Mouvement littéraire de l’Espagne



MOUVEMENT
LITTÉRAIRE
DE L’ESPAGNE.

ZORRILLA.

L’agitation politique, qui paraît au premier abord si nuisible aux travaux de l’intelligence, a eu le plus souvent, l’histoire littéraire en fait foi, des effets tout opposés. Sans parler d’Athènes et de Florence, où les lettres ont grandi au milieu des dissensions civiles, sans aller chercher dans un passé lointain d’autres exemples qui s’y trouvaient en très grand nombre, il suffit de jeter un coup d’œil sur notre siècle pour se convaincre de cette vérité. Depuis long-temps, l’Italie, tranquille et asservie, avait cessé presque complètement de produire des écrivains, quand le général Bonaparte vint lui apporter à la fois une révolution politique et une régénération littéraire. De l’établissement de la république cisalpine date le mouvement qui a enfanté Manzoni, Monti, Ugo Foscolo, Pindemonte, Parini, Alfieri lui-même, et dans des temps plus rapprochés de nous, mais non moins agités Colletta, Botta et Silvio Pellico. Depuis les révolutions avortées de 1820 et de 1821, l’activité littéraire s’est atténuée, et le génie italien semble s’être assoupi. En Allemagne, la grande période de Goethe et de Schiller coïncide avec l’époque des guerres de la révolution et de l’empire, et avec les transformations violentes qui ont changé de fond en comble la vieille constitution du corps germanique. Depuis que l’ordre et la paix sont rétablis de l’autre côté du Rhin, le mouvement intellectuel s’affaiblit et ne jette plus que de rares éclairs. En Angleterre, Walter Scott et Byron sont contemporains de la grande lutte contre la France et des efforts terribles qu’a dû faire leur pays pour jeter à bas la colossale puissance de Napoléon.

En France même, il semble que nous devions à nos débats intérieurs l’éclat qui s’est attaché depuis le commencement du siècle à notre littérature. M. de Châteaubriand a écrit toute sa vie au milieu des révolutions ; cette gloire si radieuse et si pure s’est levée dans les orages. Après lui, les jours les plus tourmentés de notre histoire récente ont été aussi les plus féconds en œuvres littéraires. Les dernières années de la restauration et les premières années de la révolution de juillet, si fiévreuses, si ardentes, si pleines de discordes civiles, ont vu l’apogée du succès chez tous nos écrivains vivans : MM. Guizot, Lamartine, Thiers, Cousin, Villemain, Lamennais, Victor Hugo, George Sand, Alexandre Dumas et autres. Dès qu’un repos relatif a succédé à ces agitations, l’effet en a été sensible sur la littérature. Elle vit encore de l’impulsion qu’elle a reçue il y a quinze ou vingt ans, mais cette impulsion ne se ravive plus, et nous ne voyons pas beaucoup de renommées nouvelles apparaître à l’horizon. Quelques-uns même des noms les plus éclatans hier commencent déjà à s’envelopper des ombres fatales de la décadence. Est-ce donc que l’esprit ait besoin pour créer de l’excitation que lui donne le spectacle dramatique des luttes civiles ou des querelles nationales ? Est-ce que le poète, le philosophe, l’historien, ne sont en quelque sorte que les échos du monde extérieur, et faut-il que quelque grande question s’agite dans les faits, que de puissantes forces soient aux prises, que des problèmes sociaux soient posés sur la poudre des champs de bataille ou sur le pavé des places publiques pour que le génie s’éveille et trouve des accens nouveaux ?

Quoi qu’il en soit, l’Espagne est aujourd’hui le pays de l’Europe le plus travaillé par les commotions politiques, et c’est aussi celui de tous, après la France, où le mouvement littéraire est le plus actif. Pendant que l’Allemagne, l’Italie et l’Angleterre sommeillent, l’Espagne, profondément remuée, cherche son expression littéraire avec ardeur, en même temps que sa forme politique. Jamais, dans ce pays si engourdi pendant deux siècles, on n’a tant écrit et tant publié que depuis dix ans. Au plus fort de la querelle civile, pendant que les bandes de Gomez traversaient la Péninsule, ou que don Carlos arrivait avec son armée jusqu’aux portes de Madrid, des imprimeries se fondaient de toutes parts. On a fait, depuis 1834, plus d’éditions des classiques espagnols qu’on n’en avait fait en deux cents ans. En même temps, on a créé de nombreux journaux, des revues, des collections de documens inédits, des recueils de nouvelles, de pièces de théâtre, de biographies, des publications pittoresques comme en France et en Angleterre, enfin un immense commerce de papier imprimé. Pour alimenter toute cette activité, on traduit sans doute beaucoup de français, mais on demande beaucoup aussi à la production nationale. Une foule d’écrivains est sortie du chaos politique et social. Les uns sont arrivés à la vie littéraire par les armes, l’administration, le barreau, la diplomatie, les autres y ont été jetés d’emblée et sans préparation ; presque tous se sont mêlés de gré ou de force aux rudes épreuves de la politique et aucun ne s’en est tiré sans blessure. Ceux-ci sont déjà morts à la peine, ceux-là vivent dans l’exil et la proscription ; mais toujours et partout ils ont conservé le feu sacré, et jusque dans les heures les plus pénibles d’une vie ballottée, ils travaillent avec amour à la rénovation des lettres espagnoles. Pieux efforts qui méritent d’être plus connus, et qui ont droit au respect et à la sympathie de tous !

L’Espagne compte, en ce moment, trois générations d’hommes de lettres vivans. Les premiers sont nés dans les dernières années du XVIIIe siècle : ce sont ceux dont la carrière est déjà longue et dont la réputation est faite aussi bien en Europe que dans leur pays. À cette génération appartiennent MM. Martinez de la Rosa, Alcala Galiano, Joaquin Mora, Angel Saavedra, duc de Rivas, Javier Burgos, le comte de Toreno, et, enfin, les deux meilleurs poètes dramatiques que l’Espagne ait eus depuis Moratin, Breton de los Herreros et Gil y Zarate. La seconde génération s’est formée à l’ombre de celle-là ; ceux qui la composent datent des premières années du siècle présent et comptent aujourd’hui de trente à quarante ans. Moins connus que les premiers hors de leur pays, ils forment la portion militante de la société littéraire espagnole. Tels sont don Juan Donoso Cortès, don Antonio de los Rios y Rosas, don Ramon Mesonero, don Eugenio Hartzembusch, don Alejandro Mon, don Joaquin Pacheco, don Nicomedes Pastor Diaz. Deux poètes, morts maintenant, Espronceda et Larra, appartenaient à cette génération. Enfin vient la troisième, celle des jeunes gens proprement dits. Ceux-là n’ont pas encore trente ans et n’ont commencé à écrire que depuis quelques années. De ce nombre sont don Enrique Gil, don Pedro Madrazo, don Antonio Garcia Gutierrez, et enfin le plus jeune et Le plus fécond de tous, don Jose Zorrilla.

Pour faire connaître avec quelque détail la littérature espagnole contemporaine, il faudrait passer en revue les œuvres principales de ces différens écrivains. On aurait à examiner successivement les tragédies et les comédies de M. Martinez de la Rosa, son histoire de Herman Perez del Pulgar, son roman d’Isabelle de Solis et son livre nouveau sur l’Esprit du siècle ; l’Histoire du soulèvement et de la révolution d’Espagne, de M. de Toreno ; les Légendes espagnoles, de Mora ; les poèmes, les romances historiques et les drames du duc de Rivas, et particulièrement son beau poème du Moro espósito ; les œuvres politiques et oratoires d’Alcala Galiano ; les cent trente pièces de théâtre, originales, traduites ou imitées, de Breton de los Herreros ; les œuvres dramatiques de Gil y Zarate, et surtout sa comédie d’un An après la noce et son drame de Charles II ; le Panorama de Madrid, suite curieuse de tableaux de mœurs, publiés par don Ramon Mesonero sous le nom d’El curioso parlante ; les compositions théâtrales d’Hartzembusch, et parmi elles son drame estimé des Amans de Téruel ; la collection des admirables pamphlets politiques et littéraires publiés par Larra sous le pseudonyme de Figaro ; les œuvres lyriques d’Espronceda, de Ventura de la Vega, de Enrique Gil, de Pedro Madrazo, de Rocade Togores, et de tant d’autres. Pour cette fois, nous nous bornerons à faire connaître un de ces nombreux enfans poétiques de l’Espagne nouvelle, et nous avons choisi Zorrilla, non parce qu’il est le seul, comme on voit, mais parce qu’il est le plus nouveau venu, et que son talent, si souple, si varié, si divers, est le plus brillant et le plus aimé de ceux de la jeune pléiade.

Zorrilla n’a que vingt-six ans, et il a publié jusqu’ici treize volumes de poésies. Cette extraordinaire fécondité est déjà par elle-même un fait remarquable, elle est l’indication d’une impulsion très active vers les œuvres d’imagination. En général, ce qui distingue la jeune génération de celles qui l’ont précédée, c’est son caractère exclusivement littéraire. Chez Martinez de la Rosa et la plupart de ses contemporains, la littérature n’a été en quelque sorte que l’auxiliaire de la politique. Avant tout, il fallait donner à l’Espagne une constitution qui lui permît de se développer, et ce n’était que dans les momens de repos qu’on pouvait songer à écrire ; la tâche du citoyen passait avant celle de l’historien ou du poète. Cette nécessité n’est pas moins marquée dans la seconde génération. Presque tout entiers absorbés par la polémique quotidienne, les écrivains qui portent le poids de la chaleur et du jour ont à peine le temps de produire quelque chose en dehors de la politique. Pour les jeunes gens, au contraire, le champ est libre. Leurs devanciers travaillent pour eux à doter l’Espagne de l’organisation qui lui manque ; eux n’ont besoin que de respirer l’air et le soleil ; à l’abri des conquêtes nouvelles que chaque jour apporte, ils n’ont qu’à jouir de ce qui coûte tant de peine à d’autres ; ils ont trouvé la pensée affranchie, et ils en profitent pour se livrer sans contrainte à leur inspiration.

Telle est en effet la marche naturelle des choses dans ces temps de régénération nationale. Il n’est pas toujours nécessaire que l’écrivain contribue lui-même au mouvement qui emporte la société. Quand ce mouvement est décidément le plus fort, l’écrivain peut lui être étranger, opposé même, sans qu’il y perde rien de sa puissance et de son succès. Dans la fermentation des idées et des faits, tout se développe à la fois, même les besoins les plus contradictoires, et il vient un moment où des efforts divergens en apparence servent en même temps au progrès commun. Ce moment est venu pour l’Espagne. Zorrilla et ses jeunes amis ne sont pas hostiles à la révolution politique, mais ils pourraient l’être sans inconvénient. Ils se contentent de se tenir à l’écart. La littérature existe désormais par elle-même dans leur patrie ; elle s’est dégagée de son brûlant berceau. L’aliment extérieur lui est toujours nécessaire, mais le rapport devient éloigné et cesse presque d’être visible. À mesure que la société nouvelle se constitue, la division du travail s’établit. Du sein des combats et des discordes, les ames tendent vers les régions inaltérables de la poésie, et la soif de l’idéal est excitée par les querelles prolongées de la réalité. Tout un ordre de sentimens nouveaux, inconnus, naît et aspire à se satisfaire en dehors du monde positif. C’est à ce besoin qu’a répondu Zorrilla ; c’est par là que s’expliquent et sa prompte gloire et sa merveilleuse fécondité. Il est venu à propos et comme à son heure. Il a trouvé un public tout prêt et une carrière poétique toute tracée. Sa vie n’est qu’un chant, et il a peine à suffire à cette voix de tous qui lui demande toujours, toujours, des vers. Sa première apparition a en elle-même quelque chose de fatal qui montre combien il était attendu.

