Nécrologie de M. Charles Defodon

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Nécrologie de M. Charles Defodon
Revue pédagogique, premier semestre 189118 (n. s.) (p. 282-284).

NÉCROLOGIE : CHARLES DEFODON

Le monde de l’enseignement primaire vient de faire une grande perte dans la personne de M. Charles Defodon, membre du Conseil supérieur de l’instruction publique, décédé le mois dernier. Originaire de Rouen, il avait fait de brillantes études au lycée de sa ville natale et les avait complétées au lycée Louis-le-Grand à Paris. Quelque temps secrétaire de Victor Cousin, il n’avait pas tardé à entrer dans l’enseignement vers lequel le portait un instinct irrésistible. Les questions de pédagogie l’intéressaient au plus haut degré ; il ne tarda pas y devenir un maître écouté. Collaborateur, puis directeur du Manuel général de l’instruction primaire, il a pendant de longues années parlé du haut de cette tribune à des milliers d’instituteurs et d’institutrices, auxquels il prodiguait les conseils les plus sages, auxquels il donnait des indications pratiques, une direction, une aide qui ont rendu les plus grands services.

M. Vapereau, qui l’a si longtemps vu à l’œuvre, rappelait l’autre jour sur sa tombe quelques-uns de ces services :

« Dès 1866, il inaugurait, à l’usage de ses abonnés, le système de préparation par correspondance aux examens du certificat d’aptitude aux fonctions d’inspecteur primaire, en leur proposant des sujets pédagogiques qu’ils étaient invités à traiter et dont le compte-rendu était publié par le journal, pendant que les copies corrigées et annotées étaient retournées, sous un pli cacheté, à leurs auteurs. Malgré le travail accablant qui en résultait pour M. Defodon et ses collaborateurs, cette généreuse pratique, au lieu de se restreindre, n’a fait que s’étendre avec la multiplicité des examens primaires, et à cette heure on ne peut dire le nombre de membres de l’enseignement ou de l’administration qui lui sont redevables de leur diplôme. Ce précieux système de correspondance, grâce à une activité infatigable, s’est étendu successivement à des objets qui n’étaient pas encore dans les programmes : au dessin, considéré non comme art d’agrément, mais comme la langue de la forme, aux leçons morales et patriotiques préludant à l’instruction civique, au renouvellement de l’enseignement de la géographie. Des concours étaient institués qui, par l’empressement des maîtres à y répondre, attestaient les progrès accomplis et suscitaient des progrès nouveaux. Des enquêtes aussi étaient ouvertes, grâce auxquelles les sentiments des instituteurs sur les questions à l’ordre du jour faisaient corps et pouvaient agir par leur ensemble sur les délibérations mêmes des pouvoirs publics. »

D’abord professeur libre à Paris, M. Defodon avait complété son expérience de l’enseignement primaire comme professeur à l’école normale de la Seine, dont les anciens élèves sont venus rendre à sa mémoire un touchant hommage le jour de ses obsèques. Plus tard, bibliothécaire au Musée pédagogique, il s’était familiarisé avec les méthodes d’éducation les plus diverses, les étudiant, les jugeant et y puisant avec tact et discernement ce qui lui paraissait le mieux convenir aux besoins de notre temps et de notre pays.

Il était entré dans l’inspection primaire en 1885. Il avait pour circonscription le VIIe et le IXe arrondissement de Paris. Voici comment M. Carriot, directeur de l’enseignement primaire de la Seine, a apprécié sa valeur professionnelle :

Il nous apportait, sous les dehors d’une grande modestie, le concours d’un esprit juste et droit, d’un dévouement à toute épreuve. Il avait une conception très nette et très élevée de l’enseignement primaire ; mais son robuste bon sens, son sens pratique l’empêchaient de placer son idéal trop haut ; il s’efforçait de le mettre à la portée de toutes les bonnes volontés, sachant que la perfection, si elle est de ce monde, ne s’atteint que par degrés. On ne pouvait le connaître sans avoir de l’affection pour lui. Son regard, son sourire, sa physionomies, avaient un charme pénétrant, parce qu’ils reflétaient la bonté de son âme. C’était en effet le meilleur des hommes. Il aimait ses fonctions ; il aimait ses instituteurs, il était heureux et fier de leurs succès ; il mettait à faire valoir leurs titres, à défendre leurs droits une douce opiniâtreté. Dans ces grands arrondissements de Paris où la vie scolaire est si intense, où maires, conseillers municipaux, délégués cantonaux, membres des caisses des écoles et des commissions scolaires, déploient tant de sollicitude pour nos élèves, il faut à l’inspecteur primaire beaucoup d’activité, de prudence et de tact pour combiner l’action de ces forces diverses avec l’action de l’administration sans conflit, sans froissement, sans dissentiment même. Sur ce terrain difficile, Defodon marchait d’un pas assuré. Son mérite, sa courtoisie, sa droite et ferme raison, sa bienveillance, sa bonhomie qui était comme l’épanouissement de sa nature loyale et de son esprit très délicat et très fin, lui avaient concilié toutes les sympathies et donné une autorité que nul ne songeait à lui contester. »

Ces sympathies, cette autorité, nous en avons une démonstration dans l’élan du corps de l’enseignement primaire qui a porté M. Defodon au Conseil supérieur de l’instruction publique. Là, comme partout ailleurs, il n’a pas tardé à être apprécié, aimé de tous. On se plaisait à reconnaître sa modestie, sa réserve, la droiture de sa parole, la fermeté de son jugement, l’aménité de son caractère, la sûreté de son commerce. Il était bienveillant, optimiste, quoique sans faiblesse ; il aimait à mettre le bien en lumière, et ne laissait jamais tomber de ses lèvres une parole de médisance, de raillerie ou d’amertume.

Il avait donné tout son cœur et toute sa vie à la cause de l’enseignement populaire ; et il n’a pas ménagé ses forces. Consciencieux, assidu, il a succombé aux fatigues d’un incessant labeur. Craignant de ne plus suffire à ses tâches multiples, il avait demandé à prendre sa retraite, afin de se consacrer plus complètement à la rédaction de son journal. L’administration se séparait à regret de ce vaillant et actif collaborateur, et i venait d’être nommé inspecteur honoraire, lorsque la mort est venue le frapper. Ses amis, si nombreux, tous ceux qui l’ont vu à l’œuvre, dans les conseils, dans les commissions, dans les écoles, tous ceux qui l’ont lu dans ses journaux, dans ses livres, s’associeront aux paroles que prononçait le maire du VIIe arrondissement, M. Risler, en lui adressant les derniers adieux :

« Par son dévouement patriotique à tout ce qui touche à l’éducation nationale, par ses écrits si précieux pour la grande œuvre de l’instruction, par ses qualités de cœur toujours à la hauteur des services qu’on lui. demandait, M. Defodon a bien mérité de ses concitoyens ! »