Victor Retaux (p. 73-93).

IV

APRÈS LE NOVICIAT

REPRISE DES ÉTUDES

I

Il y a dans l’Église une petite société qui a voulu être fondée, baptisée, et, pour ainsi parler, consacrée dans le sang et dans le feu du Cœur de Jésus. La fin générale de cet Institut, sa mission officielle, est de glorifier le Sacré Cœur, de manifester au monde les trésors de grâces dont il est rempli et de réparer les injures qui lui sont faites.

Sur la poitrine du Missionnaire, un Cœur rayonne avec cette devise triomphante : « Aimé soit partout le Sacré Cœur de Jésus ! » Du sein de flammes qui s’élancent comme pour un embrasement, la Croix victorieuse apparaît. Les épines s’entrelacent et s’enfoncent ; le sang coule : symbolisme admirable de l’amour immolé. La blessure s’entr’ouvre comme pour abriter dans un sanctuaire une vie d’action, de contemplation, de charité. Pour le Missionnaire du Sacré-Cœur, toute science consiste à connaître le Cœur de l’Homme-Dieu, toute piété à l’adorer, toute vertu à l’imiter, tout bonheur à l’aimer. Partout et toujours, auprès, au loin, jusqu’aux dernières limites du globe, dans l’intime rencontre des âmes ou, du haut de la chaire, devant les foules, il sera son héraut et son prophète. Son consolateur aussi : des ingrats le délaissent ; des impies le méprisent ; des méchants l’outragent. D’office, il sera réparateur. Les deux traits, pour ainsi dire caractéristiques de la physionomie du divin Maître, l’humilité et la bonté, distingueront le disciple. La douceur en sera l’exquise floraison et le fruit savoureux. Ce n’est donc pas une vaine et creuse religion que celle-là. Par la blessure du Cœur, elle pénètre jusqu’aux profondeurs mêmes du Christ et se résume en ces trois mots : infusion dans la prière ; effusion dans l’apostolat ; consomption dans le sacrifice et dans l’amour. C’est toute la vie du Sauveur. Mihi vivere, Christus est[1].

Or, la joie était grande au noviciat de Saint-Gérand, le 15 février 1878, « la joie la plus sainte ». En ce matin inoubliable, la chapelle rappelait vraiment le Cénacle. Ils étaient douze à la profession religieuse, tous de la Petite-Œuvre. « Quel bonheur est le mien ! écrit le frère Verjus. Que le Sacré Cœur est doux à ceux qui veulent se donner à lui ! Je suis hors de moi-même. Il me semble que je suis prêt à tout. Je n’aime que le Cœur de Jésus et ce qui se rattache à sa gloire. »

L’émission des premiers vœux en usage dans la Société des Missionnaires du Sacré-Cœur se fit à la messe. « L’émotion était profonde. On pleurait de bonheur. Enfin le moment arrive. C’est moi qui commence. Quelle joie ! quelle allégresse ! Voveo ad triennium paupertatem, castitatem et obedientiam[2]. C’est fait. On s’embrasse en pleurant. Je suis Missionnaire du Sacré-Cœur ! »

Le profès resta sous la vive impression de son indignité et de l’immense miséricorde de Notre-Seigneur à son égard, longtemps, pour ne pas dire toujours.

II

En ce temps-là, à diverses intentions, il conclut des pactes avec Notre-Seigneur, Notre-Dame et les saints qu’il aimait plus particulièrement. Voici la formule de son pacte avec le Sacré Cœur :

« Ô Cœur sacré de Jésus, puisque vous avez tant souffert pour moi, je veux aussi souffrir pour vous.

« En conséquence, voyant avec un étonnement mêlé de stupeur mon admission dans la Société de vos Missionnaires naires, je veux m’offrir à vous, ô mon Jésus ! comme victime pour toutes les fautes grandes et petites que le démon, ennemi de tout bien, pourra faire commettre dans cette Société si chère à mon cœur. Je désire par là lui prouver ma reconnaissance, indigne que je suis d’être un de ses membres, moi qui vous contriste si souvent…

« Ô mon Jésus, écoutez mon humble prière. Ne m’épargnez pas. Frappez ! Frappez sur moi ; mais, je vous en conjure, épargnez tous mes frères et n’en disgraciez aucun. Je serai trop heureux, ô mon Jésus, d’être ainsi le serviteur de cette Société que j’aime tant.