Par une triste soirée du mois de février 1837, un char funèbre cheminait lentement dans les rues de Madrid. Une longue procession de jeunes gens le suivait en silence. Dans le cercueil que supportait ce char étaient les restes de don Mariano Jose de Larra, qui venait de mourir à la fleur de l’âge, frappé de ses propres mains. C’était le premier de cette jeunesse active et généreuse qui s’éteignait au milieu de ses frères désolés ; la couronne posée sur son cercueil était la première que ce temps de rénovation laborieuse décernait au talent. Chacun des assistans s’honorait lui-même en suivant le funèbre triomphe du poète expiré. Quand on fut arrivé au cimetière de la porte de Fuencarral, les amis du mort se pressèrent autour de sa fosse, et l’un d’eux prononça d’une voix pleine de larmes l’éloge de Larra. « En ce moment, raconte un des témoins de cette scène touchante, nos cœurs étaient plus profondément émus qu’il n’est possible de l’exprimer ; ce que nous éprouvions nous élevait dans un autre monde ; ce n’était plus la contemplation profonde de cette mort fatale, la vue de ce cimetière, l’inauguration de cette tombe, la voix éloquente de notre ami ; c’était plus que tout cela, ou plutôt c’était tout cela réuni pour nous jeter dans cet état d’inexplicable magnétisme, où un même sentiment saisissant toutes les ames à la fois, il semble qu’on s’aide mutuellement à se soutenir dans les nuées. » Tout à coup, du milieu de la foule, et comme s’il s’était élancé du sépulcre même, sortit un jeune homme, un enfant, inconnu de presque tous, qui, levant vers le ciel un regard inspiré, prononça les vers dont voici la traduction :

« Cette vague clameur qui déchire le vent — est la voix funéraire d’une cloche, — vaine et dernière plainte — sur un cadavre livide et décharné, — qui dans l’immonde poussière dormira demain.

« Il acheva sa mission sur la terre, — et laissa là son existence épuisée, — comme la vierge perdue au plaisir — suspend à l’autel ses voiles profanes.

« Il vit devant lui l’avenir vide, — vide déjà de rêves et de gloire, — et se livra à ce sommeil sans souvenir, — qui nous mène à nous réveiller dans un autre monde.

« C’était une fleur que fana le soleil ; — c’était une fontaine que tarit l’été ; — déjà on n’entend plus le murmure de la source, — déjà est brûlée la tige de la fleur ; — mais le parfum se sent encore, — et cette verte couleur de la plaine, — ce manteau d’herbe et de fraîcheur, — sont fils du ruisseau créateur.

« Car le poète en sa mission, — sur la terre qu’il habite, — est une plante maudite — qui porte des fruits de bénédiction.

« Dors en paix dans la tombe solitaire, — et qu’il n’arrive à ton ouïe éteinte — que la triste et funèbre prière — qu’un autre poète chantera pour toi. — Ces vers seront une offrande d’amitié — plus douce, certes, que la parole d’un homme, — pure comme la larme d’un enfant, — souvenir du poète que j’ai perdu !

« S’il existe un ciel lointain, — demeure des poètes, — et qu’il ne reste à la terre — que cette image glacée — de pourriture et de corruption, — c’est un digne présent en vérité — qu’on fait à la vie amère, — que d’abandonner son désert, — en lui laissant pour adieu la hideuse dépouille d’un mort !

« Si dans le non-être — il reste un souvenir d’hier, — et une vie comme ici, — derrière le firmament — consacre-moi une pensée, — poète, comme celle que je garde de toi. »

Ces vers n’étaient pas un chef-d’œuvre, mais ils contenaient l’expression d’un sentiment naturel et vrai. L’auteur ne put pas les lire jusqu’au bout, tant il était oppressé par sa douleur ; il fallut qu’un des assistans achevât pour lui cette pénible lecture. Chaque mot éveillait un écho dans le cœur des assistans ; chaque plainte répondait à une plainte, chaque espérance à un espoir. Le succès devait être universel et profond ; il le fut. « Notre enthousiasme, dit le témoin que nous avons déjà cité, fut égal à notre douleur. Dès que nous sûmes le nom de l’heureux mortel qui nous avait fait entendre une si céleste harmonie, nous saluâmes le nouveau barde avec l’admiration religieuse dont nous étions tous pénétrés ; nous bénîmes la Providence qui si visiblement avait fait apparaître un poète sur la tombe d’un autre, et les mêmes qui avaient conduit la pompe funèbre de Larra jusqu’à la demeure des morts rentrèrent dans le monde des vivans en proclamant avec transport le nom de Zorrilla. Zorrilla avait alors vingt ans à peine. Depuis, le souvenir de cette poétique origine l’a toujours accompagné et lui a servi d’auréole. La jeune société littéraire de Madrid aime à voir en lui comme une résurrection de son cher Larra. Le génie espagnol est oriental et fataliste ; il croit à la prédestination, et ce n’est pas pour lui un faible titre que cette circonstance extraordinaire. Dans d’autres temps, une légende en serait née, on aurait vu le génie de Larra s’échapper de sa tombe sous la forme de quelque oiseau harmonieux et se poser sur son jeune successeur.

Quelques mois après cet incident, parut le premier recueil de poésies de Zorrilla, accueilli avec acclamation par le monde, peu nombreux encore, mais enthousiaste, qui s’occupe de littérature à Madrid. Il contient environ une trentaine de pièces dans le genre lyrique, et ce que l’auteur appelle un Caprice dramatique en deux actes. Pour un Français qui l’ouvre et le parcourt avec distraction, comme nous faisons aujourd’hui, hélas ! de tous les recueils de poésies, ce volume n’offre que des imitations de Lamartine ou de Victor Hugo. On y retrouve les procédés lyriques, les coupes de strophes, les idées, les images, et jusqu’aux titres et aux sujets qu’affectionnait la dernière école poétique française. L’Horloge, la Lune de janvier, À Venise, Orientale, Méditation, le Soir d’automne, la Nuit d’hiver, Indécision, le Dernier jour, Elvire ! ne croirait-on pas lire la table de quelqu’un de ces recueils élégans et satinés qui naissent et meurent par milliers tous les ans chez les éditeurs de Paris ? Il y a pourtant une différence immense entre Zorrilla et nos jeunes poètes élégiaques français. Cette différence c’est le succès. Peu de personnes répètent chez nous ces vers qui s’échappent avec abondance de tant de sources, malgré le talent réel qui brille dans la plupart ; la fraîcheur et la limpidité de ces ondes ignorées disparaissent pour nous dans la monotonie de leur murmure. En Espagne, au contraire, tout le monde lettré sait par cœur de longs fragmens de Zorrilla. Dans les bivouacs de la guerre civile comme dans les salons de Madrid, ses premières poésies retentirent comme un chant divin, et de toutes parts on les entendit redire ave délices.

D’où vient ce contraste dans les destinées, quand les œuvres sont si pareilles ? Apparemment de la disposition différente du public français et du public espagnol. En France aussi, nous avons admiré avec transport les harmonieux accens de la muse rêveuse, mais voilà bien près de vingt ans que nous sommes bercés par leur douce et uniforme cantilène. Nous aussi, nous avons été éblouis des richesses descriptives que le poète des Orientales jette à pleines mains, mais voilà bien long-temps aussi que nous avons entendu pour la première fois la cascade de ses rimes sonores. Les Espagnols sont moins blasés que nous. Zorrilla a été à la fois pour eux Lamartine et Victor Hugo. Comme le premier, il a eu le vague des sentimens, l’agitation du doute, la tristesse de l’urne ; comme le second, il a eu l’éclat, l’élan, la verve, l’ivresse des beaux mots et des somptueuses images. Spiritualiste et matérialiste à la fois, croyant et sceptique, lyrique et élégiaque tour à tour, il a rassemblé en lui tous les contrastes et exprimé toutes les contradictions d’une société fortement tiraillée. Cette maladie de la mélancolie poétique qui est née en Angleterre sous les auspices de lord Byron et des lakistes, et qui s’est répandue en France pendant la restauration, est arrivée jusqu’en Espagne avec le gouvernement représentatif. Ce peuple si plastique, si positif, si tranché, s’est laissé gagner un moment par le vague, l’incertitude et l’ennui, et c’est à ce moment précis que Zorrilla est venu. D’autres avaient essayé, avant lui, de rendre ces sentimens si nouveaux en Espagne, mais leurs œuvres imparfaites n’avaient obtenu qu’une attention distraite et éphémère. Lui seul a saisi fortement le public ; lui seul a trouvé les accens nouveaux qui répondaient directement à l’état des ames.

En 1837, 1838 et 1839, il a publié chaque année deux volumes de poésies, et il y a prodigué avec une verve intarissable tous les trésors du genre. La langue espagnole, naturellement si pompeuse, prête plus qu’une autre aux développemens, aux énumérations, aux amplifications poétiques, procédés habituels de la muse un peu verbeuse du XIXe siècle. C’est un luxe de mots, une profusion de rimes, une opulence de descriptions, une variété de mélodies qui étonnent. Zorilla chante les ruines, l’orgie, la nuit, l’orage, la solitude, la prière, le doute, l’amour, et ce qui revient toujours dans ses vers, c’est la vanité de la vie, du plaisir et de la gloire, soit que, peignant ces tourmens d’esprit qui poursuivent de nos jours le riche dans ses fêtes comme le pauvre dans ses douleurs, il s’écrie :

Les uns meurent dans l’ivresse,
Les autres meurent de faim,
Tous se maudissent eux-mêmes,
Car ils sont tous malheureux.

Unos cayeron beodos,
Otros de hambre cayeron,
Y todos se maldijeron,
Que eran infelices todos.

soit que, s’adressant à une tourterelle, il se plaigne avec amertume de l’inutilité de ses propres chants, qui se perdent avec tout le reste dans l’impuissance universelle :

Dis, que nous servent,
Ô triste oiseau,
À toi tes plaintes,
Mes chants à moi ?


Dime, que nos valen,
Pajaro infeliz,
A ti tus lamentos,
Mis cantos a mi ?

On dira sans doute que cette poésie n’est pas originale, et on aura raison en prenant le mot originalité dans le sens étroit qu’on lui donne généralement aujourd’hui. La poésie de Zorrilla n’est pas plus originale en Espagne que le mouvement politique qui agite ce pays depuis cinquante ans ; comme ce mouvement lui-même, elle est venue de l’étranger. Mais est-ce là un motif pour la condamner sans l’entendre, et connaît-on beaucoup de littératures au monde qui soient à l’abri de ce reproche ? Le mouvement littéraire français de la restauration n’était pas plus original dans son temps que le mouvement littéraire espagnol ne l’est aujourd’hui ; l’imitation de l’étranger était aussi sensible dans l’un que dans l’autre. Nos écrivains modernes ont imité lord Byron, Walter Scott, Goethe, Schiller, et avec eux les grands poètes passés qui leur avaient à leur tour servi de modèles, Shakspeare, Dante et Calderon. En sommes-nous moins fiers de ce que cette imitation a produit chez nous ? et après avoir imité nous-mêmes, devons-nous nous montrer si dédaigneux pour qui nous imite ? Notre histoire littéraire tout entière n’est-elle pas une série d’imitations ? Le grand Corneille n’a-t-il pas traduit de l’espagnol la moitié de ses vers, et emprunté de l’antique la plus grande partie de l’autre moitié ? Racine n’est-il pas presque tout entier dans Euripide et dans la Bible ? Molière ne prenait-il pas partout où il le trouvait ce qu’il appelait son bien par plaisanterie, et qui n’était en réalité que le bien d’autrui ? Hors de France, dans l’antiquité comme dans les temps modernes, ne voit-on pas toutes les poésies s’inspirer les unes des autres ? Virgile n’est-il pas le copiste d’Homère ? Shakspeare n’emprunte-t-il pas ses plus beaux sujets aux conteurs italiens ? et Dante lui-même est-il autre chose qu’un résumé des légendes qui avaient cours de son temps dans tout le monde catholique ?

