MORALE A EUDÈME


LIVRE II.

DE LA VERTU.

CHAPITRE PREMIER.

Considérations psychologiques ; idée générale de la vertu ; la vertu est l’œuvre propre de l’âme. Définition dernière du bonheur ; justification de cette définition. — Deux parties distinctes dans l’âme : l’une douée de raison, et l’autre pouvant obéir à la raison. — Distinction analogue des vertus, en vertus intellectuelles et vertus morales. — Définition de la vertu.


§ 1[1]. Après les théories qui précèdent, il faut, je le répète, prendre un autre point de départ pour traiter ce qui va suivre. Les biens de l’homme, quels qu’ils soient, sont ou en dehors de l’âme ou dans l’âme ; et les plus précieux sont les biens de l’âme, division que nous avons établie même dans nos ouvrages Exotériques. Car la sagesse, la vertu et le plaisir sont dans l’âme ; et ce sont là les trois seules choses qui pour tout le monde paraissent être, soit séparément, soit toutes ensemble, le but final de la vie. Or, parmi les éléments de l’âme, les uns sont de simples facultés ou des puissances ; les autres sont des actes et des mouvements. § 2[2]. Admettons d’abord ces principes ; et en ce qui concerne la vertu, reconnaissons qu’elle est la meilleure disposition, faculté ou puissance des choses, dans toutes les occasions où il doit être fait un usage et une œuvre quelconque de ces choses. C’est là un fait qu’on peut vérifier par l’induction ; et cette règle s’étend à tous les cas possibles. Par exemple, on peut parler de la vertu d’un manteau, parce qu’il y a une certaine œuvre, un certain usage de ce manteau ; et la meilleure disposition que ce manteau puisse avoir, est ce qu’on peut appeler sa vertu propre. On en dirait autant d’un navire, d’une maison, et de tout autre objet utile. Par conséquent, on doit pouvoir appliquer ceci à l’âme, puisqu’elle a également son œuvre spéciale. § 3[3]. Remarquons que l’œuvre est d’autant meilleure que la faculté est meilleure ; et que le rapport des facultés, entr’elles et à l’égard les unes des autres, est également le rapport des œuvres qu’elles produisent et qui en sortent. La fin de chacune d’elles, c’est l’œuvre qu’elles ont à produire. § 4[4]. Il s’en suit évidemment que l’œuvre produite vaut mieux que la faculté qui la produit ; car la fin est ce qu’il y a de mieux en tant que fin ; et nous avons admis que la fin est le meilleur et dernier objet en vue duquel se fait tout le reste. Il est donc clair, je le répète, que l’œuvre est au-dessus de la faculté et de la simple aptitude. § 5[5]. Mais le mot œuvre a deux sens qu’il faut bien distinguer. Il y a des choses où l’œuvre produite se sépare et diffère de l’usage qu’on fait de la faculté qui produit cette œuvre. Ainsi, pour l’architecture, la maison qui est l’œuvre, est distincte de la construction qui est l’usage, et l’emploi de l’art ; pour la médecine, la santé ne se confond pas avec le traitement et la médication qui la procurent. Au contraire, pour d’autres choses, l’usage de la faculté est l’œuvre même ; et, par exemple, la vision pour la vue, ou la pure théorie pour la science mathématique.. Par une suite nécessaire, pour les choses où l’usage est l’œuvre, l’usage vaut mieux que la simple faculté.

§ 6[6]. Tous ces principes étant posés comme on vient de le voir, nous disons que l’œuvre est la même, et pour la chose, et pour la vertu de cette chose. Mais cette œuvre n’a pas lieu de part et d’autre de la même façon ; et, par exemple, le soulier peut être l’œuvre et de la cordonnerie en général et du cordonnage en particulier. S’il y a tout ensemble et vertu de l’art de la cordonnerie et vertu du bon cordonnier, l’œuvre qui en résulte est un bon soulier. Même observation pour toute autre chose qu’on pourrait citer. § 7[7]. Supposons encore que l’œuvre propre de l’âme soit de faire vivre, et que l’emploi de la vie soit la veille avec toute son activité, puisque le sommeil n’est qu’une sorte d’inaction et de repos. Par suite, comme il faut nécessairement que l’œuvre de l’âme et celle de la vertu de l’âme soient une seule et même œuvre, on doit dire qu’une vie honnête et bonne est l’œuvre spéciale de la vertu. C’est donc là le bien final et complet que nous cherchions, et que nous appelions le bonheur. § 8[8]. Ceci ressort de tous les principes que nous avons établis. Le bonheur, avons-nous dit, est le bien suprême. Mais les fins que l’homme se propose sont toujours dans son âme, comme y sont les plus précieux de ses biens ; et l’âme elle-même n’est que la faculté ou l’acte. Mais comme l’acte est au-dessus de la simple disposition à le faire, que le meilleur acte appartient à la meilleure faculté, et que la vertu est la meilleure de toutes les manières d’être, il s’en suit que l’acte de la vertu est ce qu’il y a de meilleur pour l’âme. § 9[9]. D’autre part, comme le bonheur était à nos yeux le bien suprême, nous pouvons conclure que le bonheur est l’acte d’une âme vertueuse. Mais en outre le bonheur était quelque chose de final et de complet ; et comme la vie peut être complète et incomplète, ainsi que la vertu, qui est ou entière ou partielle, et comme l’acte des choses incomplètes est incomplet, on doit définir le bonheur l’acte d’une vie complète conforme à la complète vertu.

§ 10[10]. Que nous ayons bien analysé la nature du bonheur, et que nous en ayons donné la vraie définition, nous en avons pour gages les opinions que chacun de nous s’en fait. Ne confond-on pas sans cesse réussir, bien agir et bien vivre avec être heureux ? Et chacune de ces expressions n’indique-t-elle pas un usage et un acte de nos facultés, la vie et la pratique de la vie ? La pratique n’implique-t-elle pas toujours l’usage des choses ? Le forgeron, par exemple, fait le mors du cheval ; et c’est le cavalier qui s’en sert. Ce qui prouve encore l’exactitude de notre définition, c’est qu’on ne croit pas qu’il suffise pour être heureux de l’être pendant un jour, ni qu’un enfant puisse être heureux, ni même qu’on le soit pendant toute sa vie. Solon avait bien raison de dire qu’on ne doit pas appeler quelqu’un heureux tant qu’il vit, et qu’il faut attendre la fin de son existence pour juger de son bonheur ; car rien d’incomplet n’est heureux, puisqu’il n’est pas entier. § 11[11]. Remarquez encore les louanges qu’on adresse à la vertu pour les actes qu’elle a inspirés, et les éloges unanimes dont les actes accomplis sont seuls l’objet. Ce sont les vainqueurs que l’on couronne ; ce ne sont pas ceux qui auraient pu vaincre, mais qui n’ont pas vaincu. Ajoutez enfin que c’est d’après les actes qu’on juge le caractère d’un homme. § 12[12]. Mais pourquoi, dira-t-on, n’accorde-t-on pas des louanges et de l’estime au bonheur ? C’est que tout le reste des choses se fait uniquement en vue de lui, soit que ces choses s’y rapportent directement, soit qu’elles en fassent partie. Voilà pourquoi trouver quelqu’un heureux et le louer, ou faire son éloge en l’estimant, sont des choses fort différentes. L’éloge, à proprement dire, s’adresse à chacune des actions particulières de la personne. La louange avec l’estime s’applique à son caractère général. Mais pour déclarer un homme heureux, on ne doit regarder qu’au but et à la fin même de toute sa vie. § 13[13]. Ces considérations éclaircissent une question assez bizarre que parfois on soulève : Pourquoi, dit-on, les bons ne sont-ils pas pendant la moitié de leur existence meilleurs que les méchants, puisque tous les hommes dans le sommeil se ressemblent ? C’est que le sommeil, peut-on répondre, est l’inaction de l’âme et non pas l’acte de l’âme. § 14[14]. Voilà encore pourquoi si l’on considère quelque autre partie de l’âme, et, par exemple, la partie nutritive, la vertu de cette partie n’est pas une partie de la vertu entière de l’âme, pas plus que n’y est contenue la vertu du corps. C’est la partie nutritive qui, durant le sommeil, agit le plus énergiquement, tandis que la sensibilité et l’instinct y sont imparfaits et à peu près éteints. Mais si alors il y a encore quelque mouvement, les rêves mêmes des bons valent mieux que ceux des méchants, à moins de maladie ou de souffrance.

§ 15[15]. Tout ceci nous mène à étudier l’âme ; car la vertu appartient essentiellement, à l’âme et non pas par simple accident. Mais comme c’est la vertu accessible à l’homme que nous voulons connaître, posons d’abord qu’il y a dans l’âme deux parties qui sont douées de raison, bien qu’elles n’en soient pas douées l’une et l’autre de la même manière, l’une étant faite pour commander, l’autre pour obéir à celle-là et sachant naturellement l’écouter. Quant à cette autre partie de l’âme qui peut passer pour irraisonnable à un autre titre, nous la laissons de côté pour le moment § 16[16]. Peu nous importe également de savoir si l’âme est divisible ou si elle est indivisible, tout en ayant des puissances diverses, et les facultés qu’on vient de dire, de même que dans un objet courbe, le convexe et le concave sont tout à fait inséparables, comme le sont aussi dans une surface le droit et le blanc. Cependant le droit ne se confond pas avec le blanc, ou du moins il n’est le blanc que par accident, et il n’est pas la substance d’une même chose. § 17[17]. De même, nous ne nous occuperons pas davantage de telle autre partie de l’âme, s’il y en a une ; et, par exemple, de la partie purement végétative. Les parties que nous avons énumérées sont exclusivement propres à l’âme humaine ; et par suite, les vertus de la partie nutritive et de la partie concupiscible n’appartiennent pas à l’homme véritablement ; car du moment qu’on être est homme, il faut qu’il y ait en lui raison, commandement et action, mais la raison ne commande pas à la raison ; elle ne commande qu’à l’appétit et aux passions. C’est donc une nécessité que l’âme de l’homme ait ces diverses parties. § 18 Et de même que la bonne disposition du corps et sa santé consistent dans les vertus spéciales de chacune de ses parties, de même la vertu de l’âme, en tant qu’elle est la vraie fin de l’homme, consiste dans les vertus de chacune de ses parties différentes.

§ 19[18]. Il y a deux sortes de vertus, l’une morale et l’autre intellectuelle ; car nous ne louons pas seulement les gens parce qu’ils sont justes ; nous les louons aussi parce qu’ils sont intelligents et sages. Plus haut, nous avons dit que la vertu ou les œuvres qu’elle inspire, sont dignes de louanges ; et si la sagesse et l’intelligence n’agissent pas elles-mêmes, elles provoquent du moins les actes qui viennent d’elles seules. § 20[19]. Or, les vertus intellectuelles sont toujours accompagnées de la raison ; et par conséquent, elles appartiennent à la partie raisonnable de l’âme, laquelle doit commander au reste des facultés, en tant que c’est elle qui est douée de raison. Au contraire, les vertus morales appartiennent à cette autre partie de l’âme qui, sans avoir la raison en partage, est faite par nature pour obéir à la partie qui possède la raison ; car nous ne disons pas en parlant du caractère moral de quelqu’un qu’il est sage ou habile, nous disons qu’il est, par exemple, doux ou hardi. § 21[20]. On le voit donc, ce que nous avons d’abord à faire, c’est d’étudier la vertu morale, de voir ce qu’elle est, et quelles en sont les parties, car c’est là que notre sujet nous conduit, et d’apprendre par quels moyens elle s’acquiert. Notre méthode sera celle qu’on prend toujours, quand on a déjà un sujet précis de recherche, c’est-à-dire qu’en partant de données vraies mais peu claires, nous tâcherons d’arriver à des choses vraies et claires, tout ensemble. § 22[21]. Nous sommes ici à peu près dans le cas de quelqu’un qui dirait que la santé est l’état le meilleur du corps, et qui ajouterait que Coriscus est le plus hâlé de tous les hommes qui sont en ce moment sur la place publique. Il y aurait certainement dans l’une et l’autre de ces assertions quelque chose qui nous échapperait Mais cependant pour savoir précisément ce que sont ces deux idées l’une par rapport à l’autre, il est bon d’en avoir préalablement cette vague notion. § 23[22]. Nous supposerons en premier lieu que le meilleur état est produit par les meilleures choses, et que ce qui peut être fait de mieux pour chaque chose vient toujours de la vertu de cette chose. Ici, par exemple, les travaux et les aliments les meilleurs sont ceux qui produisent le plus parfait état du corps ; et à son tour, le parfait état du corps permet qu’on se livre le plus activement aux travaux de tout genre. § 24[23]. On pourrait ajouter que l’état d’une chose, quel qu’il soit, se produit et se perd par les mêmes objets pris de telle ou telle façon ; et qu’ainsi la santé se produit et se perd selon l’alimentation qu’on prend, selon l’exercice qu’on fait, et selon les moments. Au besoin, l’induction prouverait tout cela bien évidemment. De toutes ces considérations, on pourrait conclure d’abord que la vertu est moralement cette disposition particulière de l’âme qui est produite par les meilleurs mouvements, et qui, d’autre part, inspire les meilleurs actes et les meilleurs sentiments de l’âme humaine. Ainsi, c’est par les mêmes causes, agissant dans un sens ou dans l’autre, que la vertu se produit et qu’elle se perd. § 25[24]. Quant à son usage, elle s’applique aux mêmes choses par lesquelles elle s’accroît et se détruit, et relativement auxquelles elle donne à l’homme la meilleure disposition qu’il puisse avoir. La preuve, c’est que la vertu et le vice se rapportent l’un et l’autre aux plaisirs et aux douleurs ; car les châtiments moraux, qui sont comme des remèdes fournis ici par les contraires, ainsi que tous les autres remèdes, viennent de ces deux contraires qu’on appelle la douleur et le plaisir.


CHAPITRE II.

De la vertu morale : c’est un résultat de l’habitude, dont les êtres animés sont seuls capables. — Des passions ; des facultés qu’elles supposent, et des manières d’être qu’elles causent.


