Napoléon et la conquête du monde/I/07

H.-L. Delloye (p. 29-34).

CHAPITRE VII.

ANNÉE 1813.



Napoléon voulut rester à Saint-Pétersbourg pendant toute la saison d’hiver, il se plut à anéantir par sa présence l’ennemi impérial qu’il avait été dix années à abattre. Aujourd’hui qu’il régnait dans son empire, qu’il habitait dans son palais, il prolongeait à plaisir ce grand effet de ses victoires, afin aussi peut-être de mieux faire comprendre aux nations russes qu’au-dessus de leur czar il y avait encore une toute-puissance plus formidable, et Napoléon entre Alexandre et Dieu.

C’était d’ailleurs une admirable ville à habiter que Saint-Pétersbourg, cité toute neuve, toute dessinée pour être une capitale, sans que les restes d’un vieux passé eussent, comme dans les autres villes du monde, maîtrisé l’action de ceux qui voulaient les régénérer ou les embellir. Là, un grand souverain avait, à peine un siècle avant, tracé des lignes, marqué des places, indiqué des édifices, et tout-à-coup, à sa volonté, des merveilleuses constructions étaient venues en foule et obéissantes se presser et s’aligner dans ce désert, et comme une armée de palais et de temples manœuvrer dans cet espace avec un ordre admirable. Une population immense était aussitôt arrivée, et la jeune capitale de la Russie avait déjà tous les caractères de l’éternité humaine.

Ce que la création avait fait d’un seul coup à Pétersbourg, ce que l’incendie avait fait à moitié à Londres, il fallait toute la lenteur des siècles pour l’effectuer à Paris ; mais Napoléon était assez fort pour comprimer le temps dans ses mains, et il se promit la régénération prompte de sa ville chérie, au milieu de ses études de la ville conquise.

Cependant les troupes russes, disloquées pour ainsi dire, étaient disséminées sur tous les points de l’empire moscovite, et surtout portées vers les extrémités orientales, tandis que la grande armée se réunissait sous les murs de Saint-Pétersbourg et occupait les côtes depuis Riga jusqu’à Cronstadt, et aussi les provinces et les villes voisines de la capitale. L’empereur ordonna également l’occupation de Stockholm par les divisions Junot et Regnier que les flottes russes transportèrent au-delà de la mer, et, maître des capitales et des empires du nord, entouré de ses forces, il assignait ainsi à ses armées les côtes de la Baltique pour leurs quartiers d’hiver, et du haut de l’Europe soumise, il se mit à gouverner la France.

À cette époque, trois généraux inconnus, Malet, Lahorie et Guidal, tentèrent par un coup de main insensé, dont on n’a jamais bien connu la cause ni la portée, de renverser le gouvernement impérial. C’était dans les prisons que ces hommes avaient ourdi leur complot qui vint pour ainsi dire expirer sur le seuil de leur guichet. Napoléon prit en pitié cette folle tentative, et par un acte de dédain, il ordonna la mise en liberté de ces trois hommes, « afin qu’ils pussent conspirer à l’air », disait-il.

Et cependant des décrets arrivaient incessamment de Saint-Pétersbourg en France, réglant tout, administrant tout avec cette haute sagesse, si utile quand elle part d’un si haut pouvoir. Les royaumes devenus français, les départements de l’intérieur, les diverses administrations, recevaient des organisations qui amélioraient toujours l’état existant, sans désordonner trop rapidement le passé qui doit entrer pour une grande part dans ce que l’on régénère.

Paris surtout était l’objet constant de sa pensée ; c’était là qu’il accumulait toutes les magnificences, tout le luxe, tout le grandiose de ses idées ; c’était comme une poésie au milieu de ses travaux. Il se plaisait, si loin de sa capitale, à y créer des places nombreuses, à y faire rayonner de toutes parts des plantations au milieu des rues nouvelles, à y semer des fontaines publiques et les statues de bronze et de marbre des grands hommes de la patrie. Le décret du 5 décembre décida l’ouverture et la construction immédiate de la fameuse rue Impériale, projetée depuis Louis XIV, et qui fut terminée en 1816, magnifique voie française qui part du Louvre et marche en droite ligne jusqu’à la barrière du Trône, large partout de quatre-vingts pieds, plantée de quatre rangées d’arbres, et bordée, dans toute son étendue, de palais réguliers et superbes, avec des galeries sous deux lignes d’arcades et de colonnes.

Au milieu de ces travaux, de cette toute-puissance déployée avec tant d’éclat chez la nation vaincue, et d’une action diplomatique plus mystérieuse, mais non moins décisive, et qui soumettait de plus en plus l’Europe septentrionale à la politique de l’empire français, l’année 1813 s’ouvrit brillante de gloire pour Napoléon et montrant ainsi la situation de l’Europe à son égard.

pays sous la domination directe de l’empereur napoléon :
La France,
La Hollande,
Le Hanovre,
Le Holstein,
L’Oldembourg,
L’Italie,
L’Illyrie.


sous sa domination de famille :
L’Espagne,
Naples,
Le Portugal,
La Westphalie.


sous sa domination indirecte.
La confédération du Rhin, Bavière, Wurtemberg, Saxe, Bade, etc.,
La Suisse,
La Pologne,   feudataire,
La Suède,   tributaire,
La Russie, triid.,
L’Autriche,
alliés et fournissant des contingents de troupes et d’argent.
La Prusse,
Le Danemarck,


restant en dehors de cette influence  :
La Sardaigne,
La Turquie,
L’Angleterre.

C’est-à-dire qu’il n’y avait plus que deux nations en Europe, le premier et le dernier nom de cette liste, la France et l’Angleterre.