L’imitation est la mère des arts. Il est rare, et peut-être sans exemple, que le génie d’un homme ou d’un peuple ait été absolument spontané. C’est toujours du rapprochement de deux intelligences ou de deux civilisations que jaillit l’étincelle créatrice. Si l’Espagne actuelle s’inspire de la France, l’Espagne du XVIe siècle s’est inspirée de l’Italie du XVe. L’Italie elle-même n’a été, au moyen-âge, la reine des lettres et des arts, que parce que le souffle antique y était resté plus puissant qu’ailleurs, et ce qui a donné le dernier essor à la grande époque de la renaissance, c’est la fuite des Grecs en Europe devant les conquêtes de Mahomet II. Les poésies qui nous paraissent originales sont celles dont la filiation nous est inconnue. Depuis qu’on y regarde de plus près, on voit que les romances espagnols ont une origine plus complexe, un développement plus savant et moins naïf qu’on n’avait cru d’abord. Qui peut savoir quels ruisseaux cachés, les uns venus d’Orient, les autres d’Occident, se sont réunis pour former ce beau fleuve d’Homère ? Qui peut dire quelle est la part de l’antique Égypte, quelle est celle de l’Arabie et peut-être de l’Inde, dans les traditions poétiques de la Judée ? Mais à coup sûr ce qui nous paraît simple ne l’est pas. L’œil attentif devine des soudures dans ce qui semblait fondu d’un seul jet ; seulement, la trace des combinaisons successives s’est perdue dans les ombres de ces temps obscurs, et il faut aujourd’hui la patience sagace de l’antiquaire pour démêler ce que les siècles ont confondu : recherches curieuses qui forcent l’unité factice à laisser voir sa multiplicité réelle, et qui nous montrent l’art et le calcul où nous n’avions cru trouver que l’instinct !

Nous voilà bien loin de l’Espagne actuelle et de Zorrilla, qui n’a certes rien de commun avec la Bible et avec Homère ; mais il faudrait bien tâcher de s’entendre une bonne fois sur ce goût exclusif pour l’originalité, qui est devenu si fort à la mode. Si l’originalité, c’est la nouveauté, la manière de l’apprécier dépend du point de vue. Zorrilla n’est point original pour nous, j’en conviens, mais il est original pour les Espagnols, ce qui lui importe probablement beaucoup plus. Ce que nous blâmons en lui est précisément ce que ses compatriotes approuvent ; et ses compatriotes ont-ils tort de le juger ainsi ? Qui peut l’affirmer ? Ils savent mieux que personne apparemment ce qui est usé pour eux et ce qui ne l’est pas. De même, si l’originalité, c’est la nationalité, nul ne sait mieux que les nationaux si un poète est national ou non. Il y a deux manières d’être national, ou en se montrant conforme à un type idéal et distinct qui n’a eu, le plus souvent, de vérité que dans le passé, ou en répondant aux besoins actuels et immédiats, à la situation présente et réelle de son pays. Dans le premier cas, on est national pour les étrangers ; dans le second, on est national pour ses compatriotes. Si Zorrilla était resté fidèle aux anciens erremens de la littérature espagnole, c’est-à-dire d’une littérature qui ne répond ni aux mœurs, ni aux idées de l’Espagne actuelle, il aurait pu passer en France pour très original, très national, très espagnol ; mais en même temps personne ne l’aurait lu en Espagne ; et il n’y jouirait pas de la popularité qu’il s’est rapidement acquise, C’est l’imitation de ce passé éteint qui aurait été un véritable pastiche, sans originalité, sans vie, sans vérité, et qui aurait mérité la plupart des reproches qu’on fera sans doute au poète.

Il y a une sorte de puérilité à s’attacher tant aujourd’hui à la couleur locale en littérature. Plus que jamais, l’échange dont nous avons parlé s’établit entre les peuples ; ce qui était autrefois accidentel est aujourd’hui constant. Les différences nationales vont en s’affaiblissant, et il se forme peu à peu une société commune de toutes les nations civilisées. C’est là le mouvement inévitable, irrésistible, de la civilisation moderne. Or la conséquence inévitable aussi de ce rapprochement des peuples, n’est-ce pas le rapprochement des littératures ? Que ce soit un bien ou un mal, c’est un fait, et il serait insensé de vouloir le détruire : Pourquoi donc estimer uniquement ce qui est destiné à disparaître ? Nous entrons dans une saison générale de l’humanité ; nous devons trouver naturel que tout se généralise de plus en plus, les sentimens aussi bien que les lois, et les idées aussi bien que les faits. L’Espagne était restée long-temps séparée de l’Europe ; elle aspire aujourd’hui à presser le pas et à rejoindre ses sœurs plus avancées. Ce que nous avons éprouvé, elle doit l’éprouver à son tour ; ce que nous avons dit, elle doit le redire, car elle est dans la même voie que nous. Quand même autre chose nous plairait mieux, nous ne devons pas lui demander autre chose. Ce n’est pas pour nous qu’elle travaille, c’est pour elle. Elle voudrait d’ailleurs se faire une autre voix et une autre figure qu’elle ne le pourrait pas. Elle est entraînée comme le monde entier dans une impulsion qui ne dépend pas de sa volonté ; il faut de toute nécessité qu’elle se transforme pour entrer dans la communion universelle, et il est heureux qu’il en soit ainsi, même au point de vue littéraire. Les anciennes distinctions nationales ont donné de nombreux produits, elles sont bien près d’être épuisées ; il n’y a qu’une refonte générale qui puisse amener de nouvelles combinaisons et de nouvelles formes pour le génie.

Maintenant n’exagérons rien. Quand une fois il est bien admis, bien reconnu, que la tendance nouvelle des peuples doit être avant tout dirigée vers un but général et commun, le rôle légitime des nationalités recommence. Chaque peuple doit tendre vers ce but par les moyens qui lui sont propres et dans les conditions qui lui appartiennent. Il y a dans les différences nationales quelque chose qui subsistera toujours : c’est le climat, le sol, les souvenirs, les traditions, tout ce qui constitue un fait accompli ou une circonstance immuable. Si le mouvement qui rapproche est puissant, le fait qui sépare est indestructible. De là la nécessité d’une harmonie entre les deux forces. La diversité dans l’unité, tel a toujours été, tel doit être encore le monde, mais une autre diversité et une autre unité que par le passé. Dans les anciennes nationalités, le temps fera deux parts, l’une qui n’était qu’accidentelle et qui disparaîtra avec les circonstances sociales dont elle est née, l’autre radicale, essentielle, et qui doit se combiner avec les faits nouveaux pour former les nationalités nouvelles. À ce point de vue, le goût de l’originalité nationale en littérature est parfaitement justifié, mais il faut alors avoir bien soin de ne pas confondre et de ne pas prendre ce qui est bien et dûment mort pour ce qui doit revivre. Dans le passé, le fait principal, c’était la diversité ; dans l’avenir, le fait principal dominant, ce sera l’unité. L’unité de l’avenir n’exclut pas plus la diversité que la diversité du passé n’a exclu l’unité, mais les conditions de l’une et de l’autre sont différentes. Pour le moment, ce qui se fonde est surtout l’unité ; toute forme incompatible avec l’unité est condamnée d’avance, tout effort qui tend à la produire est au contraire à encourager.

Ce n’est pas la première fois qu’un mouvement général de transformation s’opère dans le monde. On peut dire que ce mouvement est en quelque sorte continu depuis le commencement des âges historiques, et qu’il a de temps en temps des momens où il éclate avec plus d’énergie et d’intensité. Nous sommes dans un de ces momens. La fondation de l’empire romain, l’établissement du christianisme, et dans les temps modernes les croisades, la féodalité, la réforme, ont été des mouvemens généraux. Quand le christianisme s’est établi, les partisans exclusifs des originalités nationales auraient regretté, là le paganisme grec, ici le culte oriental du soleil ou celui des idoles sauvages de la Gaule. Il semblait que le christianisme allait établir dans le monde cette uniformité qui répugne tant à beaucoup d’esprits ; certes, si jamais tendance à l’identité fut puissante, ce fut celle-là. Il a vu cependant des variétés infinies sortir de cette apparente uniformité ; le christianisme a porté des fruits bien différens en Italie, en Espagne, en France, en Angleterre, en Allemagne, en Orient. Toutes Les diversités de l’histoire moderne se dessinent sur ce fond commun, et n’en sont pas moins fort distinctes entre elles. Sur certains points, quelque chose du paganisme a survécu et s’est mêlé à l’esprit chrétien ; sur d’autres, l’esprit local a fortement réagi et a produit des associations d’idées inattendues. Ici, le christianisme marche accompagné de l’inquisition ; là, il se prête à toutes les expériences de la réforme ; ici il est monarchique, là il est républicain. Mais il a fallu subir avant tout le baptême commun, et les divergences n’ont été possibles qu’après le triomphe du principe. Il en a été de même de toutes les autres révolutions humaines ; il en sera encore ainsi de ce travail universel qui tend à établir partout dans le monde l’égalité, la liberté, la publicité, le gouvernement représentatif.

Il ne se passe donc rien aujourd’hui qui ne se soit passé dans tous les temps. De tout temps, l’impulsion est partie du point où est née l’idée-mère, et s’est répandue de proche en proche dans le reste de l’univers. Lors de l’établissement du christianisme, le signal a été donné par la Judée ; il a été répété successivement par la Grèce, par Rome, par l’Afrique, et a fini par arriver aux dernières limites de la terre. Pour prendre des exemples moins grands et plus rapprochés de nous, le mouvement de la renaissance a commencé en Italie, et a passé de là en Espagne, en France, dans toute l’Europe. Le mouvement de la réforme a commencé en Saxe, et a pénétré peu à peu dans le reste de l’Allemagne, dans les Pays-Bas, en Angleterre, en France, et jusqu’en Espagne et en Italie, où il a produit des résultats particuliers. Le mouvement actuel est né en Angleterre, a pris, en passant en France, une largeur philosophique qui l’a profondément transformé, et se répandra de là, Dieu aidant, dans tout le monde civilisé. Chacune de ces révolutions a amené avec elle, en se propageant, son expression littéraire. Le XIXe siècle a la sienne, comme ses devanciers ; bonne ou mauvaise, sa physionomie est à lui. Le centre de sa littérature est en France, comme à la fin du XVe siècle le centre littéraire de l’Europe était en Italie, et au commencement du XVIIIe en Espagne. Cette littérature n’est pas complètement française, comme le principe social dont elle émane ; il s’y est mêlé, surtout dans l’origine, beaucoup de formes anglaises, mais maintenant l’esprit français a prévalu, et le reste de l’Europe prend modèle sur nous. Est-ce à tort ou à raison ? Ce serait une nouvelle question à débattre ; cependant ce qui la simplifie d’avance beaucoup, c’est qu’on ne peut pas faire autrement, pour le moment du moins. Lorsque l’esprit nouveau aura triomphé partout, il verra ce qu’il aura à faire ; en attendant, il faut qu’il s’étende.

