Musiciens français - M. Auber



MUSICIENS FRANCAIS.

LETTRE D’UN VIENNOIS.


III.
M. AUBER.

Voici bien long-temps que j’entends dire qu’il n’y a pas de musique en France. La musique est partout ; il s’agit simplement de savoir la trouver. Dieu n’a pas dépouillé les uns de ses trésors les plus doux pour en combler les autres sans mesure. Attribuer à ceux-ci seulement le droit d’exprimer leurs tristesses en plaintes mélodieuses est un insigne mensonge ; autant vaudrait dire que tel peuple a seul le don des larmes sur la terre. La musique est partout ; Dieu l’a mise dans l’air, dans les vives eaux, dans les grandes forêts, et chacun ensuite la recueille et la traite selon sa fantaisie. Les Allemands rêvent, les Italiens chantent, les Français jasent ; vos femmes n’ont-elles donc pas, comme les nôtres, de belles voix de soprano, au timbre d’or et de cristal ? La musique vient là où des voix harmonieuses l’appellent, car la musique est aux voix ce que le parfum est à la fleur. J’avoue qu’un Français ne saurait guère avoir composé la symphonie en ut mineur ou le second acte de Fidelio. Beethoven nous appartient tout entier avec son énergie austère et puissante, ses emportemens irrésistibles, ses sublimes divagations ; nous ne cédons rien aux autres peuples de ce soleil, ni sa lumière éblouissante, ni même les sonores brouillards dont il voile parfois sa face auguste. Pour Mozart, c’est différent ; les Italiens réclament une part de sa gloire et citent à l’appui de leurs prétentions Zerline, Chérubin, et tant d’autres créations adorables où la vie éclate en gerbes de feu, où les chaudes passions du midi se font jour par mille échappées de lumière. À ce compte, les Italiens pourraient bien avoir raison ; mais, après tout, ce n’est point là un fait qui se discute ; on ne va pas fouiller dans l’œuvre d’un homme comme dans un tas de pièces d’or pour y trouver la monnaie marquée au coin de son pays. Et c’est justement cette variété rayonnante qui fait de Mozart un musicien hors de ligne et l’isole dans sa gloire. Tous le réclament et tous ont des droits égaux à le réclamer, car il n’est Allemand, Italien, ni Français ; il est divin. Qu’on y prenne garde, Mozart ne fonde pas d’école, il marche seul dans l’indépendance de son inspiration ; il n’a rien de ces tours familiers que tout grand maître affectionne et reproduit à certaines heures de lassitude ; il n’a rien de ces formules habiles par où l’élève s’attache à ressembler au maître. À mon sens, c’est une incontestable supériorité que Mozart gardera toujours sur Beethoven, de n’avoir point à répondre dans son Élysée des stupides égaremens d’un troupeau d’imitateurs. Il n’appartient pas à tel individu de dire qu’il a recueilli l’héritage du génie, attendu que cet héritage revient à l’humanité. Or, c’est déjà une tache pour le modèle que l’imitation ; car elle prouve au moins que le maître a mêlé à son œuvre des élémens dont la médiocrité peut s’emparer. Tous les conservatoires du monde regorgent aujourd’hui d’imitateurs de Beethoven. Qu’on dise si pareille chose est jamais arrivée pour Mozart.

À nous Beethoven ! c’est-à-dire l’expression mystérieuse des vagues pensées de l’ame, le développement de l’orchestre aux dépens de la voix, la force, l’abondance, quelquefois aussi la diffusion. Les Italiens ont Cimarosa et Rossini ; la mélodie heureuse et vive qui s’épanche du cœur et roule des larmes dans ses flots, le rhythme fougueux et vainqueur à qui rien ne résiste. Ici la rêverie et les sombres contemplations, les pressentimens et toutes les voix plaintives et désolées de la conscience qui s’éveillent pour chanter en chœur ; là, le rire furieux ou mélancolique : de quelque côté qu’on se tourne, une sensation énervante vous attend. À vous la musique inoffensive, la grace ingénieuse, le don charmant de combiner les notes à souhait pour un plaisir sans travail ni fatigue. Les Allemands en veulent à mon esprit, les Italiens à mes sens ; la musique française n’a point des prétentions si hautes, elle fredonne, elle cause, elle babille comme un oiseau sur sa branche. J’ignore, quand je l’écoute, si c’est mon ame qui se réjouit ou mon corps ; tout ce que je sais, c’est que je passe un moment agréable et que je n’en demande pas plus.

