Musique et Musiciens/Le Médecin malgré lui

P. Lethielleux, imprimeur-éditeur (Premier volumep. 157--).


LE MÉDECIN MALGRÉ LUI

à
L’OPÉRA-COMIQUE


L’Opéra-Comique a obtenu de M. Gounod l’autorisation de représenter un ouvrage composé, il y a quelques années pour l’ancien Théâtre-Lyrique : le Médecin malgré lui, et c’est avec un plaisir extrême que nous avons entendu la charmante musique inspirée par Molière. L’exécution de cet opéra, dont le genre entre tout à fait dans celui de la salle Favart, est presque parfaite. M. Ismaël, malgré les défauts de sa voix, a très-bien joué et chanté le rôle de Sganarelle, dont il a compris le caractère et rendu à souhait la verve comique. Aussi le public l’en recompense-t-il chaleureusement.

Après-lui, citons Mlle Decroix dans le rôle de Martine et Mlle Ducasse dans celui de Jacqueline ; la seconde marciant sur les traces de sa camarade, l’une des meilleures comédiennes qu’ait eu le théâtre de l’Opéra-Comique. Peut-être eût-on mieux fait d’intervertir les rôles, en faisant jouer la nourrice par Mlle Decroix, le rire gaulois ne convenant guère à la physionomie plutôt mélancolique de Mlle Ducasse. Toutefois on aurait tort de ne se pas montrer satisfait de l’interprétation de ces deux rôles.

MM. Nathan et Barnolt sont excellents dans ceux de Géronte et de Lucas ; seul, M. Coppel se montre bien froid dans le personnage de Léandre.

Cette partition de M. Gounod est, sans contredit, l’une des mailleures qu’il ait écrites. Il y a là une franchise d’inspiration qui étonne de la part d’un esprit rêveur et nuageux. Les chants sont bien en relief ; ils se dégagent nettement d’une instrumentation légère, spirituelle et tout à fait scènique.

Le reproche que je ferai à cet ouvrage c’est de manquer d’unité dans le style. Deux manières bien tranchées s’y font jour, en effet. L’une, qui est excellente, pastiche les musiciens du dix-huitième siècle ; l’autre, on ne sait pas pourquoi, ni à propos de quoi, se rattache souvent à l’école italienne bouffe de Donizetti. Certes, on comprend parfaitement qu’en s’inspirant de Molière, le compositeur ait été contraint d’emprunter aux vieux maîtres sinon leur inspiration, du moins leur style, et c’est ce que M. Gounod à su faire merveilleusement dans certains passages de son Médecin malgré lui ; mais rien, en vérité, ne l’excuse d’en avoir écrit d’autres dans le style de Don Pasquale.

Cette hésitation, ce mélange ne sauraient nous surprendre de la part d’un esprit aussi flottant que celui de l’auteur de Faust. Nous l’avons dit plusieurs fois, en énumérant les qualités de son grand talent, ce qui manque à M. Gounod, dans ses œuvres légères aussi bien que dans ses œuvres sérieuses, c’est la tenue, c’est l’unité, c’est le tempérament, car il est rare, chez lui, que les résultats répondent aux prémices.

Tout en indiquant nos réserves, nous nous plaisons à répéter que le Médecin malgré lui de M. Gounod est une œuvre charmante digne à tous égard de figurer dans le riche répertoire de l’Opéra-Comique.

1872.