L’Espagne est, de tous les pays de l’Europe, celui qui nous suit maintenant de plus près. Que le principe qui l’agite se manifeste avec plus ou moins de sympathie pour la France, peu importe ; au fond, il est français, c’est-à-dire qu’il procède directement des idées nouvelles dont la France est en ce moment la plus haute expression. Il n’est donc pas étonnant que la littérature espagnole contemporaine suive la nôtre, et non-seulement ce n’est pas étonnant, mais ce n’est pas regrettable. Elle n’a pas d’autre moyen de se renouveler. Maintenant qu’en nous imitant, elle cherche en même temps à être elle-même, rien de mieux. C’est ce que nous avons fait de notre côté, c’est ce qu’elle fera sans aucun doute, si elle persévère. L’imitation n’est qu’un moyen de provoquer l’esprit national à quitter sa vieille routine et à inventer de nouveaux procédés. En imitant l’Italie de son temps, l’Espagne de Lope et de Calderon a fait certes quelque chose de très nouveau. En imitant à leur tour les écrivains espagnols, les classiques français du siècle de Louis XIV ont fait aussi quelque chose de très particulier. Voyez ce qui se passe en politique : de même qu’en essayant de copier le système politique de l’Angleterre, la France du XIXe siècle a créé un gouvernement qui diffère beaucoup en réalité du gouvernement anglais, et que l’Angleterre essaie à son tour d’imiter, de même l’Espagne, en travaillant à s’assimiler les institutions françaises, est déjà arrivée et arrivera probablement de plus en plus, à en fonder qui lui sont propres. L’unité des principes et des vues n’entraîne pas nécessairement l’identité absolue des formes ; au contraire : tels moyens qui sont bons ici pour atteindre le but commun seraient là-bas détestables, et réciproquement. Ainsi de la littérature ; pourvu que le caractère général soit semblable, les détails peuvent varier à l’infini. Le tout est de trouver le terme moyen qui concilie le caractère national avec le principe de la généralité.

Les Espagnols ont-ils trouvé cette combinaison neuve ? Pas tout-à-fait encore, mais ils la cherchent : c’est déjà beaucoup. De pareilles bonnes fortunes ne se rencontrent pas au premier essai. Il y a quelques années, l’imitation était complète, exclusive ; à mesure que l’Espagne s’est approprié le génie nouveau, elle a tenté de lui donner sa couleur. Des partis littéraires se sont formés en même temps que des partis politiques. La grande querelle du classique et du romantique s’est agitée avec chaleur comme chez nous et cette querelle, qui paraissait absolument la même qu’en France, était au fond très différente, parce qu’on attachait aux mêmes mots des sens différens. Le duc de Rivas, entre autres, s’est mis à la tête d’une école qui avait pour but de donner des formes essentiellement nationales aux idées modernes. Le poème d’el Moro esposito et les Romances historiques du même auteur sont conçus et exécutés dans cet esprit. Cette école n’a pas complètement résolu le problème, mais elle y travaille. Ce qu’il y a de plus piquant, c’est que Zorrilla lui appartient. Ce poète, que des lecteurs français ne trouveraient probablement pas assez original, veut avant tout être Espagnol, et fait ce qu’il peut pour n’être qu’Espagnol. Ses compatriotes le comparent à Calderon, dont il a retrouvé, en effet, la veine féconde, mais à qui il ne ressemble que par la facilité de la versification et les autres qualités extérieures. Dans ses préfaces, il n’exprime qu’un seul sentiment, l’orgueil d’être né dans son beau pays, de parler cette belle langue castillane, de n’avoir d’autres maîtres que les grands esprits de la cour de Philippe III et de Philippe IV. Ce n’est pas sa faute s’il est entraîné par nécessité à être moins Espagnol qu’il ne veut, et il y aurait de l’injustice à lui en faire un tort.

Au commencement de son premier recueil de poésie, aussitôt après l’ode sur la mort de Larra, on trouve une ode à Calderon. Zorrilla s’est mis visiblement l’esprit à la torture pour reproduire, dans cette pièce, la manière du grand poète, et il n’a réussi qu’à faire des vers entortillés, tout pleins de ce que les Espagnols appellent des conceptos et les Italiens des concetti, et beaucoup plus semblables aux jeux d’esprit de Gongora et de son école qu’à la poésie vive, élégante et spirituelle de Calderon. L’auteur charmant de la Maison à deux portes et du Médecin de son honneur tombait sans doute quelquefois dans ces recherches puériles, défauts aimés de son temps, mais ce n’est là qu’un des caractères secondaires et une des taches de son talent. En accumulant les pointes et les antithèses, en comparant à la fois le génie de Calderon à un phénix et à un aigle, et en jouant sur ce bizarre parallèle pendant quarante ou cinquante vers, en louant le poète d’avoir été le premier qui ait créé un monde après Dieu, et en insistant sur cette idée pendant plusieurs strophes, Zorrilla a fait la charge, et non le portrait de son modèle. Croit-on, par exemple, que les vers suivans, tout empreints cependant de la saveur natale, soient de nature à lui faire grand honneur ?

« Ton sépulcre est un autel ; — tu n’y descends pas, tu y montes. — Certes, tu peux être tranquille, — ta gloire a monté jusqu’aux nues, — et de là ne descendra pas. — Si dans les cieux tu n’es pas le soleil, — tu seras la lune, qui est plus belle. — Tu ne peux pas être une étoile, — car, au troisième rang comme elle, — ne peut pas être un Espagnol. »

Tu sepulcro es un altar ;
Y a el no bajas, que subes,
Bien puedes tranquilo estar ;
Tu fama subió a las nubes,
Y de alli no ha de bajar.
Si en ellas tu no eres sol,
Luna serás que es mas bella,
Porque tu no eres estrella,
Que tercero como ella,
No ha de ser un Español.

Voilà pourtant où conduit le désir exagéré de la couleur locale. Heureusement que Zorrilla s’est bien vite aperçu qu’il était mal engagé, et il est revenu sur ses pas de bonne grace. De pareils exemples sont très rares dans ses œuvres ; le plus souvent, il est au contraire remarquable par le naturel. On pourrait presque dire qu’il en a trop. Il cherche à être Espagnol par le choix de ses sujets ; le nom de Tolède, de la vieille ville castillane et catholique, revient souvent, par exemple, dans ses poésies, et toujours avec succès ; il s’attache aussi à donner à tout ce qu’il écrit un caractère religieux très marqué. Son poème sur le jour du jugement dernier, el Dia sin sol (le Jour sans soleil), est un de ses plus beaux ouvrages. Un autre poème pieux, qui a pour titre la Vierge au pied de la croix, est empreint d’une grace et d’une sensibilité touchantes. Mais, même dans ses descriptions de Tolède et dans ses élans de piété catholique, l’homme du XIXe siècle se fait toujours sentir. Sa manière de décrire n’est pas celle des anciens maîtres nationaux ; il parle de la religion autrement que les moines-poètes des autos sacramentales. Son style est tout moderne, et c’est ce qui fait son succès, quoi qu’il en ait. L’antithèse traditionnelle est employée par lui avec goût, avec mesure, et presque toujours avec bonheur, comme dans ce vers sur Rome :

Fille des loups et mère des Nérons.
Hija de lobos, madre de Nerones.

Nous n’avons parlé jusqu’ici que de ses poésies lyriques, et il a fait bien autre chose, vraiment. Ses poésies lyriques ont commencé sa réputation ; mais ce qui a fini de donner de l’éclat à son nom, ce sont ses contes ou légendes en vers et ses pièces de théâtre. Dans ces deux genres, nous le trouverons un peu plus national, sans qu’il cesse d’être conforme au goût actuel.

Ses romances, contes, légendes ou traditions, sont déjà au nombre de plus de vingt, dont quelques-uns comptent plusieurs milliers de vers ; voici les titres des principaux : Pour la Vérité le Temps et pour la Justice Dieu, légende ; la Surprise de Zahara, romance de 1481 ; À bon juge meilleur témoin, tradition de Tolède ; le Dernier roi maure de Grenade, poème ; l’Honneur et la Vie qui se perdent ne se recouvrent pas, mais se vengent, légende ; Souvenirs de Valladolid, tradition ; le Prince et le Roi, romance historique ; les Deux Roses, romance ; le Capitaine Montoya, légende ; la Justice du roi don Pèdre, tradition ; le Sculpteur et le Duc, conte ; la Princesse doña Luz, légende ; un Espagnol et deux Françaises, légende ; Marguerite la tourière, tradition ; la Passionnaire, conte fantastique ; le Talisman, légende traditionnelle. Les premiers de ces poèmes ont paru épars dans les recueils lyriques de Zorrilla ; les derniers ont été publiés par livraisons, en 1841, sous le titre commun, de Chants du Troubadour. Un recueil spécial, imprimé en 1842, sous le titre de Veilles d’été, contient le Talisman et deux autres légendes. Les journaux de Madrid annoncent en outre la prochaine publication d’un nouveau volume.

Ce nom de Chants du Troubadour et les autres titres que nous venons de citer indiquent assez quelle pensée a inspiré les récits poétiques de Zorrilla. C’est une manifestation nouvelle d’un retour aux traditions nationales, et celle-là nous paraît un peu plus heureuse que l’autre. Le nom de troubadour est devenu depuis quelque temps fort à la mode en Espagne ; il n’est pas précisément espagnol, mais peu s’en faut ; c’est un mot emprunté à l’ancienne langue romane, qui a été commune pendant deux siècles au midi de la France et au nord de la Péninsule. Il rappelle le souvenir de la plus antique des littératures modernes, de celle qui naquit au plus fort des ombres du moyen-âge, et qui fut la mère commune des muses d’Espagne et d’Italie. La nuance de ridicule qui s’attache chez nous à ce nom, par suite de l’abus qui en a été fait, n’existe pas de l’autre côté des Pyrénées. Un jeune poète dramatique, M. Garcia Gutierrez, a fait jouer dernièrement un drame intitulé le Troubadour, qui a eu un grand succès littéraire. Enfin la plus récente des sociétés fondées à Madrid pour le développement des lettres et des arts, le Lycée, a voulu témoigner, par un hommage spécial, de son respect pour la littérature romane ; elle a institué des jeux floraux exactement semblables, pour le nom comme pour l’esprit, à ceux qui furent fondés au XIVe siècle à Toulouse par sept troubadours provençaux, et elle distribue, comme eux, dans ces concours poétiques, des fleurs d’argent et d’or. C’est encore de l’imitation, comme on voit ; les Espagnols sont dans une période où ils ne peuvent guère échapper à l’imitation, même quand ils prétendent le plus à faire du neuf. Mais cette imitation nouvelle atteint assez son but, qui est de montrer que l’Espagne moderne, tout en suivant le cours du siècle, a les yeux fixés sur ses origines.

Il en est de même des titres et des sujets de légendes de Zorrilla. Tantôt c’est un proverbe qui sert de titre, et on sait quel goût les anciens poètes espagnols ont eu pour employer ainsi les proverbes ; tantôt c’est le nom de Boabdil qui revient, ou celui du fameux roi don Pèdre, ou la qualification nationale de romance pour toute espèce de récit chevaleresque rimé. Zorrilla a fait plus ; il a voulu que ses poèmes fussent, par la forme du moins ; essentiellement espagnols. Il les a écrits presque tout entiers dans ce fameux vers octosyllabique et assonnant, qui est celui de tous les romances originaux, et qui porte lui-même le nom de romance. On sait qu’on entend par assonnans des distiques dont les vers impairs sont blancs, et dont les pairs assonnent, c’est-à-dire se terminent par les mêmes voyelles, quelles que soient les consonnes. Cette forme de vers ne se trouve qu’en Espagne. On rencontre quelquefois des poèmes entiers écrits sur la même assonnance. Il faut une grande habitude pour saisir cette rime imparfaite ; mais, quand une fois l’oreille est accoutumée à son harmonie, on trouve dans sa faiblesse même et dans sa monotonie un charme particulier, d’autant plus que, le vers étant très court, elle revient souvent. C’est quelque chose de simple et de primitif, comme nos anciens romans monorimes, auxquels d’ailleurs elle a succédé ; on dirait la rime à sa naissance, et ne se rendant pas encore bien compte d’elle-même, une sorte de rime rudimentaire qui ne peut être saisie que par l’organisation fine et délicate d’un peuple méridional. Puis, ce qui distingue encore ce genre de vers, entre tous les autres, c’est la facilité extraordinaire qu’il donne à l’écrivain. Avec une langue riche en voyelles comme l’espagnol, la rime complète est déjà extrêmement facile ; que sera-ce de l’assonnance ? Les vers assonnans couleront sous la plume du poète avec l’abondance intarissable de l’improvisation.