§ 1[25]. Évidemment, la vertu morale se rapporte à tout ce qui peut causer ou plaisir ou douleur. Le moral, ainsi que le mot seul l’indique, vient des mœurs, c’est-à-dire des habitudes ; or, l’habitude se forme peu à peu par suite d’un mouvement qui n’est pas naturel et inné, mais qui se répète fréquemment ; et il en est de même pour les actes que pour le caractère. C’est là un phénomène que nous ne voyons point dans les êtres inanimés ; on aurait beau jeter mille fois une pierre en l’air, elle n’y montera jamais sans la force qui la pousse. § 2[26]. Ainsi, la moralité, le caractère moral de l’âme, relativement à la raison qui doit toujours commander, sera la qualité spéciale de cette partie qui n’est que capable d’obéir à la raison. § 3[27]. Disons donc tout de suite à quelle partie de l’âme se rapporte ce qu’on appelle les mœurs, ou les habitudes. Les mœurs se rapporteront à ces facultés de passions d’après lesquelles on dit des hommes qu’ils sont capables de telles ou telles passions, et à ces états de passions qui font qu’on désigne les gens du nom de ces passions même, selon qu’ils les ressentent ou qu’ils restent impassibles. § 4[28]. On pourrait pousser la division plus loin encore, et l’appliquer, pour chaque cas spécial, aux passions, aux puissances qu’elles supposent, et aux manières d’être qu’elles déterminent. J’appelle passions les sentiments tels que la colère, la peur, la honte, le désir, et toutes ces affections qui ont en général pour conséquences un sentiment de plaisir ou de douleur. § 5[29]. Il n’y a pas là de qualité de l’âme, à proprement parler ; et l’âme y est toute passive. La qualité qui caractérise le sujet, se trouve seulement dans les puissances ou facultés qu’il possède. J’entends par puissances celles qui font dénommer les individus selon qu’ils agissent en éprouvant telles ou telles passions, et qui font qu’on les appelle, par exemple, colères, insensibles, amoureux, modestes, impudents. § 6[30]. Enfin, j’entends par manières d’être morales toutes les causes qui font que ces passions ou sentiments sont conformes à la raison, on y sont contraires, comme le courage, la sagesse, la poltronnerie, la débauche, etc.


CHAPITRE III.

Du rôle des milieux en toutes choses. La vertu morale est un milieu. — Table de quelques vertus et des deux vices extrêmes, Explication de cette table ; analyse de quelques caractères. — Il y a des passions et des vices où il n’y a point à distinguer le plus et le moins, et qui sont blâmables par eux seuls.


§ 1[31]. Ceci posé, il faut se rappeler que, dans tout objet continu et divisible, on peut distinguer trois choses : un excès, un défaut et un milieu. Ces distinctions peuvent être considérées, soit dans leur rapport aux choses elles-mêmes, soit par rapport à nous ; et, par exemple, on pourrait les étudier dans la gymnastique, la médecine, l’architecture, la marine, ou dans tel autre développement de notre activité, qu’il soit scientifique ou non scientifique, qu’il soit suivant les règles de l’art ou contre ces règles. § 2[32]. Le mouvement en effet est un continu ; et l’action n’est qu’un mouvement. En toutes choses, c’est le milieu par rapport à nous qui est ce qu’il y a de mieux ; et c’est lui que nous prescrivent à la fois la science et la raison. Partout, le milieu a cet avantage de produire la meilleure manière d’être ; et l’on peut s’en convaincre à la fois et par l’induction et par le raisonnement. Ainsi, les contraires se détruisent réciproquement ; et les extrêmes sont tout ensemble et opposés entr’eux et opposés au milieu ; car ce milieu est l’un et l’autre des deux extrêmes relativement à chacun d’eux ; et, par exemple, l’égal est plus grand que le plus petit, et plus petit que le plus grand. § 3[33]. Par une conséquence nécessaire, la vertu morale doit consister dans certains milieux et dans une position moyenne. Il reste donc à rechercher quelle moyenne est précisément la vertu, et à quels milieux elle se rapporte. § 4[34]. Pour en mettre des exemples sous les yeux, tirons-les du tableau suivant, où nous pourrons les étudier.

Irascibilité, impassibilité, douceur ;

Témérité, lâcheté, courage ;

Impudence, embarras, modestie ;

Débauche, insensibilité, tempérance ;

Haine, (anonyme), indignation vertueuse ;

Gain, perte, justice ;

Prodigalité, avarice, libéralité ;

Fanfaronnade, dissimulation, véracité ;

Flatterie, hostilité, amitié ;

Complaisance, égoïsme, dignité ;

Mollesse, grossièreté, patience ;

Vanité, bassesse, magnanimité ;

Dépense fastueuse, lésinerie, magnificence ;

Fourberie, niaiserie, prudence.

§ 5[35]. Toutes ces passions, ou des passions analogues, se retrouvent dans les âmes ; et tous les noms qu’on leur donne sont tirés soit de l’excès, soit du défaut que chacune présente. Ainsi, l’homme irascible est celui qui se laisse emporter à la colère plus qu’il ne faut, ou plus vite qu’il ne faut, ou dans plus de cas qu’il ne convient. L’homme impassible est celui qui ne sait pas s’emporter contre qui, quand, et comme il le faut. Le téméraire est celui qui ne craint pas ce qu’il faut craindre, quand il faut et comme il faut. Le lâche est celui qui craint ce qu’il ne faut pas craindre, quand il ne le faut pas, et comme il ne le faut pas. § 6 Et de même pour le débauché, et pour celui dont les désirs dépassent toute mesure, toutes les fois qu’il peut s’y abandonner sans frein ; tandis que l’insensible est celui qui n’a pas même les désirs qu’il est bon d’avoir, et qu’autorise la nature, mais qui ne sent pas plus qu’une pierre. § 7[36]. L’homme de gain est celui qui ne cherche qu’à gagner de quelque façon que ce soit. L’homme qu’on pourrait appeler homme de perte, est celui qui ne sait gagner sur rien, ou qui du moins ne fait que les gains les plus rares. Le fanfaron est celui qui se vante d’avoir plus qu’il n’a ; le dissimulé est celui qui feint, au contraire, d’avoir moins qu’il ne possède. § 8 Le flatteur est celui qui loue les gens plus qu’ils ne le méritent ; l’homme hostile est celui qui les loue moins qu’il ne faut. La complaisance recherche avec trop de soin le plaisir d’autrui ; et l’égoïsme consiste à ne le chercher que fort peu et avec peine, § 9 Celui qui ne sait jamais supporter la douleur, même quand il serait mieux de la supporter, est un homme mou. Celui qui supporte toutes les souffrances sans distinction, n’a pas précisément de nom spécial, mais par métaphore on peut l’appeler un homme dur, grossier, et fait pour endurer la misère et le mal. § 10 Le vaniteux est celui qui prétend plus qu’il ne mérite ; l’homme au cœur bas est celui qui s’attribue moins qu’il ne lui revient, le prodigue est celui qui est excessif dans toute espèce de dépenses ; le ladre sans libéralité est celui qui, par un défaut opposé, ne sait en faire aucune. § 11 Cette observation s’applique encore à ceux qu’on appelle des avares et des fastueux. Celui-ci va fort au-delà du convenable ; et l’autre reste fort en deçà. Le fourbe est celui qui cherche toujours à gagner plus qu’il ne doit ; le niais est celui qui ne sait pas même gagner là où il doit gagner légitimement. § 12 L’envieux est celui qui s’afflige des prospérités d’autrui plus souvent qu’il ne faut ; car on a beau être digne de son bonheur, ce bonheur même excite la douleur des envieux. Le caractère contraire à celui-là n’a pas reçu de nom particulier ; mais c’est de tomber dans cet autre excès de ne jamais s’affliger même de la prospérité des gens qui sont indignes de leurs succès, et de se montrer facile en ceci, comme les gourmands le sont en fait de nourriture. L’autre caractère extrême est implacable à cause de la haine qui le dévore.

§ 13[37]. Du reste, il serait bien inutile de définir ainsi chacun des caractères, et de démontrer que ces traits ne sont point en eux accidentels ; car aucune science ni théorique, ni pratique, ne dit ni ne fait rien d’analogue pour compléter ses définitions ; et l’on ne prend jamais ces précautions que contre le charlatanisme logique des discussions. § 14[38]. Nous nous bornerons donc à ce que nous venons de dire ; et nous donnerons des explications plus détaillées et plus précises, lorsque nous parlerons des manières d’être morales opposées les unes aux autres. Quant aux espèces diverses de toutes ces passions, elles tirent leurs noms des différences que présentent ces passions mêmes, par l’excès ou de durée, ou d’intensité ou de tel autre des éléments qui constituent les passions. § 15[39]. Je m’explique. On appelle irascible celui qui éprouve le sentiment de la colère plus vite qu’il ne faut ; on appelle dur et cruel celui qui le porte trop loin ; rancunier, celui qui aime à garder sa bile ; violent et injurieux, celui qui va jusqu’aux sévices que la colère amène. § 16 On dira des gens qu’ils sont gourmands, ou gloutons, ou ivrognes, lorsqu’en toute espèce de jouissances provoquées par les aliments, ils se laissent emporter à de grossiers appétits que réprouve la raison.

§ 17[40]. Il ne faut pas oublier de remarquer aussi que certaines dénominations de vices ne viennent pas de ce qu’on prend les choses de telle ou telle manière, ni de ce qu’on les prend avec plus d’emportement qu’il ne convient. Ainsi, l’on n’est pas adultère parce qu’on fréquente plus qu’il ne faut les femmes mariées ; et ce n’est pas en ce sens qu’on entend l’adultère. Mais l’adultère lui-même est une perversité ; et il suffit d’un seul acte pour qu’on puisse flétrir de ce nom et la passion qui mène à ce crime et le caractère de celui qui s’y livre.

§ 18 Remarque analogue pour l’insolence, qui pousse à l’outrage. Mais on trouve, même dans cette circonstance, des motifs de disculper, et l’on dit que l’on a cohabité avec la femme, au lieu de dire qu’on a commis un adultère ; on dit qu’on ne savait pas qui était la femme qu’on aimait, ou qu’on a été forcé de faire ce qu’on a fait. On allègue de même pour l’insolence, qu’on a bien pu frapper quelqu’un, mais qu’on ne l’a pas outragé ; et l’on trouve des excuses analogues pour toutes les autres fautes qu’on peut commettre.


CHAPITRE IV.

Des deux parties de l’âme, et de la division correspondante des vertus, en vertus intellectuelles et vertus morales. — La vie morale tout entière consiste dans les plaisirs et les peines que l’homme éprouve, et dans le choix qu’il sait faire des uns et des autres.


§ 1[41]. Après toutes ces considérations, il faut dire que l’âme ayant deux parties différentes, les vertus aussi se divisent selon qu’elles appartiennent à ces deux parties distinctes. Les vertus de la partie qui possède la raison sont les vertus intellectuelles ; leur objet, c’est la vérité ; et elles s’occupent, soit de la nature des choses, soit de leur production. Les autres vertus sont propres à la partie de l’âme qui est irrationnelle, et qui n’a que l’instinct en partage ; car toutes les parties de l’âme ne possèdent pas l’instinct, bien que l’âme soit divisée. § 2[42]. Nécessairement, on le sait, le caractère moral est mauvais ou bon, selon qu’on recherche ou qu’on fuit certains plaisirs ou certaines peines. Cela même ressort évidemment des divisions que nous avons établies entre les passions, les facultés, et les manières d’être morales. Les facultés et les manières d’être se rapportent aux passions ; et les passions elles-mêmes ne sont définies et déterminées que par le plaisir et la douleur, § 3[43]. Il résulte de là, et des principes antérieurement posés, que toute vertu morale est relative aux peines et aux plaisirs que l’homme éprouve ; car le plaisir ne peut jamais s’adresser qu’aux choses qui rendent naturellement l’âme humaine pire ou meilleure ; et il ne se trouve qu’en elles. § 4[44]. Les hommes ne sont appelés vicieux qu’à cause de leurs jouissances et de leurs douleurs, parce qu’ils poursuivent et fuient les unes et les autres autrement qu’il ne faut, ou bien celles qu’il ne faut pas. § 5[45]. Aussi, tout le monde convient aisément que les vertus consistent dans une certaine apathie, un certain calme à l’égard des plaisirs et des peines, et que les vices consistent dans des dispositions toutes contraires.


CHAPITRE V.

De la vertu morale. Elle est toujours un milieu, qui est tantôt dans le plaisir, tantôt dans la douleur. Difficulté de bien reconnaître l’excès et le défaut d’après lequel on doit caractériser le vice contraire a la vertu.


§ 1[46]. Après avoir reconnu que la vertu est en nous cette manière d’être morale qui nous fait agir le mieux possible, et qui nous dispose le plus complètement à bien faire ; après avoir reconnu que le bien suprême dans la vie est ce qui est conforme à la droite raison, c’est-à-dire ce qui tient le juste milieu entre l’excès et le défaut relativement à nous, il faut nécessairement reconnaître aussi que la vertu morale, pour chaque individu en particulier, est un certain milieu, ou un ensemble de certains milieux, en ce qui concerne ses plaisirs et ses peines, ou les choses agréables et douloureuses qu’il peut ressentir. § 2[47]. Parfois, le milieu ne sera que dans les plaisirs où se trouvent aussi l’excès et le défaut ; quelquefois, il ne sera que dans les peines ; et quelquefois, dans les deux ensemble. L’homme qui a un excès de joie, a par cela même un excès de plaisir ; et celui qui a un excès de peine, pèche par un excès contraire. Ces excès d’ailleurs peuvent être ou absolus, ou relatifs à une certaine limite qu’ils ne devraient pas franchir ; et c’est, par exemple, quand on éprouve ces sentiments autrement que tout le monde, tandis que l’homme bien organisé est celui qui sent les choses comme il faut les sentir. § 3[48]. D’autre part, comme il y a un certain état moral, qui fait que ceux qui sont en cet état, peuvent être pour une seule et même chose ou dans l’excès ou dans le défaut, il y a nécessité, ces extrêmes étant contraires, et l’un à l’autre réciproquement, et au milieu qui les sépare, que ces états soient également contraires entr’eux et contraires à la vertu. § 4[49]. Il arrive cependant, tantôt que les oppositions extrêmes sont toutes deux très-évidentes, et tantôt que c’est l’opposition par excès, et quelquefois aussi l’opposition par défaut, qui l’est davantage. § 5[50]. La cause de ces différences, c’est que l’on ne s’adresse pas toujours aux mêmes nuances d’inégalité, ou de ressemblance par rapport au milieu, mais que parfois on passe plus aisément de l’excès, et parfois du défaut, à l’état moyen, et que le vice paraît d’autant plus contraire au milieu qu’il en est plus éloigné. C’est ainsi que, pour ce qui regarde le corps, l’excès de fatigue vaut mieux pour la santé que le défaut d’exercice, et qu’il est plus voisin du milieu ; tandis que pour l’alimentation au contraire, c’est le défaut plus que l’excès qui se rapproche du milieu. § 6[51]. Par suite aussi, les habitudes qu’on choisit à son gré, et, par exemple, les habitudes d’exercices gymnastiques contribuent plus à la santé dans l’un et l’autre sens, soit qu’on prenne un peu trop de fatigue, soit qu’on reste un peu au-dessous de ce qu’il faudrait. L’homme qui sera contraire au juste milieu sous ce rapport, et qui résistera à la raison, sera d’une part celui qui ne prend aucune fatigue et n’accepte l’exercice d’aucune des deux façons que je viens d’indiquer ; et d’autre part, celui qui se livre à toutes les langueurs de la mollesse et n’attend jamais la faim. § 7[52]. Ces diversités viennent de ce que la nature n’est pas en toutes choses également éloignée du milieu, et de ce que tantôt nous aimons moins le travail, et que tantôt nous aimons davantage le plaisir. § 8[53]. Il en est de même aussi pour l’âme. Nous regardons comme contraire au juste milieu l’habitude ou la disposition qui nous fait faire en général le plus de fautes, et qui est la plus ordinaire ; quant à l’autre, elle reste ignorée de nous, comme si elle n’existait pas ; et elle passe inaperçue, à cause de sa faiblesse qui nous empêche de la sentir. § 9[54]. Ainsi, la colère nous paraît le vrai contraire de la douceur ; et l’homme colérique, le contraire de l’homme doux. Et cependant, il peut y avoir excès à être trop accessible à la pitié, à se réconcilier trop facilement, et à ne pas même s’emporter quand on vous soufflette. Il est vrai que ces caractères-là sont fort rares, et qu’en général on penche plutôt vers l’excès opposé, l’emportement n’étant guère disposé à se faire le flatteur de personne.