« De mon côté, je veux m’efforcer jusqu’à mon dernier soupir de me rendre de moins en moins indigne du beau titre que j’ai reçu, le 15 février 1878, de Missionnaire du Sacré-Cœur… »

« Ô Marie, ô ma bonne Mère, présentez cette supplique au Sacré Cœur. Bénissez-moi ! »

Ce pacte, écrit de sa main au mois de mai de cette même année, est signé de son sang. On peut dire qu’il y a été fidèle jusqu’à la mort et que la providence du Cœur de Jésus ne lui a pas ménagé les souffrances. Dans ce même mois de mai, il fit et signa un pacte avec l’Enfant Jésus pour obtenir aux enfants, par les mérites et l’intercession de Notre-Dame du Sacré-Cœur, de saint Joseph, de saint Stanislas, de saint Louis de Gonzague et du bienheureux Berchmans, la belle vertu de pureté. Il y a plusieurs textes, je transcris le moins long : « Bon Jésus, qui êtes la pureté même, prenez en pitié, je vous en conjure, ces pauvres petits enfants qui, en ce temps de corruption, sont si souvent victimes du démon de l’impureté. Sauvez-en un grand nombre, ô bon Jésus ! Afin que vos yeux si purs trouvent où se reposer avec délices en cette vallée de larmes. » Plus tard, quand il sera prêtre, il dira à cette intention, le premier jeudi de chaque mois, la sainte messe ; il récitera les litanies du saint Nom de Jésus et fera une visite au Saint Sacrement.

En ce temps-là aussi, le frère Verjus eut l’idée de faire des pactes avec les anges gardiens des tabernacles qu’il visitait. En voici la teneur :

« Ô vous tous, anges de tous les chœurs qui êtes continuellement en adoration devant mon Jésus-Hostie, écoutez la voix d’un pauvre pécheur qui, bien des fois, a offensé l’objet de votre amour, mais qui désire faire réparation pour ses propres outrages et ceux que le bon Jésus reçoit de tous les pécheurs du monde.

« Je voudrais faire avec vous, saints anges, un pacte qui puisse procurer beaucoup de joie à notre Jésus. Si vous voulez me le permettre, je ferai ce que vous ne pouvez faire : je ferai pénitence, et vous ferez ce que je ne puis faire : continuellement vous adorerez le Sacré Cœur vivant dans l’Eucharistie, pour moi, aux intentions mentionnées dans cette prière.

« Ô anges de pureté, je vous en conjure, acceptez ce pacte que je fais avec vous, malgré mon indignité, s’il doit être à la plus grande gloire du Sacré Cœur de Jésus délaissé par les hommes dans sa prison d’amour.

« Moi, Stanislas-Henry Verjus, je promets aux saints anges gardiens de ce tabernacle de communier une fois la semaine en leur honneur, s’ils veulent bien adorer pour moi Jésus-Eucharistie, quand je ne pourrai pas être en sa divine présence pour l’adorer moi-même. Je leur promets, en outre, d’entendre souvent la messe en leur honneur. Je les saluerai en entrant et en sortant de l’église. Je leur offrirai souvent le Cœur de Jésus pour augmenter leur gloire et leur bonheur. »

Cette fois encore, jusqu’à la dernière heure, le pieux Missionnaire fut fidèle à son pacte. Nous lisons, en effet, dans une note écrite de la main de l’évêque : « Depuis mon noviciat jusqu’au 3 mai 1891, jour où je renouvelle la copie de mon pacte, pour le mieux adaptera ma nouvelle position, j’ai eu le bonheur de faire ce petit contrat avec les anges gardiens de cent quarante-sept tabernacles. Les derniers sont ceux que j’ai élevés au bon Jésus en Nouvelle-Guinée, à Port- Léon, à Mohou et Inawi. »

La piété du Frère le portait à répandre ces pratiques parmi ses amis. Dès qu’il en avait gagné un, il lui remettait la formule qu’il avait pris la peine de copier à l’avance, afin, sans doute, de ne laisser aucun retard à l’exécution. Le contractant n’avait plus qu’à se faire une piqûre et à signer de son sang.

Avec le frère Mayer, dont le nom s’est trouvé déjà deux ou trois fois sous notre plume, le frère Verjus fit un pacte spécial.


