Néologie, ou Vocabulaire de mots nouveaux/Ostraciser

Ostraciser. C’était honorablement bannir hors de sa patrie, un citoyen dont le crédit et l’autorité fondés sur de grands services et des talens supérieurs, mettaient en danger la liberté publique.

L’ostracisme fut une des plus belles et des plus salutaires institutions d’Athènes.

Le peuple était convoqué ; le magistrat lui exposait que la constitution était menacée, et après une discussion solemnelle, la loi prononçait l’éloignement d’un grand homme.

On ne le punissait pas ; on lui préférait la patrie ; l’exilé ne cessait pas de la chérir, et souvent il la servait dans sa retraite. C’est pourquoi le reproche d’ingratitude, que l’on fait communément aux républiques démocratiques, est injuste, et dérive d’un faux raisonnement.

Chez les Romains, les illustres bannis devinrent quelquefois de dangereux ennemis. Leur bannissement était une peine et une infamie.

L’honneur est le dernier bien dont la loi doive dépouiller un citoyen, à plus forte raison, un citoyen illustre.

Le droit d’Ostraciser est inhérent à la souveraineté ; il ne peut être exercé que par le peuple ; il est conservateur de la démocratie. Dans tout autre ordre de choses, l’exercice de ce droit ne serait qu’une usurpation, un crime de lèse-majesté nationale.

Tout gouvernement a le droit de se conserver, mais par les moyens qui lui sont propres. Quelle que soit sa forme, le peuple n’obéit qu’à la loi ; et lorsqu’une autorité qui n’émane pas d’elle, annulle ou restreint cette inaliénable prérogative de la nation, le citoyen la réclame intérieurement, tout en cédant à la force.

L’ostracisme frappait des citoyens qu’un mérite extraordinaire élevait trop au-dessus de tous les autres ; il rétablissait le niveau de l’égalité et le ressort des lois, qui toujours se relâche, dans une pure démocratie, devant une immense renommée. Aristide subit cette rigoureuse loi. Sa vertu rassurait moins les ombrageux Athéniens, que ne les alarmait leur admiration pour ce grand homme.

Toute autre manière d’expatrier un citoyen, s’applique indifféremment au crime et à la vertu, à l’obscur perturbateur de la société, et à l’homme de bien qu’un ennemi puissant opprime. La loi seule gradue la peine sur le délit ; et dans nos temps modernes, toutes les expatriations ne sont pas commandées par la loi.

Dans la Sibérie et à Botany-baie, l’on trouve la meilleure et la plus mauvaise compagnie ; les débris d’un parti, les victimes de l’intrigue, et des misérables qu’une politique insouciante déverse au loin sur un autre sol, sans penser qu’avec eux elle y colonise tous les crimes.

La démocratie Ostracise ; l’oligarchie accuse et tue dans le secret : l’aristocratie expolie et bannit ; la monarchie enlève et embastille. Le despotisme oriental coupe les têtes ; celui du nord enfouit ses victimes sous les glaces sibériennes ; celui du midi les expédie par le stylet ou le poison. Le papisme planant sur toutes les tyrannies, s’appropria long-temps, et selon les circonstances, même contre les rois, tous ces ressorts divers d’une trompeuse politique, et qui sont pour le moins inutiles au pouvoir qui se renferme dans ses justes limites. (P.)