Napoléon et la conquête du monde/II/14

H.-L. Delloye (p. 330-333).

CHAPITRE XIV.

DESTRUCTION DE L’ÉGYPTE.



Un autre décret, non moins extraordinaire, fut daté également de Siam.

La vieille Égypte, si calme autrefois, semblait, depuis quelques années, être en proie à des agitations continuelles. Des séditions s’étaient élevées au Caire et dans les villes qui bordent le Nil. Quelques-unes de ces révoltes avaient été graves, et des garnisons françaises, impuissantes par leur petit nombre à les réprimer, avaient été massacrées ; enfin, dans une dernière convulsion, les Égyptiens avaient maudit le nom et le pouvoir de Napoléon, et proclamé leur indépendance. La fausse nouvelle de la mort de Napoléon, répandue dans l’Orient et qui avait occasioné, comme nous l’avons vu, les massacres de Balkh en Tartarie, avait, à ce qu’il parait, décidé cette insurrection insensée.

Et, cependant, à cette époque, l’empereur songeait à vivifier l’Égypte par d’immenses travaux ; deux chemins de fer allaient être construits dans l’isthme de Suez, avec un embranchement qui devait rejoindre le Caire. Les deux navigations de la Méditerranée et de la mer Rouge allaient s’enchaîner par ces deux grands passages de commerce, et ces contrées qui eussent entouré de leur voisinage le chemin nouveau de l’Inde et de l’Europe allaient retrouver une vie nouvelle et refleurir entre toutes les nations. Mais, en apprenant la nouvelle de la sédition de ce pays, l’empereur ressentit la plus vive indignation ; il lui jura une haine à mort. « Ingrate Égypte ! s’écriait-il, terre sans foi et sans patrie, qui ne valait pas même la peine d’être conquise, et qui devait périr après une pareille trahison. »

Ce fut alors qu’il accomplit cet étrange châtiment d’une nation condamnée à mort sans retour, et qui allait être effacée de la surface de la terre.

Il ordonna que le Nil fût détourné au-dessus de Thèbes, et que, refoulé dans un lit nouveau, il vint se jeter désormais à travers le désert dans la mer Rouge. Ainsi détourné, le fleuve, depuis Thèbes jusqu’à la Méditerranée, abandonna son vieux lit desséché et pestilentiel ; bientôt les vents de l’ouest y amenèrent leurs tourbillons de sable, et rétablirent dans ces plaines, qui depuis la création leur étaient arrachées, le droit du désert et de la mort ; il n’y eut plus de vie et de fleurs dans ces contrées naguère si florissantes, et devenues désolées et brûlantes. Et tandis qu’une nouvelle Égypte se créait sur les nouveaux bords du grand fleuve depuis Thèbes jusqu’à la mer Rouge, l’ancienne, disparaissait de plus en plus, s’abîmant dans des flots de sable et de stérilité sous lesquels au bout de quelques années elle fut entièrement engloutie.

Après quoi Napoléon fit couper l’isthme de Suez ; il rappela ces nations d’ouvriers qu’il avait employées à la découverte de Babylone, et sous une pareille force ces travaux immenses furent bientôt achevés. En 1825 le détroit de Suez avait remplacé l’isthme de Suez ; sa largeur était considérable, Napoléon ayant voulu creuser une mer et non un canal avec ses écluses comme on le lui conseillait : en vain lui disait-on que les élévations des eaux des deux mers étaient inégales, il dit qu’il les aplanirait. Et en effet, lorsque les dernières barrières furent enlevées, et que les deux mers mugissantes se précipitèrent l’une contre l’autre, leur furie fut courte ; mariant leurs ondes, elles se firent un niveau, et avec les vagues arrivèrent bientôt les flottes de l’Inde et de l’Europe qui traversèrent à voiles déployées, et avec leurs proues superbes, le nouveau détroit Napoléonien.

L’Afrique se trouva être la plus grande île du monde.