Myrtes et Cyprès/Le Trémolo

Librairie des Bibliophiles (p. 149-152).


LE TRÉMOLO DE DE BÉRIOT


À Mademoiselle H***.


Tu ne le jouais pas pour moi, divine artiste,
Ce trémolo si doux, ce trémolo si triste !
Tu le jouais sans but, tandis qu’à ton archet
Tout ce qui t’aime en moi vivement s’attachait,
Que je sentais courir des frissons de fièvre
De ma tête à mon cœur, de mon front à ma lèvre,
Alors que chaque note au trille caressant
Ne faisait qu’attiser mon désespoir cuisant.

Ô que j’étais navré ! Quelle extase cruelle !
Quelle âpre jouissance à te trouver si belle !
Que je le torturais voluptueusement,
Ce misérable cœur de poëte et d’amant !
Tu n’as donc point compris quel était mon supplice,
Que ta main ajoutait du fiel à mon calice,
Que tu m’empoisonnais aux sons mélodieux
Que te doivent prêter les archanges des cieux,
Que les accords plaintifs dont tu berçais mon âme,
À peine ils m’atteignaient, devenaient une flamme,
Perfides ennemis venant me caresser
Pour mieux pouvoir après m’étreindre et m’embraser !
Tu m’as bien fait souffrir, ô femme, être suave !
Tu n’as point épargné cette âme, ton esclave,
Car tu n’exprimais, toi, par l’archet complaisant,
Qu’une fausse douleur, quand je pleurais du sang…
Oh ! faut-il que le bois, la corde ainsi gémisse,
Que ces accents émus n’aient qu’un sanglot factice,
Que, lorsqu’en suppliant l’amour guide tes doigts,
Ton cœur, tes regards même, aux miens restent si froids !

Je viens de te quitter. Maintenant, dans ma chambre,
Semblent tomber sur moi les feuilles de novembre.
J’ai voulu m’endormir, mais le sommeil me fuit,
Malgré l’ombre propice au repos de la nuit,
Et je sens résonner, poignante mélodie,
Le trémolo plaintif dans ma tête alourdie.
Je n’entends que ce chant ; en même temps, je vois
Glisser l’archet magique au contact de tes doigts,
Ton regard inspiré, ton sourire adorable…
Oh ! je deviendrai fou, tant tout cela m’accable !

Je me suis habillé, je marche l’air hagard.
La lune pâle au ciel jette un rayon blafard
Sur la muraille blanche où je crois voir ta tête
Apparaître en riant à ma peine secrète.

Et le trémolo pleure, et ses vibrations
M’apportent sans tarir d’autres émotions.
Le violon divin que ton ombre manie
Prolonge jusqu’au jour l’énervante insomnie,

Et reprend l’air fatal, ajoutant chaque fois
Plus de tendresse encore aux soupirs de sa voix.
Tandis qu’à l’horizon déjà le jour s’allume…
Ah ! pourra-t-il calmer l’amour qui me consume !


Anvers, 1875.