Napoléon le PetitOllendorftome 7 (p. 124-125).


viii
PARLEMENTARISME.

Oui, cette tribune, M. Louis Bonaparte l’a renversée. Cette puissance créée par nos grands enfantements révolutionnaires, il l’a brisée, broyée, écrasée, déchirée à la pointe des bayonnettes, foulée aux pieds des chevaux. Son oncle avait émis un aphorisme : Le trône, c’est une planche recouverte de velours ; lui a émis le sien : La tribune, c’est une planche recouverte d’une toile sur laquelle on lit : liberté, égalité, fraternité. Il a jeté la planche et la toile, et la liberté, et l’égalité, et la fraternité, au feu d’un bivouac. Un éclat de rire des soldats, un peu de fumée, et tout a été dit.

Est-ce vrai ? Est-ce possible ? Cela s’est-il passé ainsi ? Une telle chose a-t-elle pu se voir ? Mon Dieu, oui ; c’est même fort simple. Pour couper la tête de Cicéron et clouer ses deux mains sur les rostres, il suffit d’une brute qui ait un couperet et d’une autre brute qui ait des clous et un marteau.

La tribune était pour la France trois choses : un moyen d’initiation extérieure, un procédé de gouvernement intérieur, une gloire. Louis Bonaparte a supprimé l’initiation. La France enseignait les peuples, et les conquérait par l’amour ; à quoi bon ? Il a supprimé le mode de gouvernement, le sien vaut mieux. Il a soufflé sur la gloire, et l’a éteinte. De certains souffles ont cette propriété.

Du reste, attenter à la tribune, c’est un crime de famille. Le premier Bonaparte l’avait déjà commis, mais du moins ce qu’il avait apporté à la France pour remplacer cette gloire, c’était de la gloire, non de l’ignominie.

Louis Bonaparte ne s’est pas contenté de renverser la tribune. Il a voulu la ridiculiser. C’est un effort comme un autre. C’est bien le moins, quand on ne peut pas dire deux mots de suite, quand on ne harangue que le cahier à la main, quand on est bègue de parole et d’intelligence, qu’on se moque un peu de Mirabeau ! Le général Ratapoil dit au général Foy : Tais-toi, bavard ! Qu’est-ce que c’est que ça, la tribune ? s’écrie M. Bonaparte Louis ; c’est du « parlementarisme » ! Que dites-vous de parlementarisme ? Parlementarisme me plaît. Parlementarisme est une perle. Voilà le dictionnaire enrichi. Cet académicien de coups d’État fait des mots. Au fait, on n’est pas un barbare pour ne pas semer de temps en temps un barbarisme. Lui aussi est un semeur ; cela germe dans la cervelle des niais. L’oncle avait « les idéologues » ; le neveu a « les parlementaristes ». Parlementarisme, messieurs, parlementarisme, mesdames. Cela répond à tout. Vous hasardez cette timide observation — Il est est peut-être fâcheux qu’on ait ruiné tant de familles, déporté tant d’hommes, proscrit tant de citoyens, empli tant de civières, creusé tant de fosses, versé tant de sang… — Ah çà ! réplique une grosse voix qui a l’accent hollandais, vous regrettez donc « le parlementarisme » ? Tirez-vous de là. Parlementarisme est une trouvaille. Je donne ma voix à M. Louis Bonaparte pour le premier fauteuil vacant à l’Institut. Comment donc ! mais il faut encourager la néologie ! Cet homme sort du charnier, cet homme sort de la morgue, cet homme a les mains fumantes comme un boucher, il se gratte l’oreille, sourit, et invente des vocables comme Julie d’Angennes. Il marie l’esprit de l’hôtel de Rambouillet à l’odeur de Montfaucon. C’est rare. Nous voterons pour lui tous les deux, n’est-ce pas, monsieur de Montalembert ?