Henri Lamertin, éditeur (p. 97-112).

CHANT VI

DÉTRESSE DE NADINE


Depuis l’atroce jour où Nadine revint
Comme un oiseau blessé, sans espoir, du moulin,
Et où elle avait vu peser son sacrifice
Au poids d’un sac d’argent, ses yeux de leur calice
En pleurs avaient coulé et deux sillons creusaient
Son visage ainsi qu’en tombant la pluie usait
La pierre du chéneau adossé à l’église.
Ses yeux clairs avaient pris la teinte pâle et grise
Des crépuscules d’ombre. Il semblait que son front
Sur des blancheurs de marbre ourlait des liserons.

Et, lents, passaient les jours, en sa maison recluse,
Retenus l’un à l’autre ainsi que les écluses

Retiennent à leur seuil les canaux endormis.
Ils amenaient chacun le malheur pour ami
Et la quittaient versant une goutte nouvelle
D’amertume et de deuil. Et Nadine autour d’elle
Ne voyait que la nuit. Tout est sacrifié !
Maintenant elle songe où se réfugier
Quand Pierre reviendra, car elle a fait promesse
De ne plus le revoir. Elle a moins de tristesse,
Semble-t-il, à le fuir ; mais qu’il puisse penser
Qu’elle a pu le trahir, pour mourir c’est assez !

Elle attendait ainsi conservant dans son être
Le souvenir de Pierre ; elle faisait renaître
Le passé si lointain où ils se murmuraient
Des tendresses d’aurore, où leurs doigts se serraient
Pour enlacer leurs cœurs, où leurs routes unies
Descendaient en chantant les rives infinies
Des espoirs aux flots d’or. Et les voix du matin
La berçaient dans leurs bras au chant de leur refrain
Et la rafraîchissaient comme une brise fraîche
Sur les herbes des champs que les soleils dessèchent.

Un dimanche matin qu’octobre avait vêtu
De ses pâles rayons les taillis dévêtus,
Nadine se rendit à la chapelle où Pierre
Lui avait sangloté la parole dernière.
Douce était aux vallons l’haleine des coteaux
Que de mornes rameaux couvraient de leur réseau ;

Et, dans l’air vaporeux, comme du ciel venues,
Passaient et repassaient les voix discontinues
Des clochers des hameaux se saluant gaîment ;
Et Nadine écoutait le désenchantement
Aux cloches de son cœur, en longs accords funèbres
Retentir comme un glas, dans de mornes ténèbres ;
Et son regard suivait le vol des oiseaux bleus
Qui voguaient en ramant sur l’océan des cieux
Et dont l’aile fuyait comme ses espérances.

Sur la route le pas d’un chariot qui s’avance
Lui fit lever la tête. Elle vit le mulet
Qui grimpait le coteau tandis que Sécheret
Sous la bâche couché sifflait comme le merle
En cascade égrénant de son gosier les perles.
Il cheminait ainsi, songeant que ses amours
Venaient défaire un pas et qu’il aurait son tour.
Nadine l’arrêta quand il fut auprès d’elle
Et l’homme, ayant poussé sa tête à la ridelle,
Dit d’un ton goguenard :


Dit d’un ton goguenard : — Vous avais-je pas dit
Que l’amour à distance est un plat refroidi,
Un bouquet sans parfum, un chemin sans ombrage
D’où l’on fuit quand la pluie ou le soleil font rage
L’amour de votre ami me paraît bien moisi !

— Comment le savez-vous pour me parler ainsi ?

Dit Nadine.
Dit Nadine.— Voici, ma bonne demoiselle :
Quand il a lu la lettre, une colère telle
L’a saisi, qu’il est parti, on ne l’a plus revu !

— Mais il va revenir ?
— Mais il va revenir ?— Retour bien imprévu.
Alors ! car il a pris la route d’Amérique.

— Est-ce possible, ô Dieu ?
— Est-ce possible, ô Dieu ?— C’est aussi véridique
Que vous me voyez-là ; et je vais de ce pas
L’annoncer au meunier. En voilà un qui va
En faire une figure !
En faire une figure !Et l’homme, sous la bâche
À ces mots s’enfonça comme un pêne en sa gâche ;
Et le mulet partit de son pas nonchalant.

