Mont-Revêche/28
XXVIII
Dutertre, plus rassuré par la lettre d’Olympe que par celle d’Éveline, partit cependant à l’instant même pour son château. Il trouva Éveline aussi bien que possible après les émotions et les souffrances qu’elle avait endurées. Il était venu vite, sans faire aucune question à Crésus, ne voulant s’en rapporter qu’au témoignage de sa femme. Benjamine, qui avait couru au-devant de lui, avait succinctement raconté l’histoire inventée par Olympe et à laquelle l’enfant ajoutait une foi entière. Cette histoire était si simple et si vraisemblable, que Dutertre n’insista pas sur les détails. Soit par oubli, soit par un de ces profonds instincts de délicate prudence qui couvaient dans l’âme dévouée de Benjamine, elle n’avait parlé ni de Thierray, ni de M. de Saulges.
— C’est maman, avait-elle dit simplement, qui a trouvé ma pauvre petite sœur dans les rochers du parc.
Si bien que Dutertre embrassa sa fille et sa femme sans leur faire ces questions oiseuses qui ne réparent pas les accidents. Il s’occupa seulement d’interroger le médecin et le chirurgien, qui répondirent de la malade. Dutertre, à qui la crainte du tétanos se présenta, demanda si la chute avait été faite de haut, avec violence et dans des circonstances effrayantes. Éveline se hâta de répondre qu’elle n’était tombée que de sa hauteur et que son pied avait porté à faux.
Dutertre, aussi tranquille que possible, descendit pour dîner avec Nathalie et les deux Esculapes campagnards, qui étaient des amis fidèles de la maison et des hommes instruits, surtout Blondeau le médecin. Ils le quittèrent au dessert pour voir leur malade et faire quelques courses avant la nuit, car Dutertre leur avait fait promettre de coucher au château, dans la crainte d’un accident imprévu dans l’état de sa fille.
Nathalie n’avait qu’un instant pour se venger d’Olympe, pendant que son père prenait son café. Elle mit le temps à profit.
— Vous a-t-on dit, au milieu de tout cela, dit-elle, que le barbare et fantastique Thierray était enfin revenu ?
— Ah ! dit Dutertre, tant mieux ! Éveline l’a-t-elle su ?
— Elle l’a même vu, car c’est lui qui a aidé à la rapporter du parc sur un brancard avec l’autre.
L’autre ne frappa point Dutertre. Il ne pensait qu’à Éveline.
— Eh bien, dit-il, lorsqu’il l’a vue ainsi, cette pauvre enfant, a-t-il montré de l’émotion, de l’attachement ? Étais-tu présente ?
— Oui, mon père ; M. Thierray a été aussi désespéré qu’il convenait à votre futur gendre de l’être.
— Et cela a consolé un peu Éveline, je suppose ? Sait-on maintenant pourquoi il est resté toute une semaine sans venir nous voir ?
— Non, pas précisément. Moi, je suppose que c’est la présence de son ami à Mont-Revêche qui l’aura retenu.
— Quel ami ? dit Dutertre, à qui passa un frisson dans les veines.
— Eh bien, M. de Saulges, répondit Nathalie d’un ton d’indifférence.
— Il est à Mont-Revêche ? demanda Dutertre en s’efforçant de montrer le même calme.
— Sans doute, puisqu’il est venu ici ce matin.
— Ici ?
— Est-ce qu’Olympe ne vous a pas dit qu’ils étaient rentrés ensemble ? C’est singulier !
— Qui, ensemble ? M. de Saulges avec Thierray ?
— Vraiment, vos questions m’étonnent, mon père, et me font craindre d’avoir dit quelque sottise. Que votre femme est une personne singulière avec ses cachotteries ! Puis-je deviner qu’elle vous fait mystère des choses les plus simples ?
— Ma femme ne me fait mystère de rien, Nathalie, dit Dutertre avec fermeté, et, moi, je ne lui fais même pas de questions.
— Ah ! fit Nathalie avec nonchalance. Peut-être avez-vous raison, mon père.