§ 10[55]. En résumé, nous avons fait le catalogue des manières d’être morales suivant chaque passion, avec leurs excès et leurs défauts, et des manières d’être contraires, qui placent l’homme dans le chemin de la droite raison ; nous réservant de voir plus tard ce qu’est précisément la droite raison, et quelle est la limite qu’il faut toujours avoir en vue pour discerner le vrai milieu. Par une conséquence évidente, on peut conclure que toutes les vertus morales et tous les vices se rapportent soit à l’excès, soit au défaut des plaisirs et des peines, et que les plaisirs et les peines ne viennent que des manières d’être et des passions que nous avons indiquées. § 11[56]. Ainsi donc, la meilleure manière d’être morale est celle qui demeure au milieu dans chaque cas ; et par suite, il est clair aussi que toutes les vertus, ou du moins quelques-unes des vertus, ne seront que des milieux avoués par la raison.


CHAPITRE VI.

De l’homme considéré comme cause. Il est le seul parmi les animaux à jouir de ce privilège. — De la nature diverse des causes : les causes immobiles, les causes motrices ; citations des Analytiques. — L’homme est une cause libre ; il peut faire ou ne pas faire ce qu’il fait. De la louange et du blâme dont la vertu et le vice sont l’objet ; la vertu et le vice sont purement volontaires, et dépendent du libre arbitre de l’homme.


§ 1[57]. Prenons maintenant un autre principe pour l’étude qui va suivre, et ce principe le voici : Toutes les substances selon leur nature sont des principes d’une certaine espèce ; et c’est là ce qui fait que chacune d’elles peut engendrer beaucoup d’autres substances semblables ; comme, par exemple, l’homme engendre des hommes ; l’animal engendre généralement des animaux ; et la plante, des plantes. § 2[58]. Mais outre cet avantage, l’homme a le privilège spécial parmi les animaux d’être le principe et la cause de certains actes ; car on ne peut pas dire d’aucun autre animal que lui, qu’il agisse réellement. § 3[59]. Entre les principes, ceux-là sont éminemment des principes, qui sont l’origine primordiale des mouvements ; et c’est à juste titre qu’on donne surtout le nom de principes à ceux dont les effets ne peuvent être autrement qu’ils ne sont. Dieu seul peut-être est un principe de ce dernier genre. § 4[60]. Quand il s’agit de causes et de principes immobiles, comme sont les principes des mathématiques, il n’y a pas là de causes à proprement parler. Mais on les appelle encore des causes et des principes par une sorte d’assimilation ; car là aussi, pour peu qu’on renverse le principe, toutes les démonstrations dont il est la source, quelque solides quelles soient, sont renversées avec lui, tandis que les démonstrations elles-mêmes ne peuvent point changer, l’une détruisant l’autre, à moins qu’on ne détruise l’hypothèse primitive et qu’on eût fait la démonstration par cette hypothèse première. § 5[61]. L’homme au contraire est le principe d’un certain mouvement, puisque l’action qui lui est permise est un mouvement d’un certain ordre. Mais comme ici, tout de même qu’ailleurs, le principe est cause de ce qui existe ou se produit par lui et à sa suite, il faut bien se dire qu’il en est du mouvement dans l’homme comme pour les démonstrations. § 6[62]. Si, par exemple, le triangle ayant ses angles égaux à deux droits, il s’en suit nécessairement que le quadrilatère a les siens égaux à quatre angles droits, il est évident que la cause de cette conclusion, c’est que le triangles a ses angles égaux à deux angles droits. Si la propriété du triangle vient à changer, il faut que le quadrilatère change aussi ; et si le triangle, par impossible, avait ses angles égaux à trois, le quadrilatère aura les siens égaux à six ; si le triangle en avait quatre, le quadrilatère en aurait huit. Mais si la propriété du triangle ne change pas, et qu’elle reste telle qu’elle est, la propriété du quadrilatère doit également rester telle qu’on vient de le dire. § 7[63]. Il a été démontré avec pleine évidence, dans les Analytiques, que ce résultat que nous ne faisons qu’indiquer, est absolument nécessaire. § 8 Mais ici nous ne pouvions, ni le passer entièrement sous silence, ni en parler avec plus de détails que nous ne le faisons ; car s’il n’y a pas moyen de remonter à une autre cause qui fasse que le triangle ait cette propriété, c’est que nous sommes arrivés au principe même, et à la cause de toutes les conséquences qui en sortent.

§ 9[64]. Mais comme il y a des choses qui peuvent être contrairement à ce qu’elles sont, il faut aussi que les principes de ces choses soient également variables ; car tout ce qui résulte de choses nécessaires est nécessaire comme elles. Mais les choses qui viennent de cette autre cause signalée par nous, peuvent être autrement qu’elles ne sont. C’est souvent le cas pour ce qui dépend de l’homme et ne relève que de lui ; et voilà comment l’homme se trouve être cause et principe d’une foule de choses de cet ordre.

§ 10[65]. Une conséquence de ceci, c’est que pour toutes les actions dont l’homme est cause et souverain maître, il est clair qu’elles peuvent être et ne pas être, et qu’il ne dépend que de lui que ces choses arrivent ou n’arrivent pas, puisqu’il est le maître qu’elles soient ou ne soient point. Il est donc la cause responsable de toutes les choses qu’il dépend de lui de faire ou de ne pas faire ; et toutes les choses dont il est cause, ne dépendent que de lui seul.

§ 11[66]. D’autre part, la vertu et le vice, ainsi que les actes qui en dérivent, sont les uns dignes de louange et les autres dignes de blâme. Or, on ne loue et l’on ne blâme jamais les choses qui sont le résultat de la nécessité, de la nature, ou du hasard ; on ne loue et l’on ne blâme que celles dont nous sommes les causes ; car toutes les fois qu’un autre que nous est cause, c’est à lui que revient et la louange et le blâme. Il est donc bien évident que la vertu et le vice, ne concernent jamais que des choses où l’on est soi-même cause et principe de certains actes.

§ 12[67]. Nous aurons donc à rechercher de quels actes l’homme est réellement la cause responsable et le principe. Mais nous convenons tous unanimement que, dans les choses qui sont volontaires et qui résultent du libre arbitre, chacun est cause et responsable, et que, dans les choses involontaires on n’est pas la vraie cause de ce qui arrive. Or, évidemment on a fait volontairement toutes celles qu’on a faites après une délibération et un choix préalables ; et par suite, il est tout aussi évident que la vertu et le vice doivent être classés parmi les actes volontaires de l’homme.


CHAPITRE VII.

Du volontaire et de l’involontaire. Du libre arbitre comme source de la vertu et du vice. — Tout acte vient de l’appétit, de la réflexion ou de la raison. De l’appétit considéré dans sa première nuance qui est le désir : citation d’Evénus. L’acte qui suit le désir, semble tantôt volontaire et tantôt involontaire : contradictions diverses. — L’acte, qui est suivant le cœur, seconde nuance de l’appétit, offre les mêmes contradictions. Citation d’Heraclite.—La liberté ne se confond pas avec l’appétit.


§ 1[68]. Il nous faut donc étudier ce que c’est que le volontaire et l’involontaire, et ce que c’est que la préférence réfléchie ou libre arbitre, puisque la vertu et le vice sont déterminés par ces conditions. Occupons-nous d’abord du volontaire et de l’involontaire.

§ 2[69]. Un acte, ce semble, ne peut avoir qu’un de ces trois caractères : ou il vient de l’appétit, ou il vient de la réflexion, on il vient de la raison. Il est volontaire, quand il est conforme à l’une de ces trois choses ; il est involontaire, quand il est contraire à l’une d’entr’elles. Mais l’appétit se divise lui-même en trois nuances : la volonté, le cœur, le désir. Par conséquent, il faut admettre une division analogue dans l’acte volontaire ; et il faut le considérer d’abord relativement au désir. § 3[70]. Il semble à première vue que tout ce qui se fait par désir est volontaire ; car l’involontaire paraît toujours être une contrainte. La contrainte, résultat de la force, est toujours pénible, ainsi que tout ce qu’on fait ou tout ce qu’on souffre par nécessité ; et, comme le dit fort bien Evénus :

« Tout acte nécessaire est un acte pénible. »

§ 4 Ainsi, l’on peut dire que si une chose est pénible, c’est qu’elle est forcée ; et que, si elle est forcée, elle est pénible.

§ 5 Mais tout ce qui se fait contre le désir est pénible, puisque le désir ne s’applique jamais qu’à un objet agréable ; et par conséquent, c’est un acte forcé et involontaire. Réciproquement, ce qui est selon le désir est volontaire ; car ce sont là des affirmations qui sont contraires les unes aux autres.

§ 6[71]. Ajoutez que toute action vicieuse rend l’homme plus mauvais. Ainsi, l’intempérance est certainement un vice. Or, l’intempérant est celui qui pour satisfaire son désir est capable d’agir contre sa propre raison ; il fait acte d’intempérance, quand il agit suivant le désir qui l’emporte. Mais on n’est coupable que parce qu’on le veut bien, et il s’en suit que l’intempérant se rend coupable parce qu’il agit suivant sa passion. Il agit donc avec pleine volonté ; et toujours ce qui est conforme à la passion est volontaire. Ce serait une absurdité de croire qu’en devenant intempérants les hommes deviennent moins coupables.

§ 7[72]. D’après ces considérations, il semblerait donc que ce qui est conforme au désir est volontaire. Mais voici d’autres considérations qui sembleraient prouver tout le contraire. Tout ce qu’on fait librement, on le fait en le voulant ; et tout ce qu’on fait en le voulant, on le fait librement. Or, personne ne veut ce qu’il croit mal. Ainsi, l’intempérant qui se laisse dominer par sa passion, ne fait pas ce qu’il veut ; car, faire pour contenter son désir le contraire de ce qu’on croit le meilleur, c’est se laisser emporter par sa passion. Il résulte par conséquent de ces arguments contraires que le même homme agira volontairement et involontairement. Mais c’est là une impossibilité manifeste. § 8[73]. D’un autre côté, le tempérant agira bien, et même on peut dire qu’il agira mieux que l’intempérant ; car la tempérance est une vertu, et la vertu rend les hommes d’autant meilleurs. Il fait acte de tempérance, quand il agit suivant sa raison contre son désir. De là, une contradiction nouvelle ; car si se bien conduire est volontaire tout comme se mal conduire, et l’on ne peut nier que ces deux choses ne soient parfaitement volontaires, ou que du moins, l’une étant volontaire, il ne faille nécessairement que l’autre le soit aussi ; il s’en suit que ce qui est contre le désir est volontaire ; et alors le même homme fera une même chose tout à la fois et volontairement et contre sa volonté.

§ 9[74]. Même raisonnement pour le cœur et pour la colère, puisqu’il semble bien aussi qu’il y a tempérance et intempérance de cœur comme il y en a pour le désir. Or, ce qui est contre le sentiment du cœur est toujours pénible ; et le retenir, c’est toujours se forcer. Par conséquent, si tout acte forcé est involontaire, il en résulte que tout ce qui est suivant le cœur est volontaire. Héraclite semblait regarder à cette puissance presque irrésistible du cœur, quand il a dit que le dompter est chose bien pénible :

« Ce fier cœur qui toujours met la vie en enjeu. »

§ 10[75]. Mais s’il est impossible d’agir volontairement et involontairement dans le même moment, et pour la même partie de la chose qu’on fait, on peut dire que ce qui est suivant la volonté est plus libre que ce qui est suivant la passion ou le cœur. La preuve, c’est que nous faisons volontairement une foule de choses sans le secours de la colère ni de la passion.

§ 11[76]. Reste donc à rechercher si c’est une seule et même chose que la volonté et la liberté. Or, il nous paraît impossible de les confondre ; car nous avons supposé, et il nous semble toujours, que le vice rend les hommes plus mauvais, et que l’intempérance est un vice d’une certaine sorte. Mais ici ce serait tout le contraire qui se produirait ; car personne ne veut ce qu’il croit mal ; et il ne le fait que, quand emporté par l’intempérance, il ne se possède plus. Si donc faire mal est un acte libre, et que l’acte libre soit celui qui est fait suivant la volonté, on ne fait plus mal quand on devient intempérant, parce qu’on perd toute domination de soi ; et l’on est même alors plus vertueux qu’avant de se laisser aller à l’intempérance, qui vous aveugle. Mais qui ne voit combien cela est absurde ? § 12[77]. J’en conclus qu’agir librement, ce n’est pas agir suivant l’appétit ; et que ce n’est pas agir sans liberté que d’agir contre lui. § 13[78]. J’ajoute que l’acte volontaire n’est pas davantage celui qui est fait après réflexion ; et voici comment je le prouve. Plus haut, il a été démontré que ce qui est suivant la volonté n’est pas forcé ; et à plus forte raison, que tout ce qu’on veut est parfaitement libre. Mais nous n’avons démontré réellement que ceci, à savoir qu’on peut faire librement des choses qu’on ne veut pas. Or, il y a une foule de choses que nous faisons sur le champ par cela seul que nous les voulons, tandis que l’on ne peut jamais agir sur le champ par réflexion.


CHAPITRE VIII.

Définition de l’acte volontaire ; Il suppose toujours l’emploi de la raison. Le nécessaire, ou la force.— Différence de l’homme et des autres êtres animés : l’acte volontaire vient d’une cause intérieure ; l’acte nécessaire vient d’une cause étrangère. — De la tempérance et de l’intempérance. — Contrainte morale : les enthousiastes, les devins ; mot de Philolaus. — C’est encore affirmer la liberté que de la nier.


§ 1[79]. S’il faut nécessairement, comme nous l’avons vu, que l’acte libre et volontaire se rapporte à l’une de ces trois choses : l’appétit, la réflexion, la raison ; et s’il n’est aucune des deux premières, il reste que l’acte volontaire consiste à faire quelque chose après y avoir appliqué d’une certaine manière sa pensée et sa raison. § 2[80]. Poussons même un peu plus loin ces considérations, avant de mettre fin à la définition que nous voulions donner du volontaire et de l’involontaire, il me semble en effet que ce qui caractérise proprement ces deux idées, c’est que dans un cas on agit par force ou contrainte, et que dans l’autre cas on n’agit point par force. Dans le langage ordinaire, tout ce qui est forcé est involontaire ; et l’involontaire est toujours forcé. Il faut donc en premier lieu examiner ce que c’est que la force ou la contrainte, voir quelle est sa nature, et quels en sont les rapports avec le volontaire et l’involontaire.

