Monsieur le Marquis de Pontanges/Ch. 14

Monsieur le Marquis de Pontanges
Œuvres complètes de Delphine de GirardinHenri PlonTome 2 (p. 299-301).


XIV.

COQUETTERIE.


Le soir de ce jour-là, madame de Pontanges écrivit à une de ses amies une longue lettre qui finissait ainsi :

« Enfin me voilà coquette, ma chère Sidonie ! tu ne te moqueras plus de moi. Comme j’ai la plus grande confiance en ton bon goût, je te charge de choisir pour moi le plus joli chapeau que tu trouveras chez Bertrand… ou Gontrand… je ne sais pas exactement son nom, mais tu dois le connaître. Je veux aussi un mantelet à la mode. Je t’envoie mes dentelles noires ; elles me viennent de ma grand’mère ; elles sont toutes neuves et superbes. Il me faut encore des rubans, des rubans lilas comme ceux que j’ai vus ce matin à mademoiselle Bélin : c’est une personne très-élégante que tu dois connaître ; elle est fort riche, c’est la fille d’un banquier ; tu la vois souvent aux Bouffons et à l’Opéra.

» Dépêche-toi de faire ces emplettes ; Joseph, qui te remettra cette lettre, me rapportera tout cela jeudi. C’est jeudi le grand jour de parure ; sois exacte. Joseph te remettra les fonds nécessaires à ces achats. Je sens qu’il y a encore de jolies choses à la mode, à Paris, que je ne connais pas ; je les veux : envoie-les-moi.

» Mais ne va pas m’écrire : — Voici, ma chère Laurence, le chapeau que tu m’as demandé. — Que dirait ma tante, si elle savait que je me révolte ; que je charge une autre qu’elle du choix de mes chapeaux ; que j’abandonne mademoiselle Iris, qui la coiffe et la chausse depuis vingt ans ? car, par une bizarrerie qui m’a toujours paru suspecte, c’est à sa marchande de modes que ma tante s’adresse toujours pour ses envois de souliers : ce qui me fait soupçonner la moralité de mademoiselle Iris… il faut qu’il y ait un cordonnier au fond de ce mystère… Je dirai donc à ma tante que c’est toi qui me donnes le chapeau.

» Envoie-moi une belle écharpe pour elle, une robe pour Clorinde, et des pastilles de chocolat pour Amaury, — je n’en ai plus. — Mais mon chapeau ! avant tout mon chapeau ! Je veux être belle. Tu vas me trouver parfaite maintenant, puisque, disais-tu, il ne me manque que d’être coquette… Eh bien donc, je suis coquette, et plus que toi ! »

Enfin l’idée de plaire lui était venue !

La première pensée d’une femme passionnée est son amour. Aimer, c’est là ce qui l’occupe. Une femme aimante se dit :

Je vais le voir !

Et elle s’habille à la hâte pour arriver plus vite là où elle doit rencontrer celui qu’elle aime.

Une femme coquette, au contraire, se dit :

Il va me voir.

Et elle perd une heure d’amour à sa toilette pour lui paraître belle.

Cependant Laurence, à son tour, voulait plaire ; d’où lui venait donc ce caprice ? D’un sentiment bien triste, mon Dieu ! d’une pensée bien humble, bien amère. — La coquetterie se développe aussi dans une âme tendre, mais, hélas ! par…

la jalousie !