Monsieur le Marquis de Pontanges/Ch. 16

Monsieur le Marquis de Pontanges
Œuvres complètes de Delphine de GirardinHenri PlonTome 2 (p. 305-308).


XVI.

UN BILLET.


M. de Marny, ne jugeant plus convenable de se servir de la maison de madame d’Auray comme d’une auberge, ou plutôt d’un tournebride pour arriver chez madame de Pontanges, se souvint d’un de ses camarades de collège qui demeurait dans le voisinage ; c’était un certain M. de Méricourt qu’il avait déjà rencontré chez madame d’Auray et à qui il n’avait fait d’abord aucune attention. Maintenant que M. de Méricourt pouvait lui devenir utile, Lionel se rapprocha de lui ; il trouva moyen de lui rendre service, et bientôt il s’établit à la campagne chez lui, après l’avoir présenté chez madame de Pontanges, afin que l’assiduité de ses visites parût moins extraordinaire.

Leur intimité n’était plus alors qu’un voisinage insignifiant.

Un soir que l’ami n’avait pu venir, ce qui arrivait souvent, on apporta les lettres et les journaux.

Comme madame de Pontanges décachetait une petite lettre parfumée dont l’écriture lui était inconnue :

— De qui est cette lettre ? demanda M. de Marny.

— Je ne sais pas encore… voyez la signature.

— Pourquoi rougissez-vous ?… Vous n’oseriez pas me donner ce billet à lire avant vous, je parie ?

— Moi ! si vraiment… le voilà.

Lionel prit le billet.

« Merci, ma chère cousine, de votre aimable intérêt, il m’a porté bonheur ; du jour où j’ai reçu votre lettre, j’ai été guéri. Cependant ma sœur veut que je me soigne encore ; elle m’emmène à Champigny, où l’on m’ordonne de passer deux mois.

» Deux mois près de vous, quel avenir !

Gaston. »

Lionel, en lisant ces mots, devint pâle ; son visage se contracta de colère. Ce billet pour lui était un cartel.

Laurence se sentait troublée ; elle n’avait pas écouté la lecture de ce billet sans émotion.

— Ah ! vous lui avez écrit, dit Lionel avec amertume.

— Je le devais : M. de Loïsberg est mon cousin germain.

— Belle raison pour se jeter à sa tête !…

Laurence ne répondit pas ; elle leva sur Lionel un regard plein de dignité, et se rapprochant de la table de piquet, elle parut s’intéresser vivement au jeu de sa tante.

Madame Ermangard avait beau jeu.

— Je laisse une carte, dit-elle ; qu’en penses-tu ?

— Je ferais comme vous, ma tante, répondit Laurence.

— Vous savez jouer au piquet ? demanda M. de Marny.

— Oui, monsieur.

Un domestique entra en ce moment.

— Frédéric est-il là ? demanda Lionel.

— Oui, monsieur.

— Dites-lui, je vous prie, de mettre les chevaux tout de suite.

— Je croyais que vous ne deviez repartir que demain ? demanda madame Ermangard.

— Oui, madame ; mais depuis j’ai réfléchi qu’il fallait que je fusse à Paris demain à six heures, et j’ai pris à regret la résolution de vous quitter plus tôt et de retourner ce soir à Méricourt.

Si madame de Pontanges avait dit un mot, il serait resté ; mais elle était offensée.

Elle le laissa partir.

M. de Marny était contrarié de partir ; c’était une fausse sortie qu’il espérait voir déconcertée.

Il vint saluer Laurence.

— Bonsoir, monsieur, dit-elle sans le regarder.

Il s’éloigna.

Au moment de monter en voiture :

— Il va pleuvoir, je crois ?… dit-il à son cocher.

— Oh ! non, non, monsieur ; voyez les belles étoiles ! répondit le cocher, qui s’ennuyait à Pontanges.

— Alors, partons ! s’écria Lionel avec humeur.

Et il monta en voiture.

La nuit était fort sombre, malgré les belles étoiles du cocher.

Il avait beaucoup plu depuis quelques jours ; les chemins étaient fort mauvais, les ornières étaient profondes : un des chevaux tomba, il se heurta la jambe contre une pierre et se couronna.

Il fallut s’arrêter. On était à moitié chemin, et trop loin de Pontanges pour y retourner.

— Voilà un cheval perdu ! dit le cocher… Déshonoré ! ajouta-t-il.

Et l’on entendit de beaux blasphèmes

— Maudit pays ! s’écria Lionel ; quels chemins ! Aussi pourquoi partir cette nuit ?

— Et puis, des bêtes qui ne mangent pas ! reprit le cocher.

— Comment ! les chevaux n’ont pas mangé ?…

— Est-ce que des chevaux comme ceux-là peuvent se plaire dans une étable, manger à des râteliers de vache !… Ah ! si monsieur vient souvent chez madame la marquise, il fera mieux de vendre ses chevaux.

— Il est certain, pensa Lionel, que les pauvres bêtes y sont bien mal logées !… je n’y suis guère mieux, moi ; mais qu’importe ? je n’y retournerai plus.

— Quel château ! dit ironiquement le cocher.

— Voilà un dépit qui me coûte mille écus, pensa M. de Marny.

Sans compter un autre cheval qu’il lui fallait acheter.

Total :


Six mille francs : ça ne les valait pas !… Non certes, pour un homme positif comme l’était Lionel, le plaisir de se venger d’une femme ne valait pas six mille francs.