§ 3[81]. Le forcé et le nécessaire semblent être, ainsi que la force et la nécessité, opposés au volontaire et à la persuasion, en ce qui regarde les actions que l’homme peut faire. En général même, la force et la nécessité peuvent s’appliquer aussi aux choses inanimées ; et l’on dit, par exemple, que c’est par force et par nécessité que la pierre s’élève en haut, que le feu tombe en bas. Quand au contraire les choses sont portées suivant leur nature et leur direction propre, on ne dit plus qu’elles sont contraintes par la force. Il est vrai qu’on ne dit pas non plus qu’elles y sont portées volontairement ; et cette opposition n’a pas reçu de nom particulier. Mais quand elles sont poussées contre cette tendance naturelle, nous disons que c’est par force qu’elles se meuvent ainsi. § 4[82]. De même pour les animaux et les êtres vivants, on peut voir qu’ils font et qu’ils souffrent bien des choses par force, quand une cause extérieure vient à les mouvoir contrairement à leur tendance naturelle. Dans les êtres inanimés, le principe qui les meut est simple. Mais dans les êtres animés, il peut être fort multiple ; car l’instinct et la raison ne sont pas toujours parfaitement d’accord. § 5[83]. La force agit d’une manière absolue dans les animaux autres que l’homme, précisément comme elle agit dans les choses inanimées ; car chez eux la raison et l’instinct ne se combattent pas ; et ces êtres ne vivent que selon l’instinct qui les domine. Dans l’homme au contraire, il y a les deux mobiles ; et ils s’exercent sur lui à un certain âge, auquel nous supposons qu’il a la faculté d’agir. Ainsi, nous ne disons pas que l’enfant agit à proprement parler, non plus que l’animal ; mais l’homme n’agit véritablement que quand il agit avec sa raison. § 6[84]. Tout ce qui est forcé est toujours pénible, comme je l’ai dit ; et personne n’agit de force avec plaisir. C’est là ce qui jette tant d’obscurité sur la question du tempérant et de l’intempérant. L’un et l’autre agissent en sentant chacun en soi des tendances contraires ; le tempérant agit donc par force, à ce qu’on prétend, en s’arrachant aux passions qui le sollicitent ; et certainement il souffre, en résistant au désir qui le pousse en un sens opposé. De son côté, l’intempérant agit également par force, en luttant contre la raison qui voudrait l’éclairer. § 7[85]. Cependant, l’intempérant doit moins souffrir, à ce qu’il semble ; car le désir ne vise jamais qu’à ce qui plaît, et on y obéit toujours avec une certaine joie. Par conséquent, l’intempérant agit plus volontairement, et l’on peut dire avec moins de raison qu’il agit par force, puisqu’il n’agit pas avec peine et souffrance. Quant à la persuasion, c’est tout l’opposé de la force et de la nécessité ; l’homme tempérant ne fait que les choses dont il est persuadé ; et il agit non par force, mais très-volontairement, tandis que le désir vous pousse sans vous avoir préalablement persuadé, parce qu’il n’a pas la moindre part de raison.

§ 8[86]. On voit donc que c’est en ce sens qu’on peut dire que les intempérants seule agissent par force et involontairement ; et l’on comprend bien pourquoi : c’est qu’il se passe en eux quelque chose qui ressemble à la contrainte et à la force que nous observons dans les objets inanimés. § 9[87]. Mais si l’on rapproche de ceci ce qui a été dit plus haut dans la définition proposée, on aura précisément la solution qu’on cherche. Ainsi, quand quelque chose d’extérieur vient pousser ou arrêter un corps quelconque à l’inverse de sa tendance, nous disons qu’il est mû de force ; et dans le cas contraire, nous disons qu’il n’est pas mû par force. Or, pour l’homme tempérant et pour l’intempérant, c’est la tendance qu’ils ont chacun en soi qui les pousse ; ils ont en eux les deux principes ; et par conséquent, ni l’un ni l’autre n’agit par force ; mais l’un et l’autre agissent librement, par ces deux mobiles et sans nécessité qui les contraigne. § 10[88]. Nous appelons en effet nécessité le principe extérieur qui pousse ou qui arrête un corps contre sa tendance naturelle, comme si quelqu’un vous prenait la main pour en frapper une autre personne, malgré votre résistance, contre votre volonté et contre votre désir. Mais du moment que le principe est intérieur, il n’y a plus de violence, puisqu’alors le plaisir et la peine peuvent se produire dans les deux cas. § 11[89]. En effet, celui qui se possède et reste tempérant, éprouve une certaine douleur en agissant contre son désir. Mais il jouit en même temps du plaisir que lui donne l’espérance de tirer ultérieurement un avantage de sa sagesse, ou l’assurance de conserver actuellement sa santé. De son côté, l’intempérant jouit de goûter par son intempérance l’objet de son désir. Mais il a la douleur des conséquences qu’il prévoit ; car il sait très-bien qu’il a fait une faute. § 12[90]. En résumé, on peut donc affirmer avec quelque raison que l’un et l’autre, le tempérant et l’intempérant, agissent par force ; et que l’un et l’autre agissent en quelque sorte malgré eux, sous la contrainte de l’appétit et de la raison ; car lorsque ces deux mobiles sont opposés, ils se repoussent réciproquement l’un l’autre ; et c’est ce qui fait qu’on rapporte par extension ce phénomène à l’âme tout entière, parce qu’on voit l’une de ses parties présenter quelque chose d’analogue. Ceci sans doute est exact, si on l’applique à ses parties ; mais l’âme entière de l’homme tempérant et de l’intempérant agit bien volontairement ; ni l’un ni l’autre n’agissent par contrainte ; et c’est seulement un des éléments qui sont en eux qui agit de force, puisque nous avons naturellement en nous les deux mobiles à la fois. La nature veut que ce soit la raison qui commande, puisque la raison doit être en nous, quand notre organisation originelle est laissée à son propre développement, et qu’elle n’a pas été altérée ; ce qui n’empêche pas que la passion et le désir n’y aient aussi leur place, puisqu’ils nous sont également donnés en même temps que la vie. § 14[91]. En effet, c’est par ces deux caractères à peu près exclusivement que nous déterminons la vraie nature des êtres : d’un côté d’abord, par les choses qui appartiennent à tous les êtres de la même espèce dès qu’ils sont nés ; et ensuite, par les choses qui se passent plus tard en eux, quand on laisse leur organisation primitive se développer régulièrement, comme la blancheur des cheveux, la vieillesse, et tous les autres phénomènes analogues. En résumé, on peut dire que ni le tempérant ni l’intempérant n’agissent conformément à la nature ; mais, absolument parlant, l’homme tempérant et l’intempérant agissent selon leur nature ; seulement, cette nature n’est pas la même de part et d’autre.

§ 15[92]. Voilà donc les questions soulevées en ce qui regarde l’homme tempérant et l’intempérant. Tous les deux sont-ils contraints et forcés ? L’un des deux seulement agit-il par suite d’une violence ? L’homme tempérant et l’intempérant agissent-ils sans le vouloir ? Agissent-il tous les deux et par force à la fois et volontairement ? Et si l’acte imposé par la violence est toujours involontaire, peut-on dire qu’ils agissent tout ensemble et de leur plein gré et par force ? C’est d’après les explications que nous avons données qu’on peut, ce nous semble, répondre à toutes ces difficultés.

§ 16[93]. Dans un autre sens, on dit encore qu’on agit par force et par nécessité, sans même que l’appétit et la raison soient en désaccord, quand on fait une chose qu’on trouve pénible et mauvaise, mais quand on serait exposé, si on ne la faisait pas, à des sévices personnels, aux fers, à la mort. Dans tous ces cas, on dit qu’on a obéi à une nécessité. § 17[94]. Ou bien, cette hypothèse même n’est-elle pas ; inexacte ? N’est-ce donc pas toujours de sa libre volonté qu’on agit dans tout cela ? Et ne peut-on pas toujours refuser de faire ce qu’on exige de nous, en supportant toutes les souffrances dont on nous menace ? § 18[95]. Il y a ici certains points qu’on peut admettre, et d’autres qu’il faut repousser. Toutes les fois qu’il s’agit de choses où il dépend de nous qu’elles soient ou ne soient pas, du moment qu’on les fait tout en ne les voulant point, on les fait librement et non par force. Pour les choses au contraire qui ne dépendent pas de nous, on peut dire qu’il y a une contrainte, bien qu’il n’y ait pas une contrainte absolue, puisque l’être lui-même ne choisit pas ce qu’il fait précisément, et qu’il ne choisit que la fin en vue de laquelle il agit comme il fait. Or, c’est là une différence qui vaut la peine qu’on la remarque. § 19[96]. Si, par exemple, pour éviter d’être touché par quelqu’un on allait jusqu’à le tuer, ce serait une plaisante excuse que de dire que l’on a commis ce meurtre malgré soi et par nécessité. Il faudrait qu’on eût à souffrir un mal plus grand et plus intolérable, si l’on n’agissait pas comme on l’a fait. Car c’est bien alors qu’on obéit à la nécessité, et qu’on agit par force, ou du moins qu’on n’agit pas naturellement, lorsqu’on fait du mal en dépit de soi, ou en vue d’un certain bien, ou en vue d’un mal plus grand, qu’on veut éviter, puisque ce sont là des circonstances qui ne dépendent pas de nous. § 20[97]. Voilà pourquoi très-souvent on regarde l’amour comme involontaire, ainsi que d’autres emportements du cœur, et certaines émotions physiques qui sont, comme on dit, plus fortes que nous. Dans tous ces cas, on excuse ces fautes, comme ayant été provoquées par des causes qui triomphent habituellement de la nature humaine. On pourrait trouver qu’il y a force et contrainte, plutôt quand nous faisons quelque chose pour ne point éprouver une douleur trop forte que quand nous n’agissons que pour n’en point avoir une légère ; ou bien encore, quand nous agissons pour éviter un mal quelconque plutôt que pour nous procurer du plaisir. Car en général, on entend par ce qui dépend de quelqu’un ce que sa nature est capable de supporter ; et l’on dit qu’une chose ne dépend pas de lui, quand sa nature n’est pas capable de l’endurer, et que cette chose n’est naturellement conforme ni à son instinct ni à sa raison. § 21[98]. Voilà comment en parlant des enthousiastes et des devins qui prédisent l’avenir, on affirme, bien qu’ils fassent acte de pensée, qu’il ne dépend pas d’eux de dire ce qu’ils disent ni de faire ce qu’ils font. § 22[99]. On ne se possède pas davantage sous l’influence de la passion ; et l’on peut assurer qu’il y a telles pensées et tels sentiments qui ne dépendent pas de nous, non plus que les actes qui viennent à la suite de ces pensées et de ces raisonnements. C’est là ce qui faisait dire à Philolaüs avec tant de raison qu’il y a certaines idées plus fortes que nous.

En résumé, si nous devions, pour bien analyser le volontaire et l’involontaire, les rapprocher de l’idée de force et de violence, notre étude est achevée ; et il faut nous arrêter ici ; car ceux-là même qui nient le plus vivement la liberté et qui prétendent n’agir que contraints et forcés, n’en sont pas moins libres dans l’opinion qu’ils défendent.


CHAPITRE IX.

Du volontaire et de l’involontaire. Définition de ces deux termes.


§ 1[100]. Après avoir atteint notre but, qui était de prouver que la liberté n’est bien définie ni par l’appétit, ni par la réflexion, il nous reste à spécifier ce qui, dans ce phénomène, regarde la pensée et la raison. § 2[101]. Un premier point incontestable, c’est que le volontaire paraît l’opposé de l’involontaire ; et qu’agir en sachant à qui l’on s’adresse, comment et pourquoi l’on agit, est tout le contraire d’agir en ignorant à qui l’on s’adresse, comment et pourquoi l’on agit comme l’on fait. J’entends une ignorance réelle et non pas indirecte. Ainsi, vous pouvez avoir dans tel cas qu’il s’agit de votre père, et vous agissez comme vous faites, non pour le tuer mais pour le sauver. Par exemple, les filles de Pélias se trompèrent de cette façon. Ou bien, on se trompe comme se trompent les gens qui donnent un breuvage en croyant que c’est un philtre ou du vin, tandis que c’est du poison. Ce que l’on fait par ignorance des personnes et des choses, et des moyens qu’on emploie, est involontaire ; et le contraire est volontaire. § 3[102]. Ainsi donc, toutes les choses que l’individu fait, bien qu’il dépende de lui de ne les pas faire, et toutes les choses qu’il fait sans les ignorer et où il agit par lui-même, doivent nécessairement passer pour des choses volontaires ; et c’est là ce qu’on entend par la liberté, par le volontaire. Au contraire, tout ce qu’on fait en ignorant ce qu’on fait, et parce que l’on ignore, doit passer pour involontaire. § 4[103]. Mais comme savoir ou connaître peut s’entendre en un double sens, et qu’il signifie tantôt posséder la science, et tantôt s’en servir actuellement, celui qui possède la science, mais qui n’en use pas, peut en un sens être justement appelé ignorant, et dans un autre sens, il ne peut pas l’être justement ; par exemple, si c’est par une négligence coupable qu’il ne s’est pas servi de ce qu’il sait. Réciproquement encore, quelqu’un qui ne possède pas la science, qui ne sait pas, peut être parfois blâmé avec toute justice, si c’est par paresse, par abandon au plaisir, ou par crainte de la peine, qu’il a négligé d’acquérir une science qu’il lui était facile ou même nécessaire de posséder.

Maintenant que nous avons ajouté ces considérations à toutes les précédentes, nous avons fini ce que nous voulions dire sur le volontaire et l’involontaire.


CHAPITRE X.

De l’intention ; son rapport à la volonté ; ses différences. L’intention ne peut se confondre ni avec le désir, ni avec le jugement, ni avec la volonté. L’intention ne s’adresse jamais à une fin ; mais elle s’adresse seulement aux moyens qui mènent à cette fin. — Rapport de l’intention à la liberté. La délibération ne peut s’appliquer qu’aux choses qui dépendent de nous. — L’intention est un composé du jugement et de la volonté. L’homme seul est doué de cette faculté ; il ne l’a pas à tout âge, ni en toute circonstance ; sagesse des législateurs. — Citation des Analytiques.—La volonté de l’homme ne s’applique naturellement qu’au bien réel ou apparent. Origine de l’erreur. — Influence du plaisir et de la douleur sur nos jugements et sur la vertu.