Et elle sortit brusquement : le coup était porté. Un trouble mortel s’empara de Dutertre ; ses genoux tremblaient. Il ne se sentit pas la force de monter à la chambre d’Éveline, où était Olympe, et il attendit que les médecins fussent redescendus.
— Elle va à merveille, cette chère petite, dit le vieux Martel, le chirurgien, qui avait vu naître Éveline. Je vous assure que vous pouvez vous tenir en repos et me laisser aller coucher chez moi. Blondeau vous reste. Si la ligature venait à se déranger, chose impossible, vous m’enverriez chercher ; c’est si près d’ici, le hameau de Puy-Verdon !
Martel se dérangeait difficilement de ses habitudes. Blondeau assura que sa présence n’était pas urgente et promit de rester. Dutertre donna la clef des champs au vieux praticien, qui se chargea de passer chez les malades de son confrère.
— D’ailleurs, dit Martel en s’en allant, vous avez ici le meilleur des médecins : c’est votre femme ! Savez-vous qu’elle nous fait concurrence ? Elle avait fait à Éveline un premier pansement admirable. Vraiment les femmes d’esprit excellent dans tout et font tout ce qu’elles veulent. J’ai vu, dans les chaumières des pauvres gens, des merveilles de prévision et d’intelligence qu’elle avait faites en attendant ma visite.
— Oui, dit Dutertre, quoique d’une santé assez délicate elle-même, elle s’occupe beaucoup de la santé des autre.
Et, entraîné par une aveugle fatalité à chercher le mot de l’énigme de Nathalie, il ajouta :
— Elle sort quelquefois avec le jour pour porter assistance aux pauvres.
— Parbleu ! reprit Martel, elle était levée ce matin plus tôt que moi ; car, quand j’ai fait ma tournée dans le village, elle y avait déjà passé.
— Ah ! elle est sortie ce matin ? dit Dutertre rusant malgré lui et jouant l’indifférence.
— Bon ! dit Martel très-innocemment ; quand elle a trouvé ce matin Éveline dans le parc sur les neuf heures, elle avait déjà fait sa grande tournée, elle ! Oh ! c’est un grand cœur que madame Dutertre ! Tout pour les autres, rien pour elle-même ! Mais, si je vous parlais d’elle, je ne m’en irais pas. Bonsoir.
Et Martel s’en alla, laissant Dutertre rongé d’une funeste curiosité.
— Votre femme est une sainte ! dit à son tour Blondeau. Mais elle ne se ménage pas assez. Elle est délicate et se fatigue au delà de ses forces.
— Oui, n’est-ce pas ? dit vivement Dutertre. Je suis sûr qu’elle est exténuée aujourd’hui ! Sortie depuis la pointe du jour ! Où a-t-elle été, ce matin ?
— Je n’en sais rien, répondit Blondeau, qui remarqua le trouble de Dutertre avec une grande surprise.
— Elle a été à Mont-Revêche, dit Nathalie, qui était rentrée à pas de loup et qui fit semblant de venir chercher sa broderie sur la table.
Dutertre reçut ce coup avec impassibilité, comme s’il s’y fût attendu.
— Ah ! dit-il, est-ce que la pauvre vieille Manette serait malade ? Ma femme a beaucoup de bontés pour elle : c’est une honnête créature.
— Je crois que mademoiselle Nathalie se trompe, dit Blondeau, qui, sans comprendre, voyait un drame domestique se dérouler sous ses yeux. Il connaissait Nathalie, il était pénétrant. Il sentait sa propre intervention nécessaire, sans trop savoir encore sur quel point elle devait porter. — Je ne pense pas que madame Dutertre ait eu occasion d’aller ces jours-ci à Mont-Revêche, ajouta-t-il en voyant que son doute soulageait Dutertre.
— Moi, je sais qu’elle y a été, reprit l’impitoyable Nathalie. Quel mal y aurait-il ? Probablement, il y avait des malades. Si ce n’est pas la vieille Manette, ce pouvait être le vieux Gervais.
— Comment le sauriez-vous donc ? dit Dutertre perdant ses forces. Est-ce que vous auriez des espions dans la campagne ?
Et il essaya un sourire d’enjouement qui fut plein d’amertume.
