Napoléon et la conquête du monde/II/22

H.-L. Delloye (p. 373-378).

CHAPITRE XXII.

EXPÉDITION D’AFRIQUE.



Dès l’année 1824, et lorsque l’empereur venait de terminer en Chine et au Japon la conquête de l’Asie, il avait projeté la conquête de l’Afrique. Il savait que dans cette contrée la nature était son seul ennemi, car, depuis plusieurs années, travaillés et soulevés par les bruits de gloire que le nom de Napoléon avait répandus sur eux, les Africains, loin d’opposer des obstacles, n’attendaient, dans une sorte de fatalité calme, que sa venue pour se soumettre.

Cette expédition, qui n’est pas ce qu’il y a de moins extraordinaire dans la vie de Napoléon, est trop connue et trop admirablement racontée dans l’histoire qui en a été donnée au public sous les auspices du roi de Silésie, Louis Napoléon, pour que je m’y appesantisse dans ces pages ; je ne veux donc en donner qu’un aperçu rapide, en y mêlant les faits que j’aurai plutôt choisis par hasard qu’à cause de leur véritable importance.

L’empereur, avant de commencer cette conquête, possédait déjà dans ce continent de nombreux états, et surtout la plus grande partie de sa ceinture. C’est ainsi que les états barbaresques, l’Égypte, la Nubie, les côtes du canal de Mozambique, le cap de Bonne-Espérance, une chaîne presque continue d’établissements sur les côtes de Guinée et de la Sénégambie, et enfin toutes les îles de cette partie du monde, appartenaient déjà à l’empire de Napoléon.

L’intérieur de l’Afrique restait seul inconnu et indépendant de sa puissance. Deux années suffirent à une exploration et à une conquête également complètes.

Cinq armées d’expédition abordèrent presque en même temps cinq parties différentes du littoral de l’Afrique. La première, l’expédition principale, commandée par le roi de Silésie, Louis Napoléon, général en chef des quatre autres armées, descendit sur les côtes du Sénégal ; le maréchal Molitor occupa le Congo ; parti du cap de Bonne-Espérance, le prince de Hohenlinden eut à soumettre l’extrémité méridionale de l’Afrique, en remontant dans le nord jusqu’au Monomotapa ; le duc de Bellune fut chargé de la conquête de la Cafrerie, et le maréchal Belliard dut s’emparer de l’Abyssinie et du Darfour.

Un même système liait et dominait ces cinq expéditions. Il était composé de ces deux pensées : Établissement du christianisme et conquête. Il était formulé par ces deux noms : le Christ et Napoléon. Il avait pour symbole la croix au haut d’un drapeau tricolore.

Cet envahissement simultané d’un continent avait été combiné avec tant d’art que deux années suffirent à son accomplissement, et virent le commencement et le terme de la conquête sur les cinq points différents où elle avait été portée.

Sur tous ces points, et dans tous les pays qu’elles traversèrent, les armées furent accueillies par les Africains aux cris de Napoléon. D’ailleurs, aucune lutte, aucune bataille, aucune résistance ; les troupes européennes s’avançaient sans crainte dans l’intérieur du pays, et partout, à leur approche, les rois à la tête de leurs peuples, les chefs précédant leurs tribus, venaient s’agenouiller devant la croix aux flammes tricolores. Tous disaient que les prédictions des temps passés étaient accomplies ; tous apportaient leurs idoles, dont la divinité était épuisée, disaient-ils ; ils les foulaient aux pieds avec délire, et les brûlaient eux-mêmes devant la croix victorieuse. Les sectes mahométanes rejetaient leur islamisme, et l’impulsion était si violente, que les nations venaient spontanément au-devant des Français, pour abjurer plus tôt leur culte et leur indépendance.

Tous demandaient Napoléon, et l’absence de la divinité agrandissait encore le mystère.

Les armées européennes admiraient cet accueil et cette soumission que leur faisait le nom seul de leur empereur. Partout elles étaient fêtées ; tout leur était apporté en abondance, et les rigueurs inaccoutumées de ces climats leur étaient amoindries, et les obstacles aplanis par les Africains qui les servaient avec un dévoûment exalté.

Les routes de l’Afrique, devenues chemins militaires sous les soldats de Napoléon, furent alors rendues libres aux découvertes. Cette grande et mystérieuse partie du globe fut désormais sillonnée et parcourue dans tous les sens ; les voiles qui la recouvraient tombaient à chaque pas ; ses fleuves, sans commencement ni fin, retrouvaient leur source et leur embouchure ; les lacs douteux, les mers inconnues, les villes incertaines ou ignorées apparaissaient enfin et donnaient leurs noms et leurs secrets aux vainqueurs, et, dans les deux années qui avaient suffi à ces cinq expéditions, l’Afrique fut aussi complètement explorée et connue que soumise.

Commencée au mois de juin 1825, cette conquête immense était totalement achevée au mois de mars 1827, et le 20 mai suivant, le roi de Silésie, ayant rassemblé dans Tombouctou, qu’il avait choisie pour sa résidence, tous les rois, chefs et princes souverains de toutes les contrées de l’Afrique, il leur fit solennellement prêter un serment de fidélité et de soumission à l’empereur Napoléon, nouveau souverain de l’Afrique.

Le roi de Silésie data bientôt de la même ville, au nom de l’empereur, des décrets qui divisaient l’Afrique en trente-deux cercles, ou provinces, au commandement desquels il nomma trente-deux généraux français des armées de l’expédition. Cela fait, une administration provisoire uniformément établie, les cultes mahométan et idolâtre détruits, la croix et le drapeau impérial dominant toutes les villes et les moindres villages, et le nom de l’empereur devenu sacré et partout répété, le roi Louis Napoléon rassembla dans le delta du Niger la partie des armées françaises qu’il ne voulut pas laisser en Afrique, et il s’embarqua au mois d’août 1827 pour l’Europe, après avoir gagné un continent à son frère.