Naissance, vie et mort des maladies infectieuses/Chapitre conclusif

L’AVENIR DES MALADIES INFECTIEUSES

Nous ne saurions mieux terminer cet essai, où tout est plutôt façon d’envisager les questions qu’hypothèses, qu’en esquissant le tableau de ce que seront les maladies infectieuses dans l’avenir. Il en naîtra de nouvelles ; il en disparaîtra lentement quelques-unes ; celles qui subsisteront ne se montreront pas exactement sous les formes que nous leur connaissons aujourd’hui. Comment se répartiront-elles ? Si le nombre des maladies nouvelles dépasse celui des maladies qui disparaîtront, que deviendront nos descendants et les animaux domestiques dans un monde de plus en plus peuplé en microbes pathogènes ?

L’homme, par son intelligence, est un tel facteur dans l’avenir du monde qu’il nous faut, pour essayer de répondre, envisager deux cas, celui où la civilisation humaine ne fera que se développer et s’étendre davantage, celui où la civilisation des hommes rétrograderait.

Si la civilisation humaine se maintient, si elle continue de se développer et de s’étendre, les maladies infectieuses augmenteront de nombre dans toutes les régions du globe. À l’exception de celles qui, ancrées à certains sols du fait des conditions de leur conservation, ont peu de tendance à l’extension et de celles qui sont sous la dépendance d’un facteur climatérique, les échanges, les migrations porteront, en tous pays, les maladies humaines et animales de chaque région. L’œuvre est déjà très avancée ; elle est assurée d’avenir.

Mais, si l’homme civilisé doit fatalement poursuivre son rôle de propagateur des agents pathogènes, les progrès de la science humaine armeront de mieux en mieux nos descendants contre toutes les maladies. Plus nombreuses, plus répandues, les maladies seront moins à craindre. Une meilleure défense équilibrera les dangers de menaces plus fréquentes. Au total, l’homme et les animaux domestiques ne seront pas plus souvent malades, sans doute moins, et ils mourront moins souvent. Si la civilisation humaine subissait un recul, si des peuples moins civilisés et plus prolifiques prenaient, dans un nouveau moyen âge, le pas sur les nations éclairées, si le nombre total des hommes venait à diminuer (la disparition de notre espèce ne changerait rien à la solution générale que nous envisageons), dans ces hypothèses qui réduiraient ou supprimeraient la valeur du facteur humain, l’avenir des maladies infectieuses n’appartiendrait plus qu’à la nature.

Les espèces animales, y compris la nôtre, s’isoleraient et, avec elles, leurs maladies. Dans chaque îlot (certains seraient réellement des îles), les passages des maladies contagieuses seraient de plus en plus malaisés. Du coup, certaines cesseraient d’exister dans certains foyers ; peut-être, les difficultés étant partout les mêmes, elles s’éteindraient. Celles qui subsisteraient, sévissant sur les mêmes populations pendant des générations et des siècles, rencontreraient du côté de ces populations une résistance sans cesse accrue ; elles s’effaceraient pour, enfin, disparaître. Il y aurait donc, dans cet avenir lointain et hypothétique, moins de maladies infectieuses différentes sur le globe. Mais, l’intelligence humaine faisant désormais défaut, moins bien protégés, moins bien soignés, hommes et bêtes domestiques offriraient aux agents pathogènes une proie plus aisée et moins résistante. Il y aurait donc, à la fois, moins de causes de maladies, mais sans doute autant ou plus de malades et plus de morts.

L’observation des phénomènes de la nature, quels qu’ils soient, conduit à des conclusions identiques. La maladie infectieuse est un phénomène biologique comme les autres. Elle porte les caractères de la vie qui cherche à se perpétuer, qui évolue et qui tend à l’équilibre.

Il ne sera pas sensiblement changé en apparence, pas du tout au point de vue global, dans les maladies infectieuses quels que soient les circonstances à venir et les efforts des hommes.

Nous devons faire confiance à ceux qui nous suivront. Pacifiques et meilleurs, ils sauront de mieux en mieux se défendre, protéger leurs pareils et les animaux utiles à leur vie contre la tourbe dantesque, mais inintelligente, indisciplinée des maladies infectieuses.