Monsieur Nicolas/Première époque/Note de l’auteur
.
e déclare aux puristes, à ces prétendus moraux, qui font consister toute la vertu dans l’abstinence de l’amour et des femmes, que je les brave, dans cette production. Obligé de dire la vérité, et m’immolant moi-même, pour être utile à mon siècle et à la postérité, je n ai fait que des tableaux fidèles. Je montre la marche des passions, non dans la vraisemblance, si souvent trompeuse, mais dans la réalité. Je sais bien quels sont les motifs des cafards et des libertins, pour clamer contre ce que j’ai de vrai dans mes différents ouvrages : l’hypocrisie fait que les uns se récrient, à la manière des chattes, des tigresses, des panthères, qui grondent et déchirent, quand on leur donne du plaisir. Une véritable antipathie contre l’amour et les femmes dirige les autres : ces vils antipodes, corrompus dans leur jeunesse par les Duchauffour, les D’Elbeuf, les V—tte, ne peuvent supporter la nature ; ils déclament contre ses délicieux tableaux, qui n’ont aucun attrait pour eux ; l’érotisme qui leur plaît en secret, c’est celui de Justine, du Boudoir, et d’autres infamies semblables, parce qu’ils y trouvent leurs sales idées, et la cruauté de leurs fantaisies.
Au reste, les tableaux de ces huit Parties, malgré le charme de la jeunesse, de la beauté, le romantique des sentiments, le naturel des situations, dans l’âge du développement achevé, où tout est féïque, neuf, vif, délicieux, ne seront pas les plus intéressants. La touche de la fleur de l’âge sera plus ferme ; et dans les dernières Parties, l’intérêt croîtra, soit par les Personnages mis en scène, soit par la nouveauté de sentiments, qui ont toujours existé, mais qu’on ne s’est pas encore attaché à peindre. On n’a mis en scène que la Jeunesse et ses passions, comme seules aimables, seules attachantes, et l’on a presque totalement abandonné la maturité, qui a si besoin de consolations ! Ou si l’on a peint les passions de l’âge avancé, cela a toujours été pour les charger de ridicule : on aurait dit que les Auteurs, assurés de ne pas vieillir, cherchaient à porter le désespoir et la douleur dans l’âme de la Maturité, Mais leurs diatribes prétendues utiles, sont loin d’être rigoureusement vraies ! Aussi va-t-on voir qu’en dévoilant le Cœur humain, j’en donne la véritable marche à toutes les époques de la vie : on verra cette terrible vérité, qu’à moins d’un régime tout différent des mœurs actuelles, la vieillesse amène, chaque année, un vice et une infirmité : elle se durcit, avec l’âge, comme les tendons et le genre osseux. Les mêmes objets ne font plus d’impression : il faut donc en substituer d’autres, qui, au lieu de l’amour et des plaisirs de la jeunesse, seront l’importance, la considération, fondée sur une conduite non seulement irréprochable, mais digne et bonne.
Je vais placer ici un petit extrait de la Gazette Nationale, du 22 Brumaire, an 5, relatif à l’Ouvrage de Diderot, intitulé, Jacques le Fataliste : « On a relevé avec trop d’aigreur et d’affectation quelques intempérances d’esprit que le philosophe Diderot s’est cru permises, dans un Ouvrage qu’il n’avait point destiné à l’impression. On en a pris occasion d’attaquer la Philosophie, qui, en vérité, na pas plus de rapport avec les saillies de Diderot, que la véritable vertu n’en saurait avoir avec les scrupules hypocrites des Charlatans du jour. Nous observerons à ces hommes si chastes, à ces hommes qui prétendent qu’on ne doit écrire que pour des mères et des magistrats, que les Peuples ne gagnent jamais, en décence, que ce qu’ils perdent réellement en pureté. Que ces vertueux écrivains pour qui tout est crime, hors leurs détestables intrigues, daignent s’abaisser jusqu’à lire nos Auteurs du Moyen-âge ; qu’ils parcourent ensuite le Moyen de parvenir, les Contes de Bonaventure Desperriers et tant d’autres, ils y trouveront, à chaque page, des sujets de scandale pour leur pudeur, dont cependant ne s’alarma point celle de nos aïeux, plus vertueux que nous. L’oreille est le dernier asile de la chasteté : ce n’est qu’après avoir été chassée du cœur qu’elle s’y réfugie ; et ce n’est aussi que chez les peuples corrompus, dont l’imagination est saturée d’obscénités, qu’on voit cette attention vétilleuse des écrivains, à éviter les expressions qui peuvent en réveiller les souvenirs. Censeurs ombrageux ! voulez-vous faire croire à votre sincérité ? Tonnez avec violence, contre la corruption effroyable de nos mœurs ; dénoncez à la Nation entière la protection scandaleuse, à l’abri de laquelle chaque jour elle étend ses ravages, et laissez aux esprits futiles la vaine critique des paroles. »
À la tête de mon premier Volume, dont l’impression était commencée dès le temps de la Monarchie, et sous la tenue de l’Assemblée Constituante, j’avais inscrit de tête des noms de Souscripteurs des deux partis : par une suite de mon amour pour la vérité, je ne les ôterai pas. Je placerai seulement ici, au lieu d’un Roi, d’une Reine, et de quelques autres Personnages qui n’existent plus,
- Le Directoire-Exécutif :
- Les Membres les plus patriotes des deux Conseils :
- Les Départements nouvellement adjoints :
- Les Envoyés seulement des Puissances amies.
