il faudra bien alors qu’il m’aime et qu’il me pleure !…
Sur sa couche funèbre il me verra toujours ;
Je placerai ma tombe entre tous ses amours ;
Le cœur, d’un vain regret, d’un remords se dégage :
Mais les yeux ne sauraient se sauver d’une image,
D’une image de mort qui sans cesse poursuit.
Elle combat le jour, et triomphe la nuit ;
Elle est là, toujours là… Je connais sa faiblesse ;
Il m’oublie aujourd’hui, sans crainte il me délaisse ;
Mais quand, soudain, ma mort l’aura glacé d’effroi,
Il ne m’oubliera pas… il sera tout à moi !…


Morte, je régnerai sur son âme oppressée ;
Mon souvenir constant nourrira sa pensée.
Ah ! la douleur s’éteint ; mais, chez les gens d’esprit,
L’imagination jamais ne se guérit.
Son cœur est sec et froid ; mais sa tête est brûlante. »

En se parlant ainsi, Napoline, tremblante
Agitée, écrivait… hélas ! son dernier vœu.
Sur le papier tombaient des pleurs, des pleurs de feu,
Et l’on voyait passer sur son jeune visage
Toutes les passions, l’orgueil, l’amour, la rage ;
La colère du cœur, si noble en ses excès…

Puis la douleur revint plus calme après l’accès.
Elle essuya ses yeux, — acheva sa parure,
Attacha son manteau, demanda sa voiture : —
Et le pas des chevaux dans la cour retentit,
Et, comme pour un bal, légère, elle partit.

                                ――

Souvent elle venait seule ainsi chez ma mère,
Et sa femme de chambre, à sa vie étrangère,
Bien qu’il fût tard, la vit sortir sans s’alarmer.

Mais, je le sens, déjà vous allez la blâmer.
Le désespoir est mal compris d’un cœur tranquille.
Quelle horreur  ! direz-vous ; aller mourir en ville !
Chez un jeune homme encor ; cela ne se fait pas !
Ne pouvait-on choisir un plus noble trépas ?…

Que vous dirai-je, moi ? C’était de la démence.
Mai c’est toujours ainsi qu’un désespoir cornmence.
Le premier vœu d’un cœur qui souffre, c’est la mort.


Si l’on n’a point d’ami pour détourner le sort,
Si l’on n’est retenu par une main chérie,
Si l’on n’entend au loin une voix qui vous crie :

« Arrête, ne meurs pas, espère, vis pour moi ! »

Le désespoir vous mène au crime sans effroi.
Oh ! qui n’a ressenti, dans le cours de sa vie,
Cette douleur de feu qui veut être assouvie,
Qui brave le mépris, la honte, le danger ;
Qui veut agir, qui veut, à tout prix, se venger ?
Une longue douleur mène à l’indifférence ;
Mais un malheur subit… tombé sur l’espérance,
Est un coup imprévu dont le choc étourdit.
Le courage se glace, et le cœur se roidit ;
C’est un vent froid soufflant sur un lutteur en nage ;
C’est ce qui fait qu’on meurt pour un bal au jeune âge.
On ne se défend point contre un mal imprévu.
Sitôt qu’on est surpris sans arme… on est vaincu.

                                ――

 « Le comte de Narcet ?
                                     — Il est sorti, madame.

— Eh bien, je l’attendrai. »

                                          « C’est une belle femme,
Dit le vieux domestique en montant l’escalier ;
Mais elle me fait peur ; son air est singulier.
Je soupçonne monsieur d’avoir beaucoup d’intrigues.
Ah ! ces jeunes marins, ils sont fous et prodigues.
C’est à ces femmes-là que va tout leur argent. »


Napoline comprit ce murmure outrageant
« Ce soupçon, pensa-t-elle, est un propos d’avare,
Une ironie encor de mon destin bizarre ;
Mais, avant de mourir, je veux faire un heureux.
Qui n’a plus d’avenir doit être généreux…
Ma bourse est pleine d’or ;
                                        Prenez, je vous la donne.
Je comprends votre erreur, et je vous la pardonne. »

Dans la chambre d’Alfred, tremblante, on l’introduit.
Elle rougit de honte, et son courage fuit.

Le trouble, la douleur, une longue contrainte,
Égarent sa raison. — Sa passion éteinte
Se ranime à l’aspect de ces objets chéris
Qu’Alfred voit tous les jours. Ses lives favoris,
Ses armes, souvenirs de ses nombreux voyages,
Des plus nobles dangers séduisants témoignages :
Ces flèches, ces poignards, ces vases précieux,
Ces rosaires bénits apportés des Saints Lieux,
Tout le faisait aimer dans ce modeste asile.
Là, rien ne trahissait un cœur vain et futile.

Sur la console un buste attirait le regard :
Napoline bénit ce bienfaisant hasard ;
De l’Empereur c’était une image fidèle.
L’artiste avait saisi l’orgueil de son modèle.