— Eh ! mon Dieu ! la campagne est semée d’espions tout aussi peu curieux, tout aussi peu médisants que moi, dit Nathalie d’un ton léger. Un de vos nouveaux fermier de Mont-Revêche, puisque la ferme vous appartient à présent, mon père, est venu tantôt pour nous offrir un cadeau de gibier, que j’ai dû recevoir, ma belle-mère étant occupée auprès d’Éveline. Ce bonhomme m’a demandé naïvement si c’était moi qui avais été ce matin à Mont-Revêche, parce qu’il avait vu la calèche blanche à stores bleus monter la côte et entrer dans le castel, conduite par M. de Saulges sur le siège. Cela vous prouve que les paysans n’entendent pas malice aux relations et aux démarches des gens dont ils ne comprennent pas les usages. Or, comme, moi, je ne suis pas médecin et que je ne vais pas à Mont-Revêche ; comme Olympe a eu soin de faire dire ici à sept heures, en renvoyant Crésus, qu’elle partait du village du Puy-Verdon avec M. de Saulges pour voir des malades ; comme elle est rentrée dans cette même calèche à neuf heures avec M. de Saulges, je trouve tout naturel qu’elle ait été chez lui, avec lui, pour soigner son pauvre monde.
— À la bonne heure ! dit Dutertre du ton d’un homme condamné à la torture, qui, à force de souffrir, ne sent plus la souffrance ; — c’est que les vieux serviteurs de la chanoinesse sont malades !
— Dangereusement, à coup sûr, dit Blondeau, qui ne savait plus que dire. J’irai les voir demain matin.
— Olympe ne vous a point parlé d’eux ! dit Nathalie, qui sentait que la présence d’Un tiers empêcherait son père de lui imposer silence.
— Si fait, dit Blondeau, je crois qu’elle m’a dit quelque chose comme cela. Mais j’étais si troublé de l’accident d’Éveline…
— Sans doute, sans doute ! dit Dutertre en se levant avec effort du fauteuil sur lequel il s’était affaissé comme un paralytique. Allons donc la voir, cette pauvre Éveline. Nous l’oublions pour parler de choses oiseuses.
Il monta chez sa fille, suivi de Blondeau. Grondette vint à sa rencontre.
— N’entrez pas, monsieur, lui dit-elle. Ma diablesse dort, elle Dort très-bien ; et, tenez, la petite aussi fait son somme, ajouta-t-elle en entre-bâillant la porte et en montrant Caroline assise et assoupie au coin du lit de sa sœur.
— Est-ce que cette enfant va veiller ? dit Dutertre.
— Non, non, Monsieur, c’est madame qui veut veiller. Elle a été prendre sa coiffe et sa robe de chambre pour passer la nuit ; elle renverra la petite sitôt qu’elle reviendra. Moi, je resterai là aussi, soyez tranquille.
— Non pas, Grondette ; mettez un lit de sangle pour vous dans cette pièce, afin qu’on puisse vous appeler au besoin. C’est moi qui veillerai ma fille.
— Vous ferez bien, dit Blondeau ; madame Dutertre n’est pas de force à passer les nuits, ne le souffrez pas.
Blondeau, en apprenant d’Amédée qu’il avait révélé à son oncle la maladie nerveuse d’Olympe, s’en était expliqué avec Dutertre. Blondeau n’avait jamais cru Olympe dangereusement malade, surtout depuis les quelques jours où, la méchanceté de Nathalie s’étant engourdie, madame Dutertre avait paru subitement refleurir. Il avait passé ensuite quelques autres jours sans la voir. Au milieu de l’accident d’Éveline, il n’avait pas été surpris de la voir pâle et bouleversée. Mais il crut devoir réveiller les inquiétudes de Dutertre, car il pressentait un orage inouï dans les fastes de cette union jusque-là si paisible et si tendre. Il se confirma dans cette opinion en notant le silence de Dutertre, qui, à l’ordinaire, l’accablait de questions sur ce sujet, et qui parut à peine l’avoir entendu.
