Librairie des Bibliophiles (p. 45-47).


DÉPIT


Ma belle, il ne faut plus aimer
Si vous craignez d’être infidèle,
Si, moins stable que l’hirondelle,
Vous vous éloignez d’un coup d’aile
Du cœur qui cesse de charmer ;
Ma belle, il ne faut plus aimer.

Il ne faut plus nous regarder.
De vos yeux noirs si pleins de flamme,
Où vous semblez mettre votre âme,

Cela n’est pas loyal, Madame.
Si nous ne pouvons vous garder,
Il ne faut plus nous regarder.

Il ne faut pas non plus chanter,
Si, dans cette voix de sirène
Qui nous captive et nous enchaîne,
Vous vous riez de notre peine.
Si ce n’est que pour nous tenter,
Il ne faut pas non plus chanter.

Il ne faut plus nous embrasser,
Si vos baisers changent de place ;
S’ils laissent encor moins de trace
Qu’un zéphyr espiègle qui passe
Sur les fleurs sans les caresser,
Il ne faut plus nous embrasser.

Pour résister à tant de charmes,
Nous sommes trop naïfs, trop fous.

Contre le pouvoir de vos larmes
Nous ne pouvons lever les armes,
Et vos sourires sont si doux !
Nous sommes bien faibles, bien fous !

Que voulez-vous, je suis jaloux,
Et c’est peut-être dans ma rage
De n’avoir été davantage
Porté dans votre cœur volage
Que je dis tant de mal de vous !
Je n’en puis rien, je suis jaloux.


1875.