Napoléon le PetitOllendorftome 7 (p. 33-34).


ii
LE SÉNAT.

Le dialogue vif et piquant, c’est le conseil d’État, le corps législatif et le sénat.

Il y a donc un sénat ? Sans doute. Ce « grand corps », ce « pouvoir pondérateur », ce « modérateur suprême » est même la principale splendeur de la Constitution. Occupons-nous-en.

Sénat. C’est un sénat. De quel sénat parlez-vous ? Est-ce du sénat qui délibérait sur la sauce à laquelle l’empereur Domitien mangerait le turbot ? Est-ce du sénat dont Napoléon disait le 5 avril 1814 : « Un signe était un ordre pour le sénat, et il faisait toujours plus qu’on ne désirait de lui » ? Est-ce du sénat dont le même Napoléon disait en 1805 : « Les lâches ont eu peur de me déplaire[1] » ? Est-ce du sénat qui arrachait à peu près le même cri à Tibère. « Ah ! les infâmes ! plus esclaves qu’on ne veut ! » Est-ce du sénat qui faisait dire à Chartes xii : « Envoyez ma botte à Stockholm. — Pour quoi faire, sire ? demandait le ministre. — Pour présider le sénat. » Non, ne plaisantons pas. Ils sont quatre-vingts cette année, ils seront cent cinquante l’an prochain. Ils ont, à eux seuls, et en toute jouissance, quatorze articles de la « Constitution », depuis l’article 19 jusqu’à l’article 33. Ils sont « gardiens des libertés publiques » ; leurs fonctions sont gratuites, article 22 ; en conséquence ils ont de quinze à trente mille francs par an. Ils ont cette spécialité de toucher leur traitement et cette propriété de « ne point s’opposer » à la promulgation des lois. Ils sont tous des « illustrations[2] ». Ceci n’est pas un sénat « manqué[3] », comme celui de l’oncle Napoléon. Ceci est un sénat sérieux ; les maréchaux en sont, les cardinaux en sont, M. Lebœuf en est.

— Que faites-vous dans ce pays ? demande-t-on au sénat. — Nous sommes chargés de garder les libertés publiques. — Qu’est-ce que tu fais dans cette ville ? demande Pierrot à Arlequin. — Je suis chargé, dit Arlequin, de peigner le cheval de bronze.

« On sait ce que c’est que l’esprit de corps ; cet esprit poussera le sénat à augmenter par tous les moyens son pouvoir. Il détruira, s’il le peut, le corps législatif, et si l’occasion s’en présente, il pactisera avec les Bourbons. »

Qui dit ceci ? le premier consul. Où ? Aux Tuileries, en avril 1804.

« Sans titre, sans pouvoir, et en violation de tous les principes, il a livré la patrie et consommé sa ruine. Il a été le jouet de hauts intrigants… Je ne sache pas de corps qui doive s’inscrire dans l’histoire avec plus d’ignominie que le sénat. »

Qui dit cela ? l’empereur. Où ? à Sainte-Hélène.

Il y a donc un sénat dans la « Constitution du 14 janvier ». Mais, franchement, c’est une faute. On est accoutumé, maintenant que l’hygiène publique a fait des progrès, à voir la voie publique mieux tenue que cela. Depuis le sénat de l’empire, nous croyions qu’on ne déposait plus de sénat le long des constitutions.

  1. Thibaudeau, Histoire du Consulat et de l'Empire.
  2. « Toutes les illustrations du pays »Louis Bonaparte, appel au peuple, 2 décembre 1851.
  3. « Le sénat a été manqué. On n'aime pas en France à voir des gens bien payés pour ne faire que quelques mauvais choix » — Paroles de Napoléon. Mémorial de Sainte-Hélène.