Vous autres Français, vous avez inventé l’opéra comique, et gardons-nous de le dire en souriant, ce genre qui vous appartient en vaut bien un autre. D’ailleurs, il faut bien qu’il ait quelque vie en soi pour résister à toute cette grêle de petits sarcasmes dont les feuilletons désœuvrés trouvent bon de l’assaillir à certains jours. Depuis que vous dites, en France, que l’opéra comique se meurt, combien de sublimes théories n’avons nous pas vu s’évanouir en fumée ! Lui, cependant, fait sa petite chanson, et, çà et là, comme le rossignol son compère, trouve dans l’année des heures de printemps et de soleil. Je ne discute pas ici le mérite du genre, seulement je soutiens que c’est là un arbre, ou, si on l’aime mieux, un arbrisseau fort à sa place dans votre pays. Le sol léger de la France contient des sels excellens dont ses racines s’alimentent. L’opéra-comique chôme en France quelquefois, mais n’y meurt jamais ; le succès est toujours au fond du genre : pour l’appeler à la surface, il s’agit d’avoir de l’esprit et du talent et de vouloir s’en donner la peine. Alors le public se souvient, et s’empresse avec autant d’ardeur que par le passé.

La musique d’une nation est tout entière dans ses instincts privés, dans ses goûts familiers, dans ses habitudes du cœur ou de l’esprit. On a beau dire ; les arts s’enchaînent tous, ce sont là les branches mélodieuses, les rameaux trempés de sons et de lumière, d’une tige vivace qui tient au sol par ses racines ; la même sève y féconde tout ; qu’on l’appelle amour, rêverie, esprit, grace, verve ironique, peu importe. Cependant il n’en est pas tout-à-fait de la musique comme de la poésie. Le poète descend par intervalle des sommets de son inspiration pour se mêler d’affaires et de sciences ; il touche aux réalités de la vie politique ; s’il exprime son pays, il résume aussi son époque. La musique, au contraire, s’exhale du sol natal comme une de ces chaudes bouffées de la moisson, et monte vers le ciel plus vague, plus libre, plus indépendante des idées du jour, plus dégagée de ces mille préoccupations du moment que certains esprits, curieux de détails, recherchent avant tout dans l’œuvre des grands poètes, pour les faire servir à leurs commentaires, et qui pour les vrais amans de la Muse sont le signe terrestre et fatal dont la Divinité semble l’avoir marquée au front. La musique exprime en son essence les principaux traits qui caractérisent un peuple. Le musicien est à la fois de son pays et de tous les temps ; le poète, au contraire, tout en conservant sa nationalité inaliénable, n’est que de son époque. Entre tous les grands poètes, Shakspeare me semble le seul qui se soit élevé au-dessus de la question du temps, et, certes, à ce compte, Shakspeare peut passer pour un sublime musicien. Pour la musique, tout se réduit donc simplement à une question de lieu. Pourvu que Beethoven chante en Allemagne, Cimarosa en Italie, qu’importe le siècle où ces divines voix s’élèvent ? Or, franchement, qui oserait dire pareille chose d’Alighieri ou de Gœthe, ces sombres génies sur qui pèse d’avance le travail de l’humanité, et que le pressentiment de l’avenir entraîne et pousse comme la main de Dieu ?

La musique est une blonde déesse trouvée un jour dans le calice de la fleur du sentiment ; le souffle brûlant des révolutions ne l’atteint pas, elle, la fille de l’air insaisissable. Aucune influence humaine n’altère ses charmes immaculés, son innocence fait toute son immortalité, et c’est par ce sentiment, dont la critique n’étouffera jamais le dernier germe dans les choses de l’imagination, que la poésie et la musique d’un même pays se confondent. Dites-moi si la mélodie heureuse et pure, si la phrase trempée de mélancolie et d’amour qui s’exhale des lèvres de Cimarosa, ne semble pas faite pour emporter vers le ciel la rime incomparable de l’amant de Laure, et si l’inspiration aérienne de Weber n’est pas sœur de la fantaisie harmonieuse d’Hoffmann ou de Novalis ? Et maintenant, si nous venons en France, dites-moi si les noms de Dalayrac, de Boieldieu et d’Auber ne sont pas autant de charmantes étoiles d’où jaillit par étincelles tout cet esprit que vous avez ?