§ 1[104]. A la suite de tout ceci, analysons la nature de l’intention, après avoir exposé préalablement les questions théoriques que soulève ce sujet. Le premier doute qui se présente à l’esprit, c’est de savoir dans quel genre se place naturellement l’intention, et à quel genre il faut la rapporter. § 2[105]. L’acte volontaire et l’acte fait avec intention sont-ils différents l’un de l’autre ? Ou ne sont-ils qu’une seule et même chose ? Quelques personnes soutiennent, et en y regardant de près on peut partager leur avis, que l’intention est l’une de ces deux choses, ou l’opinion ou l’appétit ; car ces deux phénomènes semblent toujours accompagner l’intention. § 3 Évidemment d’abord, elle ne se confond pas avec l’appétit ; car elle serait alors ou volonté, ou désir, ou colère, puisque l’appétit suppose toujours que l’on a éprouvé l’une ou l’autre de ces impressions. La colère et le désir appartiennent aussi aux animaux eux-mêmes, tandis que l’intention ne leur appartient jamais. De plus, les êtres même qui réunissent ces deux facultés font avec intention une foule d’actes où la colère ni le désir n’entrent pour rien ; et quand ils sont emportés par le désir ou la passion, ils n’agissent plus par intention ; ils sont purement passifs. Ajoutez enfin que le désir et la colère sont toujours accompagnés de quelque peine, tandis qu’il y a beaucoup de choses où intervient notre intention, sans que nous éprouvions la moindre douleur. § 4[106]. On ne peut pas dire davantage que la volonté et l’intention soient la même chose. Parfois, on veut des choses impossibles, tout en sachant bien qu’elles le sont, comme de régner sur tous les hommes, comme d’être immortel. Mais personne n’a jamais l’intention de faire une chose impossible, s’il n’ignore point qu’elle est impossible ; ni même en général de faire ce qui est possible, quand il juge d’ailleurs qu’il n’est pas en état de faire ou de ne pas faire la chose. Voici donc un point bien évident : c’est que toujours l’objet de l’intention doit être nécessairement une de ces choses qui ne dépendent que de nous. § 5[107]. Il n’est pas moins clair que l’intention ne se confond pas non plus avec l’opinion ou le jugement, ni absolument avec un simple objet de pensée. L’intention, venons-nous de dire, ne peut jamais s’appliquer qu’à des choses qui doivent dépendre de nous. Mais nous pensons une foule de choses qui ne dépendent de nous en quoi que ce soit : et, par exemple, que le diamètre est commensurable. § 6[108]. En outre, l’intention n’est ni vraie ni fausse, pas plus d’ailleurs que ne l’est notre jugement, dans les choses pratiques qui ne dépendent que de nous, quand il nous porte à penser que nous devons faire ou ne pas faire quelque chose. Mais voici un point commun entre la volonté et l’intention, c’est que jamais l’intention ne s’applique directement à une fin, mais seulement aux moyens qui mènent à cette fin. Ainsi, par exemple, personne n’a l’intention d’être bien portant ; mais on a seulement l’intention de se promener ou de rester assis en vue de la santé qu’on désire. On n’a pas davantage l’intention d’être heureux ; mais on a l’intention de gagner de la fortune, ou d’affronter même un péril pour arriver au bonheur. En un mot, quand on choisit un parti et qu’on exprime une intention, on peut dire toujours et ce qu’on a l’intention de faire, et ce en vue de quoi l’on a cette intention. Il y a ici deux choses bien distinctes : l’une pour laquelle on a l’intention d’en faire une autre, et la seconde qu’on a l’intention de faire en vue de la première. § 7[109]. Or, ce qui est éminemment aussi l’objet de la volonté, c’est la fin qu’on désire ; et ce qui est l’objet également de l’opinion, par exemple, c’est qu’il faut être bien portant et qu’il faut être heureux. § 8 Il est donc de toute évidence, d’après ces différences, que l’intention ne se confond ni avec le jugement ou opinion, ni avec la volonté. La volonté et le jugement s’appliquent essentiellement à un but final ; mais l’intention ne s’y applique pas.

§ 9[110]. Ainsi, il est clair que l’intention n’est, absolument parlant, ni la volonté, ni le jugement, ni la conception. Mais en quoi diffère-t-elle de tout cela ? Et quel en est le rapport précis à la liberté et au volontaire ? Résoudre ces questions, ce sera montrer nettement ce que c’est que l’intention.

§ 10[111]. Dans le nombre des choses qui peuvent être et ne pas être, il y en a quelques-unes qui sont de telle nature qu’on peut en délibérer. Pour d’autres, la délibération n’est même pas possible. Les possibles, en effet, peuvent bien être et ne pas être ; mais la production n’en dépend pas de nous, les uns étant produits par la nature, et les autres l’étant par diverses causes. Dès lors, on ne pourrait délibérer de ces choses, à moins d’ignorer absolument ce qu’elles sont § 11[112]. Mais pour les choses qui non-seulement peuvent être et ne pas être, mais auxquelles peuvent en outre s’appliquer les délibérations humaines, ce sont celles-là précisément qu’il dépend de nous de faire ou de ne pas faire. Aussi, ne délibérons-nous pas de ce qui se passe dans les Indes, ni des moyens de faire que le cercle puisse être converti en carré. Car ce qui se passe aux Indes ne dépend pas de nous ; et la quadrature du cercle n’est pas chose faisable. § 12[113]. Il est vrai qu’on ne délibère même pas non plus de toutes les choses réalisables qui ne dépendent que de nous ; et c’est bien là encore une preuve nouvelle, que, absolument parlant, l’intention n’est pas le jugement, puisque toutes les choses auxquelles s’appliquent l’intention et qu’on peut faire, sont nécessairement de celles qui dépendent de nous. § 13[114]. Aussi, en suivant cette idée, pourrait-on se demander comment il se fait que les médecins délibèrent sur les choses dont ils possèdent la science, tandis que les grammairiens n’en délibèrent jamais ? La cause en est que, l’erreur pouvant se commettre de deux façons, puisqu’on peut se tromper par raisonnement, ou bien par simple sensation, il y a cette double chance d’erreur en médecine, tandis que, si dans la grammaire on voulait discuter la sensation et l’usage, ce serait à n’en pas finir.

§ 14[115]. L’intention n’étant ni le jugement ni la volonté séparément, et n’étant pas non plus les deux pris ensemble ; car l’intention ne se produit jamais instantanément, tandis qu’on peut juger sur le champ qu’il faut agir et vouloir à l’instant même ; il reste qu’elle soit composée de ces deux éléments réunis dans une certaine mesure, tous les deux se retrouvant dans tout acte d’intention. Mais il faut examiner de près comment l’intention peut se composer du jugement et de la volonté. § 15[116]. Bien que le mot lui-même nous l’indique déjà en partie ; l’intention, qui, entre deux choses, préfère l’une à l’autre, est une tendance à choisir, un choix non pas absolu, mais le choix d’une chose qu’on place avant une autre chose. Or, ce choix n’est pas possible sans un examen et sans une délibération préalables. Ainsi, l’intention, la préférence réfléchie vient d’un jugement, qui est accompagné de volonté et de délibération. § 16[117]. Mais jamais on ne délibère, à proprement parler, sur le but qu’on se propose ; car le but est le même pour tout le monde. On délibère seulement sur les moyens qui peuvent mener à ce but. On délibère d’abord pour savoir si c’est telle chose ou telle autre qui peut y conduire ; et, une fois qu’on a jugé que telle chose y conduit, on délibère pour savoir comment on aura cette chose. En un mot, nous délibérons sur l’objet qui nous occupe, jusqu’à ce que nous ayons ramené à nous-mêmes et à notre initiative le principe qui doit produire tout le reste. § 17[118]. Si donc on ne peut appliquer son intention et sa préférence, sans avoir préalablement examiné et pesé le meilleur et le pire ; et si l’on ne peut délibérer que sur ce qui dépend de nous, dans les choses qui peuvent être et ne pas être, relativement au but poursuivi ; il s’en suit évidemment que l’intention ou la préférence est un appétit, un instinct capable de délibérer sur des choses qui dépendent de nous. Car nous voulons toujours ce que nous avons résolu de faire, tandis que nous ne résolvons pas toujours de faire ce que nous voulons. J’appelle capable de délibérer cette faculté dont la délibération est le principe et la cause, et qui fait que l’on désire une chose parce qu’on en a délibéré. § 18[119]. Ceci nous explique pourquoi l’intention, accompagnée de préférence, ne se rencontre pas dans les autres animaux, et pourquoi l’homme lui-même ne l’a ni à tout âge, ni dans toute circonstance. C’est que la faculté de délibération, non plus que la conception de la cause, ne s’y rencontrent point davantage ; et quoique la plupart des hommes aient la faculté de juger s’il faut faire ou ne pas faire telle ou telle chose, il s’en faut bien que tous puissent se décider par le raisonnement, attendu que la partie de l’âme qui délibère est celle qui est capable de considérer et de comprendre une cause. § 19[120]. Le pourquoi, la cause finale est une des espèces de cause ; car le pourquoi est cause ; et la fin en vue de laquelle une autre chose est ou se produit, est appelée cause. Ainsi, par exemple, le besoin de toucher les revenus qu’on possède est cause qu’on se met en voyage, si c’est en effet en vue de faire cette recette qu’on s’est mis en route. Voilà comment les gens qui n’ont aucun but sont incapables de délibérer.

§ 20[121]. Nous pouvons donc établir que l’homme, dans une chose qu’il dépend de lui de faire ou de ne pas faire, quand il la fait ou l’évite de son plein gré, la fait ou s’en abstient sciemment et non par ignorance ; et nous faisons en effet beaucoup de choses de ce genre, sans y avoir pensé ni réfléchi préalablement. Une conséquence nécessaire, c’est que l’intentionnel est toujours volontaire, tandis que le volontaire n’est pas toujours intentionnel ; en d’autres termes, toutes les actions intentionnelles sont volontaires, tandis que toutes les actions volontaires ne sont pas intentionnelles. § 21[122]. Ceci nous prouve en même temps que les législateurs ont eu raison de diviser les actes et les passions de l’homme en trois classes : volontaires, involontaires, préméditées ; et, bien qu’ils n’aient pas dû se piquer d’une parfaite exactitude, ils n’ont pas laissé que de toucher en partie la vérité. Mais ce sont là des questions que nous traiterons dans l’étude de la justice et des droits.

§ 22[123]. Quant à l’intention ou préférence, il nous est évident qu’elle n’est absolument ni la volonté ni le jugement, et qu’elle est le jugement et l’appétit réunis, lorsque l’on conclut et que l’on décide un acte, après une délibération préalable. Mais, de plus, comme, lorsqu’on délibère, on délibère toujours en vue de quelque fin qu’on poursuit, et qu’il y a toujours un but sur lequel celui qui délibère a les regards attachés, pour discerner ce qui peut lui être utile, il en résulte, je le répète, que personne ne délibère, à proprement parler, sur la fin. Mais c’est cette fin qui est le principe et l’hypothèse initiale de tout le reste, comme le sont les hypothèses fondamentales dans les sciences de pure théorie. Nous avons déjà dit quelques mots de tout cela au début de cette discussion ; et nous en avons traité avec tout le soin désirable dans les Analytiques. § 23[124]. D’ailleurs, l’examen des moyens qui peuvent conduire au but désiré, peut être fait avec l’habileté que l’art inspire, ou sans habileté ; et, par exemple, si l’on délibère pour savoir si l’on fera ou si l’on ne fera pas la guerre, on peut se montrer plus ou moins habile dans cette délibération. § 24[125]. Le point qui, tout d’abord, méritera le plus d’attention, c’est de savoir en vue de quoi l’on doit agir, c’est-à-dire le pourquoi. Est-ce la richesse que l’on veut ? Ou est-ce le plaisir, ou telle autre chose, qui est le but véritable en vue duquel on agit ? Or, l’homme qui délibère, ne délibère que parce qu’après avoir considéré la fin qu’il veut atteindre, il juge que le moyen employé peut amener cette fin à lui, ou parce que ce moyen peut le conduire lui-même à cette fin. § 25[126]. La fin par sa nature est toujours bonne, tout aussi bien que le moyen particulier sur lequel on délibère spécialement. Ainsi, par exemple, un médecin délibère pour savoir s’il administrera tel ou tel remède ; et un général d’armée délibère pour savoir le lieu où il fera camper ses troupes ; et dans tous ces cas la fin qu’on se propose est bonne, et elle est d’une manière absolue ce qu’il y a de mieux. § 26[127]. C’est un fait contre nature, et qui renverse l’ordre des choses, quand la fin n’est pas le bien véritable, mais seulement apparence du bien. Cela tient à ce que, parmi les choses, il y en a quelques-unes qui ne peuvent être employées qu’à l’usage spécial pour lequel la nature les a faites. Telle est la vue, par exemple : il n’y a pas moyen de voir des choses auxquelles ne s’applique pas la vue, ni d’entendre des choses où l’ouïe n’a que faire. Mais on peut faire, par la science, des choses dont il n’y a pas de science ; et ainsi, bien que ce soit la même science qui traite de la santé et de la maladie, ce n’est pas de la même façon qu’elle en traite ; puisque l’une est suivant la nature, et que l’autre est contre nature. § 27[128]. C’est tout à fait de même, que la volonté, dans l’ordre de la nature, s’applique toujours au bien, et que c’est quand elle est contre nature qu’elle peut s’appliquer aussi au mal. Par nature, elle veut le Bien, et elle ne veut le mal que contre nature et par perversité. Mais la ruine et la perversion de chaque chose ne la fait point passer au hasard à un nouvel état quelconque. Les choses ne vont alors qu’à leurs contraires et aux degrés intermédiaires ; car il n’est pas possible de sortir de ces limites ; et l’erreur elle-même ne se produit pas indifféremment dans des choses prises à tout hasard. L’erreur ne se produit que dans les contraires, pour tous les cas où il y a des contraires ; et même parmi les contraires, l’erreur n’a lieu que dans les contraires qui le soit suivant la science qu’on en a.

§ 28[129]. Il y a donc une sorte de nécessité que l’erreur et l’intention ou préférence réfléchie passent du milieu aux divers contraires. Or, le plus et le moins sont les contraires du milieu ou moyen terme. La cause de l’erreur, c’est le plaisir ou la peine que nous ressentons ; car nous sommes faits ainsi que l’âme regarde comme un bien ce qui lui est agréable ; et ce qui lui est plus agréable lui semble meilleur ; de même que ce qui lui est pénible lui semble mauvais, et que ce qui lui est plus pénible, lui semble plus mauvais aussi. § 29[130]. Cela même doit encore nous faire voir très-clairement que le vice et la vertu ne se rapportent qu’aux plaisirs et aux peines. En effet, la vertu et le vice s’appliquent exclusivement à des actes où nous pouvons marquer notre intention et notre préférence. Mais la préférence s’applique au bien et au mal, ou du moins à ce qui nous semble tel ; et dans le sens ordinaire de la nature, c’est le plaisir et la douleur qui sont le bien et le mal. § 30[131]. De plus, nous avons montré que toute vertu morale est toujours une sorte de milieu dans le plaisir ou dans la peine, et que le vice consiste dans l’excès ou dans le défaut, relativement aux mêmes choses que la vertu. La conséquence nécessaire de ces principes, c’est que la vertu est cette manière d’être morale qui nous porte à préférer le milieu, pour ce qui nous concerne, dans les choses agréables Comme dans les choses pénibles ; en un mot, dans toutes les choses qui constituent vraiment le caractère moral de l’homme, soit dans la peine, soit dans le plaisir. Car on ne dit jamais d’un homme qu’il a tel ou tel caractère, par cela seul qu’il aime les choses sucrées ou les choses amères.