Georges Mayer était un enfant presque angélique. Né à Baume-les-Dames, au diocèse de Besançon, merveilleusement docile aux leçons d’une pieuse mère, élève distingué de l’école des Frères, il attendit pendant seize années le secours providentiel qui devait lui ouvrir les portes du sanctuaire. Ce secours fut la Petite-Œuvre. Georges y entra en 1875. Nous l’avons entrevu dans ces pages, à l’infirmerie où il partageait le dévouement du frère Verjus ; en promenade, où il partageait ses lectures, en attendant l’heure où tous les deux s’en iraient dans les Missions lointaines. Le 21 novembre 1877, il faisait ses premiers vœux. Huit mois plus tard, il tombait malade. La maladie, cependant, n’inspirait d’inquiétudes sérieuses à personne. Lui seul disait qu’il allait mourir. Le mal, en effet, s’aggrava. On adressa d’instantes prières à Notre-Dame du Sacré-Cœur. Un instant, on put se croire exaucé. Le 15 août, au matin de la grande fête de Marie, un mieux soudain se déclare. « Le pieux malade peut se lever. Il revêt sa chère grande soutane qui avait longtemps appartenu au P. Vandel et qu’il conserve comme une relique. Il se sent guéri, et, pour la première fois, cesse de croire à sa mort… Et nous aussi, racontent les témoins, nous triomphons[3]… »

Le lendemain, le mal reprenait avec une nouvelle violence.

« Le frère Georges, écrit le frère Verjus, est à l’extrémité. Ô mon Dieu, sauvez-le ! Prenez-moi plutôt. Je ne pourrai rien faire pour la Société, tandis que lui vous servira avec grand fruit… » Au moment où il écrit ses lignes, le frère Verjus est lui-même indisposé. Il a depuis plusieurs jours la fièvre, et l’on a résolu de l’envoyer en villégiature à Issoudun.

Il va faire ses adieux au cher moribond. « Le jour de mon départ, raconte-t-il, je vais embrasser le frère Georges. Il pleure. Je l’embrasse deux ou trois fois, je lui rappelle les conditions de notre pacte… Ce bon Frère meurt victime de son dévouement aux malades… Je veux être martyr !… Le frère Georges disait hier : « Oh ! qu’il « fait bon mourir quand on a bien aimé la sainte Vierge ! » Ô Marie, ô Mère, vous savez que je veux vous aimer ! »

Quel pacte ces deux jeunes profès avaient-ils fait ensemble ? Nous ne le savons pas complètement ; mais, voici ce que nous lisons dans les notes du vicaire apostolique : « Pacte pour la Vocation, fait avec le frère Georges Mayer. Ce bon Frère, ayant été emmené au Paradis par la sainte Vierge, j’ai tenu mes conditions. Il lui reste à m’obtenir l’amour de Jésus et de Marie, l’humilité, la charité, la pureté, (la grâce) de bien parler du Cœur de Jésus et de Marie, notre Mère… Je renouvellerai mes douze messes à lui promises, pour qu’il soit excité à vite m’obtenir ces grandes grâces. »

Le frère Mayer mourut le 31 août 1878. C’était un samedi, aux premières vêpres de l’octave du très saint et immaculé Cœur de Marie[4] .

III

On a pu voir déjà que le frère Verjus avait un choix d’amis et de patrons parmi les saints. Au jour de sa profession religieuse, il ajouta à son nom de baptême le nom de Stanislas. Au cours du noviciat, on s’en souvient, il s’était épris d’un culte fervent pour ce chérubin de la terre que visitaient les anges du ciel et que la sainte Vierge elle-même vint chercher à l’heure de la mort, si c’est mourir que de fermer les yeux aux ombres d’ici-bas pour aussitôt les rouvrir à la belle lumière de l’éternité. Stanislas-Henry Verjus avait d’autres saints de prédilection : saint Jean, le disciple bien-aimé du Cœur de Jésus, saint François d’Assise, le vivant crucifix, dont il avait ceint le cordon aux premiers jours du noviciat, saint François de Sales, apparition délicieuse de la bénignité et douceur du Christ, saint François Xavier, le grand Missionnaire des Indes, sainte Agnès, la virginale martyre de treize ans, sainte Gertrude et sainte Thérèse, saint Louis de Gonzague, saint Jean Berchmans, ange et vierge à la fois, doux scolastique mort dans sa cellule en pressant sur son cœur le crucifix, le chapelet et le livre de sa règle, les trois grands amours de sa vie, enfin et surtout saint Tharcisius.