Nadine, le front pâle et le cœur pantelant,
S’assit sur le talus, le regard dans le vide.
Mais au fond de son âme elle lisait, lucide :

Sacrifice inutile inscrit sur un tombeau
où elle avait couché les perles, les joyaux,
Les rêves, les amours de sa jeunesse blonde
Sous un marbre glacé dans une nuit profonde.

— Jamais plus ! oh ! jamais ! je ne le reverrai,
Disait-elle, et, toujours, pour lui ce sera vrai

Que je lui ai menti ! Il me croira parjure !
Car s’il s’en est allé c’est pour cette blessure
Que je fis à son cœur. Et la cause ? C’est moi !
Oh ! c’est affreux ! Pourquoi ai-je obéi ? pourquoi ?

Et ses pensers sombraient dans des gouffres horribles
Dont elle descendait les degrés impassibles.
Tout était donc fini ! Ah ! si elle avait pu
Pousser un cri farouche, un cri rauque, éperdu
Que les vents de tempête eussent pris sous leur aile
Pour franchir avec lui les barrières cruelles
Des océans lointains, et qu’il fut entendu !
Une voix bien-aimée y aurait répondu.
Mais les vents se taisaient comme des fils de l’ombre
Et Nadine voyait le naufrage où tout sombre
De son cœur sans espoir. Ainsi, toujours, toujours,
Aujourd’hui et demain, elle suivrait le cours
Du fleuve ténébreux où sa barque muette
Descendrait vers la mort, comme vers une fête
Aux couronnes d’oubli.
Aux couronnes d’oubli.Elle essuya ses yeux
Et revint au logis. Assise au coin du feu
Frileusement, sa tante écoutait passer l’heure,
Et le silence morne emplissait la demeure.
L’automne pluvieux avait été mauvais
Pour cette pauvre femme et la toux soulevait
En sursauts douloureux sa poitrine fluette
Et le docteur mandé avait hoché la tête

Et laissé peu d’espoir.
Et laissé peu d’espoir.Comme mourait le soir,
Nadine à ses côtés tendrement vint s’asseoir
En lui prenant la main et cherchant à cette heure
Un cœur où se poser en lui disant : Je pleure !
Mais Nadine était seule au monde ! Où donc était
Pierre le bien-aimé ? Quels soleils l’abritaient ?

— Nadine, dit la vieille, il semble que l’automne
Soit plus triste cet an ; et je crois bien, ma bonne,
Que ma vie est usée et qu’il faudra bientôt
Aller me reposer de mes tracas là-haut,
oh ! ne dis pas non ! Car quand le bon Dieu appelle
À lui les vieilles gens, il sonne à leur cervelle
Quelque avertissement. Je raillais, moi aussi,
Lorsque mon pauvre Hubert me sermonnait ainsi
Mais il s’en est allé. À mon tour de le suivre ;
Il est un temps d’ailleurs où l’on est las de vivre.

Nadine ne trouvait à répondre aucun mot ;
Tant de deuils la noyaient sous leurs mornes sanglots
Qu’il lui semblait meilleur de dormir sous la terre,
D’être ce peu de rien, couché dans le mystère,
Sous de petites croix et des tertres en fleurs
Qui n’entend, ni ne voit et qui n’a plus de pleurs.
Et cette voix cassée, aux accents prophétiques,
Lui paraissait un vol de corbeaux fatidiques.

La vieille poursuivit :
La vieille poursuivit : — Quand je n’y serai plus,
La maison est à toi et ses meubles inclus,
C’est tout le pauvre bien qu’en partant je te laisse.
Ton travail suffira, c’est meilleure richesse ;
Puis Pierre reviendra et vous vous marierez.
Sous le ciel du bonheur ensemble vous vivrez
Et vous vous souviendrez parfois de votre tante…
Mais, dis-moi, que fait Pierre ? Ah ! je serai contente
De le voir près de nous ! Ne va-t-il pas venir ?