D’ailleurs, pourquoi demander toujours à l’art les mêmes conditions ? et la variété, cette loi de vie et de jeunesse qui est écrite partout dans la nature, que deviendrait-elle, à ce compte ? Les uns ont l’esprit élégant et vif, l’esprit qui sait fredonner à table de joyeuses chansons, et siffler de jolis airs au clair de lune ; les autres, le génie austère et puissant, la grande voix de l’urne qui cherche les solitudes et les hauteurs escarpées, et ne chante qu’au bord du précipice ou du torrent, — la nuit, lorsque la tempête gronde et que tous les élémens soulevés accompagnent sa plainte comme un orchestre immense. Le rossignol ne chante pas comme le cygne, et cependant qui de nous n’a tressailli, au mois de mai, quand cette voix des nuits mélodieuses s’éveille tout-à-coup, un beau soir, dans les accacias baignés de lumière ? Quelle sonore vibration ! quel timbre ! quelle vive chanson qui se renouvelle sans cesse ! le rossignol, c’est la verve inépuisable, c’est l’esprit qui ne tarit jamais. Certes le cygne a dans la voix un accent ineffable de mélancolie et d’amour, une inspiration sans pareille, une note divine et dont la nature entière s’émeut ; mais cette note ne s’exhale qu’une fois, sans retour, et passe avant que vous ayez pu vous recueillir pour l’entendre. Je crains bien que Beethoven n’ait été notre cygne. Le rossignol, au contraire, recommence chaque nuit, aux mêmes heures, dans le même feuillage, et tout le printemps fait chanson qui dure. En fait d’art comme en toute chose, il est important d’éviter la confusion et de ne vouloir provoquer chacun que selon sa mesure. Demander aux Français, qui causent avec tant d’esprit, une musique élevée et sublime où les grandes voix de la nature trouvent çà et là leurs échos, une expression puissante qui tende sans relâche aux régions de l’épopée et s’y maintienne, la rêverie dans le bois qui se dépouille, l’amour mélancolique, le sentiment de l’infini, autant vaudrait demander, aux frais arbustes où mille oiseaux s’éveillent dans la rosée du matin, les sombres frémissemens et les prophétiques rumeurs de nos grands chênes druidiques. Vous dites qu’il n’y a pas de musique en France ; qu’entendez-vous par là ? Il s’agit cependant de s’expliquer sur ce point, et de savoir à quelle nation vous attribuez certaines œuvres qui valent bien qu’on y prenne garde. Hier on a joué Zampa à Kartner-Thor, aujourd’hui c’est la Dame Blanche ; demain ce sera la Muette ou le Philtre ; et nous autres Allemands, nous appelons cela tout simplement de la musique française.

M. Auber appartient à cette école française qui, pour servir de risée, par intervalles, à certains esprits turbulens que leur impuissance dévore, n’en est pas moins fort bien prise au sérieux partout, car elle a, elle aussi, nous pouvons le dire, son caractère distinctif, son individualité propre, peu tranchée sans nul doute, plutôt nuance que couleur, mais qu’on ne peut méconnaître, à moins d’être aveuglé par l’ivresse d’un enthousiasme de novice ou les préventions d’un envieux. L’envie est sœur de l’enthousiasme, comme on sait ; tous les deux naissent du succès. Quoi qu’il en soit, M. Auber appartient à l’école française, il ne le cache pas ; ses opéras le disent assez haut à qui veut l’entendre, et là peut-être est tout le secret de leur adoption unanime. En effet, il y a dans l’art certaines époques d’invasion étrangère, où, pour devenir original entre tous, il suffit de faire la chose la plus simple, d’être de son pays, par exemple. Aujourd’hui qu’on ne trouve plus en France que des Allemands et des Italiens, qu’on ne rencontre çà et là que des gens qui passent leur vie à parodier d’une risible façon Beethoven et Rossini, rester soi le plus qu’on peut, et se tenir loin de la mascarade, c’est, certes, un infaillible moyen de succès. Nous savons que c’est là chez M. Auber tout simplement une affaire de vocation pure et de goût naturel ; mais l’auteur de la Muette et de Gustave agirait-il de la sorte par spéculation et parti pris, l’expédient serait des plus ingénieux. Tandis que toute espèce d’entreprises fantastiques avortent sans retour, lui continue son œuvre plus modeste, chante à sa fantaisie, selon son inspiration, et ne se préoccupe ni de Beethoven, ni de Weber, ni des autres, ce qui ne l’empêche pas d’écrire, çà et là, la Muette, le troisième acte de Gustave, et le quatrième du Lac des Fées. Il est vrai que M. Auber apporte trop souvent dans ses compositions une indifférence blâmable. Ainsi, pour céder à je ne sais quel besoin de produire qui le travaille sans relâche, il lui arrive, la plupart du temps, de donner cours à tout ce qui se présente, et de forcer ses idées à venir avant leur terme. Alors, sa musique, d’ordinaire si vive, si ingénieuse, perd toute sa grace et sa fraîcheur, et la clarté qui lui reste ne sert plus qu’à faire voir la nudité du fond. C’est le propre du génie d’exagérer ses qualités à ses heures d’épuisement ; or des qualités qui s’exagèrent ressemblent bien à des défauts. Ainsi, les cerveaux profonds ont le tort de n’être plus compréhensibles, les autres de le devenir trop. À tout prendre, j’aime mieux M. Auber ; au moins avec lui, je n’ai pas besoin de suer sang et eau pour savoir qu’il n’a rien à me dire, d’autant plus que le cas est assez rare. Il en est de certaines imaginations heureuses comme de ces mines de diamans des contes orientaux : on a beau prendre au hasard, on trouve toujours quelque chose qui rayonne. Du reste, cette musique aimable, qui n’affiche point à tout propos d’arrogantes prétentions au sublime, n’aurait pas en elle tant de qualités charmantes, qu’elle réussirait aujourd’hui par contraste. Au milieu des divagations furieuses où se livrent quelques esprits qui se débattent dans le bruit contre l’indifférence publique, les graces mélodieuses, même un peu relâchées, ne peuvent manquer de plaire à tous. En ce débordement des grands fleuves de l’Allemagne, on aime à suivre, çà et là, le petit ruisseau de Grétry et de Dalayrac.