Le nom de ce gracieux adolescent, acolyte et martyr de l’Eucharistie, revient à chaque page de son Journal. Tous les jours, à la visite au Saint Sacrement, le frère Verjus récitait des invocations en forme de litanies qu’il avait lui-même composées, et où il demandait au défenseur de l’Hostie, avec une grande dévotion au Saint Sacrement, la grâce de mourir, comme lui, martyr.

L’évêque les redira dans les pauvres chapelles de la Mélanésie :

Par la douleur que vous avez ressentie lorsque les bourreaux vous frappaient cruellement, obtenez-moi d’aimer la souffrance.

Par la douleur que vous avez ressentie à cause des blasphèmes de vos bourreaux, obtenez-moi le martyre.

Par la joie que vous avez éprouvée en expirant en compagnie de votre bon Jésus, obtenez-moi la joie du martyre et l’amour du Sacré Cœur.

Par votre dernier soupir, obtenez-moi le martyre !

À son passage à Rome, quelques semaines avant sa mort, l’Évêque-Missionnaire, fidèle aux dévotions de sa jeunesse cléricale, demandera à la librairie de la Propagande la messe et l’office du cher saint Tharcisius, pour les emporter en Nouvelle-Guinée.

Encore bien que nous devancions un peu les dates, c’est maintenant le lieu de dire un mot des amitiés du frère Verjus. Si nous effacions ce trait de la pure physionomie du jeune profès, la ressemblance ne serait pas complète. De plus, nous craindrions de faire un larcin à la grâce divine : les amitiés du Frère la glorifient.

Assurément, et au pied de la lettre, le bon religieux s’était fait tout à tous. Point d’inégalité dans son affectueux dévouement, et d’exception moins encore : « Je veux aimer tous mes frères, tous et chacun en particulier, plus que moi-même, plus que ma vie, plus que mon temps, plus que mon honneur, et Jésus par-dessus tous, plus qu’eux tous, et eux tous à cause de Lui[5] ! »

Une autre fois, après un commentaire que venait de faire le Père directeur de la Petite-Œuvre du passage de nos Constitutions qui traite de l’affection mutuelle, le Frère écrit : « Je me suis senti enflammé d’un amour presque sans bornes pour tous mes Pères et Frères. Il me semble que, sans hésiter une seconde, je leur sacrifierais de grand cœur tout ce que j’ai de plus cher. Oh ! oui, je les aime bien, tous et chacun en particulier. Je sens toute l’affection que leur porte le Cœur de Jésus… Je ne veux jamais leur faire la moindre peine… Je veux leur faire plaisir toujours… Le Sacré Cœur m’a fait la grâce de bien comprendre que je suis ici par un miracle de sa bonté. J’aurais dû être chassé cent fois. Et on me souffre, on me supporte, on a soin de moi, on prie pour moi, on me respecte ! mon Dieu, quand je n’aurais pas d’autre preuve de la vertu de mes frères, celle-là me suffirait[6] . »

Chacun pouvait compter sur lui pleinement. Chacun même pouvait se croire l’ami préféré. Et lui, il aurait pu dire comme cet abbé espagnol du huitième siècle : « Je n’ai laissé qu’un frère dans le monde, et combien n’en ai-je pas retrouvé dans le cloître[7]! »

Il avait des prédilections, cependant, et des intimitiés profondes.

Certes, les sages ont raison : la matière est délicate, le sentier glissant, l’illusion facile et combien périlleuse ! A tout prix, il faut sauvegarder le détachement du religieux, la mortification du cœur et la charité commune. Mais, théoriquement, ne condamnez pas toute affection privilégiée : vous n’en avez pas le droit ; ou bien arrachez du saint Évangile la page radieuse des amitiés de Jésus. De lire dans les notes du frère Stanislas-Henry Verjus les effusions de son âme aimante, c’est un charme. On y contemple d’un regard ravi la céleste alliance de l’affection la plus vive, de la pureté la plus sévère et de l’universelle charité. L’axe de son cœur ardent, c’est Dieu. Nous avons trouvé dans les papiers du Frère de beaux fragments sur l’amitié. Il les avait notés au courant de ses lectures, parce qu’ils répondaient bien à ses propres sentiments. On y voit, côte à côte, pour la doctrine : saint François de Sales et Mgr Gay ; pour la doctrine encore et tout à la fois pour l’exemple : saint Augustin et son cher Nébridius, saint Grégoire de Nazianze et saint Basile de Césarée, saint Pierre Claver et saint Alphonse Rodriguez, l’abbé de Cheverus et l’abbé Legris-Duval, le P. Lacordaire et l’abbé Perreyve.