Dutertre descendit, traversa la maison et se rendit par l’intérieur à ses appartements. Blondeau ne voulut pas le suivre, mais il alla au jardin et marcha sur la pelouse à portée, non pas d’entendre une discussion conjugale, mais d’offrir secours et consolation au besoin. Il a dit depuis qu’il s’était senti ce soir-là oppressé d’un pressentiment étrange, tout à fait insolite dans son caractère calme et dans son esprit enjoué.
Blondeau n’était pas, d’ailleurs, complètement dépourvu de la curiosité qui atteint jusqu’aux plus sages natures dans la vie de province. Il ruminait donc ce qu’il venait de voir et d’entendre.
— Comment diable, se disait-il, Dutertre, qui n’a jamais eu de sa femme l’ombre d’un sujet de jalousie, s’avise-t-il, après huit ans de parfait amour, dont quatre ans de mariage modèle, d’être jaloux à ce point ? Qu’est-ce que ça lui fait que sa femme soit conduite en voiture par M. de Saulges, quand il la laisse depuis deux ans dans une sorte de tête-à-tête avec Amédée et jouissant d’une liberté illimitée, privilège des honnêtes femmes incapables d’en abuser ? Quel mal peut-on faire dans une voiture quand la femme est au fond et l’homme sur le siége ? Est-ce une manière commode pour causer ? Mieux vaudrait se promener bras dessus bras dessous dans les bois, et même dans les allées de ce parc, qui sont beaucoup plus mystérieuses, à mon avis. Est-ce que, dans les promenades de famille, dans les chasses, dans les courses quelconques auxquelles on se livre aux vacances, Dutertre n’a pas vu dix fois sa femme accompagnée tantôt par l’un, tantôt par l’autre ? Est-ce qu’elle ne pourrait pas, fort naturellement et fort innocemment, prendre dans sa voiture M. de Saulges ou M. Thierray, qui sont peut-être tous deux des gendres postulants, pour causer avec eux de quelque projet de mariage, ou, en effet, pour aller voir avec eux des indigents et des infirmes ? Je trouve un peu singulier qu’elle ait été précisément pour cela à Mont-Revêche en personne, au lieu de m’y envoyer. Mais, que diable ! il y a quelque raison fort simple à cela, que la mauvaise pièce de Nathalie ne nous dit pas, et qui s’expliquera demain, comme s’expliquent toutes choses de ce monde quand on se donne la peine d’attendre pour juger. Madame Dutertre se croit protégée de tout soupçon par sa vertu même. Elle en a bien le droit, mais elle n’en a pas moins tort, à ce qu’il paraît, puisque dans sa propre maison elle trouve la malveillance et la calomnie. Allons, de tous les mariages que j’ai vus, le meilleur ne vaut pas grand’chose !
Il va sans dire que Blondeau était un vieux garçon.
Cependant Dutertre était entré dans la chambre de sa femme. Elle avait mis une robe de chambre grisé et roulé ses magnifiques cheveux noirs sous une coiffe de batiste. Elle avait l’air d’une religieuse. Elle avait le calme, la douceur, l’expression chaste et grave d’une vierge d’Holbein. Elle priait, car Olympe, Italienne et catholique, n’avait jamais manqué aux pratiques de sa religion d’enfance, même dans le temps où elle se destinait au théâtre. Dutertre respectait la simplicité de son cœur et ne la dérangeait jamais de ses prières. En ce moment, il les imputa presque à hypocrisie, et fut tenté de les interrompre. Il ne l’osa pas. On ne passe pas, en un instant, du respect sans bornes au doute et à la colère. Il attendit avec impatience qu’elle eût fini, en se promenant de long en large dans la chambre voisine, qui était la sienne.
Olympe entendit le bruit nerveux de ses pas, et comprit qu’il était agité. Elle se recueillit un instant pour élever son âme à Dieu une dernière fois, et alla vers lui.
— Est-ce que notre fille est plus mal ? lui dit-elle avec effroi, en voyant son air sombre.
— Il ne s’agit pas de ma fille, répondit Dutertre, il s’agit de moi. Olympe, je me sens très-mal, je souffre beaucoup. J’ai un chagrin mortel, j’ai résolu de vous le dire avec franchise, parce qu’il dépend peut-être de vous de faire cesser, d’un seul mot, cette angoisse, et, si vous m’aimez encore, vous n’hésiterez pas à me le dire.
