Nécrologie de M. Paul Collet
LE PRÉSIDENT COLLET
Un hommage affectueux et réfléchi est dû dans ce recueil au nom d’un homme qui, bien qu’étranger au monde scolaire, a su mériter sa reconnaissance et ses respects par l’assiduité et l’intelligence de son zèle pour les choses de l’enseignement.
M. Paul Collet, président de la section de l’intérieur et de l’instruction publique au Conseil d’État, vient d’être emporté par la maladie au moment même où il achevait de rendre à l’enseignement primaire un nouveau et signalé service. Les lecteurs de la Revue pédagogique savent tout ce que la loi du 19 juillet 1889 laissait à faire aux règlements d’administration publique qu’elle a prévus. Ils se souviennent que le Conseil supérieur, convoqué tout exprès en session extraordinaire dès le mois de novembre, n’a pas perdu un jour pour renvoyer au Conseil d’État les projets qui doivent servir de base à cette réglementation. Ce qu’ils ignorent peut-être, c’est qu’à son tour la section présidée par M. Collet n’a reculé devant aucune fatigue pour mener à terme l’œuvre infiniment complexe et délicate qui consiste à coordonner les intentions du législateur, à suppléer parfois à ses oublis sans jamais contredire ni altérer le sens et la portée de ses desseins. Pendant six semaines, M. le président Collet a dirigé les travaux de la section avec cette rigueur d’attention et de conscience juridique qui est l’honneur d’un corps investi de la suprême juridiction administrative. Plusieurs des projets sortis des délibérations du Conseil supérieur exigeaient des remaniements profonds, non pas au point de vue pédagogique où l’autorité de ce Conseil est souveraine, mais au point de vue de la détermination rigoureuse et légale des obligations réciproques de l’État, des départements et des communes.
La question des indemnités de résidence en particulier soulevait dans son application d’inextricables difficultés de droit et de fait. Ces difficultés, au lieu de les éluder, ou de se borner à les trancher par des solutions théoriques et générales, qui auraient donné naissance à des conflits sans trêve, tout au moins à des inégalités de régime offensantes pour l’équité, M. Collet avait entrepris de les résoudre l’une après l’autre, par une suite de textes intimement liés et précis. Il jugeait que le Conseil d’État ne devait pas moins faire pour répondre entièrement à la confiance du Parlement et pour accomplir dans sa plénitude la délégation laborieuse et parfois inquiétante qui lui a été confiée par le pouvoir législatif.
C’est au sortir d’une de ces séances où coup sur coup avaient été abordés, discutés et élucidés à grand’peine les points les plus ardus de la nouvelle réglementation que notre président se sentit atteint. Il voulut résister quand même, et de son lit il envoyait encore à la section des notes et des indications, pour qu’en son absence qu’il prétendait abréger les délibérations ne fussent pas interrompues. On lui obéit ; sans prévoir qu’on se verrait contraint le moment d’après de chercher, sans lui, des solutions qu’il avait préparées, et qui devaient éclairer et abréger notre travail. Nous sommes dans le vrai le plus sincère en affirmant que M. Collet est mort à la tâche.
Pendant les dix années qu’il a passées au Conseil, M. le président Collet a, du reste, témoigné en toute occasion de sa sollicitude pour les questions scolaires, et sous les formes les plus diverses et les plus inattendues ces questions se représentaient tous les jours. Nous nous bornerons à mentionner un fait connu : le Musée pédagogique a publié dans son fascicule 27, en tête du décret du 7 avril 1887 qui détermine les règles de création et d’installation des écoles primaires publiques, un lumineux rapport rédigé par M. Collet pour servir d’exposé des motifs au projet de décret et qui en est le précieux commentaire.
S’il nous était permis de parler ici des sentiments du Conseil d’État, nous dirions avec une entière assurance que la mort de M. Collet a été pour tous ses collègues une affliction profonde. Tous, en effet, nous avions été à même d’apprécier, avec les ressources de cette intelligence toujours en éveil, de cette expérience qui s’étendait sans effort à toute chose, l’égalité d’humeur qui rend les relations faciles, l’intégrité du caractère qui donne aux avis et aux arrêts leurs pleine autorité. Mais notre insistance serait à cet endroit une maladresse, car nous pouvons résumer nos souvenirs et notre chagrin en empruntant au discours ému que M. Laferrière, vice-président du Conseil d’État, prononçait sur la tombe de M. Collet, ces quelques lignes qui sont l’appréciation la plus pénétrante d’une carrière interrompue à l’heure de son activité la plus féconde :
« Paul Collet arrivait à l’âge d’homme à l’époque où les libertés publiques venaient de succomber, où le barreau devenait un des derniers asiles des esprits libres et voués au culte du droit. Il se fit inscrire en 1852 au barreau de la Cour d’appel de Paris ; il y acquit de bonne heure la science du droit, la pratique des affaires et cette dextérité particulière dans le maniement des difficultés juridiques, qui était un des traits caractéristiques de son talent.
» Neuf ans après, en 1861, il entra au barreau du Conseil d’État et de la Cour de cassation, et il n’hésita pas à y prendre place parmi ces jurisconsultes non moins épris du devoir civique que du devoir professionnel, qui prêtèrent un si précieux concours aux citoyens dans les luttes qu’ils soutenaient pour la légalité.
» Avec Herold, avec Reverchon, avec Tenaille-Saligny, — je ne parle que de ceux qui l’ont précédé dans la tombe, — il guidait de ses conseils, il fortifiait de ses écrits et de sa parole les résistances du droit contre les abus du pouvoir. Aussi avait-il déjà acquis une juste notoriété parmi ceux qui avaient aidé au réveil des idées libérales, lorsque disparut le régime auquel il n’avait jamais voulu se rallier…
» Nommé conseiller d’État après la loi de la réorganisation de 1879, il fut presque aussitôt chargé de présider la section de l’intérieur.
» La multiplicité des affaires, la gravité des questions que beaucoup d’entre elles soulevaient à cette époque, ne le prirent pas un instant au dépourvu. Les difficultés de la tâche ne firent que stimuler sa vive intelligence, mettre en lumière l’étendue de son savoir, les ressources de son esprit, la solidité de son jugement.
» Grâce à lui, on peut le dire, de longues et délicates controverses, non seulement de droit administratif, mais encore de droit public et concordataire, reçurent des solutions qu’on peut considérer comme définitives. Grâce à lui, la nouvelle législation municipale fut commentée et éclaircie par une série de décisions et d’avis qui en sont devenus le complément nécessaire ; grâce à lui, la législation de l’enseignement, si complexe, si nouvelle dans ces dernières et puissantes conceptions, fut mise en œuvre au moyen de nombreux et minutieux règlements préparés par la section de l’intérieur, et vous savez quelle part M. le président Collet a personnellement prise à cette longue élaboration qu’il laisse malheureusement inachevée. »
Dans le silence du lieu où nous avons accompagné M. Collet, il nous était interdit de marquer notre assentiment à ces paroles ; c’est pour nous une douloureuse satisfaction de dire aujourd’hui que l’expression la plus intime de notre deuil est là.