CHAPITRE XI.

De l’influence de la vertu sur l’intention. Elle rend l’action bonne par le but qu’elle se propose. L’acte, à un certain point de vue, a plus d’importance que l’intention ; mais c’est l’intention seule qui fait le mérite ou le démérite. — C’est surtout sur les actes qu’il faut juger le caractère d’un homme.


§ 1[132]. Après avoir fixé tous ces points voyons si la vertu peut rendre la préférence infaillible, et la fin qu’elle poursuit, toujours bonne, de telle sorte que la préférence ne choisisse jamais avec intention que ce qu’il faut ; ou bien, si comme on le prétend, c’est la raison qu’éclaire ainsi la vertu. A vrai dire, cette vertu c’est la domination de soi-même, la tempérance, laquelle ne détruit pas apparemment la raison. § 2[133]. Mais la vertu et la domination de soi sont deux choses différentes, comme on le montrera plus tard ; et si l’on admet que c’est la vertu qui nous donne une raison droite et saine, c’est parce qu’on suppose que c’est la domination de soi qui est la vertu même, et qu’elle est tout à fait digne des louanges qu’on lui adresse. Mais avant d’en parler, nous examinerons quelques questions préliminaires. § 3 Dans bien des cas, il est fort possible que le but qu’on se propose soit excellent, et pourtant qu’on se trompe dans les moyens qui doivent y mener. Il se peut, tout au contraire, que le but soit mauvais, et que les moyens qu’on emploie soient très-bons. Enfin, il se peut que les uns et les autres soient également erronés. § 4[134]. Est-ce la vertu qui fait le but ? Est-ce elle qui fait simplement les choses qui y mènent ? Nous pensons que c’est elle qui fait le but, puisque le but qu’on se propose n’est la conséquence, ni d’un syllogisme, ni même d’un raisonnement. Supposons donc que le but est en quelque sorte le principe et l’origine de l’action. Par exemple, le médecin n’examine pas apparemment s’il faut ou non guérir le malade ; il examine seulement si le malade doit marcher ou ne pas marcher. Le gymnaste n’examine pas s’il faut ou non avoir de la vigueur ; il examine seulement s’il faut que tel élève se livre à la lutte ou s’il ne le faut pas. § 5[135]. Il en est absolument ainsi pour toutes les autres sciences : il n’en est pas une qui s’occupe de la fin même qu’elle poursuit ; et de même que les hypothèses initiales servent de principes dans les sciences de pure théorie, de même aussi la fin poursuivie est le principe, et comme l’hypothèse de tout le reste, dans les sciences qui ont à produire quelque chose. Pour guérir telle maladie, il faut nécessairement tel remède, afin que la guérison puisse être obtenue ; absolument comme pour le triangle, si ses trois angles sont égaux à deux droits, il faudra nécessairement qu’il sorte telle conséquence de ce principe une fois admis. § 6[136]. Ainsi, la fin qu’on se propose est le principe de la pensée ; et la conclusion même de la pensée, est le principe de l’action. Si donc c’est, ou la raison, ou la vertu, qui sont les vraies causes de toute rectitude, soit dans les pensées, soit dans les actes, du moment que ce n’est pas la raison, il faudra que ce soit la vertu qui fasse que la fin soit bonne. Mais elle sera sans influence sur les moyens qu’on emploie pour arriver au but. § 7[137]. La fin est ce pourquoi l’on agit, puisque toute intention, toute préférence s’adresse à une certaine chose, et a toujours une certaine chose en vue. Le but qu’on poursuit à l’aide du moyen terme, est causé par la vertu qui consiste à choisir ce but de préférence à tout autre. Mais l’intention ou préférence ne s’applique pas cependant à ce but lui-même ; elle s’applique seulement aux moyens qui peuvent y conduire. § 8[138]. Ainsi, c’est à une autre faculté qu’il appartient de nous révéler tout ce qu’il faut faire pour atteindre la fin que nous poursuivons. Mais ce qui fait que la fin que se propose notre intention est bonne, c’est la vertu ; et c’est elle qui en est l’unique cause.

§ 9[139]. Maintenant, on doit comprendre comment on peut, d’après l’intention, juger le caractère de quelqu’un ; c’est-à-dire, comment il faut regarder le pourquoi de son action bien plus que son action elle-même. § 10[140]. Par une sorte d’analogie, on doit dire que le vice ne fait son choix et ne dirige son intention qu’en vue des contraires. Il suffit donc que quelqu’un, quand il ne dépend que de lui de faire de belles actions et de n’en pas faire de mauvaises, fasse tout le contraire, pour qu’il soit évident que cet homme n’est pas vertueux. Par une suite nécessaire, le vice est volontaire aussi bien que la vertu ; car il n’y a jamais nécessité de vouloir le mal. § 11[141]. C’est là ce qui fait que le vice est blâmable, et que la vertu est digne de louange. Les choses involontaires, toutes honteuses et mauvaises qu’elles peuvent être, ne sont pas blâmables ; ce ne sont pas les bonnes qui sont louables ; ce sont les volontaires. Nous regardons plus aux intentions qu’aux actes pour louer ou blâmer les gens, bien que l’acte soit préférable à la vertu, parce qu’on peut faire le mal par suite d’une nécessité, et qu’il n’y a pas de nécessité qui puisse jamais violenter l’intention. § 12[142]. Mais, comme il n’est pas facile de voir directement quelle est l’intention, nous sommes forcément obligés de juger du caractère des hommes d’après leurs actes. § 13[143]. L’acte vaut certainement plus que l’intention ; mais l’intention est plus louable. C’est là une conséquence qui résulte des principes posés par nous ; et de plus, cette conséquence s’accorde parfaitement avec les faits qu’on peut observer.