— Si je vous aime encore ? dit Olympe éperdue.
Elle ne put rien ajouter, il lui sembla que la foudre venait de tomber sur elle.
— Eh bien, oui ! ma femme, il me semble que vous ne m’aimez plus.
— Pour dire une telle parole pour la première fois, ô mon Dieu ! il faut n’aimer plus soi-même ! répondit Olympe, qui sentit comme une main glacée se poser sur ses épaules. Pourquoi me dites-vous cela ? Que vous ai-je fait pour me tuer comme cela tout d’un coup ?
Ce cri, parti des profondeurs de l’âme, fit frissonner Dutertre.
— Oui, c’est un rêve affreux que je fais ! s’écria-t-il en lui prenant les mains. Délivre-moi de ce supplice ; parle vite, réponds-moi. As-tu rencontré, ce matin, M. de Saulges chez tes malades ?
— Oui, mon ami, répondit Olympe étonnée, et ne pressentant pas la jalousie de son mari.
— Et tu es partie avec lui pour faire une longue promenade ? m’a-t-on dit.
— Oui, mon ami, c’est vrai ; ne vous l’ai-je pas dit moi-même ?
— Non. Je ne te l’ai pas demandé, dit Dutertre calmé par l’assurance de sa femme. Pourquoi donc cette promenade ? Je n’en comprends ni le hasard, ni l’opportunité.
Olympe pensa que Dutertre n’était tourmenté que relativement à Éveline, qu’il pressentait la vérité et qu’il la blâmait d’aider à ce mystère. Il fallait qu’il fût bien irrité contre sa fille pour faire à sa femme un si grand crime de son silence. Elle s’était engagée par serment à garder le secret d’Éveline. À sa grande surprise, elle voyait Dutertre hors de lui. Elle craignit pour la pauvre malade les suites de cotte indignation, si elle confirmait par des aveux les soupçons de Dutertre. Elle se résolut à les détourner de son mieux. Dutertre, voyant qu’elle hésitait à répondre, réitéra sa question d’un ton plus froid et plus inquiet.
— Je ne comprends pas l’importance de cette demande, dit-elle ; M. de Saulges, que je ne savais pas dans le pays, et qui vous cherchait, m’a-t-il dit, s’est adressé à moi pour me demander un service, pour me confier le soin d’assister une personne qui l’intéresse… Je l’ai prié de m’y conduire. Ce n’était pas bien loin, mais il m’a ramenée au pas par la traverse… Je crois qu’un des chevaux était boiteux, que je m’étais assoupie dans la voiture, et que M. de Saulges a un peu erré au hasard dans le parc, ce qui heureusement nous a fait rencontrer Éveline.
Olympe avait fait un grand effort pour articuler ces dernières phrases d’expédient. Elle n’eût éprouvé aucune gêne à les dire pour repousser des insinuations malveillantes ou seulement curieuses contre sa belle-fille. Mais mentir à un père si juste et si tendre, à un époux si ardemment aimé, fut pour elle un supplice, et Dutertre n’y fut pas trompé.
— Vous, mentir ! s’écria-t-il ; Olympe mentir ! mon Dieu ! combien il faut aimer pour se transformer ainsi du jour au lendemain !
— Aimer ! Je ne comprends plus, dit Olympe saisie de vertige. Non, sur mon salut éternel, je ne comprends plus.
— Ni moi, dit Dutertre, que les accents vrais de sa femme frappaient toujours au cœur. Expliquez-moi donc, Olympe, expliquez-moi tout ! Ne voyez-vous pas que je meurs à vous attendre ainsi ?
— Comment expliquer ce que je n’entends pas moi-même ? reprit Olympe. Explique-toi le premier, mon ami, et je saurai le moyen de te calmer.
— Eh bien, dit Dutertre exaspéré, je vous ferai cette mortelle injure de vous interroger. Le ciel m’est témoin que j’ai tout fait pour m’y soustraire, et que c’est vous qui vous y abaissez de vous-même. Pourquoi avez-vous été, ce matin, à Mont-Revêche ? Répondez : cette fois, je l’exige…