Dans l’impossibilité de donner une idée de toutes les légendes de Zorrilla, nous en prenons une à peu près au hasard. C’est celle qui a pour titre : Marguerite la tourière. Elle remplit un volume entier de la collection, et ne compte guère moins de cinq mille vers. Le sujet n’en paraîtra peut-être ni bien neuf, ni bien piquant, mais il est très cavalièrement et très poétiquement raconté, et le dénouement de la première partie est charmant.

Don Juan de Alarcon, très proche parent de tous les don Juan connus, est le vaurien le plus amoureux et le plus ferrailleur de Palencia et des deux Castilles. Son père, don Gil, l’envoie à l’université de Valladolid ; mais les sérénades, les escalades et les estocades vont bientôt si bon train, que don Juan est forcé de quitter la ville. Le père entre d’abord dans un grand courroux en voyant revenir son fils ; le jeune homme lui raconte si gaiement ses fredaines, que tous deux finissent par en rire. Voilà donc notre étourdi battant encore une fois le pavé de Palencia, sa ville natale, et cherchant de nouvelles aventures. Justement, il se trouve qu’en face de sa maison, est un couvent de religieuses. Un jour qu’il est allé avec son père entendre la messe à l’église du couvent, l’esprit tout plein de pensées coupables et délicieuses, il se sent tout à coup frapper sur l’épaule. « À genoux, cavalier, dit une voix argentine, on élève l’hostie. » L’impie don Juan obéit, mais non sans jeter un coup d’œil sur ce nouveau maître des cérémonies. C’est une jeune religieuse qui rougit, baisse les yeux, et baise la terre avec ferveur. « Ma sœur, dit don Juan, un mot. — Que voulez-vous ? — Êtes-vous l’abbesse ? — Non, je suis la tourière. — J’ai un secret à vous confier. — Un secret ? — Oui, un secret pour la plus grande gloire de Dieu. » Et un rendez-vous est donné pour minuit à la grille de la chapelle.

Marguerite la tourière n’a pas dix-sept ans. Elle ne sait rien du monde qu’elle n’a jamais vu, mais elle a lu en cachette un livre de Quevedo qui est plein de bien jolies choses. Elle s’en souvient lors de son rendez-vous. — Savez-vous, cavalier, qu’il y a dans ce livre une aventure qui ressemble à la nôtre ? — En quoi, ma Philis ? — En ce qu’un jeune homme attend dans la rue ; c’est vous ; une femme vient lui parler, c’est moi ; et… mais à propos, pourquoi m’appelez-vous Philis ? Je ne m’appelle pas Philis, mais Marguerite. — Philis est une bergerette bien gentille, de quinze ans tout au plus, qui a deux yeux noirs brillans comme le soleil, une peau plus blanche que les plumes du cygne, un corps plus svelte qu’un palmier, plus flexible que les joncs parfumés, deux mains plus belles que la nacre et le jasmin, etc., etc. — Bref, don Juan enlève Marguerite, et part avec elle pour Madrid. En passant par Valladolid, il rencontre son ami don Gonzalo, qui les accompagne dans la capitale. Six mois s’écoulent, au milieu des plaisirs. Don Juan commence à se lasser de sa religieuse, don Gonzalo en est devenu amoureux. Dans une orgie chez la nouvelle maîtresse de don Juan, Sirène la danseuse, don Gonzalo demande à son ami de lui céder Marguerite ; — C’est marché fait, dit l’ingrat, mais à condition que vous la remettrez dans son couvent quand elle vous ennuiera. — Comment ? elle est nonne ? J’ai une sœur qui est nonne aussi ; et dans quel couvent l’avez-vous prise ? — Chez les sœurs de Jésus, à Palencia. — Ô ciel ! — Qu’avez-vous donc ? — Marguerite est la sœur de don Gonzalo.

Les deux amis se battent. Don Juan tue Gonzalo, et s’échappe de Madrid avec Marguerite ; puis le misérable abandonne sa maîtresse dans une hôtellerie. La pauvre Marguerite, seule, délaissée de tous, cruellement punie de ses illusions, a recours à la charité publique pour revenir à Palencia. Elle erre quelque temps devant la maison de son séducteur ; mais elle ne voit aucune lumière au balcon, elle n’entend sortir aucune voix aimée. Ce qui lui restait de son amour s’évanouit. Elle se réfugie toute tremblante dans l’église de son couvent. Il est minuit. C’est l’heure de son premier rendez-vous, l’heure aussi de son fatal départ. Elle s’arrête devant une statue de la Vierge ; tous les souvenirs de sa pieuse vie lui reviennent. Cette statue est celle qu’elle aimait à honorer, celle qu’elle parait si souvent de ses plus beaux habits, avec des joies et des larmes d’enfant ; c’est devant elle que, la nuit de sa fuite, elle adressa à la sainte mère de Dieu sa dernière prière. Ce bouquet, c’est elle qui l’a fait ; ce voile, c’est elle qui l’a brodé ; sur cette croix, elle a déposé mille et mille baisers. « Ô Marie, disait-elle, ne m’abandonnez pas ; souvenez-vous de moi. » Ici, il ne suffit plus d’analyser, il faut traduire.

« Le cœur pénétré d’une sainte tristesse, elle soupire pour une vie sans trouble et sans délire. Le calme de sa cellule, le saint murmure de sa prière dans le chœur, la paix de son jardin, le charme consolateur d’une vie passée seule à seule avec Dieu, loin de l’amour et du monde, tous ces souvenirs aimables passent devant elle avec un si doux sourire que, baignée des pleurs de la foi, elle s’écrie : « Hélas ! qui pourrait me rendre à ma vie austère et à un meilleur avenir ? » Alors, du fond d’une nef solitaire, elle voit s’approcher d’un pas tranquille et grave une sainte religieuse ; la lumière que l’inconnue porte devant elle pour la guider ne permet pas à Marguerite de distinguer ses traits. Craignant d’être reconnue, la pauvre fille s’enveloppe si bien dans sa mante, qu’elle ne voit plus qu’à peine la religieuse, mais elle entend ses pas se rapprocher de plus en plus. Enfin elle la sent passer tout auprès d’elle, et, en la regardant, elle s’étonne de ne pas la reconnaître. « Ce sera une novice, dit-elle, qui sera entrée au couvent depuis mon départ. »

« Cependant la religieuse s’approche des autels pour les orner ; Marguerite la suit et trouve dans toute sa personne je ne sais quoi d’étrange qui la fait paraître plus belle à mesure qu’elle la regarde. Autour d’elle, on dirait un air transparent et comme une douce lumière qui se communique aux objets qu’elle a touchés. En peu de temps, les autels qu’elle a visités resplendissent d’un éclat inexplicable, mais si vague et si faible, que le reste de l’église garde sa silencieuse obscurité. Seulement, autour de l’inconnue, la clarté mystérieuse reparaît avec des teintes légères de rose et d’azur. Malgré la distance, le parfum des fleurs qu’elle dépose sur l’autel arrive jusqu’à Marguerite ; ou un songe ineffable enivre ses sens, ou elle entend aussi le bruit lointain d’une musique harmonieuse. Ce concert invisible, cette odeur des fleurs, ces splendeurs suaves, jettent la belle enfant dans une émotion délicieuse ; mais ce sont des impressions paisibles et calmes qui renouvellent insensiblement son être. Elle oublie ses amertumes passées et sent se réveiller dans son sein mille pensées chastes et pures. L’avenir se présente à elle entouré de mille images de bonheur, de solitude et de paix. Sa vie est devenue une extase, un songe lumineux, une ivresse ravissante, un doux anéantissement où rien ne l’oppresse, où elle ne sent rien de profane et de terrestre. Il n’y a plus dans son ame qu’une pensée, qu’un sentiment, l’aspiration d’amour qui l’attire vers cette inconnue ; elle a besoin de la suivre, de la contempler, de lui parler, de lui demander des consolations…

« La religieuse prend enfin la lumière, et, traversant l’église, elle passe près de Marguerite en la touchant de sa robe. Marguerite ne peut résister au charme caché qui l’entraîne ; elle l’arrête par sa manche, mais sans avoir la force de parler. — Que me voulez-vous ? dit la religieuse d’une voix pleine de douceur. — Vous me laissez donc seule ainsi ? répondit Marguerite. — Si vous n’avez pas d’asile dans cette nuit orageuse, venez avec moi dans le cloître. — C’est impossible. — Si vous désirez parler à quelque sœur, veuillez revenir demain. — Oui, je voudrais parler… — À qui ? — À vous. — Qu’avez-vous à me dire ? — Je ne sais ce qui oppresse ma voix… Comment vous nommez-vous ? — Marguerite. — Nous avons toutes deux le même nom. — Vous vous nommez ainsi ? — Oui, madame, et dans un autre temps j’étais… Quel emploi avez-vous ? — Tourière. — Tourière ! Depuis quand ? — Depuis un an. — Un an ! — Il y en a dix que je suis dans ce couvent. — Marguerite écoute avec stupeur sa propre histoire. L’inconnue a son nom et son âge ; comme elle, elle est depuis un an tourière ; comme elle, elle est au cloître depuis dix ans. Que doit-elle penser ? Enfin elle lève les yeux sur le visage de la religieuse et se reconnaît avec frayeur elle-même. Celle qui est devant elle a tous ses traits ; c’est elle-même ou son image qui est restée au couvent.

Marguerite tombe à genoux, sans volonté, sans voix, sans mouvement, le cœur et l’esprit éperdus, aux pieds de la sainte apparition ; elle y reste, le front dans la poussière, jusqu’à ce que l’accent de la voix sacrée permette à son ame purifiée de l’animer de nouveau. Alors, jetant sa mante sur la jeune fille et la couvrant de ses pieux vêtemens, l’apparition lui dit de sa voix céleste : « Tu t’es placée en fuyant sous ma protection ; je ne t’ai pas abandonnée ; vois, ton cierge brûle encore sur mon autel ; j’ai occupé ta place ; pense à moi. » À ces mots le tonnerre éclate, l’éclair rapide brille, et dans l’azur serein s’élève la magnifique vision. La reine des anges fuit vers les cieux, elle sourit encore en fuyant à Marguerite prosternée, et disparaît bientôt dans les lointains infinis de l’air diaphane, laissant après elle un parfum délicieux et une traînée d’impalpable lumière. »

Ici finit la première partie de Marguerite ; la seconde est moins intéressante et contient les dernières aventures de don Juan de Alarcon. On retrouve dans cette première partie quelques-unes des anciennes qualités des conteurs espagnols, la légèreté, la rondeur, le trait, assez bien fondues avec les qualités plus modernes du large développement descriptif. Quant au dénouement, l’auteur dit que c’est une tradition populaire, et nous le croyons aisément au charme naïf qui le distingue. Ce n’est pas, du reste, la première fois que paraît dans les poètes nationaux ce genre de merveilleux qui consiste à mettre une personne en face d’elle-même. Le même prodige se retrouve dans un drame de Calderon, mais avec un effet aussi tragique que celui-ci est gracieux. Un misérable, couvert de crimes et tourmenté par le remords, remarque qu’il est suivi partout par un homme vêtu comme lui et qui ne le quitte pas plus que son ombre. Il s’approche de ce surveillant mystérieux et lui demande brusquement : Qui es-tu ? L’homme répond : Tu mismo (toi-même). Jamais le sombre génie du Nord n’a inventé une plus terrible évocation de la conscience. Zorrilla lui-même a employé encore ce moyen dans une autre de ses légendes ; c’est celle qui a pour titre le capitaine Montoya, et qui n’est autre que la fameuse histoire de don Juan de Maraña. Montoya, sur le point d’enlever une religieuse, voit tout à coup passer devant lui un convoi funèbre ; il demande à l’un des prêtres qui l’on va enterrer : Le capitaine Montoya, répond le moine d’une voix lugubre. Le capitaine terrifié croit avoir mal entendu ; il suit le convoi, entre dans l’église, et demande encore à un prêtre le nom du mort : Le capitaine Montoya, répond le prêtre.