Nadine aurait voulu ne pas se contenir
Et pouvoir jeter là son cœur comme du verre
Qui se brise en tombant sur les parvis de pierre
Et crier sa douleur ; mais gardant son secret
Elle dit simplement :
Elle dit simplement :— Pierre tarde, il est vrai,
Peut-être qu’au printemps il fera le voyage ;
Maintenant il travaille.
Maintenant il travaille.— oui, il a du courage.
Dit la vieille, il est travailleur comme pas un.
Avec son caractère il doit plaire à chacun !

Et son regard suivit le jeu léger des flammes
Qui léchaient les chenets de leurs sanglantes lames.

L’ombre était descendue autour de leurs pensers
Ainsi que dans la chambre ; et les doigts enlacés

De Nadine tremblaient dans la main de la vieille
Blottis comme un oiseau dont le repos sommeille
Sous l’aile de sa mère. Et des larmes coulaient
En silence à ses yeux.
En silence à ses yeux.Puis les jours s’écoulaient
Maussades, pluvieux. Les grand’portes des granges
ouvertes bâillaient et les poules en phalange
S’abritaient sous les chars, plumage hérissé,
Et voyant le ciel noir où naviguaient, pressés,
Les nuages tordus en gestes d’épouvante
La vieille frissonnait ; une toux persistante
Lui secouait le corps. Nadine la priait
De rester en son lit, en vain la suppliait,
L’autre lui répondait :
L’autre lui répondait :— L’heure n’est pas venue,
Je fus toujours sur pied à la tâche tenue,
Et quand il me faudra me mettre dans mon lit,
Je n’en sortirai plus.
Je n’en sortirai plus.Et cela s’accomplit
Ainsi qu’elle avait dit. Un matin de novembre
Que le vent souffletait les carreaux de sa chambre,
À Nadine elle dit :
À Nadine elle dit :— Je le sens, C’est fini.
Fais chercher le curé pour qu’un geste béni
En me fermant les yeux les ouvre à la lumière
Des divins paradis, et que, de ma chaumière,
J’entre dans les palais où sont tous les chrétiens,
où j’irai retrouver tous nos bons paroissiens.

Précédé d’un enfant au surplis de dentelle
Qui secouait la voix d’une clochette grêle
Le vieux curé s’en vint portant le pain divin,
Viatique de vie au seuil du grand chemin.
Les gens s’agenouillaient au passage du prêtre
Et des fronts se courbaient derrière les fenêtres.
Et il passait sur eux comme un vent froid du Nord
En songeant aux baisers des lèvres de la mort ;
L’un à l’autre ils disaient : « On apporte à Toinette
Les derniers sacrements. Que le bon Dieu l’admette
Dans son saint paradis : elle fut bonne à tous. »

Au soir du lendemain tombèrent coups à coups
Les notes de la cloche annonçant au village
Que la mort avait clos des yeux à son passage
Et le glas résonnait en plaintes sur l’airain
Comme il retentissait dans les mornes jardins,
Sans fleurs et sans soleil, de l’âme de Nadine.
Près du front de la morte, aussi blanc que l’hermine,
Elle appuyait sa tête, écoutant cette voix
Qui tombait de la cloche et battait à la fois
Au cœur de sa solitude et de sa détresse.
Tout était mort pour elle : Amour, désirs, jeunesse !
Et l’espérance ouvrant son aile de saphir
Avait fui vers l’azur comme un léger zéphir.

Simples et sans apprêts furent les funérailles.
Le ciel était barré par de larges murailles

où des nuages noirs déployaient leurs drapeaux,
S’avançaient à la charge ou montaient à l’assaut.
Et le petit cortège allait au cimetière
Dans un murmure éteint de chants et de prières.
Les paysans suivaient, l’un à l’autre tassés,
Comme un troupeau muet, de la route lassé.
Ils allaient, l’œil tourné vers les profonds mystères
Qui couchent toute vie à deux pieds sous la terre
Dans un gouffre de nuit et guidés par la croix
Qui leur montrait le ciel du geste de son doigt.