Napoline, soudain, émue à cet aspect,
Se prosterne à genoux avec un saint respect ;
Et, comme on prie un Dieu, Dieu puissant, Dieu sévère,
À son heure suprème… elle, pria son père !

                                ――


Dans un coffre élégant par son ordre apporté,
Avec un soin risible, elle avait apprêté
Ce qu’il faut pour mourir… d’une mort fastueuse ?
Non ; — pour mourir, hélas ! comme une REPASSEUSE,
Selon l’expression d’une femme d’esprit.[1]
Elle se rappela ce mot, elle en sourit.
De gaîté, de douleur, incroyable mélange !

« Que dira-t-on de moi, de cette mort étrange ?…
Bah ! des malins soupçons qu’importe la noirceur ?
Dit-elle ; je n’ai plus de mère et point de sœur !
Qui pourrait concevoir une idée offensante !…
Ma mort même dira que je fus innocente ;
Et lui me défendrait… C’est un homme d’honneur.
Oh ! s’il m’avait aimée ! hélas ! que de bonheur !…
Pour lui j’aurais été soumise, douce et tendre !…
Comme sa femme, ici, j’aurais droit de l’attendre ;
Je le consolerais ; il serait mon appui,
Et je pourrais mourir sans honte auprès de lui ! »

Et des pleurs, excités par cette humble pensée,
Soulagèrent alors sa poitrine oppressée.

                                ――

Au coin du feu, rêveuse, elle resta longtemps :
Elle entendait gémir le vent sec du printemps,
Qui, sur le boulevard, faisait craquer les arbres ;
Et, triste, elle songeait au froid mortel des marbres,
Au tombeau qu’elle aurait… à l’horreur de mourir :
Sur son propre malheur elle allait s’attendrir…


Quand l’heure résonna, — l’heure affreuse, fatale,
L’heure qu’il oubliait auprès d’une rivale !
Son courage revint avec le désespoir.

« La mort !… Ici… vivante il ne doit pas me voir ! »
Dit-elle…

               Et, par se soins, les portes se fermèrent,
Et les charbons rougis pour la mort… s’allumèrent.

« Hâtons-nous, pensait-elle ; oh ! s’il allait venir !…
Que dis-je ?… Elle saura longtemps le retenir…
Mais demain, ô demain, je lui serai rendue !…
Et là, je serai froide et pour l’amour perdue !
Et, dans son désespoir, il se rappellera
Celle pour qui je meurs… et nous comparera…
Me préférant alors, dans sa haine indignée,
Il dira : Qu’elle est belle  !… et je l’ai dédaignée !
Et j’ai causé sa mort… Ô délire, ô fureur ! —
ELLE ! !… Il ne pourra plus la nommer sans horreur.
Il trouvera sa vie et ses ruses infâmes ;
Il la trouvera laide entre toutes les femmes !…
Avec amour, sur moi — ses regards tomberont.
Triste, il admirera la candeur de mon front ;
Sur ma tête glacée il versera des larmes ;
Du bien qu’il sacrifie il sentira les charmes…
Cent fois il redira mon nom !… Cris superflus !
Ce cœur, qu’il a brisé, ne lui répondra plus.
Mais, en voyaiit ses pleurs, mon ombre soulagée
S’envolera joyeuse… Ah ! je serai vengée ! »

Sur la couche… un moment, de honte elle frémit…
Mais chaste, elle entrevit la mort — et s’endormit….


Oh ! sur ce lit de deuil, Juliette nouvelle,
Peut-être espérais-tu te réveiller comme elle !

Pour mourir, elle a mis sa parure de bal,
La couronne de fleurs, le bouquet virginal ;
Cette parure était pleine de modestie ;
Par des nœuds élégants sa robe assujettie,
Son voile, frais linceul sur ses grâces jeté,
De ses derniers moments disaient la pureté.
Ô vierge ! dors en paix sous ta sainte guirlande !
Sur l’autel de la mort… on respecte l’offrande ! !

                                ――

Or, à cette heure, Alfred était en rendez-vous,
Dans un de ce moments que l’on nomme bien doux :
Mais n’enviez pas trop le séduisant jeune homme :
Ces coquettes beautés que le monde renomme
Pour l’amour triomphant ont souvent peu d’attraits,
Et lui font regretter un minois rose et frais.
L’amour n’est pas autant aveugle qu’on le pense :
C’est un enfant gâté qui veut sa récompense.
Souvent, vers le séjour si longtemps souhaité
Il court avec ivresse — et fuit désenchanté.
— N’allez pas dire encor que nos conseils sont rudes, —
Femmes qui n’aimez point, coquettes, — soyez prudes.

Alfred de chez la belle a disparu sans bruit,
Se demandant tout bas ce qui l’avait séduit.
Pressant les longs adieux et les regrets d’usage,
Furtif, il est sorti par un secret passage.
Depuis qu’on s’est aimé, jamais amant heureux,


Après un rendez-vous, ne fut moins amoureux.
À peine a-t-il quitté sa nouvel1e maîtresse,
Qu’Alfred d’une autre femme évoque la tendresse.
II songe à Napoline, et reconnaît ses torts,
Car avec la raison reviennent les remords.
Ce souvenir lui rend d’amoureuses idées :
Il compare soudain à ces grâces fardées,
À ces attraits d’emprunt, si laids sans ornements,
Cette beauté naïve et ces contours charmants,
Cet éclat qui faisait admirer Napoline.
Il se la figurait douce, aimante, câline,
Chaste et passionnée, humble et fière à la fois.
II lui semblait déjà s’attendrir à sa voix.