De nos jours, l’école française a trois noms illustres qu’elle peut mettre en avant avec orgueil, Boieldieu, Hérold, M. Auber. Cependant, de ces trois hommes éminens, un seul me semble avoir atteint le but, non que les autres l’aient manqué ; mais, si vous aviez à nommer le maître en qui se résume l’école française de ce temps, à coup sûr vous ne citeriez ni Boieldieu, ni Hérold : la gloire du premier s’est laissé absorber par une gloire plus vive, celle de l’autre n’a pas eu le temps de se faire. L’un a trouvé Bellini sur son chemin ; l’autre, la mort. Boieldieu manquait de vie originale et de force ; talent agréable et doué, par momens, d’une certaine expression mélancolique, le centre de sa pensée n’était pas en France. Ainsi de Bellini : le vague instinct qui entraînait vers l’Italie l’auteur de la Dame Blanche, éveillait, dans le cœur du chantre de Norma, le sentiment du génie du Nord. Chacun subissait de la sorte une influence étrangère ; chacun faisait un pas hors de ses limites naturelles, celui-ci vers l’Italie, celui-là vers la France, et dans cette espèce de clair-obscur mélodieux, de crépuscule charmant, où ces deux gloires se sont rencontrées, la plus pâle a dû se fondre en l’autre. Pour Hérold, la mort l’a surpris dans la fleur de l’âge et la plénitude du talent, à l’heure où, libre enfin de l’imitation, dont il faut toujours que la veine s’épanche dans la jeunesse, il allait donner cours à cette inspiration généreuse et féconde dont Zampa et le Pré aux Clercs portent les nobles marques. On le voit donc, M. Auber est le seul représentant légitime de l’école française, bien légitime en vérité ; car, outre que son œuvre est achevée et complète, le génie étranger s’y laisse moins sentir que partout ailleurs, et l’on peut dire de lui qu’il tient de son pays comme de la nature ses qualités et ses défauts. Nous ne prétendons pas ici que M. Auber ait trouvé dans son cerveau les mille trésors dont il dispose ; l’auteur de la Muette et du Lac des Fées a subi, comme tous les maîtres de ce temps, l’irrésistible influence du magnifique et glorieux génie qui a donné le rhythme à notre siècle, mais à un moins haut degré peut-être, et sans négliger de faire ses réserves. Du reste, il faut avouer que, si l’Italie est pour quelque chose dans la gloire de M. Auber, l’Allemagne n’y est pour rien. Et voilà, sans doute, la raison pour laquelle nous l’aimons tant. À Vienne, à Berlin, à Munich, à Dresde, à Weymar, on ne chante, on n’aime, on n’applaudit que la Muette, la Fiancée, Fra Diavolo, le Dieu et la Bayadère. Admirable réponse à vos cerveaux creux, dont toute imagination agréable, mélodieuse et facile, irrite la susceptibilité maladive, et qui, à force de se complaire dans les ténèbres et le chaos, ont fini par vouloir être plus Allemands qu’on ne l’est en Allemagne !