On fut au champ des morts. Le ciel était livide
Et les arbres tremblaient. Les villageois rigides
Tout autour de la fosse avaient serré leurs rangs
Et cherchaient du regard les tombes des parents
Dont les modestes croix émergeaient de la terre
Comme de l’océan se dresse, solitaire,
Un bras de naufragé dans un suprême appel.
Puis le prêtre fermant les pages du missel
Fit un signe de croix dont l’ombre crucifiée
Couvrit le cercueil et la terre sanctifiée,
La terre où reposaient tant de regards éteints,
Tant de pas fatigués d’errer dans les chemins.

Et tandis que le vent hachait la psalmodie
Détachant des lambeaux de plaintes assourdies
Qui allaient s’apaisant comme à la rive un flot
on entendait sans trêve un déchirant sanglot,

Un sanglot de Nadine. Et, dans sa robe noire,
Le visage plus pâle, alors, on eût pu croire
Qu’elle personnifiait, debout sur les tombeaux,
La Douleur contemplant les horizons plus beaux
Où montaient les soleils de la vie éternelle.
Elle n’entendait rien : ni les cloches cruelles
Qui haletaient dans l’air, ni le vent qui roulait
Ses flots tumultueux, ni les chiens qui hurlaient,
Ni la terre croulant en sourdes pelletées
Sur le cercueil de chêne où son âme est restée.
Elle n’entendait pas le pasteur qui disait :
« Venez, mon enfant ! » et doucement la prenait
Par le bras, la menant comme dans la nuit sombre.

Durant les jours suivants elle vécut à l’ombre
De tous ses souvenirs, comme sous des tilleuls
Parfumés de printemps ; mais en vain. Un linceul
De mort la recouvrait et, seule, la prière
Etait douce à son cœur le vêtant de lumière.
Puis l’apaisement vint. Sereine la douleur
L’endormit dans ses plis ; elle fut une sœur,
Elle fut une coupe amère et toujours pleine
Dont les vins empourprés refluaient dans ses veines.

Entretemps Sécheret comme une ombre rôdait
Autour de la demeure où Nadine accoudait

Son rêve et son travail parmi les fleurs fanées ;
Et lorsqu’il lui parut que l’heure était sonnée
Des consolations, il vint à sa maison
Et lui dit :
Et lui dit :— Vous plaît-il d’entendre enfin raison ?
À quoi sert-il de vivre ainsi dans la tristesse ?
Oubliez vos chagrins. Pierre au loin vous délaisse,
Votre tante est bien morte et les jours vont venir
De longue solitude. Il faudra bien finir
Par choisir un époux. Ainsi font jeunes filles
Quand l’ennui les menace et qu’elles sont jolies.

Nadine répondit :
Nadine répondit :— Jolie ? Est-ce pour moi
Que vous dites cela ? Vous vous moquez, je crois ;
Mon visage est creusé de sillons et de rides
Et dans mon cœur scellé le passé seul réside.
Pourquoi me tourmenter ? Je vous l’ai déjà dit :
Je ne veux être à vous.
Je ne veux être à vous.De colère enhardi
Sécheret riposta :
Sécheret riposta :— C’est parole de guerre,
Mais je me servirai de moyens salutaires
Pour vous y amener. Vous y viendrez un jour !

— Non pas, je suis comme une veuve, à son amour
Fidèle pour jamais. Le mien sera unique
Et je l’enfermerai ainsi qu’une relique

Dans la tombe avec moi.
Dans la tombe avec moi.— C’est votre dernier mot !
— Je n’en dirai point d’autre.
— Je n’en dirai point d’autre.— on le verra bientôt,
Dit l’homme furibond. Et l’œil plein d’arrogance
Il s’en fut du logis ruminant sa vengeance.

C’est la nuit, nuit douce et suave de parfums
Qui montent de la terre et de ses sillons bruns.
Une fraîcheur descend des vertes chevelures
De la forêt pensive, et dans la plaine obscure,
Comme une meule aux champs dans les soirs langoureux,
Le village repose, et des sommeils heureux
Respirent sur la terre au paradis des rêves.

