Myrtes et Cyprès/Puisque tu n’aimais pas

Librairie des Bibliophiles (p. 167-170).


Puisque tu n’aimais pas…


Puisque tu n’aimais pas, pourquoi ne pas le dire ?
Fallait-il de mon cœur faire un triste jouet ?
Fallait-il me parler, fallait-il me sourire,
Et paraître exaucer mon unique souhait ?

Fallait-il de ta bouche innocente et ravie
Envoyer à ma flamme un espoir consolant,
Dans le son de ta voix mettre tant d’harmonie,
Dans tes serments trompeurs un accent si brûlant ?


Fallait-il dans tes yeux mettre tant de lumière,
Tant d’ineffable ivresse et de molle langueur ?
Toujours à me chercher tu semblais la première,
Et moi je t’adorais sans crainte et sans frayeur.

Tu me semblais si belle, et si noble, et si pure,
Que jamais je n’ai cru que tu trompais mes vœux ;
Et maintenant encore, isolé, je murmure
Ces doux vers qui jadis te firent mes aveux.

Je pleure loin de toi, quoique je te pardonne,
Je pleure mon beau rêve envolé pour toujours,
Car j’ai vu se flétrir la touchante couronne
Que m’avaient mise au front de volages amours.

Je pleure ce que Dieu mit de tendre en mon âme,
Mon âme où se mirait l’ineffable idéal,
Mon âme qui vivait de ton regard, ô femme !
Et qui dans la tempête y cherchait son fanal.


Dans ces moments d’ivresse où tu régnais sur elle,
Si le destin fatal m’avait su prévenir,
La blessure, plus prompte, eût été moins cruelle,
Et j’aurais pu chercher l’oubli dans l’avenir.

Mais tu partis un jour, sans te douter du vide
Que laissait en mon cœur ton abandon mortel.
Oh ! si tu l’avais su, devant ma lèvre avide
Tu n’aurais point brisé cette coupe de miel !

Aujourd’hui tout est fait. C’est le passé. Qu’importe
À ta fraîche beauté, qu’un autre effeuillera,
Le regret obstiné sur le seuil de la porte
Où ton pied inconstant jamais plus n’entrera ?

Charmante illusion, rayon divin, mirage,
Vous, songes vaporeux du jour et de la nuit
Fleur qu’un souffle a fanée, éphémère nuage,
Pourquoi nous quittez-vous lorsque l’amour s’enfuit ?


Revenez, revenez dans mon cœur qui soupire,
Pour lui rendre le calme et le bonheur perdus.
Hélas ! vous restez sourds à la voix du délire…
C’est en vain d’espérer, vous ne reviendrez plus !


1870.