Zorrilla ne s’est pas contenté de ces visions empruntées au vieux génie catholique de son pays. Il a voulu faire encore une excursion dans le genre fantastique proprement dit. Dans la préface de son conte, la Passionnaire, il suppose un dialogue entre sa femme et lui. Sa femme lit les contes fantastiques d’Hoffmann, et lui demande pourquoi il ne s’essaierait pas dans ce genre. Zorrilla répond que le fantastique allemand ne convient pas à l’Espagne, et que le merveilleux espagnol doit être uniquement religieux. Sa femme insiste pourtant, et il cède. Après cette petite mise en scène, il entre en matière. Un jeune noble castillan, don Félix, aime une jeune fille des champs nommée Aurore. Le père du jeune homme envoie son fils en France pour lui faire oublier cet amour, et là don Félix devient amoureux d’une belle châtelaine qu’il épouse. La malheureuse Aurore apprend cette nouvelle, dans son pays, par un voyageur inconnu, et disparaît. Une nuit, les deux époux causent amoureusement dans leur château, situé aux bords de la Garonne. Un orage terrible éclate au dehors ; le matin, don Félix et sa femme sont fort surpris de voir sur leur balcon une fleur qui est venue pendant la nuit et qui semble avoir été déposée par l’orage. C’est une passionnaire ou fleur de la passion. Un rapport intime s’établit entre la fleur magique et le jeune couple. Don Félix et sa femme s’enferment des jours entiers pour la contempler ; elle-même semble se pencher vers eux et déployer ses pétales en leur présence avec un air d’intelligence et de mélancolique sympathie. Enfin, la jeune femme est atteinte d’une maladie mortelle ; au moment de rendre le dernier soupir, elle demande à don Félix de cueillir la passionnaire pour la déposer dans son tombeau. Don Félix obéit, et voit aussitôt Aurore mourante lui sourire une dernière fois parmi les feuilles. Il reste seul entre les cadavres des deux femmes qu’il a aimées.

Ainsi va se manifestant de plus en plus cette duplicité forcée qui caractérise le talent de Zorrilla. Il passe de Calderon à Hoffmann, et ne peut échapper à une imitation qu’en tombant dans une autre. Mais il n’imite pas tout-à-fait Hoffmann, pas plus qu’il n’imite tout-à-fait Calderon. De même que dans Marguerite la vieille crudité espagnole est fort adoucie, de même dans la Passionnaire les imaginations fantastiques du rêveur allemand sont matérialisées de manière à perdre presque tout leur vague. Il n’y a pas si loin de l’un des deux contes à l’autre que Zorrilla lui-même paraît le croire. L’exécution, dans la Passionnaire, est remarquable ; la peinture de l’orage nocturne est surtout fort étrange et fort belle. Quant aux autres histoires de Zorrilla, elles appartiennent aussi à ce genre mélangé qui tient à la fois du goût ancien et du goût moderne. La Princesse doña Luz est une des plus jolies ; c’est un tableau des mœurs gothiques spirituellement tracé. La Surprise de Zahara est à peu de chose près un ancien romance. Dans le Dernier roi de Grenade, le chant de regret des Maures, en quittant leur ville chérie, est plein de poésie et d’éloquence. En somme, ces poèmes sont, à notre avis, ce que Zorrilla a fait de mieux. Toute la variété de son talent y éclate ; et, dans un moment de transition comme celui que traverse aujourd’hui l’Espagne quand rien n’est encore fixé, ni le gouvernement, ni les mœurs, ni les croyances, que peut-on demander de plus au poète que la diversité ? Ne doit-il pas représenter dans ses œuvres les hésitations, les tâtonnemens, les expériences de toute sorte, les emprunts souvent contradictoires, la confusion des souvenirs et des espérances, toute cette marqueterie d’une société qui se décompose et qui aspire à se recomposer autrement ?

Nous aimons moins le théâtre de Zorrilla, non qu’il n’y ait aussi du talent et beaucoup, mais parce qu’il nous semble moins près du but que les contes. Il est vrai qu’on ne peut guère s’en prendre à lui. De toutes les questions littéraires, celle du théâtre est la plus difficile partout, et elle se complique encore en Espagne de difficultés particulières. Le développement littéraire de l’ancienne Espagne a été surtout dramatique. Toute l’Europe a long-temps admiré, à l’exclusion de tout autre, ce magnifique théâtre, dont les productions se comptent par milliers. Vingt auteurs dramatiques, dont le moindre serait célèbre partout ailleurs, ont illustré les deux grands siècles de l’Espagne ; d’autres en foule dorment encore inconnus dans la poudre des bibliothèques. Les trois quarts des pièces qui ont été jouées sur toutes les scènes étrangères sont imitées de celles-là ; dans ce trésor intarissable d’esprit, d’observation, d’intrigue, de passion, de terreur, de verve comique, tout le monde a puisé, à pleines mains. Or, c’est un formidable héritage qu’une telle gloire fondée sur une telle fécondité. Faire autrement que les maîtres, c’est bien hardi ; faire comme eux, c’est impossible. Quand on a de pareils modèles nationaux, il est difficile de les abandonner et plus difficile encore de les suivre. Le genre de leurs œuvres n’est plus en rapport avec le temps présent, il faut du nouveau, et comment oser tenter du nouveau sur une scène encombrée de ces grands noms de Lope, de Calderon, de Moreto ? Le mieux serait peut-être de ne pas écrire d’œuvres dramatiques et d’attendre que la veine épuisée se rouvre d’elle-même ; mais les Espagnols sont toujours passionnés pour le théâtre, ils demandent des pièces à tout prix, et comment laisser le théâtre désert dans la patrie même du théâtre ?

La plupart des auteurs contemporains se tirent d’affaire d’une manière fort simple ; ils traduisent tout bonnement les pièces nouvelles du théâtre français, et ne s’inquiètent pas davantage de la gloire dramatique de leur pays. Zorrilla n’a pas voulu faire comme eux ; son ambition est plus haute et plus nationale. Sa première comédie a paru au mois d’août 1839 ; elle avait déjà été précédée de quelques essais dramatiques publiés dans ses œuvres, entre autres une espèce de caprice dialogué assez brillant, dans le genre de ceux d’Alfred de Musset, et intitulé Folle Vie et plus folle Mort (Vivir loco y morir mas). La comédie qui a été son début au théâtre a pour titre un proverbe : Chacun son droit (Cada cual con su razon), comme la plupart des anciennes comédies espagnoles ; le passage suivant de la préface montrera ce que Zorrilla avait voulu faire en l’écrivant : « L’auteur de cette pièce, dit-il, ne s’est jamais regardé comme un poète dramatique ; mais, indigné de voir notre scène nationale envahie par les monstrueuses productions de l’élégante capitale de la France, il a cherché dans Calderon, dans Lope et dans Tirso de Molina, des aventures et des personnages qui ne rappellent en rien Hernani et Lucrèce Borgia. » Voilà certes un bien bon sentiment pour un Espagnol ; il aurait pu même dire, pour se donner tous ses avantages, que, Hernani étant lui-même une imitation très sensible du théâtre espagnol, il ne ferait, en recourant directement aux sources, qu’éviter un détour au moins inutile. Voyons maintenant si l’idée était aussi bonne littérairement qu’au point de vue patriotique, et si elle a été exécutée avec assez de liberté.

La pièce commence par une querelle entre deux amans. Doña Elvire est la fille du marquis de Velez ; don Pèdre est un jeune cavalier qui ne connaît pas sa naissance. Doña Elvire aime don Pèdre, mais elle a un secret qu’elle ne veut pas lui confier ; elle doit recevoir un homme dans son jardin le soir même, et elle ne peut dire quel est cet homme. Don Pèdre se désespère, doña Elvire pleure, mais sans rien dire de ce qu’elle doit taire. Alors don Pèdre séduit la camériste Inès et se fait cacher derrière une grille. L’inconnu arrive bientôt accompagné d’un confident ; il s’assied sur un banc auprès d’Elvire, et le pauvre don Pèdre entend sa fiancée faire toute sorte de coquetteries à son visiteur nocturne. Tout à coup survient un nouvel inconnu qui entre par une porte secrète, et qui se heurte contre le confident. Comment ! ils sont trois ? s’écrie don Pèdre furieux ; il sort de sa cachette, Elvire s’enfuit, les quatre hommes tirent leurs épées et se battent dans l’ombre. La ronde de nuit survient au bruit, et un alcade arrête les combattans. Sur une des épées qui lui sont remises, l’alcade reconnaît le blason royal. Le premier inconnu, c’est le roi don Philippe IV, qui court les aventures la nuit, comme les rois de Castille du bon temps. À ce nom, tous se découvrent. Le second inconnu veut se sauver, caché dans son manteau. La garde court après lui et le ramène, mais le roi ne veut pas savoir qui il est, et il ordonne de le laisser aller. Quant à don Pèdre, sa jalousie s’accroît quand il voit qu’il a le roi pour rival.

Ce premier acte a bien la vivacité des modèles qu’avait choisis Zorrilla ; c’est bien là la vieille comédie nationale, la comédie de cape et d’épée telle qu’elle est sortie toute vivante des anciennes mœurs espagnoles. Tout y est mystérieux et imprévu, tout y arrive par coups de théâtre successifs et soudains. Le jardin, le balcon, la nuit, le rendez-vous, le duel, le roi, l’alcade, rien n’y manque. Doña Elvire est une de ces jeunes filles résolues et passionnées qui abondent dans l’ancien théâtre ; don Pèdre est le jeune cavalier, brave, galant et jaloux, qui s’y retrouve également partout. Non-seulement les personnages sont identiques et les situations analogues, mais la versification est presque la même. C’est toujours ou l’ancien vers assonnant des romances, devenu encore le vers dramatique, ou plus habituellement le même petit vers de huit syllabes formant ces quatrains appelés en Espagne redondillas, dont le premier vers rime avec le quatrième et le troisième avec le second. L’un et l’autre de ces deux systèmes de vers sont également rapides, faciles, abondans, et donnent au dialogue beaucoup de vie. Sous ce rapport, Zorrilla ne mérite que des éloges ; de plus, quand la situation s’y prête, il se jette comme ses maîtres dans les jeux de versification. Ainsi, quand Elvire attend dans le jardin la visite du roi, elle exprime ses chagrins en stances de grands vers à rimes croisées. Dès qu’elle a fini, don Pèdre caché derrière la grille, débite à son tour un soliloque dans le même nombre de stances et sur les mêmes rimes. Ce duo de bouts rimés ne manque pas de grace ; c’est un des plus heureux emprunts que Zorrilla ait faits au vieux génie poétique de son pays.

Rien n’est charmant, le genre admis, comme ces fusées poétiques qui s’échappent par momens, dans Lope ou Calderon, du milieu du dialogue et s’épanouissent en mille éclairs. Tantôt ce sont des octaves ou des tercets en vers héroïques, tantôt c’est un sonnet finement travaillé et orné de jeux d’esprit comme de pierreries, tantôt ce sont des stances à refrain, comme celles de Sigismond dans la Vie est Songe, que tout Espagnol un peu instruit sait par cœur. Les croisemens de rimes les plus gracieux, les coupes de vers les plus harmoniques, les choix de mots les plus élégans, s’unissent aux plus ingénieuses subtilités de la pensée, aux plus exquises délicatesses du sentiment, aux plus riches broderies de l’imagination. La muse essentiellement lyrique des peuples du Midi se complait à ces éblouissans hors-d’œuvre Quand il s’agit, comme dans notre ancien théâtre français, de peindre le cœur humain dans ses passions ou dans ses faiblesses, il n’y a pas de place pour de semblables écarts : tout doit être simple, calculé pour l’effet général, tout doit marcher au but : mais quand le poète n’a d’autre objet que le divertissement, quand il cherche avant tout l’imprévu, quand il veut uniquement frapper, amuser et séduire, tout ce qui a de l’éclat et de l’entraînement est bien reçu. Il en est de ces élans de verve comme des brillantes cavatines que la musique italienne aime à prodiguer, et qui ne sont, elles aussi, que des ornemens superflus dans le tissu du drame, mais des ornemens plus chéris, plus recherchés que le fond même qu’ils recouvrent. Après tous les emprunts qu’on a faits depuis quelque temps en France aux théâtres étrangers, il est étonnant que cet usage de donner aux monologues une forme lyrique n’ait pas encore été imité chez nous. Cette forme conviendrait cependant beaucoup à M. Victor Hugo, par exemple, grand ami du monologue, comme on sait, et grand poète lyrique en même temps. Les stances du Cid et de Polyeucte auraient dû, ce semble, encourager un poète français à donner de nouveau cet exemple.

