Nécrologie de M. Augustin Boutan

Nécrologie de M. Augustin Boutan
Revue pédagogique, second semestre 190037 (p. 209-211).

Nécrologie : Auguste Boutan

L’Université vient de perdre en la personne de M. Boutan un de ses plus parfaits serviteurs.

Il était né à Lectoure, en 1820. Il faisait ses études au collège de cette ville, lorsqu’un inspecteur général fut frappé de son aptitude pour les sciences physiques. Son père, modeste médecin, l’envoya à Paris, au collège Rollin, comme élève externe ; à vingt ans, il était admis à l’École normale. Reçu agrégé, il professa successivement la physique à Avignon, Grenoble, Rouen, Versailles et Saint-Louis. Divers mémoires sur des questions de photométrie et d’électricité mirent son nom en lumière, mais son premier succès lui vint lors d’une série de conférences qu’il fit dans le vieil amphithéâtre de la Sorbonne, à la demande de l’Association pour l’avancement des sciences. Gascon de bonne race, aussi lettré que savant, Auguste Boutan parlait avec une rare élégance ; il était naturellement éloquent, persuasif, concis et clair. Nul ne savait comme lui vulgariser un problème scientifique et instruire l’auditoire sans lasser son attention. Après l’avoir entendu à la Sorbonne, un juge peu suspect de complaisance, l’illustre Le Verrier, n’hésita pas à le proclamer « le plus clair de nos orateurs scientifiques ».

Ce fut peu après cette brillante conférence sur « l’Eau », dont on garda longtemps le souvenir dans l’Université, que le ministre Victor Duruy, son ancien collègue, offrit à M. Boutan le provisorat du lycée Saint-Louis. L’offre était peu tentante. Ce lycée avait périclité ; il s’agissait d’y restaurer la discipline et d’en relever les études. Le professeur supplia le ministre de le laisser dans sa chaire, M. Duruy fut pressant, impérieux ; il fit appel au dévouement de M. Boutan et lui parla d’un devoir à remplir. C’était s’assurer son acceptation.

Le ministre, libéral et éclairé, avait laissé au nouveau proviseur la plus grande latitude. M. Boutan fut maître d’organiser à Saint-Louis un système nouveau d’enseignement scientifique. Quelques sages réformes, aussi pratiques que peu bruyantes, suffirent à rendre au vieux collège d’Harcourt sa prospérité. Saint-Louis acquit dès lors la réputation de notre plus brillant lycée de sciences.

Disciplinaire aussi ferme que paternel, M. Boutan savait admirablement se faire obéir. Il avait sans effort le ton du commandement ; nous le redoutions, sans cesser de l’aimer.

Toutefois les fonctions de proviseur lui agréaient peu. Il était cependant admirablement secondé par un collaborateur d’élite. « Je vous donnerai le roi des censeurs », lui avait dit M. Duruy pour le décider. M. Ohmer méritait bien ce jugement flatteur d’un ministre qui ne prodiguait pas les compliments. L’activité de ces deux hommes, étroitement unis dans la pratique du mème devoir, était vraiment admirable. Nous étions enclins à penser, au lycée Saint-Louis, que le proviseur et le censeur étaient pourvus du don d’ubiquité. Chers vieux maîtres de notre enfance, ils ne vous ont pas connus, ceux qui prétendent que l’Université ne compte pas dans ses rangs des éducateurs…

Lorsque Saint-Louis fut réorganisé, M. Boutan demanda et obtint un poste d’inspecteur d’académie à Paris. Ses premiers loisirs, il voulut les consacrer à la physique : le traité qu’il publia, en collaboration avec d’Almeida, a fait longtemps autorité.

En 1873, sur les instances de M. Bathie, il devint directeur de l’Enseignement primaire au ministère de l’instruction publique. Dans ce poste écrasant, M. Boutan se révéla administrateur hors de pair. Celui qui écrit ces lignes à eu le rare honneur de le voir à l’œuvre, placé tout près de lui, dans un poste très humble, mais très intime. Il suffisait de le regarder faire pour apprendre à bien servir l’État. Il était laborieux, équitable, très digne avec les puissants, très bienveillant pour les petits. Il donnait de la grâce et de la chaleur aux circulaires les plus ardues, il faisait preuve, dans les commissions et dans les conseils, de l’éloquence la plus entraînante. On s’instruisait en lui obéissant ; on ne s’instruisait pas moins en lui donnant des ordres. J’en appelle à un témoignage illustre ; son dernier chef, M. Casimir-Perier, alors à ses débuts dans la carrière politique, l’honorait d’une confiance absolue et de l’estime la plus affectueuse.

En 1879, le triomphe définitif des idées républicaines amena aux affaires un personnel nouveau. Auguste Boutan était universitaire dans l’âme ; aucune de ses tendances n’était incompatible avec le programme des républicains. Il demanda cependant à céder la place à un homme plus jeune et plus ardent. La séparation se fit d’un commun accord, simple et digne, comme elle devait être entre un serviteur de l’État tel que M. Boutan et un ministre tel que Jules Ferry.

Notre vénéré ami se consacra dès lors tout entier à ses fonctions d’inspecteur général de l’enseignement secondaire. Il visita nos lycées, en jugea les maîtres et les élèves avec sa parfaite compétence jusqu’au Jour où il prit sa retraite. Ses dernières années s’écoulèrent, heureuses et calmes, dans sa chère Gascogne, au milieu des rosiers qu’il avait plantés. Aimé et respecté de tous, adoré de ses enfants, ce sage a eu, au pays natal, la fin d’un vieillard de Virgile.

À ceux qui attaquent notre Université, répondons en racontant de semblables carrières. Avoir servi un homme d’une vertu pareille, c’est un souvenir qui ne s’efface pas.