Nécrologie de Mademoiselle Dominge

Nécrologie de Mademoiselle Dominge
Revue pédagogique, premier semestre 1887 (p. 281-283).

MADEMOISELLE DOMINGE

Mlle Dominge, directrice de l’école normale de Montpellier, s’est éteinte subitement, le 8 février, après une maladie de quelques jours. Elle n’avait que 38 ans !

L’enseignement primaire perd en elle l’un de ses serviteurs les plus actifs, les plus dévoués, les plus appliqués à perfectionner leur service en se perfectionnant eux-mêmes ; et, pour la mieux qualifier encore, l’un des plus croyants. C’est, en effet, sa foi, son âme entière, avec sa santé autrefois robuste, qu’elle avait engagée dans l’œuvre de l’éducation du peuple.

Elle dirigeait à Lyon en 1881, non sans distinction, une école publique, lorsque s’ouvrit l’école de Fontenay. Elle y entra avec la deuxième promotion au cours de l’aunée même de la fondation. Âgée d’environ trente ans, pourvue d’une instruction plus qu’ordinaire et d’une expérience plus ample encore, ayant déjà beaucoup observé et beaucoup réfléchi, elle apportait dans l’école un élément original et de grand prix. Mais l’on pouvait craindre que son âge même, sa longue pratique, des habitudes d’esprit déjà anciennes, ne la rendissent un peu étrangère au milieu de ses jeunes compagnes et peu docile à une éducation d’esprit toute nouvelle. Il n’en fut rien. Son caractère loyal et vif, son intelligence droite et ouverte, sa rare chaleur d’âme lui valurent, dès les premiers jours, avec le respect et l’amitié de ses camarades, la confiance de ses maîtres. Aucune élève ne montrait à la fois plus de franc jugement et plus de docilité ; aucune n’avait comme elle son franc-parler sur toutes choses, ni une plus courageuse disposition à profiter des avis, à se corriger, à travailler sur elle-même. Ses amies (elle en comptait autant que de camarades) n’ont pas oublié quelle part active elle prenait aux libres conférences du matin, comme elle se prononçait sans fausse honte et sans pédantisme sur les questions pratiques d’éducation, produisant toujours ses observations personnelles à l’appui de son opinion.

Déléguée après son examen du professorat à la direction de l’école normale d’Ajaccio, elle sut mériter, dans ce poste nouvellement laïcisé, où tout à peu près était encore à créer ou à développer, l’estime de ses chefs et celle des familles. Tout en se multipliant au service de ses élèves, elle redoublait d’efforts pour se préparer à l’examen de la direction des écoles normales. Une fois pourvue de son titre régulier, elle fut appelée à Montpellier ; là, considérant cette école comme son œuvre de maturité, elle se prit à mener de front avec une égale ardeur le soin des études, la direction des élèves, la tutelle officieuse des maîtresses, ses collègues, et les améliorations matérielles. C’était son ambition, plus d’une fois exprimée, que l’école normale de l’Hérault ne fût inférieure à aucun des meilleurs établissements du Midi, soit pour l’instruction et la culture morale, soit pour le savoir-vivre et l’éducation proprement féminine ; que, tout en restant primaire par l’esprit général de l’enseignement, elle devint de plus en plus une institution d’éducation supérieure au service des filles du peuple.

Elle est morte à la tâche, l’aimable et vaillante femme, usée longtemps avant le terme — c’est la déclaration des médecins — par une application incessante de toutes ses forces, consumée à la fois par son ardente sollicitude de famille et par son zèle de directrice. Elle avait eu l’été dernier la double satisfaction, vivement appréciée, de recevoir les palmes d’officier d’académie et de siéger dans la Commission du professorat (section des lettres) : deux témoignages qui disent assez haut en quelle estime la tenaient ses supérieurs immédiats et ceux de Paris. Mais la mort imprévue de sa mère, ajoutée à ses fatigues de toute sorte, lui porta le plus rude coup : elle ne se consola pas d’être arrivée trop tard pour adoucir les derniers moments de la défunte.

« … Mlle Domninge, nous écrit un ami de l’école, professeur à la Faculté des lettres, à la date du 10 février, s’est éteinte subitement. Elle ne s’est pas vue mourir ; elle n’a même jamais soupçonné la gravité de son mal. Nous avons tous appris, en même temps, la maladie et son issue. Les obsèques ont eu lieu ce matin, à dix heures. Toute l’école accompagnait. Des draps d’honneur — selon l’usage méridional — étaient portés par les maîtresses, les élèves, les professeurs du lycée de jeunes filles, les anciennes élèves. Quelques directrices des écoles normales voisines s’étaient jointes aux maîtresses. Le deuil était conduit par M. le recteur et M. l’inspecteur d’académie, qui assistaient les membres de la famille. Le maire, le secrétaire général, les dovens des facultés, le proviseur du lycée, les membres de la commission de surveillance étaient présents. Au cimetière, M. l’inspecteur d’académie Regismanset a pris la parole au nom de l’administration. M. Dauriac, professeur de philosophie et de pédagogie à la faculté, a parlé au nom de l’Université et de l’école… La douleur des élèves et des maîtresses était unanime et profonde… La cérémonie funèbre s’est terminée au milieu des larmes de presque toute l’assistance. À Montpellier, personne ne doute que l’Université n’ait fait une perte sérieuse… »

Les amis de Mlle Dominge recueillent avec reconnaissance ces marques de sympathie et d’honneur. Mais, hélas ! elles ne leur rendent pas ce ferme et libéral esprit, ce caractère résolu, ce cœur généreux, Sur qui on pouvait faire fond pour le présent et pour les heures difficiles de l’avenir. Pourquoi nous défendrions-nous de la plaindre de ce qu’elle a été appelée avant le terme normal, laissant sa noble tâche interrompue, et sans qu’il lui ait été donné le temps de brûler toute l’huile de sa lampe ! Mais estimons-la heureuse d’avoir si bien rempli jusqu’au dernier souffle sa brève existence et d’être tombée au champ de travail et d’honneur. Elle n’a pas vécu en vain ; ses œuvres la suivent ; elle continuera de vivre dans l’âme de ses élèves, de ses collègues, de ses anciennes camarades et de ses maîtres ; et nous n’irions pas jusqu’au bout de sa propre pensée si nous n’exprimions l’espoir qu’elle se repose de ses travaux sous des cieux plus cléments que les nôtres.