Mais revenons à Chacun son droit. Sans entrer dans le détail des deux derniers actes ou journées, car la pièce en a trois seulement, comme autrefois, qu’il nous suffise de dire que tout finit par s’expliquer parfaitement et par amener un dénouement heureux. L’homme resté inconnu à la fin du premier acte, et qui était arrivé si mal à propos dans le jardin, n’est autre que le marquis de Velez, père d’Elvire, récemment échappé d’une prison d’état ; c’est pour obtenir la grace de son père, qu’Elvire souffre les galanteries compromettantes de Philippe IV, et elle finit en effet par enlever cette grace dans une scène un peu scabreuse, mais très bien faite. Au moment où don Pèdre, poussé à bout par la jalousie, provoque de nouveau le roi et se bat avec lui, il apprend qu’il est le fils de celui dont il menace la vie. Le roi le fait duc d’Olmedo, lui donne la toison d’or, et le marie avec Elvire. Règle générale et sans exception, les aventuriers des pièces espagnoles sont toujours fils de rois ou de princes, et deviennent infailliblement ducs au dénouement.

La seconde pièce de Zorrilla est du même genre que la première ; elle est intitulée Loyauté d’une femme, ou Aventures d’une Nuit (Lealtad de una muger, y Aventuras de una Noche). Elle a paru pour la première fois en 1840, c’est-à-dire un an après Chacun son droit. La scène de cette nouvelle comédie se passe dans un village près de Barcelone, la nuit du 12 mai 1461. Le sujet est emprunté au poème de Zorrilla l’Honneur et la Vie qui se perdent ne se recouvrent pas, mais se vengent. Zorrilla a même transporté sans façon de longs fragmens du poème dans le drame ; comme nos romanciers d’à présent, il se pille lui-même. Son personnage principal est une femme. Doña Margarita Tellez a épousé le comte Perez de Peralta. Le comte est très dévoué au roi d’Aragon Jean III ; de son côté, Margarita a conservé une très vive amitié pour le fils du roi, le célèbre prince de Viane, avec qui elle a été élevée. Ce malheureux prince, poursuivi par son père, se réfugie dans le village qu’habite Perez de Peralta, et reçoit l’hospitalité de sa femme, qui le cache dans sa maison. De là une série d’aventures qui se devinent aisément. Doña Margarita n’ose pas dire à son mari quel est l’homme qu’elle cache si soigneusement ; le comte devient jaloux, comme tout mari espagnol de théâtre, et cherche à tuer celui qu’il croit être un galant, tandis que sa femme emploie toute sorte de ruses pour le dérober à sa colère.

Ce drame domestique est compliqué par l’intervention de Jean III, qui cherche son fils pour lui faire un mauvais parti, et par celle des habitans de Barcelone, qui étaient alors en révolte ouverte contre leur roi, suivant l’antique usage de la Catalogne, et qui se répandent dans la campagne pour courir au secours du prince. Les jeux de scène rappellent tous les anciens imbroglios du théâtre espagnol, si bien imités par Beaumarchais dans le Barbier de Séville et surtout dans le Mariage de Figaro. Perez de Peralta ressemble beaucoup au comte Almaviva cherchant toujours le page Chérubin et toujours trompé dans sa recherche. Le rôle favori de l’auteur, c’est celui de Margarita. Comme l’Elvire de Chacun son droit, c’est l’Espagnole race pure, une de ces femmes à la tête droite, au teint animé, à l’œil brillant et fier, qui vivent encore dans les portraits de Velasquez. Il est impossible d’avoir plus d’aplomb et de ressource dans l’intrigue ; elle confond à tout instant son mari par son assurance, et c’est elle qui fait le plus souvent des querelles quand elle devrait en recevoir. Avec une actrice vive, spirituelle, hardie, à la parole rapide et au geste résolu, comme doit être la fameuse comédienne du théâtre de la Cruz, doña Barbara Lamidrid, de pareilles femmes doivent former un type très caractérisé.

Aire recio, gesto crudo,
Alma atroz, sal española.

Air rude, geste cru,
Âme fière, sel espagnol.

Sal española surtout ; c’est le grand mot. Quand on a parlé du sel espagnol, on a tout dit. Le sel espagnol, c’est le regard assassin, le mot piquant détaché en face, le jeu d’éventail, le pied bien chaussé, la petite main nerveuse, le jarret d’acier qui se détend pour danser le bolero où la cachucha :
On comprend là-dessous un million de mots.

Malheureusement, quel que soit l’attrait qu’a pour nous cette couleur locale, on ne peut s’empêcher de reconnaître que tout cela est bien vieux en Espagne. Le sel espagnol ne se retrouvera bientôt plus que dans le peuple, et la comédie de cape et d’épée n’amuse plus personne. Zorrilla n’a pas tardé à s’en apercevoir lui-même, et après ses deux premiers ouvrages, il a changé de direction. S’il est quelque partie de l’art qui ait besoin de suivre de près les changemens de la société et de changer constamment avec elle, c’est à coup sûr le théâtre. La comédie de Calderon se rapporte à des mœurs dont le fond existe sans doute toujours en Espagne, mais dont les formes sont singulièrement modifiées. Où sont aujourd’hui ces jeunes cavaliers qui entraient dans le monde l’épée toujours au vent, la tête et le cœur pleins des belles aventures qui les attendaient dans les guerres de Flandre ou d’Italie ? Où sont ces maris d’une délicatesse si excessive sur le point d’honneur et d’une rudesse de mœurs si farouche, qu’ils donnaient sans balancer la mort à leurs femmes au moindre soupçon d’infidélité ? Où sont ces femmes elles-mêmes que les Espagnols appelaient très femmes, muy mugeres, et qui ne reculaient devant aucun moyen quand leur passion était excitée ? Tous ces types existent encore, si l’on veut, mais très affaiblis et chaque jour qui fuit en emporte quelque chose. Ce que les années ont détruit surtout, c’est la société, cette antique société espagnole si romanesque où tout était hasard, mystère, intrigue, surprise, où la liberté proscrite dans l’état s’était réfugiée dans les habitudes, et donnait aux sentimens une exaltation quelquefois absurde, mais toujours franche et pittoresque.

Il n’est certainement jamais entré dans la tête de Lope ou Calderon de s’adresser aux mœurs de l’époque des rois catholiques, lesquelles étaient pourtant bien moins différentes de celles du règne de Philippe IV que celles-ci ne le sont des mœurs de nos jours. Ces grands hommes adaptaient leur génie au goût de leur siècle, ou plutôt ils étaient leur siècle lui-même personnifié et vivant. Ils avaient été soldats, ils étaient prêtres, ils étaient de plus gentilshommes et courtisans, c’est-à-dire tout ce qu’il fallait être alors pour se trouver en harmonie avec le temps. Pour leur ressembler véritablement aujourd’hui il faudrait résumer en soi le présent comme ils résumaient le passé, c’est-à-dire ne leur ressembler en rien. Quand on jouait sur le théâtre espagnol du XVIIe siècle quelque histoire terrible de justice conjugale comme le Certain pour le Douteux, de Lope de Vega, ou À outrage secret vengeance secrète, de Calderon, ou Après le roi personne, de Rojas, le poète n’avait fait que transporter sur la scène les passions qui vivaient dans la société. Les mœurs sont moins féroces aujourd’hui, Dieu merci ; personne n’est plus si prompt à se faire justice soi-même, et la sympathie du public pour de pareilles œuvres ne peut plus être la même. Le public a horreur aujourd’hui de ce qu’il trouvait sublime dans d’autres temps. Ce qui lui paraissait piquant lui semble fade. Qu’y faire ? Chercher ce qu’il désire et le lui donner, si l’on peut.

Aussi bien tout n’est pas à changer, à réformer, dans l’ancien théâtre. La comédie de cape et d’épée n’était pas la seule forme de ces esprits créateurs ; les catastrophes de la jalousie ne sont pas les seules qu’ils aient mises en scène. Ils ont tous abordé d’autres sujets, et quelques-uns avec une supériorité éclatante. Les drames héroïques et historiques abondent dans leur répertoire. C’est dans ce genre de sujets qu’on peut espérer de faire encore une large moisson. D’ailleurs, si la trop grande parité dans la couleur générale est à éviter, rien n’empêche de s’inspirer des détails, qui sont si admirables et si variés. Nous avons loué Zorrilla de son application à reproduire les mêmes procédés de versification. C’est déjà là un moyen qui peut aider puissamment à conserver au théâtre espagnol son caractère national. Il y en a d’autres. Tel ordre d’incidens qui ne peuvent plus être l’objet principal de l’intérêt peuvent être employés avec art comme d’agréables accessoires. Tel type qui a vieilli comme il est peut, avec de légères modifications, redevenir vrai et amusant. Telle donnée qui a été épuisée, en s’appliquant à une certaine espèce d’évènemens et de personnages, peut être ravivée en servant pour d’autres personnages et des évènemens nouveaux. Enfin ce qui est à faire pour le théâtre, comme pour toute chose, c’est la conciliation du passé et du présent, de la spécialité et de la généralité. Zorrilla a tenté cette œuvre difficile dans les deux pièces qui ont suivi celles dont nous venons de parler, mais, à notre avis, sans beaucoup de succès encore. Ces deux pièces ont un titre commun, le Savetier et le Roi, et un héros commun, le roi don Pèdre le justicier.

On sait quelle est la prédilection des dramaturges espagnols pour ce personnage. Lope de Vega, Calderon, Moreto, le font intervenir à tout moment dans leurs comédies historiques, et toujours avec le même caractère. Par une singularité qui a été souvent remarquée, ce roi, si condamné par l’histoire, est devenu populaire au théâtre. C’est l’idéal du roi de Castille tel que le concevait le génie sévère du moyen-âge, terrible, mais juste, vengeur de l’opprimé, ennemi du coupable puissant, brave jusqu’à la folie, prompt à s’emporter, galant à l’excès, passionné pour les aventures, et surtout sourd à la pitié. On se demande comment un homme si violent et si couvert de meurtres a pu être donné comme le type évident du grand, du royal et du beau. Il en est de don Pèdre comme de don Juan, cet autre favori de l’Espagne. Tous deux sont condamnés par le ciel, mais tous deux excitent profondément l’admiration des hommes. Les idées du bien et du mal n’étaient pas bien nettes pour les Espagnols d’autrefois. Ce qu’ils aimaient avant tout, c’était l’énergie individuelle. On reconnaît dans cette contradiction de sentimens et de croyances le résultat de toute leur histoire politique et religieuse. Il fallait bien que la nation admît le despotisme des rois et des prêtres, mais elle essayait de lui échapper au moins par l’imagination. À la vertu dure et exclusive des cloîtres, elle opposait le vice brillant, insoucieux et aimé de don Juan ; à l’austérité froide et triste de Philippe II et de ses successeurs, la royauté chevaleresque, aventurière et étourdie, mais toujours formidable, de don Pèdre.