« Chère enfant ! disait-il, que fait-elle à cette heure ?
Elle m’en veut, je gage, elle est triste, elle pleure.
Elle me hait !… Demain, j’irai la consoler :
Oh ! j’empêcherai bien ses larmes de couler !
Je lui dirai  : Ma vie est à vous, je vous aime ;
Vous m’avez mal jugé… Je n’étais plus le même ;
Je devenais un fat, mais vous m’avez sauvé :
Donnez-moi le bonheur que mon âme a rêvé ;
Aimez-moi  ! —

                          « C’en est fait… oui, le monde m’ennuie !
Je trouve ses plaisirs tristes comme la pluie.
Je n’y peux plus tenir ; ce métier d’élégant
Est sans profit, stupide, et puis très fatigant.
Il faut toujours songer à plaire, et toujours feindre ;
Aux usages des sots en tous lieux se contraindre,
Se friser tous les soirs, se parer jusqu’aux doigts,
Porter des bas à jours, et des souliers étroits ;
Tout cela pour aller courtiser une belle
Qui ne vous entend pas, qui ne parle que d’elle !

Ah ! je suis revenu de ce brillant plaisir,
Et je ne comprends pas quel en fut mon désir.
Oh ! que j’aime bien mieux discuter à mon aise,
Assis, au coin du feu, sur ma petite chaise.
Avec sa femme, au moins, on peut causer de tout,
Et l’on n’a jamais peur d’être de mauvis goût…

« Mais je fus donc atteint d’un accès de folie ?
Comment ai-je trouvé la duchesse jolie ?
Comment ?… C’est un secret, je ne m’en souviens plus.
Et cette autre héritière… avec tous ses écus !
Comment ai-je songé sans démence à lui plaire ?…
Oubliant la corvée à cause du salaire,
Quoi ! pour ses millions je vou1ais l’époùser ?…
Béni soit le succès qui vient me dégriser. —
Pour ces deux femmes-là !… je quittais une amie,
Napoline ! si belle ! — Ô misère, infamie !
Je ne mérite pas que tu rêves de moi.
Mais nous serons heureux, et je reviens à toi !
Oui, je veux dès demain hâter ce mariage…
On va rire de nous, de notre humble ménage,
Car nous ne serons pas riches… Eh bien, tant mieux :
Nous aurons des amis, et pas un ennuyeux !…
Ah ! comme elle sera jolie en mariée !…
Et lorsqu’à ma tendresse on l’aura confiée,
Comme je serai fier ! — Que d’amour ! que de soins !…
Voyons… de mon côté quels seront les témoins ?
Demain, de tout cela nous causerons ensemble.
Oh ! que je suis heureux !… Mais, d’où vient que je tremble ? »

Alfred, en cet instant, venait d’entrer chez lui.
Déjà, dans l’escalier, un demi-jour a lui.

« Une femme est ici… Monsieur le sait, sans doute ? »
Dit le vieux domestique. — Alfred s’arrête, écoute.


« Comment est cette femme, et que t’a-t-elle dit ?

— Rien ; elle dort, je crois, monsieur, sur votre lit.
J’ai senti dans la chambre une odeur de fumée,
Mais je n’osais entrer ; la porte était fermée.
Alors, j’ai regardé par la serrure.

                                                  — Eh bien ?…

— J’ai vu que l’on dormait, et que ce n’était rien.

— Une femme !… chez moi !…

                                                — Monsieur doit la connaître.
Elle est jeune et très belle…

                                            — Ah ! c’est Emma peut-être.

— Non, monsieur…

                               — Indiscret ! vous connaissez Emma ?

— Un soir, j’étais présent quand monsieur la nomma.

— Ce n’est pas elle ?

                                 — Non, monsieur, je vous l’assure.
La dame en question est venue en voiture ;
Et, si j’en crois l’argent qu’elle m’a prodigué,
Dans le monde elle occupe un rang très distingué. »

Àlfred se prit à rire… Il monte, ouvre la porte…


Il entre…
              Cette femme est Napoline !…
                                                          MORTE !…

                                ――

Alors Alfred tomba dans un tel désespoir…
Il est si malheureux !… que j’ai pu le revoir !
Et, chaque jour, il pleure en parlant de cet ange.
Heureuse mort, au moins, que celle qui nous venge !

                            ―――――

  1. Une jeune fille s’était asphyxiée par amour pour M. de L. G. On lui faisait compliment de ce succès devant la duchesse de Coigny : « En vérité, il n’y a pas de quoi être fier, dit-elle ; c’est une mort de repasseuse. »