Par ce moyen, je laisserai tout ce que j’avais mis
Je crois devoir avertir, que la Philosophie du Monsieur Nicolas, en trois Parties, contenant la PHYSIQUE, est celle qui était annexée à l’Ouvrage du Cœur Humain dévoilé ; qu’il existe encore trois Parties, pour compléter cette Philosophie : une pour la Morale ; une pour la Religion ; et la dernière, pour la Politique.
Ces éclaircissements étaient nécessaires.
P. S. Depuis que je suis pressé de publier le Cœur humain dévoilé, ceux qui m’y engagent me répètent : — « Vous jouirez du moins de votre gloire ! de votre travail ! … » J’avoue que cette manière de s’exprimer sur un Ouvrage du genre de celui-ci y me paraît inconvenable ! Quoi ! je jouirai de ma gloire, en me disséquant moi-même ? en me montrant à nu, devant mes Concitoyens ? en leur dévoilant mes vices, mes défauts, et à peine quelques lueurs de vertu ? Les Gens qui me parlent de gloire, sont inconcevables ! Mon motif, à la vérité, est l’utilité publique ; mais qui le sentira d’abord, hors moi ? Du reste, et cette excuse ôtée, je n’ai que de la honte à espérer. On va voir les brigands et les oiseaux de proie de la Littérature tomber sur moi ! Ils l’auront belle, pour me déchirer ! Je n’aurai pas un mot à répondre, puisque j’ose publier, de mon vivant, ce qu’on doit remettre à laisser paraître après sa mort. Ils me calomnieront, quoique pour triompher, ils n’en eussent pas besoin : mais c’est un plaisir qu’ils ne se refuseront pas… Je vois tout cela, et cependant je vais paraître ! C’est qu’un autre malheur plus urgent me talonne !… Ha ! pourquoi désire-t-on de vieillir, si le soir de la vie doit être obscurci par tant de maux ! C’est ici qu’un de mes ennemis aura bien raison de dire, ce qu’il a si mal à propos avancé, en parlant de ma Physique, dont la publication est la seule chose qui me console, dans mes peines actuelles : « Il faut être désespéré, pour mettre au jour un pareil Ouvrage ! » Oui, le désespoir et une douleur insupportable me font publier les huit premières parties de mon Anatomie morale ; oui, le malheur seul me fait chercher à me procurer les moyens d’achever cet Ouvrage, dont on ne sentira parfaitement l’utilité, qu’après ma mort et l’extinction des passions vivaces que j’aurai trop vivement heurtées.
Adieu, mes Lecteurs, Quelques-uns d’entre vous me rendront justice. J’ai fait lire mes huit parties imprimées, à deux hommes d’un caractère opposé : un flegmatique, et un très ardent. Le premier l’a trouvé intéressant, et ne m’a pas découragé ; le second a été transporté, entraîné par la vérité ; il passait les nuits ; il sanglotait, il pleurait : ses éloges étaient outrés, mais consolants… Vous allez en juger, Lecteurs. Je vous livre mon moral, pour subsister quelques jours de plus, comme l’Anglais condamné vend son corps. Omnia jubet paupertas et facere, et pati !… Au reste, ma vie ne doit pas être longue : hier 27 brumaire an 5, j’ai manqué d’être assassiné par un certain Ettugaled, gendre d’une héroïne des Contemporaines. C’était le soir, dans une rue solitaire ; à Lyon, c’aurait été fait de moi. J’ai de plus trois infirmités mortelles. À quoi tient ma vie ? et devrai-je la regretter, lorsque le besoin ou la douleur me la raviront ? Tout mon travail, quoique redoublé, ne suffit plus, depuis sept ans, à payer mes dettes : c’est qu’il devient nul pour le produit.
Lecteurs, avant de me mettre nu devant vous, il fallait en donner les raisons.