Nécrologie de M. Albert Dumont/Discours de M. Fallières

Nécrologie de M. Albert Dumont
Revue pédagogique, second semestre 1884 (p. 239-241).

Je me conformerai — a dit le ministre — au désir exprimé par la noble femme dont nous partageons tous le deuil et la douleur en n’adressant que de courtes paroles d’adieu à l’homme de bien, à l’administrateur éminent, au collaborateur dévoué, à l’ami que nous avons perdu.

Je ne vous parlerai pas du savant : il appartient à ceux qui furent ses maîtres et ses collègues de vous dire quel vide laisse dans la science la mort d’Albert Dumont. Mais vous permettrez au ministre de l’instruction publique, que cette mort prive d’un collaborateur précieux, de rappeler ici les rares qualités d’administrateur et le dévouement patriotique de celui que nous pleurons. Lorsque mon prédécesseur, M. Jules Ferry, voulut, non pas imprimer à l’enseignement public une direction nouvelle, mais le rendre de plus en plus conforme aux idées démocratiques, il sentit le besoin de s’entourer d’auxiliaires éminents pris dans les rangs de l’Université ; M. Albert Dumont était de ce nombre, et sa tâche, vous ne l’ignorez pas, n’était ni la moins importante, ni la moins délicate. On sait avec quel succès il a dirigé le service qui lui était confié : l’impulsion donnée à l’enseignement supérieur, le chiffre des élèves décuplé, nos facultés devenues si vivantes, le nombre des chaires et des maîtres augmenté dans des proportions considérables, tous ces résultats ont été son œuvre et constituent ses titres à notre reconnaissance. Il a consacré à cette grande entreprise toute l’énergie du patriotisme le plus pur, car il savait qu’en servant la cause de l’Université, il servait celle de la France. Déjà, d’ailleurs, dans la douloureuse période de 1870, il avait su donner des preuves de l’amour qu’il portait à la patrie ; nous devons, messieurs, saluer ici le modeste brancardier de l’armée des Vosges, le courageux soldat de Buzenval.

Ce dévouement à toute épreuve, qu’il avait montré aux heures du péril, ne s’est jamais démenti chez lui ; hier encore, surmontant la fatigue qui l’accablait, il partait pour Londres où sa présence devait rehausser l’éclat de notre représentation au Congrès pédagogique. Il y avait remporté un succès dont peut s’enorgueillir l’Université. Hélas ! c’est au retour de ce voyage qu’il nous était enlevé par une catastrophe si soudaine !…

Toujours égal à lui-même, il se montra supérieur à toutes les situations qu’il a occupées, à toutes les tâches que sollicita son amour du devoir. L’élévation de sa pensée, la sûreté de son jugement, cet esprit de justice qu’il apportait dans l’appréciation des choses et des hommes, son inaltérable bonté, lui avaient donné cette haute autorité, dont lui seul paraissait ignorer la cause et l’influence et devant laquelle étaient heureux de s’incliner ceux qui reconnaissaient en lui un maître ou un chef incontesté. Il excellait surtout à faire accepter un conseil ou un avis, sans blesser les susceptibilités de personne. Je n’exagère rien, en disant que sa perte est irréparable.

De tant de mérites et de tant d’espérances, car pour lui la destinée semblait n’avoir pas dit son dernier mot, que nous reste-t-il maintenant ?

Rien qu’un souvenir !

Nous le garderons précieusement dans nos cœurs. Nous n’oublierons jamais que dans la personne d’Albert Dumont l’Université a perdu un de ses plus dignes représentants, le pays un de ses plus vaillants et de ses plus nobles serviteurs !