FIN DU LIVRE DEUXIÈME.
  1. Je le répète. J’ai ajouté ces mots. — Les biens de l’homme. Voir la division des biens, dans la Morale à Nicomaque, livre I, ch. 6, § 2. — Même dans nos ouvrages Exotériques. Voir une expression toute semblable plus haut, livre I, ch. 8, § 5 ; et dans la Morale à Nicomaque, livre I ch. 11, § 9. Ces citations sont assez rares.
  2. La meilleure disposition. Cette définition est trop large, et il fallait la restreindre à ce qui regarde l’homme. — De la vertu d’un manteau. J’ai dû conserver cette expression toute bizarre qu’elle est. D’ailleurs, la même équivoque se retrouve dans la Morale à Nicomaque, livre II, ch. 6, § 1 ; et elle n’y est pas mieux justifiée. — Est ce qu’on peut appeler. Ces atténuations ne se trouvent pas dans l’original.
  3. L’œuvre est d’autant meilleure. Théorie très-juste et très-profonde.
  4. Il s’en suit évidemment. Cette conclusion n’est pas aussi évidente que l’auteur semble le croire. La faculté existe sans l’œuvre, tandis que l’œuvre ne saurait exister sans la faculté qui la produit.
  5. Le mot œuvre a deux sens. Voir plus haut, livre I, ch. 5, § 17.
  6. Que l’œuvre est la même et pour la chose. Ceci est une variante, le texte ordinaire offre un sens un peu différent : « Il peut y avoir œuvre de la chose même ou de la vertu de cette chose. » J’ai préféré le sens adopté dans ma traduction, parce qu’il semble plus conforme aux habitudes du style d’Aristote et au reste du contexte. — Et de la cordonnerie en général et du cordonnage en particulier. Probablement ceci veut dire que l’on peut considérer le soulier sous deux points de vue différents : ou comme étant l’œuvre de l’art du cordonnier en général, ou comme étant l’œuvre de tel cordonnier en particulier. Mais dans ce dernier cas, ce n’est plus le soulier que l’on considère d’une manière abstraite et générale, c’est tel soulier en particulier. On me pardonnera d’avoir forgé le mot de « cordonnage » qui était indispensable pour bien marquer le rapport des deux idées. On peut trouver que la clarté de l’exemple choisi par l’auteur n’en rachète point la trivialité.
  7. Avec toute son activité. J’ai ajouté ces mots. — Soient une seule et même œuvre. Ceci semblerait justifier la variante que je n’ai pas cru devoir adopter un peu plus haut — Final et complet. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte ; mais ce mot unique a les deux acceptions que j’ai exprimées. — Que nous appelions le bonheur. Le bonheur se confondrait alors avec la vertu.
  8. Avons-nous dit. Jusqu’à présent cette doctrine n’a pas été aussi nettement formatée qu’elle l’est ici. — L’acte de la vertu est ce qu’il y a de meilleur. Théories toutes pareilles à cettes de la Morale à Nicomaque, livre I, ch. 4, § 14.
  9. Le bonheur est l’acte d’une âme vertueuse, Id. ibid.
  10. Nous en avons pour gages. Voir la Morale à Nicomaque, livre I, ch. 6, § 4. — Pendant toute sa vie. Même théorie dans la Morale à Nicomaque, livre I, ch. 7, § 12 — Solon avait bien raison de dire. Dans la Morale à Nicomaque, livre 1, ch. 7 § 12, et ch. 8, § 10, cette maxime n’est pas aussi formellement approuvée. Voir la conversation de Solon et de Crœsus, dans Hérodote, Ciio, ch 30, p. 9 de l’édition de Firmin Didot
  11. Ce sont les vainqueurs que l’on couronne. Voir une comparaison analogue dans la Morale à Nicomaque, livre I, ch. 6, § 8, p. 36. — On juge le caractère d’un homme. Pensée trop peu développée.
  12. Des louanges et de l’estime au bonheur. Voir la Morale à Nicomaque, livre I, ch. 10, § 1. — Le louer, ou faire son éloge. La distinction est plus sensible en grec ; « Louer » quelqu’un, s’applique à une action particulière de cette personne ; « faire son éloge », s’applique à l’ensemble de sa conduite et de son caractère. — En l’estimant. J’ai ajouté ceci pour rendre toute la force du mot grec.
  13. Une question assez bizarre. Cette épithète n’est pas dans l’original ; mais il m’a semblé qu’elle ressortait du contexte ; et la question ne vaut pas la peine en effet d’être posée, bien qu’elle se retrouve aussi dans la Morale a Nicomaque, livre I, chap. 6, § 8. — Peut-on répondre. Ceci n’est pas dans le texte.
  14. C’est la partie nutritive qui, durant le sommeil. Détails physiologiques plus ou moins exacts, mais qui n’ont rien à faire dans la question. — Les rêves mêmes des bons. Idées étranges à cette place, bien qu’elles ne soient peut-être pas fausses.
  15. À étudier l’âme. Morale à Nicomaque, livre I, ch. 11, § 7. — La vertu appartient essentiellement, à l’âme. C’est se faire une grande et juste idée de l’âme humaine. Cette doctrine est d’ailleurs toute platonicienne. — Cette autre partie de l’âme. Sans doute la partie nutritive.
  16. Si l’âme est divisible ou indivisible. Dans la Morale à Nicomaque, Aristote écarte également cette question, qui appartient plus spécialement à la psychologie et à la métaphysique, — Dans une surface. J’ai ajouté ces mots pour compléter la pensée. — Le droit et le blanc. Dans un objet qui est blanc et droit à la fois. Ce second exemple est beaucoup moins clair que le premier, qui suffisait.
  17. De la partie purement végétative. D’après la conjecture de M. Frttzch, dans son édition de la Morale à Eudème. Le texte vulgaire dit « physique » au lieu de végétative. Il suffit du changement d’une seule lettre. — Les parties que nous avons énumérées. Un peu plus haut, l’une douée de raison, l’autre capable d’écouler la raison, bien qu’elle ne la possède pas. — N’appartiennent pas à l’homme. Les fonctions de la nutrition ne dépendent pas de nous, et le désir naît en nous sans notre participation.
  18. Deux sortes de vertus. Voir la Morale a Nicomaque, livre I, ch. II, § 20, et livre II, ch. 1, § 1. — Plus haut, nous avons dit. Voir plus haut dans ce chapitre, § 11.
  19. En parlant du caractère moral. La différence n’est pas aussi tranchée dans notre langue qu’elle semble l’être en grec.
  20. En partant de données vraies mais peu claires. Idée familière à Aristote, et qu’il a souvent répétée. Voir dans la Morale à Nicomaque livre 19 ch. 5, § 1.
  21. Coriscus. Exemple dont se sert habituellement Aristote. — En avoir d’abord cette vague notion. Et peut-être alors trouverait-on que le hâle du teint est le signe d’une vie active et rude, et par conséquent aussi le signe d’une santé robuste.
  22. Nous supposons en premier lieu. Détails trop longs, et qui ne mènent pas à la conclusion qu’on attend.
  23. On pourrait ajouter. Même remarque. — Au besoin, l’induction. C’est-à-dire l’analyse des faits particuliers qui pourraient conduire a une généralité. — La vertu est moralement. J’ai ajouté ce dernier mot à cause des deux acceptions très différentes qu’on a données dans le texte au mot de vertu.
  24. Quant à son usage. Toutes ces diverses pensées sont évidemment exprimées ici d’une manière insuffisante. On peut les retrouver plus complètes et beaucoup plus claires dans la Morale à Nicomaque, livre II, ch. 2, § 6.
  25. À tout ce qui peut causer plaisir ou douleur. Il y a bien des actes moraux et vertueux où le plaisir non plus que la douleur n’entre pour rien. Cette formule générale n’est donc pas tout-à-fait exacte. — C’est-à-dire des habitudes. Paraphrase que j’ai dû mettre, parce que, dans notre langue, le rapport étymologique des deux mots n’est pas aussi évident.
  26. La moralité. Les vertus morales n’appartiennent qu’à cette partie inférieure de l’âme qui, sans avoir elle-même la raison, est capable de suivre les conseils que la raison loi donne. Les vertus intellectuelles se trouvent ainsi placées au-dessus des vertus morales. C’est bien là aussi la théorie d’Aristote dans la Morale à Nicomaque.
  27. Les mœurs, ou les habitudes de l’âme. Paraphrase, comme plus haut.
  28. L’appliquer, pour chaque cas spécial. Je ne suis pas sûr d’avoir bien saisi le sens ; l’expression employée dans le texte est assez peu correcte, et les manuscrits n’offrent pas de variantes.
  29. Il n’y a pas là de qualité de l’âme. Toutes ces distinctions ne sont pas fausses ; mais elles peuvent sembler un peu subtiles. — Qui caractérise le sujet. J’ai ajouté ces mots pour rendre la pensée plus claire.
  30. J’entends par manières d’être. Ce sont en d’autres termes les habitudes, qui peuvent être ou conformes ou contraires à la raison.
  31. Dans tout objet continu et divisible. On peut trouver que la comparaison n’est pas très-juste ; et ce qui est vrai des objets matériels ne l’est plus au même degré des sentiments et des idées. — La gymnastique….. la médecine… Ces exemples ne contribuent pas à éclaircir la pensée ; on pourrait dire bien plutôt qu’ils l’obscurcissent. Le motif même qui est donné un peu plus bas, ne paraît pas très-fort. Il est bien vrai que l’action est un mouvement. Mais ces mouvements tout intérieurs de l’âme ne peuvent se mesurer comme les mouvements des objets.
  32. C’est le milieu par rapport à nous. L’auteur veut dire sans doute que le milieu varie avec les individus. Cette pensée est très-nettement exprimée dans la Morale à Nicomaque, loc. laud. — Par l’induction et par le raisonnement. En d’autres termes, par l’observation des faits et par la pure théorie.
  33. Par une conséquence nécessaire. Cette conséquence, loin d’être nécessaire, serait très-contestable ; mais il faut se rappeler que, plus haut, ou a considère l’action morale comme un mouvement.
  34. Tirons-les du tableau suivant. On sait qu’Aristote a fait souvent usage de tableaux de divers genres, pour éclaircir les sujets qu’il traitait. On pourrait en trouver des exemples soit dans l’Organon, et dans l’Herméneia en particulier, soit dans l’Histoire des animaux, et dans ses petits traités de physiologie et d’anatomie comparées. — (Anonyme). L’opposé de la haine, qui se réjouit du mal d’autrui, n’a pas reçu de nom spécial dans la langue grecque ; il n’en a pas non plus dans la nôtre. — Indignation vertueuse. Le mot du texte est « Némésis » — Mollesse, grossièreté, patience. Les équivalente que m’a offerts ici notre langue sont encore plus insuffisants que pour quelques autres vertus. Mais il y a beaucoup de nuances qui n’ont pas reçu de nom ; et il faut se contenter d’à peu près.
  35. L’homme impassible. Sous-entendu : « en fait de colère » ; ce que le contexte explique suffisamment.
  36. Le dissimulé. L’original dit : « l’ironique. » Voir dans la Grande Morale, livre I, du 30, § 1.
  37. Aucune science ni théorique, ni pratique. Remarque peu juste ; et l’on ne voit pas pourquoi la science morale ou toute autre science s’abstiendrait de justifier ses définitions, si elles semblent incomplètes ou inexactes. — Contre le charlatanisme logique des discussions. C’est-à-dire, contre les arguties des Sophistes, voulant faire parade de leur vaine science.
  38. Quand nous parlerons. L’auteur veut sans doute désigner les analyses de vertus particulières et les vices, qui viendront plus loin.
  39. Rancunier. Notre langue n’a pas de mot plus relevé pour exprimer cette idée.
  40. Il ne faut pas oublier de remarquer. On retrouve des idées tout à fait pareilles dans la Morale à Nicomaque, loc. laud.
  41. Soit de la nature des choses. C’est l’observation des faits. — Soit de leur production. C’est la recherche des actes qui sont à faire, et la règle de la conduite. — Les autres vertus. Les vertus morales, par opposition ans vertus intellectuelles. — Qui n’a que l’instinct en partage. On doit comprendre, d’après les théories bien connues de la Morale à Nicomaque, qu’il s’agit ici d’un instinct rationnel, c’est-à-dire de cette disposition qui permet à cette partie de l’âme d’entendre et de suivre les ordres de la raison, sans la posséder elle-même.
  42. Que nous avons établies. Voir plus haut, ch. 3, § 4.
  43. Toute vertu morale est relative… Déjà plus haut, j’ai fait remarquer que ce principe était un peu étroit, et que par conséquent il était très-contestable. Voir aussi la Morale à Nicomaque, livre II, du 3, § 5.
  44. Les hommes ne sont appelés vicieux. On peut être vicieux sans trouver du plaisir à faire le mal, sans fuir une douleur que le devoir impose.
  45. Une certaine apathie. Ce n’est pu l’insensibilité générale recommandée plus tard par le Stoïcisme ; c’est plutôt une certaine modération, qui sait dominer les passions et les amortir.
  46. Le bien suprême… conforme à la droite raison. Principe excellent, qui renferme toute la destinée de l’homme et tout son bonheur.
  47. Le milieu ne sera que dans les plaisirs. Pensée obscure, qu’il aurait été bon d’éclaircir par quelque exemple. — Un excès de joie… Un excès de plaisir. C’est presque une tautologie.
  48. Un certain état moral. Il eût peut-être été préférable de dire au pluriel : « certains états moraux », afin que la pensée fût puis claire.
  49. Il arrive cependant… On pourra voir, dans les analyses qui vont suivre, des exemples de ces cas particuliers.
  50. Pour ce qui regarde le corps. Ces régies d’hygiène attestent une observation profonde et très-exacte de l’organisation humaine. Il est Impossible de donner des préceptes plus sages et plus pratiques.
  51. Les habitudes qu’on choisit à son gré. Pensée vraie, mais qui n’est point ici développée autant qu’il le faudrait. — Sous ce rapport. J’ai ajouté ces mots. — D’une part… D’autre part… L’opposition ne paraît pas très-bien marquée.
  52. Tantôt nous aimons le travail. Autre pensée, qui n’est pas suffisamment exprimée.
  53. Il en est de même aussi pour l’âme. Les exemples qui précèdent n’ont pas éclairci cette réflexion sur l’âme ; loin de là ; l’observation psychologique est certainement ici plus claire que les comparaisons par lesquelles l’auteur prétend la préparer.
  54. Il peut y avoir excès. Et c’est précisément cet excès qui est le contraire de la colère. Seulement, comme il est assez rare, on ne le remarque pas et l’on s’arrête à la douceur, qui est beaucoup plus fréquente et beaucoup plus connue.
  55. De voir plus tard. Il serait difficile de citer l’endroit de la Morale à Eudème auquel ceci se rapporte ; et la discussion promise ici n’est point ramenée par la suite des Idées. C’est peut-être un simple oubli de l’auteur ; et ces omissions sont assez naturelles pour qu’on ne s’étonne point de celle-ci. Peut-être aussi faut-il rapporter ce passage au VIe livre, ch. 4, § 3 de la Morale à Nicomaque, qui est comme on sait le livre V de la Morale à Eudème. Voir la Dissertation préliminaire.
  56. Ou du moins quelques-unes. Il faut se rappeler les restrictions qu’Aristote a mises également à sa théorie dans la morale à Nicomaque, On a trop dit qu’il faisait consister la vertu dans le milieu ; ce qui est vrai, c’est qu’il n’a reconnu ce caractère qu’à un certain nombre de vertus qui le présentent incontestablement. Mais il n’a jamais prétendu rapporter toutes les vertus sans exception à cette mesure trop étroite. — Avoués par la raison. J’ai ajouté ces mots qui ressortent du contexte.
  57. Chacune d’elles peut engendrer. Il semble que cette formule est un peu trop générale, et qu’il y a des substances qui n’ont pas la faculté de se reproduire.
  58. Cause de certains actes. Il faut entendre, d’actes volontaires. — Qu’il agisse réellement. Sans doute en tant qu’être libre et intelligent, ayant conscience de ce qu’il fait. C’est une grande et juste idée de la nature de l’homme.
  59. Dieu seul peut-être. Ces idées sont d’accord avec toutes celles qu’Aristote a si admirablement exprimées dans la Métaphysique sur le premier moteur.
  60. Il n’y a pas là de causes à proprement parler. Distinction profonde, quoique très-simple. — Des causes et des principes. J’ai dû mettre deux mots dans tous ces passages, quoiqu’il n’y en ait qu’un seul dans le texte ; mais il a les deux sens. Le mot de « cause » que j’ajoute ici, contribue à rendre la distinction qu’on indique encore plus évidente.
  61. L’homme est… le principe d’un certain mouvement. Dont il est la cause spontanée et volontaire. — Qui lui est permise. J’ai ajouté ces mots. — Comme pour les démonstrations. Pensée obscure, que la suite n’éclaircit point assez.
  62. Si, par exemple…. Les détails qui suivent sont très-exacts mathématiquement parlant ; mais on ne voit pas bien en quoi ils se rapportent à la question de la causalité dans l’homme.
  63. Dans les Analytiques. Voir un peu plus loin, ch. 10, § 22, et les Derniers Analytiques, livre 1, ch. 2, § 13, p. 11 de ma traduction. Cette citation est exacte.
  64. De cette autre cause signalée par nous. De cette cause libre qui est représentée par l’homme. Voir un peu plus haut dans ce chapitre, § 5. — Ce qui dépend de l’homme. Le texte dit : « des hommes ».
  65. Il est donc la cause responsable. Ces théories, si importantes pour la conduite de la vie, n’ont jamais été plus nettement exprimées qu’elles ne le sont ici. Ces grands principes sont attestés hautement à l’homme par sa conscience ; mais tant de systèmes les ont méconnus ou niés, qu’on doit savoir gré au philosophe qui le premier les a si fermement défendus.
  66. Dignes de louange… dignes de blâme. Arguments qu’on retrouve dans la Morale à Nicomaque et dans la Grande Morale, et qui depuis lors ont été bien des fois répétés.
  67. Nous aurons donc à rechercher. Voir les chapitres qui suivent.
  68. La préférence réfléchie. Voir plus loin, ch. 10. — Ou libre arbitre. J’ai ajouté ces mots, qui donnent la pensée sous une forme plus familière à nos habitudes.
  69. De l’appétit. C’est le terme générique pour exprimer les désirs de toute espèce ; c’est, si l’on veut, la spontanéité. — De la réflexion. Il semble difficile de distinguer ici la réflexion de la raison. — La volonté, le cœur, le désir. Ces nuances sont assez subtiles, et je n’ai pas trouvé d’équivalents suffisants.
  70. Evénus. Poète un peu antérieur au temps d’Aristote, et que nous avons déjà vu cité, Morale à Nicomaque, livre VII, ch. 10, § 4. Platon semble aussi en avoir fait quelqu’estime. Voir l’Apologie p. 69, le Phédon, p. 191, et le Phèdre, p. 100 de la traduction de M. Cousin. Ce même vers se retrouve dans la Rhétorique, livre I, ch. 11, p. 1370, a 10, édit de Berlin, et dans la Métaphysique, livre IV, ch. 5, p. 1015, a, 29, même édit.
  71. Ajoutez que toute action vicieuse. Il manque ici une transition. L’idée intermédiaire serait celle-ci : « L’action, qui est suivant le désir, est toujours volontaire, qu’elle soit d’ailleurs bonne ou vicieuse. » On est coupable en se livrant à ses vices, précisément parce qu’on pourrait y résister. — Deviennent moins coupables. En n’étant pour rien, à ce qu’on supposerait, dans l’action mauvaise qu’ils commettent, emportés et aveuglés par leurs passions.
