Nécrologie de M. Bonaventure Berger

Nécrologie de M. Bonaventure Berger
Revue pédagogique, second semestre 1890 (p. 470-472).

NÉCROLOGIE


M. B. BERGER
ancien directeur du musée pédagogique

Dimanche 19 octobre ont eu lieu à Paris les obsèques de M. B. Berger, inspecteur général honoraire de l’instruction publique, directeur du Musée pédagogique de 1879 à 1887, décédé dans sa soixante-cinquième année. Nous reproduisons ci-dessous les lignes consacrées à la mémoire de ce digne et consciencieux serviteur de l’État, dans le Manuel général de l’instruction primaire, par M. Ch. Defodon. Il appartenait à M. Defodon, qui fut, il y a quelques années, son collaborateur comme bibliothécaire du Musée pédagogique, de retracer les qualités d’un fonctionnaire qu’il a vu à l’œuvre de près, et d’exprimer les sympathies et les regrets qui s’attachent au souvenir de M. Berger et que partagent tous ceux qui l’ont connu.

« M. Berger (Bonaventure), était né à Auvet (Haute-Saône), le 4 janvier 1826.

» Il fit au collège de Gray des études secondaires qu’il ne put poursuivre jusqu’à leur terme. À peine âgé de dix-sept ans, le 1er novembre 1843, il entra dans le service des écoles publiques de la Haute-Saône, et il y occupa successivement divers postes, en dernier lieu à Arc-lès-Gray, où il dirigeait une école considérable.

» Le 16 mars 1859, il fut nommé inspecteur primaire à Privas, puis, l’année suivante, à Annecy, au lendemain de la réunion de la Savoie à la France, et là, sous l’habile direction de M. Zevort, il se distingua en relevant, dans un pays fort arriéré alors, le niveau de l’instruction primaire, et en faisant aimer la France à ses nouveaux citoyens.

» Le 5 mars 1865, le ministère confia à M. Berger le poste important de Villefranche (Rhône), où il resta neuf ans et qu’il ne quitta que pour devenir inspecteur primaire dans le département de la Seine (6 janvier 1872), d’abord à Saint-Denis, puis à Paris.

» À Villefranche, M. Berger commença à écrire. Il adressa au Manuel général, sous forme de lettres, une série d’articles qui furent remarqués.

« Une bonne méthode », écrivait-il dans la première de ces lettres, « résulte d’une connaissance approfondie de ce qu’on enseigne et du discernement judicieux du degré d’intelligence de l’enfant. Ce n’est qu’autant que l’instituteur est maître de son sujet et qu’il en saisit les points principaux, que ses leçons ont le caractère de simplicité, de clarté et d’intérêt qui attire et fixe l’attention. S’il ne le possède qu’imparfaitement, il s’arrête aux idées secondaires, s’embarrasse dans les détails et n’avance qu’a l’aide du livre. Mais à une instruction solide, sinon étendue, il faut que l’instituteur joigne une observation soutenue et pénétrante du développement intellectuel de l’élève ; qu’il sache coordonner les diverses branches d’enseignement, de manière qu’elles se prêtent un mutuel appui, donner à chacune la place et l’étendue qui conviennent, et surtout s’arrêter à propos. »

» M. Berger est déjà tout entier dans cette ferme doctrine. Aussi son esprit juste et mesuré était-il admirablement fait pour saisir toute la portée de la réforme scolaire dont M. Gréard avait pris l’initiative à Paris et dans le département de la Seine. Nul ne sut mieux la comprendre ; nul ne mit à l’appliquer plus de conscience, de tact et de zèle.

» C’est pendant qu’il était inspecteur primaire de la Seine que M. Berger a publié son Cours de langue française (Premières leçons, cours élémentaire, moyen et supérieur, maître et élève, Delagrave, éditeur), manuel d’études très simple, très clair et très pratique, honorablement apprécié dans les écoles.

» C’est aussi pendant cette période que sa connaissance de la langue anglaise le désigna, en 1876, pour faire partie de la commission chargée par le ministère de l’instruction publique d’aller étudier sur place l’exposition scolaire de Philadelphie, sous la présidence de M. Buisson. M. Berger a été, dans cette mission, le principal collaborateur de M. Buisson, et il a rédigé une assez grande partie du très remarquable rapport qui en fut la suite.

» Enfin, en avril 1879, M. Berger fut chargé de l’organisation du Musée pédagogique et de la Bibliothèque centrale de l’enseignement primaire alors en voie de formation, et, le 30 décembre de la même année, un décret du président de la République le nommait, à ce titre, inspecteur général hors cadre et directeur du Musée pédagogique ; il a conservé ces fonctions pendant huit ans, jusqu’au 10 mars 1887, époque à laquelle il fut appelé à prendre sa retraite. Pendant cette période nécessairement pénible de la création et des premiers tâtonnements, compliquée par des accidents imprévus, des changements de local, des difficultés de toutes sortes, budgétaires et administratives, le Musée pédagogique est devenu, sous la direction de M. Berger, un établissement hors pair. C’est M. Berger qui a été appelé à réaliser pour le compte du Musée pédagogique l’acquisition faite par l’État de la bibliothèque Rapet, collection de livres et documents scolaires alors unique au monde ; c’est par ses soins qu’a été organisée la bibliothèque circulante du Musée, qui a rendu tant de services à l’élite laborieuse des instituteurs. Le nom de M. Berger restera attaché à cette institution du Musée pédagogique, qui fait honneur à la France.

» Son souvenir restera aussi gravé profondément dans le cœur de ceux qui l’ont connu et qui ont pu l’apprécier. C’était une intelligence largement ouverte, secondée par une mémoire exceptionnelle, dont la sûreté nous étonnait, nourrie par de solides lectures, qui en avaient considérablement étendu les connaissances : c’était surtout, sous des dehors modestes, une conscience honnête et droite, amoureuse du simple et du vrai, antipathique à tout ce qui sentait le calcul intéressé et la charlatanerie. Il ne nous appartient pas de dire tout ce qui se joignait de vertus domestiques à ces qualités de l’ami que nous avons perdu.

» Depuis plusieurs années, depuis sa mise à la retraite surtout. M. Berger avait été gravement atteint, et chaque jour ses amis avaient la tristesse de voir, malgré son âge relativement peu avancé, sa haute taille s’affaisser et ses forces diminuer de plus en plus. Il s’est doucement éteint entre les bras des siens.

» Les obsèques de M. Berger ont eu lieu le dimanche 19 octobre, à l’église de Notre-Dame-des-Champs et au cimetière Montparnasse. »