Soudain, une étincelle a jailli et s’élève
Dans l’ombre. Une lueur illumine les toits
Et sinistre rougit l’horizon en émoi.
Vite au clocher, sonneur ! Réveille les murailles
De tes bras vigoureux ! Que la cloche s’en aille
Rapide et frémissante au chevet des dormeurs
Secouer les repos et hâter les lenteurs !
Hardi ! sonneur ! hardi ! Et les cloches branlantes
Comme en un cauchemar de colères hurlantes
Fusent de tous côtés. À ce bruit, le clocher
S’effare et se démène, et les chiens attachés

Aboient lugubrement en tirant sur leur chaîne.
On entend des rumeurs dans les maisons prochaines,
Bruit de volets claquants et de portes s’ouvrant,
Puis une voix surgit, s’étend comme un torrent :
Au feu !
Au feu !— Où ? clame-t-on.
Au feu ! — Où ? clame-t-on.— C’est là-bas, chez Nadine,
Répond un passant, et dans l’ombre s’acheminent
Comme un troupeau hâtif des pas précipités.
Qui s’en vont à tâtons, vers les fauves clartés.

Ainsi qu’un feu de paille, elle brûle, elle brûle
La maison ! Tout autour l’ombre des nuits recule.
Le hangar a pris feu d’abord, puis le logis ;
Tout flambe maintenant : les murs en sont rougis,
Des glaives enflammés percent les interstices
Et sur le ciel plus noir des gerbes d’or jaillissent.
En vain les paysans ont formé jusqu’à l’eau
Une chaîne de mains où se suivent les seaux,
En vain des gars hardis ont dressé des échelles,
C’est un cratère où l’eau à la flamme se mêle
Pour se fondre en flocons de nuages sanglants.

Nadine est là debout, comme un oiseau tremblant.
Appuyée au tilleul dont le feuillage embaume
Le front de sa demeure ; elle est dans un royaume
Où il lui semble voir près de brasiers ardents
Des diables attisant le feu de leurs tridents ;

Et c’est son cœur qui brûle, et c’est lui que l’on perce.
Elle voit sa maison que la flamme disperse
En étincelles d’or qui meurent dans la nuit
Et des fracas de murs s’écroulent avec bruit.
« Où vais-je maintenant dormir ? Où ? » songe-t-elle.
Et près d’elle, dans l’ombre, une voix qui l’appelle
Dit :
Dit : — Nadine, veux-tu partager ma maison

C’était le Sécheret. Nadine eut un frisson
Mais son cœur disait : « Je mourrai plutôt ! »
Mais son cœur disait : « Je mourrai plutôt ! » Les flammes
Cependant ont dressé plus sanglantes leurs lames ;
La clarté s’élargit, aurore de rubis,
Eclairant tout autour au milieu de débris
Les gestes empressés et les rudes visages
Des vaillants paysans. Inutile est l’ouvrage ;
C’est fini ! À quoi bon les efforts ? En fracas
Tout vient de s’effondrer ; il ne reste qu’un tas
De décombres sans nom où flottent des fumées.

Nadine, l’œil hagard, en un rêve abîmée,
Regarde fixement le désastre, et ce trou,
Et ces yeux d’escarboucle ; et il lui semble doux
D’être aussi dans la nuit comme ces pauvres choses
Qui sont là en poussière et qui, cendres, reposent
Sous des murs écroulés… Pouvoir toujours dormir !
Dans quel nid maintenant ? Un sommeil de mourir

L’envahit tout entière. Alors, des mains amies
L’ont prise doucement, des voix l’ont raffermie
Tandis qu’on la conduit sous un toit étranger.

Là, elle cherche en vain un sommeil mensonger
Pour y boire l’oubli. Elle voit autour d’elle
Les flammes danser et jaillir les étincelles.
À leur lueur s’éclaire un visage meurtri,
Aux regards douloureux et les traits amaigris,
C’est Pierre ! C’est l’aimé ! De quelle rive lointaine
Vient-il dans cette nuit comme une image vaine
Des morts que nos sommeils voient en rêve passer
Avec l’amer regret des bonheurs effacés ?