Personne n’ignore quelle profusion vraiment inouie de partitions charmantes M. Auber a mise au jour. Tout le secret de son génie est dans ces motifs qu’il trouve à tout propos si heureusement, et sans que la source en soit jamais tarie. Avec lui, les choses ne se combinent point pour une œuvre ; son inspiration s’éparpille au hasard ; toute idée est motif, et les artifices de l’instrumentation dont il dispose avec tant de finesse et d’esprit ne lui servent guère qu’après coup, et lorsqu’il sent le besoin de donner à ses idées cette filiation naturelle qui leur manque. Les grandes lignes font défaut, mais les détails curieux abondent, et vous avez devant vous une jolie mosaïque, faite avec toute sorte de petits morceaux d’or et de fragmens de pierres précieuses. On dit que M. Auber s’inspire, en général, fort peu de ses sujets. Ses motifs lui viennent, la plupart du temps, sans qu’il y pense, lorsqu’il se promène à cheval dans le bois. Il rentre chez lui, les note sur un bout de papier, et tout cela trouve sa place un jour dans quelque partition. M. Auber est musicien comme tant d’autres sont botanistes ; il a pour ces petites fleurs écloses au soleil, à la pluie, au vent de l’aurore ou du soir, un herbier au fond duquel il les dépose et les conserve jusqu’au jour où, pour les produire devant le public, il leur donne, à force d’art, une vie nouvelle et factice. Singulier procédé, qui, du reste, peut s’excuser à merveille avec un art aussi vague, aussi indéterminé que celui-là ! En effet, la musique ne sait exprimer que les grandes affections de l’ame. Vous avez beau faire, ce n’est jamais que l’amour, jamais que la mélancolie ou le désespoir ; le fond reste le même, le détail seul varie. Et croyez-vous qu’un musicien qui se sent au cœur la vie mélodieuse, ait besoin pour chanter la joie ou la tristesse, d’avoir sous les yeux quatre pauvres vers mal rimés, et qu’il n’y ait pas dans un rayon de soleil, dans un ciel d’automne, dans certaines dispositions de l’ame, plus de musique et d’inspiration que dans toutes les fantaisies des poètes de l’Opéra ? Au contraire, bien loin de blâmer cette méthode, on ne saurait trop l’encourager, car elle aurait pour résultat de consacrer l’initiative du maître. La musique exhalée du seul sentiment prendrait forme et se développerait en toute liberté ; les paroles viendraient ensuite se soumettre au rhythme, au lieu de l’imposer. Si la musique de M. Auber a tant de légèreté, de grace, d’allure pétulante et vive, c’est à ce procédé qu’elle le doit. M. Auber trouve ses motifs au coin de la rue ou du bois, peu importe ; puis les met en œuvre à ses heures de loisir. Par motif, j’entends cette petite phrase, leste, aimable, ingénieuse, qu’on retient sans peine, et qui, depuis la Bergère châtelaine jusqu’au Lac des Fées, se reproduit sans cesse, changeant d’air et de ton selon les exigences du goût dominant. Le motif, c’est le sang, la vie et l’ame de cette musique ; elle n’existe qu’à la condition qu’il y circule, il va de la voix à l’orchestre et remonte de l’orchestre à la voix. Qui saurait dire combien il en a produit de ces phrases que tout le monde apprend, et qu’on chante partout ? À coup sûr M. Auber a tout autant inventé de petits motifs que Rossini de grandes mélodies. Entre ces deux maîtres, il n’y a pas, je le sais, de comparaison sérieuse possible ; l’un chante et l’autre fredonne. Mais n’importe : leur fécondité les rapproche ; le talent dans sa sphère est aussi prodigue de ses richesses que le génie peut l’être dans la sienne de ses glorieux trésors. C’est là ce qui, à mon sens, constitue l’originalité de M. Auber, et fait, qu’on me passe le mot, son caractère national. Le motif qu’il affectionne tant, et dont il abuse parfois, qu’est-ce donc, sinon cette pointe d’esprit dont on relève toute chose en France, sinon le trait du dialogue de Beaumarchais ?

M. Auber a tant écrit de partitions, qu’il devient presque impossible de les compter. Ce qui vous frappe surtout dans son talent, c’est cette faculté singulière qu’il a de se reproduire sans jamais rien perdre de ses avantages. Il ne se transforme pas, il varie, il chante toujours les mêmes choses sur d’autres airs, et voilà tantôt vingt ans que cela dure, et que le public trouve cela fort de son goût. Quoi qu’il fasse, c’est toujours M. Auber avec son imagination heureuse, sa verve, son esprit, son orchestre élégant et riche, mais sans profusion, où les motifs circulent et se croisent dans la transparence de l’harmonie la plus limpide. Je ne sais pas au monde de talent qui demeure plus égal à lui-même ; s’il ne s’élève jamais bien haut, il ne tombe guère, et j’avoue que j’aurais grand’peine à choisir entre ses opéras. Vos critiques les jugent d’ordinaire d’après le succès ; ceux qui réussissent sont les chefs-d’œuvre, des autres on n’en tient pas compte, et cependant j’en pourrais citer de charmans dans ce nombre et qui méritaient mieux, entre autres les Chaperons blancs, aimable partition pleine de verve bouffe et mélodieuse, et qu’un malencontreux poème entraîna dans sa chute. J’avoue que je ne comprends rien à ces gens qui se prennent de belle admiration pour la Muette ou Gustave et ne veulent pas qu’on leur parle du Domino noir, d’Actéon, ou du Lac des Fées, comme si tout cela n’était pas au fond de la même nature. Les qualités qui vous charmaient dans la Fiancée et Lestocq, vous les retrouvez dans l’Ambassadrice et le Domino noir. Si cette fois elles ne vous peuvent divertir, c’est à votre humeur qu’il faut s’en prendre. Quant à M. Auber, il ne change pas ; c’est toujours M. Auber ni plus ni moins. Ce que je dis là, je le soutiendrais même à propos de la Muette, qui n’est peut-être le chef-d’œuvre de M. Auber que parce que le succès l’a voulu. Si, au lieu de la Muette, la popularité eût adopté Gustave, Gustave serait le chef-d’œuvre de M. Auber. Savez-vous que cette partition renferme, au troisième acte surtout, des beautés mélodieuses dont il faut tenir compte ? Je le répète, les grandes passions de l’art n’ont que faire ici ; l’enthousiasme serait pour le moins aussi ridicule que la colère. Vous aimez cette musique, ou vous ne l’aimez pas : de toute façon, pourquoi ne pas le dire franchement aujourd’hui comme hier ? pourquoi, si le Domino noir vous plaisait tant, le Lac des Fées vous déplaît-il ? Il ne peut être ici question de progrès ou de décadence ; toutes ces partitions se valent entre elles. Avec la Muette, mettez la Fiancée, Fra Diavolo, le Dieu, et la Bayadère ; — avec Gustave, Lestocq, le Philtre, le Serment ; l’Ambassadrice et le Domino noir avec le Lac des Fées ; puis, dans ces trois lots prenez au hasard, vous aurez toujours quelque chef-d’œuvre de M. Auber.