  72. Prouver tout le contraire. Il est dans les habitudes d’Aristote de présenter en général sur toutes les questions les arguments en sens contraire, avant de se prononcer lui-même ; et cette impartialité nuit même par fois à la netteté de son jugement. — Personne ne veut ce qu’il croit mal. C’est en ce sens que Platon a soutenu cette théorie, si souvent réfutée par Aristote, que le vice est toujours involontaire. — Volontairement et involontairement. Subtilités sophistiques, auxquelles se plaisaient beaucoup les Grecs.
  73. De là, une contradiction nouvelle. Même remarque.
  74. Pour le cœur et pour la colère. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Héraclite Voir la Morale à Nicomaque, où cette même citation se retrouve, livre II, ch., 9, § 10.
  75. Ce qui est suivant la volonté est plus libre. C’est presqu’une tautologie.
  76. Il nous paraît impossible de les confondre. C’est une erreur qui n’est avancée ici que pour être réfutée un peu plus bas. — Et l’on est même alors plus vertueux. Même remarque. — Qui ne voit combien cela est absurde ? Voilà l’opinion véritable de l’auteur ; mais a la manière dont il présentait les arguments contraires, on aurait pu croire qu’il les adoptait pour siens.
  77. Ce n’est pas agir suivant l’appétit. C’est agir selon la raison.
  78. Celui qui est fait après réflexion. Cet acte-là est libre aussi ; mais il n’est pas le seul libre. — Plus haut. Dans ce même chapitre, § 7. — Sur le champ. C’est la différence entre la volonté et la réflexion ; et voilà pourquoi on ne peut pas tout a fait confondre l’acte volontaire et l’acte réfléchi, bien que tous deux soient libres.
  79. Comme nous l’avons vu. Voir plus haut, ch. 7, § 2. — Et s’il n’est aucune des deux premières. C’est ce qui a été prouvé dans le chapitre précédent, quoique l’auteur ait beaucoup plus insisté sur l’appétit que sur la réflexion. — Sa pensée et sa raison. Il n’y a que le premier mot dans le texte ; j’ai ajouté le second pour plus de clarté.
  80. Par force ou contrainte. Il n’y a qu’on seul mot dans l’original.
  81. Le forcé. Cette expression un peu singulière se comprend bien à l’aide de tout ce qui l’entoure. — Qu’elles y sont portées volontairement. Précisément parce que ce sont des choses inanimées on ne peut pas leur supposer de volonté. — N’a pas reçu de nom particulier. Il semble qu’on dit au contraire qu’elles y sont portées naturellement ; et en ce sens, la nature serait opposée à la volonté.
  82. Pour les animaux et les êtres vivants. Des choses inanimées, l’auteur s’élève aux êtres vivants et aux animaux, pour arriver jusqu’à l’homme qui a le privilège d’être une cause intelligente et libre.
  83. Précisément comme elle agit dans les choses inanimées. C’est aller trop loin ; et l’on ne peut assimiler tout à fait l’instinct, qui conduit les bêtes, aux lois nécessaires qui régissent les choses inanimées. On fait encore une part plus belle aux animaux en les regardant comme des automates. — L’instinct et la raison ne se combattent pas. Comme chez l’homme. — Non plus que l’animal. Ici encore, c’est trop ravaler l’enfant ; car il a de très-bonne heure le sentiment réel de sa faute ; ce que l’animal n’a jamais.
  84. Comme je l’ai dit. Au début de ce chapitre ; j’ai du reste ajouté ceci pour indiquer la répétition. — Qui voudrait l’éclairer. J’ai ajouté ces derniers mots qui ressortent du contexte.
  85. L’intempérant doit moins souffrir. Observation profonde. On peut même ajouter que, dans bien des cas, l’intempérant ne souffre pas si sa conscience n’a point de remords, ou n’en a que de très-faibles.
  86. Agissent par force et involontairement. C’est presque la théorie Platonicienne : le mal est involontaire. — Quelque chose qui ressemble. C’est faire peut-être une bien large concession à l’intempérance.
  87. Ce qui a été dit plus haut. Voir au début de ce chapitre, et dans le chapitre précédent, § 2. — Ils ont en eux les deux principes. C’est là une vérité dont chacun de nous peut s’assurer en s’observant soi-même. — Qui les contraigne. J’ai ajouté ces mots.
  88. Du moment que le principe est intérieur. Il ne suffît peut-être pas que le principe soit intérieur pour qu’il n’y ait pas violence. Ce qui est plus vrai, c’est qu’il y a liberté du moment qu’il y a deux mobiles entre lesquels on peut également choisir.
  89. Un avantage de sa sagesse. La tempérance n’est pas si intéressée, et l’on est en général tempérant parce qu’il est bien de l’être, sans calcul ultérieur. — La douleur des conséquences. L’intempérant a des remords plutôt encore qu’il n’a des craintes.
  90. Agissent par force. Ceci semble contradictoire à ce qui précède. — Malgré eux. Ceci peut être vrai dans une certaine mesure de l’intempérance ; ce ne l’est plus de la tempérance qui obéit à la raison sans le regretter ni même en souffrir. Du reste, l’auteur lui-même réfute un peu plus bas l’opinion qu’il semble soutenir ici. — Ni l’un ni l’autre n’agissent par contrainte. Telle est la vraie pensée de tout ce passage : oui la vertu et le vice sont également volontaires, et l’homme est responsable de ce qu’il fait, parce qu’il pouvait ne pas le faire. — La nature veut…. Théories admirables, parfaitement exprimées.
  91. Conformément à la nature. Qui veut d’une part que la raison commande, et qui veut aussi d’autre part que le désir soit satisfait.
  92. Voilà donc les questions. Résumé de toutes ces questions, qui ont assez subtiles comme le prouvent tous les développements antérieurs. — Répondre à toutes ces difficultés. L’auteur semblait en avoir fait assez bon marché pour qu’il n’eût plus à y revenir, même afin de les résumer.
  93. Dans un autre sens. Cette transition peut paraître insuffisante ; car le nouvel ordre d’idées qu’elle annonce, est complètement différent de toutes les idées qui précèdent.
  94. De sa libre volonté, La volonté n’est pas aussi entière dans les cas extrêmes. Mais il est vrai qu’elle existe toujours, et c’est précisément dans de telles circonstances qu’elle peut montrer toute sa force.
  95. De choses où il dépend de nous. Distinction très-exacte, et qui n’exclut pas les résolutions héroïques, quand le cas l’exige et que la raison le permet.
  96. Pour éviter d’être touché. Motif évidemment insuffisant et inadmissible, du moins dans nos mœurs car dans la société brahmanique, la loi allait jusqu’à permettre au Brahmane de tuer le Tchandola ou Paria pour une raison aussi futile. Le contact seul le constituait en état de légitime défense. — Ou du moins qu’on n’agit pas naturellement. Cette restriction était indispensable, et la première assertion était trop générale.
  97. L’amour comme involontaire. Le désir plutôt que l’amour. — Plus fortes que nous. Voir un peu plus bas le mot de Philolaüs. — Qui triomphent habituellement. Mais non pas nécessairement. — Ce que sa nature est capable de supporter. Observation très-délicate, et qui dans bien des cas doit provoquer l’indulgence.
  98. Des devins qui prédisent l’avenir. Il est assez remarquable que toute l’antiquité a cru aux devins. Platon même et Aristote semblent à peine avoir fait exception.
  99. Non plus que les actes. Ces cas sont tellement rares qu’ils ne portent point une véritable atteinte à la liberté ; c’est une sorte de folie passagère. — Philolaüs. Voir plus haut § 10 ; on sait que Philolaüs était un Pythagoricien un peu antérieur au temps de Platon. — Il faut nous arrêter ici. Cependant la discussion continue dans le chapitre suivant. — Car ceux-là même. C’est le sens le plus plausible que j’ai pu tirer du texte altéré en cet endroit.
  100. Il nous reste… la pensée et la raison. Il semble que ceci vient d’être fait précisément dans le chapitre qui précède.
  101. Les filles de Pélias. Elles égorgèrent leur père, sur la promesse de Médée, qui devait le ressusciter en le rajeunissant. — Que c’est un philtre. Voir la Grande Morale, livre I, ch. 15, § 2.
  102. Par la liberté, par le volontaire. Ce dernier mot est le seul dans le textes.
  103. Peut s’entendre en un double sens. La distinction est très-réelle ; mais l’auteur ne semble pas en tirer toutes les conséquences qu’elle porte. Voir la Morale à Nicomaque, livre VII, ch. 3, § 5.
  104. A la suite de tout ceci. Transition insuffisante, qui ne montre pas en quoi l’analyse de l’intention se relie à ce qui précède. — L’intention. Ou « la préférence réfléchie » ; j’ai indifféremment employé l’une ou l’autre expression. — Ou l’appétit. On a vu plus haut, ch. 7, § 2, dans quel sens large ce mot doit être pris.
  105. L’intention ne leur appartient jamais. Voir plus haut, ch. 8, § 4, ce qui a été dit des animaux. Je ne crois pas en effet qu’on puisse jamais leur supposer une intention dans le sens vrai de ce mot. Même lorsqu’on châtie les animaux domestiques, on est bien loin de leur supposer une intention.
  106. La volonté et l’intention soient la même chose. Analyse très-délicate et très-vraie. — Voici un point bien évident. C’est là le caractère essentiel de l’intention.
  107. Avec l’opinion ou le jugement. Il n’y a qu’un seul mot dans l’original. — Venons-nous de dire. J’ai ajouté ces mots pour atténuer la répétition. — Que le diamètre est commensurable. Soit avec le côté du carré, soit avec la circonférence du cercle.
  108. Ne s’applique directement à une fin. On ne toit pas a première vue pourquoi la volonté et l’intention ne s’appliqueraient pas à une fin, aussi bien qu’elles s’appliquent aux moyens qui peuvent y mener. On peut, avoir à choisir entre des fins diverses aussi bien qu’entre des moyens divers comme elles. Mais les exemples cités un peu plus bas éclaircissent du reste très-bien la pensée ; et la différence est très-réelle. — Il y a ici deux choses bien distinctes. On doit remarquer la délicatesse et la parfaite exactitude de cette analyse.
  109. L’objet de la volonté… L’objet… de l’opinion. L’opinion et la volonté se confondent alors, en ce qu’elles peuvent toutes deux s’appliquer à des fins.
  110. Ni la conception. Notre langue ne m’a pas offert d’équivalent meilleur. — Le rapport précis à la volonté. C’est là le point véritable de la question. — À la liberté et au volontaire. Il n’y a qu’au seul mot dans l’original, comme plus haut.
  111. À moins d’ignorer absolument…. Ou à moins d’être hors de sa raison.
  112. De ce qui se passe dans les Indes. Je ferai remarquer que ceci pourrait bien être une allusion indirecte à l’expédition d’Alexandre dans l’Inde. C’était à peu près l’époque où Aristote écrivait ses principaux ouvrages. On aurait ainsi la date approximative de ce traité.
  113. De toutes les choses réalisables. Il eût été bon de citer quelques unes de ces choses.
  114. En suivant cette idée. J’ai ajouté ces mots, qui peuvent servir comme de transition. — Cette double chance d’erreur en médecine. Cette idée est très-vraie ; mais elle reste un peu obscure ici, parce qu’elle n’est pas assez développée. — La sensation et l’usage. Même remarque. La « sensation » ne signifie sans doute ici que le goût particulier de chaque individu.
  115. Dans une certaine mesure. C’est là ce qui fait que cette nouvelle définition ne contredit pas la précédente. L’intention n’est pas la volonté et le jugement réunis simplement ; c’est la combinaison de l’un et de l’autre, dans une mesure qu’il s’agit de déterminer.
  116. Bien que le mot lui-même. Ceci est très exact en grec ; ce ne l’est pas également dans notre langue, quand on traduit le mot du texte par intention. — L’intention, qui… préfère. Paraphrase du mot unique qui est dans l’original.
  117. Le but est le même pour tout le monde. En ce sens que c’est le bien. Voir le début de la Morale à Nicomaque.
  118. L’intention ou la préférence. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Un appétit, un instinct. Même remarque.
  119. L’intention, accompagnée de préférence. J’ai du paraphraser le mot unique du texte. — La plupart des hommes…. Il s’en faut bien que tous. Ces deux assertions semblent contradictoires.
  120. Le pourquoi….. est une des espèces de cause. Voir dans la Métaphysique, livre I. ch. 3, p. 131 de la traduction de M. Cousin, et p. 13 de la traduction de MM. Pierron et Zévort. La cause finale est la quatrième des causes reconnues par Aristote.
  121. De son plein gré. Il serait peut-être mieux de dire : « en connaissance de cause », afin que l’opposition fût plus évidente. — Le volontaire n’est pas toujours intentionnel. Parce qu’on veut une foule de choses sans aucune délibération préalable, et que l’intention suppose toujours une délibération de ce genre.
  122. Les législateurs ont eu raison. Ceci est très-vrai, tandis qu’au contraire Platon blâme les législateurs, ainsi que je l’ai déjà fait remarquer. Voir les Lois, livre IX, p. 165 de la traduction de M. Cousin. — Dans l’étude de la justice et des droits. Voir plus loin la théorie de la justice dans le livre quatrième, qui n’est que la reproduction du livre cinquième de la Morale à Nicomaque.
  123. Elle n’est absolument ni le jugement. Répétition de ce qui a été dit un peu plus haut, § 14. — Je le répète. J’ai ajouté ces mots. — Au début de cette discussion. Voir plus haut, ch. 6, § 7. — Dans les Analytiques. Voir les Derniers Analytiques, livre I, ch. 2, § 15, et ch. 10, § 7 et 8, p. 12 et 60 de ma traduction.
  124. Avec l’habileté que l’art inspire. Observation juste, mais qui importe assez peu au sujet en discussion.
  125. Considérer la fin qu’il veut atteindre. Par une sorte d’intention spontanée de son intelligence.
  126. La fin… est toujours bonne. Voir le début de la Morale à Nicomaque. En d’autres termes, c’est la théorie de Platon : « On ne veut jamais que le bien ; et par conséquent le mal est involontaire ». — S’il administrera tel ou tel remède. Mais il ne délibère pas pour savoir s’il doit guérir le malade.
  127. C’est un fait contre nature. Grand principe, qu’Aristote a toujours soutenu, et qui l’a sans doute aidé puissamment à comprendre les phénomènes naturels, et à les décrire aussi bien qu’il l’a fait — Telle est la vue, par exemple. Remarque très-vraie ; mais la pensée que cet exemple éclairait reste incomplète, et n’est pas suffisamment exprimée.
  128. La volonté… s’applique toujours au bien. Noble et juste idée des dons que Dieu a faits à l’âme humaine. Ce sont là du reste exactement les principes soutenus par Aristote dans la Morale à Nicomaque, et notamment livre III, ch. 5.
  129. Passent du milieu. Où est la vérité et la sagesse. — De l’une et de l’autre. C’est-à-dire, de l’erreur et de la préférence.
  130. Cela même doit encore… Voir plus haut, dans ce même livre, ch. 4, § 5.
  131. Nous avons montré. Voir ci-dessus, ch. 8, § 3, des théories tout à fait analogues.
  132. Voyons si la vertu…. ou bien si c’est la raison. La pensée est assez confuse. L’auteur se demande si la vertu rend infaillible la préférence, qui dans les cas particuliers détermine notre choix ; ou bien si c’est seulement la raison, d’une manière générale, sur laquelle la vertu a cette heureuse influence. — Comme on le prétend. Dans l’école de Platon sans doute. — La domination de soi-même, la tempérance. Il n’y a que ce dernier mot dans le texte ; mais sa composition étymologique en grec m’a permis d’ajouter la paraphrase qui le précède.
  133. Comme on le montrera plus tard. Dans la théorie de l’intempérance, au livre 6, ch. 1 et suiv. — Avant d’en parler. Ceci semblerait indiquer que la théorie de la tempérance devrait venir immédiatement à la suite de ce chapitre. Il n’en est rien cependant.
  134. Est-ce la vertu qui fait… Il semble que la vertu peut tout à la fois déterminer, et le but que l’on doit poursuivre, et les moyens qu’il convient de choisir pour l’atteindre. — Ni d’un syllogisme, ni d’un raisonnement. C’est alors la conséquence d’une intention spontanée de l’esprit, tant l’amour du bien est naturel à l’âme de l’homme.
  135. De la fin même qu’elle poursuit. Elle ne s’occupe que des moyens qui mènent à cette fin. Mais il faut ajouter que dans bien des cas les moyens se confondent avec la fin elle-même. — Les hypothèses initiales. Comme celles de la géométrie, par exemple.
  136. Du moment que ce n’est pas la raison. Il semble que c’est induire beaucoup trop le rôle de la raison ; et c’est trop la séparer de la vertu qu’elle doit éclairer et conduire. — La vertu qui fasse que la fin soit bonne. En d’autres termes, c’est l’intention vertueuse qui fait que la fin qu’on se propose est bonne, bien que peut-être la raison ne puisse pas toujours l’approuver.
  137. Le but… est causé par la vertu. Répétition de ce qui vient d’être dit un peu plus haut. Ces répétitions sont fréquentes.
  138. C’est à une autre faculté. La raison, qui semble reprendre en ceci la supériorité qu’on lui refusait tout à l’heure. Mais au fond, dans cette théorie la raison reste subordonnée ι la vertu décide souverainement du but que l’homme doit se proposer ; la raison n’intervient que pour lui indiquer les moyens propres à loi faire atteindre ce but. Maïs alors c’est plutôt l’intelligence que la raison ; car la raison et la vertu paraissent inséparables et identiques.
  139. D’après l’intention, juger le caractère. Principe excellent et incontestable, quoique d’une application fort difficile.
  140. Qu’en vue des contraires. Expression obscure et incomplète que la suite éclaircit en partie. — Il n’y a jamais nécessité de vouloir le mal. Socrate et Platon n’ont pas mieux dit. Le mot du texte peut signifier aussi : « faire le mal » ; mais en ce sens qu’on le veut avant de le produire ; et qu’avant l’acte du dehors on fait cet acte intérieur qui le précède et le détermine. J’ai pensé que le mot de « vouloir », bien qu’il précisât un peu plus la pensée, était cependant plus fidèle.
  141. Bien que l’acte soit préférable à la vertu. On voit qu’il faut sous entendre : « l’acte vertueux. »
  142. Mais, comme il n’est pas facile…. C’est là ce qui donne tant d’importance aux actes, sans même parler des conséquences plus ou moins graves qu’ils peuvent avoir.
  143. L’intention est plus louable. C’est le principe de Kant : « Il n’y a d’absolument bon au monde qu’une bonne volonté ». Voir plus haut, Gr. Morale, livre I, ch. 18, § 1.