La catastrophe qui doit mettre fin aux jours de don Pèdre par la main de son propre frère, achève de donner à ce personnage un caractère sombre et tragique. L’implacable fatalité plane incessamment sur sa tête, et se révèle de temps en temps par des allusions ou des prédictions poétiques. Ainsi, dans la Fille d’Argent (la Niña de Plata), de Lope de Vega, quand l’infant don Henri va consulter un astrologue maure pour savoir s’il est aimé d’une femme, le noir sorcier répond à peine aux questions qui lui sont faites, et, forcé de voir dans l’avenir plus profondément qu’il n’aurait voulu, il ne peut s’empêcher d’annoncer au prince étonné le fratricide qui l’attend. Dans le Médecin de son honneur, de Calderon, ce funeste avertissement prend une forme plus originale et plus mystérieuse. Don Pèdre vient de chasser l’infant de sa présence pour avoir séduit la femme d’un gentilhomme castillan ; le soir venu, on entend de loin dans la rue un musicien inconnu qui chante des vers satiriques sur le départ de don Henri ; don Pèdre veut poursuivre lui-même l’insolent, mais il ne peut l’atteindre, et plus il se perd dans les détours obscurs de la ville, plus on entend la voix répéter son refrain dans l’éloignement. Enfin, dans le Vaillant Justicier, de Moreto, don Pèdre, passant la nuit près d’une chapelle, est arrêté par un fantôme qui s’empare de son poignard ; don Henri passe par hasard un moment après et ramasse le poignard qu’il trouve par terre. Chacune de ces trois scènes ne se lie en rien à l’action du drame où elle se trouve, elles sont là seulement pour rappeler l’inévitable loi du destin. La dernière surtout est d’un effet terrible.

C’est cette figure originale de don Pèdre que Zorrilla a voulu ramener sur la scène de notre siècle, en l’entourant de circonstances aussi nouvelles que possible. Dans les drames de l’ancien théâtre, excepté peut-être le Vaillant Justicier de Moreto, don Pèdre n’intervenait d’ordinaire que comme un personnage épisodique. Zorrilla en a fait au contraire son personnage principal. Dans la première partie du Savetier et le Roi, don Pèdre déjoue, à force d’intrépidité, une conspiration tramée contre lui ; le sujet de la seconde partie, qui s’est appelée aussi la Nuit de Montiel, n’est autre que sa mort tragique. Cette seconde partie a eu un grand succès en Espagne ; elle contient en effet quelques scènes assez vigoureusement tracées. Cependant elle nous paraît encore loin de ce que peut et doit être le nouveau théâtre espagnol, s’il parvient à se constituer. Une grande partie du succès est due peut-être à des circonstances extérieures. La Nuit de Montiel est la représentation de l’un des évènemens les plus populaires de l’histoire nationale ; elle a de plus été jouée dans un temps où l’Espagne était fort irritée contre une prétendue intervention de la France dans ses affaires, et comme les Français commandés par Duguesclin jouent un rôle fort peu honorable dans la pièce, les allusions politiques ont dû être saisies avec empressement. Pour que le succès soit légitime et durable, il doit être obtenu par d’autres moyens. Le Savetier et le Roi est un progrès dans la manière de Zorrilla ; il y montre l’intention louable de marier le procédé dramatique de Shakspeare à celui de Calderon, mais il a encore beaucoup à faire pour en venir à bout.

Nous dirons peu de chose de ses deux dernières pièces, l’Écho du Torrent et les Deux Vice-Rois, jouées en 1842. Toutes deux commencent assez bien, mais elles ne tardent pas à tourner au mélodrame. Le sujet de l’Écho du Torrent est encore emprunté à l’une des légendes de l’auteur, celle qui a pour titre un Espagnol et deux Françaises, et il est beaucoup mieux traité dans le poème que dans le drame. La donnée était pourtant tragique, et pouvait fournir à des développemens fortement colorés ; c’est une esclave moresque qui devient amoureuse de son maître, le comte de Castille, et qui finit par se faire épouser par lui, après l’avoir amené à se défaire de sa femme, qui le trahissait. Avec les mœurs barbares de l’Espagne au Xe siècle, cette esclave passionnée, ce comte jaloux, cette femme coupable, ce mélange de Maures et de chrétiens, de maîtres et d’esclaves, il eût été possible d’arriver à un grand effet de terreur. L’auteur a préféré des intentions fantasmagoriques qui rappellent par trop le goût germanique. Le sujet des Deux Vice-Rois était moins neuf et moins fécond, mais le lieu de la scène était heureusement choisi, et prêtait beaucoup. L’action se passe à Naples, pendant la domination espagnole, et peu après la révolution de Masaniello. L’Italie et l’Espagne se trouvaient alors en contact sur ce point, et du choc des deux peuples mis en présence pouvait sortir une foule de combinaisons scéniques intéressantes. Presque toujours, comme on voit, il y a une pensée première dans les œuvres de Zorrilla ; c’est l’exécution qui est défectueuse. La scène des Deux Vice-Rois n’a de Naples que le nom ; tout ce qu’a produit l’heureux choix du lieu, c’est un chant de pêcheurs napolitains, hors-d’œuvre aussi inutile que facile et banal.

Ce qui a toujours manqué au théâtre espagnol, même dans ses plus beaux temps, c’est le développement des caractères individuels. C’est par là, ce nous semble, que les nouveaux auteurs dramatiques devraient tâcher de se distinguer. Zorrilla l’a essayé timidement, faiblement, en homme qui n’est pas sûr de lui. En même temps que ce don indispensable à un novateur paraît lui manquer, un des côtés les plus essentiels du vieux génie dramatique espagnol lui manque aussi : c’est le comique. La patrie de Cervantès et de Quevedo est la patrie du comique moderne. Dans tout son théâtre, le rire abonde. Aujourd’hui encore, les Espagnols sont en général admirablement organisés pour saisir le ridicule de toute chose. Zorrilla, qui a plusieurs variétés de talent, n’a pas celle-là. C’est avant tout un poète lyrique et descriptif. Il semble donc, sauf expérience ultérieure, qu’il n’est pas né pour le théâtre. Il ne faut pourtant pas se trop presser de décider ; il est bien jeune encore, et le talent dramatique est un de ceux qui exigent le plus de maturité. Personne ne fait mieux que lui à Madrid ; il est au contraire, qui le croirait ? le plus chercheur, le plus oseur des poètes contemporains. Nous qui sommes loin du mouvement, nous ne pouvons pas nous faire une idée des préjugés littéraires qui restent à vaincre à Madrid. Les Espagnols ont à revenir de loin, en littérature comme en politique. Ce qui nous paraît une tentative avortée est pour eux une innovation hardie. Ils saisissent des nuances qui nous échappent, et c’est quand nous les croyons immobiles qu’ils marchent quelquefois le plus vite. Qui d’entre nous peut dire d’ailleurs quelle direction ils prendront en définitive ? Il y aurait donc imprudence à rien présumer et sur l’avenir du théâtre espagnol, et sur celui de Zorrilla en particulier.

Les pièces, en attendant, se multiplient, et les tâtonnemens continuent. Il ne se passe presque pas de semaine où il n’y ait une nouveauté au théâtre de la Cruz ou au théâtre du Principe, sans compter les traductions ; dans ces deux derniers mois seulement, on a joué sept ou huit drames d’auteurs espagnols qui ont eu plus ou moins de succès : Simon Bocanegra, de don Antonio Garcia Gutierrez, est un drame à la fois historique et romanesque dont l’action se passe à Gênes au moyen-âge ; Estaba de Dios (C’était écrit) est une comédie dans le génie de Moratin, par don Manuel Breton de Los Herreros ; Cecilia la cieguecita (Cécile l’aveugle), de don Antonio Gil y Zarate, est un mélodrame sentimental à la manière française ; la Judia de Toledo (la Juive de Tolède), de don Eusebio Asquerino, a pour sujet la tragique histoire de la juive Rachel, maîtresse du roi de Castille Alphonse VIII, déjà mise au théâtre par La Huerta ; la Tête enchantée, ou l’Espagnol à Venise (la Cabeza encantada, o el Español en Venecia), est une comédie dans le genre de Calderon, dont l’auteur n’est rien moins que don Francisco Martinez de Rosa, l’ancien premier ministre de la reine Christine. Enfin, Zorrilla lui-même a fait jouer tout dernièrement deux nouveaux ouvrages dramatiques dans la même soirée ; l’un est une tragédie en un acte intitulée Sofronia, et l’autre un drame également en un acte, le Poignard du Goth (el Punal du Godo). Toutes ces pièces sont en vers.

Voilà une activité qui ne peut manquer de produire tôt ou tard quelques grands résultats ; malheureusement toutes ces œuvres ont un défaut commun, elles ne sont pas assez travaillées. Il faut bien le dire en terminant : c’est là le vice de cette littérature. Elle a le nombre, sans avoir précisément le travail. Sous ce climat si facile, avec cette langue sonore, les vers se font trop aisément ; l’effet manque, et sans effort, on ne crée rien de durable et de profond. Zorrilla et ses rivaux ne soignent pas assez ce qu’ils font ; ils produisent trop. À cela ils peuvent opposer, il est vrai, l’exemple de Lope de Vega, mais Lope de Vega suppléait à l’incubation des idées par une composition bien autrement rapide. Quelle que soit la fécondité de Zorrilla, elle est encore bien inférieure à celle de ce prince des poètes. « Plus de cent de mes pièces, a-t-il dit lui-même, ont été écrites en vingt quatre heures, et n’ont pas mis plus de temps à passer des muses au théâtre. »

Pues mas de ciento eu horas veynte y quatro,
Pasaron de las musas al teatro.

Une activité de création si prodigieuse suppose une imagination perpétuellement allumée. Outre la condition préalable du génie qui est bien aussi à considérer, un tel entraînement peut donner autant et plus de force à l’esprit que la méditation. Le travail le plus persévérant ne sert le plus souvent qu’à provoquer et en quelque sorte à forcer l’inspiration ; chez Lope de Vega, l’inspiration ne cessait jamais, et il ne faut pas entendre par inspiration la facilité d’improviser des vers sans couleur, mais cet état particulier où, toutes les facultés étant surexcitées, le poète trouve spontanément des effets qu’il chercherait en vain dans les froides heures de la vie.

Il est à remarquer que les travaux d’esprit qui exigent de l’application sont généralement négligés par les Espagnols qui aspirent aujourd’hui à régénérer leur pays. L’improvisation a tenu lieu de tout. Aux cortès comme au théâtre, dans les journaux comme dans la poésie, des improvisateurs éminens se sont produits. Il n’y a à aucune tribune de l’Europe des orateurs qui parlent avec plus d’abondance et de richesse que certains orateurs espagnols. Il n’y a, dans la presse de France et d’Angleterre, aucun journaliste qui écrive plus rapidement des articles ou des brochures que les publicistes de ce pays, si nouveau parmi les pays constitutionnels. Mais nous n’avons encore vu paraître ni un historien, ni un économiste, ni un philosophe ni même un critique de quelque renom. Tout ce qui s’écrit appartient à la littérature proprement dite ou à la polémique politique. C’est là une lacune qu’il faudra combler, pour que le mouvement intellectuel espagnol tienne tout ce qu’il promet et fournisse enfin des élémens complètement nouveaux à la littérature universelle. Si les poètes et les orateurs sont les voix d’une époque, ce sont les œuvres sérieuses qui élaborent les idées et qui préparent des sujets à la poésie et à l’éloquence. L’esprit sert à tout et ne suffit à rien, a-t-on déjà dit ; les Espagnols ont infiniment d’esprit, et ils usent de leur esprit comme des prodigues, sans compter ; mais, quelque brillantes que soient les facultés naturelles, elles ne sont pas tout ; il faut encore, pour leur faire produire de bons fruits, les féconder par l’étude et par la réflexion.


Léonce de Lavergne.