Nous disions tout à l’heure que M. Auber n’imite pas les Allemands, et certes il n’a guère de mérite à le faire ; il ne les comprend pas. Le génie grandiose et magnifique de Beethoven l’épouvante ; il craindrait que le vertige ne le prit, s’il cherchait seulement à plonger du regard dans les combinaisons mobiles et profondes de cet orchestre orageux. M. Auber ne se sent, pour cette musique, ni enthousiasme ni dédain ; il aime mieux n’en pas parler. L’auteur de la Muette est un peu, à l’égard de Beethoven et de Weber, comme ces esprits faibles qui ne veulent ni croire ni douter, et qui trouvent plus simple de ne pas avoir d’opinion sur certaines choses que de s’en faire une qui pourrait dans la suite contrarier leurs goûts et leurs prédilections. Pour les Italiens, c’est différent. M. Auber a pu aller vers eux tout en restant fidèle à ses habitudes superficielles. Il leur a pris le bruit, cette écume sonore qui monte à la surface, et dont on s’empare sans avoir besoin de plonger au fond des flots, où se cache la perle mystérieuse de Beethoven et de Weber. Du reste, M. Auber n’imite guère l’école italienne que dans ses cavatines, qui ressemblent à toutes les cavatines de Bellini et de Donizetti, avec cette différence pourtant, qu’elles ont moins d’ampleur mélodieuse et vocale, et plus de soin et de recherche dans l’instrumentation. Quand M. Auber veut donner libre cours à son génie, il compose quelque grande scène. Les scènes de folie surtout lui réussissent. Là son personnage se retrouve tout entier ; ces idées d’amour, de mélancolie, de désespoir, qui lui passent par le cerveau dans son délire, conviennent à merveille à tous ces gracieux motifs, venus comme elles sans succession. Il faut dire aussi que M. Auber a des secrets inouis pour trouver entre les phrases qu’il invente les rapports par où elles peuvent se joindre et se grouper, et qu’à force de ménager avec art les transitions, il finit toujours par donner quelque semblant d’harmonie et de spontanéité à cette sorte de composition ultérieure. C’est en attachant ainsi les uns aux autres des fragmens de motifs qu’il a fait la scène de Mazaniello au cinquième acte de la Muette, et d’Albert au quatrième du Lac des Fées, c’est-à-dire deux chefs-d’œuvre de mélodie et d’expression dramatique. Donizetti a suivi cette méthode dans la belle scène d’Ana Bolena. D’après cela, on voit que M. Auber a rendu aux Italiens ce qu’il a pu leur emprunter. L’auteur de la Muette est quitte avec eux.

Ce qui caractérise surtout M. Auber, ce sont les petits chœurs, les chansons, les airs de danse ; là son imagination se donne libre cours, sa verve se répand, la variété de sa fantaisie éclate. C’est dans ces mille choses de la musique, qui vivent d’un souffle ou d’un motif, qu’il faut chercher l’originalité de ce talent, qui n’a que des facettes. Les chœurs ont fait le succès de la Muette, les airs de danse celui de Gustave. Et cependant qui peut dire qu’il n’y ait dans Gustave que des airs de danse ? Vous vous souvenez du trio chez la sorcière, du duo entre Amélie et Gustave au troisième acte, du trio qui suit lorsque le drame se complique par l’arrivée d’Ankastroem. Eh bien ! dites-moi, que souhaitez-vous de plus à ces morceaux, la mélodie ou l’expression ? De laquelle des qualités qui font la grave et sérieuse musique, trouvez-vous donc qu’ils manquent ? On respire dans le troisième acte de Gustave un vague sentiment impossible à décrire, on se laisse aller à cette musique comme à la mélancolie ; elle est si douce, si tendre, si mollement élégiaque ; elle convient si bien à l’ardeur inquiète de cette femme amoureuse et parjure, à l’ivresse de ce roi qui va mourir dans une fête, à la désolation du lieu sauvage où s’accomplissent ces amours pleines de sombres voluptés et de mornes pressentimens !

