Myrtes et Cyprès/Mon cœur a trop longtemps chanté

Librairie des Bibliophiles (p. 177-179).


Mon cœur a trop longtemps chanté…


Hence vain deluding joys !

Milton..

Mon cœur a trop longtemps chanté
L’idéal, fuyant mon étreinte,
Sans laisser dans mes cieux l’empreinte
De son passage regretté.

Ô doux mensonge qui nous leurre !
Enchanteresse illusion,
Trop tôt s’éteignait ton rayon ;
Ta fleur se fanait avant l’heure.


Vingt ans j’ai cherché la beauté
Dans les êtres et dans les choses.
Il est temps que tu te reposes,
Ô mon pauvre esprit tourmenté !

J’avais consacré ma jeunesse
À tout sentiment généreux ;
Mon présent était radieux,
Mon avenir une promesse.

Je caressais avec bonheur
Le rêve d’un amour immense,
Et je pressais dans ma démence
Tout le genre humain sur mon cœur.
 
Pour mon affection ardente,
Si j’ai recueilli le dédain,
Si l’on a repoussé ma main
À tout malheur compatissante,

C’est que rien ne dure ici-bas.

Le miel est bu, voici la lie :
Si la coupe est toujours remplie,
Le bonheur s’évapore, hélas !
Car c’est le destin de la vie.

C’en est fait, il faut peu de temps
Pour que l’espoir des premiers ans
Tombe, feuille pâle et flétrie,
Au souffle cruel des autans.


Bruxelles, 187 .