Néologie, ou Vocabulaire de mots nouveaux/Décaput

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Décaput. (le) Instrument de supplice qui sépare la tête du corps. J’ai créé ce mot à dessein, et pour remplir un devoir que me dictent la confraternité et l’amour de la justice. Il est temps de ne plus faire peser sur la tête d’un citoyen estimable, une expression ensanglantée qui dénature son nom, tandis qu’il n’a fait, comme législateur et comme philosophe, qu’obéir au sentiment de l’humanité. Il y aurait une injustice publique à laisser cette dénomination se propager dans notre langue. Le même accident pouvait arriver à mon nom. Comme il n’est pas temps, je pense, d’abolir la peine de mort, j’avais proposé dans l’Homme de fer (songe imprimé bien avant la révolution), ce même instrument qui ôte la vie dans un instant indivisible. J’aurais supporté la disgrâce populaire avec pleine tranquillité ; mais enfin il appartient au gouvernement de réparer les aveugles torts de la multitude, et c’est en cela que la Néologie doit fixer l’attention de tous les hommes en place. Que le gouvernement adopte le terme que j’ai composé, qu’il le substitue à celui de guillotine, et toute la partie saine de la nation s’empressera de venger un citoyen des coups inattendus et terribles de la langue vulgaire !

Le Décaput a pour lui l’étymologie la plus claire, la plus précise ; puis, le glaive de la loi, quel qu’il soit, doit toujours être du genre masculin, ainsi que l’exécuteur de la haute justice ne doit pas être une femme. C’est qu’il y a dans ces graves matières, une secrète alliance de mots qui ne sera bien sentie que par les hommes pensans. Que le terme de Guillotine, qui entache un citoyen honnête, disparaisse donc à jamais de nos dictionnaires et de nos discours ! que la loi, qui doit toujours être majestueuse et sévère dans ses expressions, se serve du mot que je lui indique ! J’ai beaucoup cherché, je n’en ai pas trouvé de plus simple, ni de plus analogue à la chose.

C’est la canaille qui fait le fond des dictionnaires (a dit Voltaire) ; d’accord, mais quand on peut réformer avec succès ce qui intéresse la pudeur et l’équité, il faut le faire avec courage et persévérance. Je déclare que je ne dirai plus que le Décaput, et jamais Guillotine.