En général, M. Auber ne semble pas traiter les caractères avec une grande importance, et ne pense guère à donner à chacun de ses personnages une individualité prononcée et bien distincte. Cependant on peut dire qu’il a fait çà et là, sans doute par hasard, des rencontres charmantes. Ainsi Fenella dans la Muette. N’aimez-vous pas cette pauvre jeune fille dont un motif exprime chaque sensation, et que la mélodie accompagne partout dans ses infortunes et ses misères ? M. Auber aime la danse avec prédilection, il n’arrive à l’Opéra qu’au moment où les Elssler entrent en scène, se retire à la dernière mesure de leur pas, et je lui ai vingt fois entendu dire qu’il voulait finir sa carrière musicale par un ballet. Il est à souhaiter que M. Auber diffère encore long-temps ; mais si jamais son vœu se réalise, vous aurez à coup sûr le chef-d’œuvre du genre. Il y a, en effet, dans la musique de ballet des nuances délicates et fugitives qui, dans un opéra, passent inaperçues, et que cet auteur excelle à rendre. Les créations de Fenella dans la Muette, de Zoloë dans le Dieu et la Bayadère, en témoignent assez. Pour la couleur locale, M. Auber la traite au moins avec autant d’indifférence que les caractères, ce qui ne l’empêche pas de réussir dans l’occasion. Comparez la Muette à Gustave ; quoi de plus opposé, par la couleur, que ces deux partitions dont chacune, du reste, a son mérite et sa propre valeur ? L’une est vive, brillante, splendidement éclairée, riche de lumière et de sons ; l’autre respire toute la mélancolie des climats du Nord. Ici vous sentez la chaleur du midi, le soleil de Naples, l’air du Vésuve ; là vous vous prenez à tressaillir de froid, à rêver sous le ciel pâle de Stockholm. Que veut dire ceci chez un maître qui se préoccupe aussi peu de la couleur locale ? C’est qu’au fond, en musique, il en est des pays comme des passions, qu’il y a deux ou trois grands effets de contraste qui reviennent sans cesse, et que tous les esprits élevés trouvent en eux par le seul mystère du sentiment. Mais qu’on y prenne garde : il faut s’en tenir là ; car rien n’est plus ridicule que de vouloir pousser les choses à leurs extrêmes conséquences. Je n’ai que faire de savoir si M. Auber a lu Swedenborg avant d’écrire Gustave.

Je doute que le Lac des Fées réussisse à l’égal de la Muette ou de Gustave, et cependant cette partition renferme toutes les qualités qui distinguent le talent de M. Auber. Sans parler de ces motifs élégans et variés qui abondent là, comme partout, je dirai que l’instrumentation est traitée cette fois avec un soin exquis ; les plus ingénieux dessins naissent à tout instant dans l’orchestre, et s’y développent au milieu de la plus heureuse et de la plus limpide harmonie. Les grands morceaux non plus ne font pas faute. L’air du comte Rodolphe, au second acte, est une excellente inspiration. Quelle intelligence des instrumens de cuivre ! que ces fanfares sonnent vaillamment ! comme cette phrase deux fois reprise : À moi la plaine entière, se détache, large et puissante, du chœur qui la soutient ! C’est là un morceau d’un tour original, d’une mélodie ample et comme on n’en avait plus écrit depuis Weber. Le duo entre Albert et Zéïla, au troisième acte, ne manque ni de grace dans les premières mesures, ni de force dramatique et de belle expression dans ses développemens. Le chœur des fées, qui survient au milieu, est surtout d’un effet ravissant. M. Auber a presque toujours, dans ses opéras, quelque idée qu’il affectionne et ramène souvent. Ainsi, le motif de Fenella dans la Muette, l’air du bal dans Gustave, le chœur des fées dans la partition nouvelle. Ces idées mélodieuses servent d’enchaînement aux situations dramatiques ; un acte les transmet à l’autre, et la monotonie ne se laisse jamais sentir, grace à la variété vraiment curieuse avec laquelle elles se reproduisent. Dans la scène de folie, au quatrième acte, on rencontre de magnifiques élans, les transitions se succèdent, et chacune amène quelque phrase véhémente, joyeuse, mélancolique ; le hurra de malédiction qu’Albert jette à la face des seigneurs ivres qui insultent à sa démence, est d’une expression admirable, et qui touche de bien près au sublime.

