Myrtes et Cyprès/La Forêt

Librairie des Bibliophiles (p. 163-164).


LA FORÊT


Sainte forêt, vieux temple où la nature prie,
Vois, je reviens m’asseoir sous tes sombres arceaux,
Car c’est ici qu’après l’orage de la vie,
Je prépare mon âme au calme des tombeaux.

Seule tu sais combien de fois dans ton silence
Nous venions respirer tes parfums embaumés.
Nous étions deux alors… Trépas, cruelle absence,
N’épargnes-tu jamais ceux qui se sont aimés ?


C’est ici, sous ce chêne où tremble le zéphyre,
Que nous nous promettions un bonheur éternel.
Elle est morte à présent… Et moi seul je soupire,
Forêt, en écoutant ton hymne solennel.

Je m’en irai bientôt, et j’ai vingt ans à peine ;
Je fermerai mes yeux fatigués de pleurer.
Depuis qu’elle n’est plus, dans le deuil je me traîne,
Et, comme le proscrit, je ne cesse d’errer.

Mais toi, chaque printemps te rendra ta parure,
Tes nids d’oiseaux joyeux, tes ruisseaux murmurants ;
Et, mêlant ses rubis à leur sombre verdure,
L’aurore humectera tes sapins odorants.

Les siècles passeront. — Oublié de la terre,
J’aurai vécu… Mais toi, témoin de nos serments,
Tu resteras toujours l’asile du mystère,
Et tu verras couler les pleurs d’autres amants.

L’Ermitage, près Soleure, mai 1871.