Maintenant, si vous me demandez pourquoi cette musique, où se rencontrent des beautés incontestables, vous laisse dans une telle indifférence, je vous dirai tout simplement qu’elle n’est pas à sa place. Sa réalité ne saurait convenir à cette imagination éthérée et merveilleuse venue d’Allemagne, vous le savez. Il y a des sujets auxquels la poésie seule peut toucher. Or, la poésie n’est guère le fait de M. Auber. La pièce se joue dans les nuages, dans le bleu, comme nous disons, et la musique, hélas ! rase la terre. La fée qui a vraiment perdu son voile dans cet opéra, c’est la Musique, car la musique a, de même que Zéïla, un voile merveilleux par lequel elle se transfigure et qu’on appelle la poésie. Quand Mozart, Beethoven, Weber ou Rossini lui posent ce voile sur le front, elle monte glorieuse et d’un libre essor vers le ciel ; mais aussi, quand M. Auber l’en dépouille, elle devient femme, d’immortelle qu’elle était, et ne sait plus que sourire avec grace et fredonner quelque charmant refrain. N’oublions pas que c’est avec une semblable idée que Weber a fait Oberon, ce chef-d’œuvre d’imagination vaporeuse, cette révélation inouie de la musique des elfes et des ondines. M. Auber se garde bien, lui, de vouloir approfondir de pareils secrets. Ses fées sont d’agréables personnes qui portent des voiles lamés d’or et d’argent, chantent de frais motifs et n’ont rien à nous dire de l’air et des étoiles. Zéïla pourrait tout aussi bien s’appeler Angèle comme dans le Domino noir, Henriette comme dans l’Ambassadrice ou la Fiancée, ou Thérésine comme dans le Philtre. Rien ne la distingue des autres créations du maître, elle vit de la même vie réelle, et n’a pas dans ses veines une goutte de sang éthéré. Le fantastique, si quelque poésie ne le relève pas en l’attachant aux grands mystères de la nature, n’est qu’un badinage puéril et mesquin fait pour servir de prétexte à l’art des machinistes, et de pâture à la curiosité des gens désœuvrés. Nos musiciens allemands, du reste, l’ont compris à merveille ; aussi le sentiment de la nature animée, qu’on me passe le mot, le panthéisme déborde de leurs œuvres. Quoi qu’on fasse, le monde des esprits nous appartient, nous seuls savons les évoquer du sein des ténèbres, du sein de la lumière ou des eaux. Gaspard, Oberon, Titania, sont à nous. M. Auber, avec tout son esprit, ou, pour mieux dire, à cause de son esprit, ne comprend rien à tout cela. Il y a entre Oberon et le Lac des Fées toute la différence qui sépare un conte bleu de Perrault d’une fantaisie d’Hoffmann ou de Novalis. L’auteur de la Muette n’a jamais entendu parler des salamandres, des sylphes, des ondines :

Salamander soll glühen,
Undene sich winden,
Silphe verschwinden
. »

Des êtres surnaturels, M. Auber ne connaît que les fées. Un soir, j’étais assis auprès de M. Auber, pendant qu’on chantait à l’Opéra le cinquième acte de Don Juan. M. Auber avait oublié, cette fois, de s’en aller après le pas de Mlle Elssler, et s’était égaré dans la musique de Mozart, qu’il écoutait, du reste, avec assez d’attention. Tout à coup, au milieu de la scène de la statue, il se retourne et me dit avec un sourire et dans le plus vif transport de son enthousiasme : « Il y a du revenant dans cette musique. » Tout M. Auber est dans ce mot. L’effet prodigieux de cette scène, le plain-chant sublime du commandeur, l’effrayante sonnerie des cuivres qui soutiennent cette voix de marbre, n’avaient pas su l’émouvoir autrement. M. Auber ne prenait pas cette musique plus au sérieux qu’il ne l’eût fait d’un conte de bonne femme ; il ne voyait dans la création épique de Mozart qu’un de ces revenans qui traînent à minuit leur linceul et leurs chaînes dans les châteaux abandonnés. Ce qui manque à l’auteur du Lac des Fées, c’est la faculté d’admirer dignement les œuvres de cette trempe ; il est vrai que, s’il l’avait, il ne serait peut-être plus M. Auber, ce talent fécond, insouciant, frivole, toujours en humeur de chanter, qu’on prend comme il se donne, sans travail, ni fatigue. Beethoven en veut à votre enthousiasme ; il vous remue violemment, il vous transforme pour vous élever à l’exaltation. Mais l’exaltation a ses heures, le cœur humain n’est pas une argile toujours disposée à se laisser pétrir. La musique de M. Auber, au contraire, vous prend comme elle vous trouve ; loin de s’imposer à vous par la force, elle subit l’influence de votre humeur. Dans les arts, où rien n’est complet, certaines qualités ne s’achètent que par certains défauts. L’esprit exclut souvent l’élévation ; s’ensuit-il de là que l’on doive exclure l’esprit ? J’ignore si l’art y gagnerait beaucoup ; mais à coup sûr nos plaisirs y perdraient.


H. W.