« Le cœur de l’homme, surtout du jeune homme, écrit-il, ne peut pas plus vivre sans affection que l’œil sans lumière. »

A l’un de ses confrères qui disait devant lui, absolument, que l’amitié est amollissante, il riposta par de tendres paroles du P. de Ravignan où éclate la volonté la plus virile. Et il ajoutait : « Qu’y a-t-il de plus fort que l’amour, le vrai amour ? Est-ce que la dévotion au Cœur de Jésus a tué la volonté ? »

Est-il nécessaire de l’ajouter ? Notre religieux, toujours prêt à tout immoler au Cœur de Jésus, n’avait point dérobé au contrôle de l’obéissance les battements de son cœur. De là, dans une paix profonde, le vol tranquille et doux de son âme. De là, sa joie habituelle ; la joie, dont saint Thomas nous dit qu’elle est l’harmonie de toutes nos puissances avec la volonté de Dieu.

« Jésus a laissé pour moi percer son Cœur, écrit encore le Frère. Jésus, moi aussi, je veux, pour vous, souffrir en mon cœur. Je suis prêt à vous sacrifier toutes mes affections… toutes. Je ne veux rien garder. Je veux vous donner, comme vous l’avez fait pour moi, jusqu’à la dernière goutte du sang de mon cœur[8]. » L’amitié, telle qu’il la comprenait et la pratiquait, n’avait rien d’éphémère. Il était fidèle à ses amis. Si l’amitié n’est pas éternelle, elle n’est pas vraie. Écoutons-le : « Au Paradis, nous serons ensemble, oui, ensemble, près de Dieu ; et alors combien plus nous nous aimerons !… Mais, peut-être se trouvera-t-il quelqu’un pour essayer de refouler tous ces sentiments d’une âme aimante, en vous adressant ce reproche : « Quoi ! relever votre courage et vous exciter à soutenir généreusement les combats de ce monde, en partie par l’espoir de vous reposer au ciel sur le cœur de ceux que vous aimez, n’est-ce pas une manifeste et grossière imperfection ? » Répondez, avec saint François Xavier, que « les plus grands saints furent sensibles à cette espérance, comme vous et plus que vous, et qu’ils désirèrent jouir dans l’éternité des chastes embrassements de leurs amis ».

Le frère Verjus réalisait au pied de la lettre ce beau mot de Bossuet : « L’amitié est une liaison particulière pour s’aider à jouir de Dieu ; et toute autre amitié est vaine. »

Nous avons déjà parlé de ses relations avec le frère Mayer. Il nous reste, pour nous en tenir aux morts, à dire un mot de son intimité avec un enfant de la Petite-Œuvre, à peu près de son âge. Nous empiéterons un peu sur les événements ; mais ce sera épuiser le sujet.

Né, en 1863, à Gannat, dans l’Allier, Jules Mégret fut élevé à Moulins. Dès sa toute petite enfance, il sentit l’attrait de l’autel. Il n’avait pas quatre ans qu’il essayait de reproduire à la maison les cérémonies de la cathédrale. A sept ans, nous le trouvons à la Maîtrise, grave, recueilli, studieux, mais déjà maladif. Au Bon-Pasteur, chaque matin, il sert la messe de M. l’abbé Gibert, vicaire général de Mgr de Dreux-Brezé ; parfois même celle du seigneur-évêque. Au Carmel, pour une prise d’habit, on l’a vu, dès ce temps-là, à l’harmonium, qu’il touchait délicatement. Il chantait aussi et fort bien. Sa voix de soprano était douce, expressive, pieuse. De sa conscience, nous ne disons rien sinon qu’elle était exquise. Pendant ses vacances qu’il passait à Paris, on voulut le conduire au théâtre. L’enfant qui n’avait pas encore fait sa première communion, comprit que ce n’était point sa place. Très pur il se garda pour le Dieu de ses douze ans.

L’un des secrétaires de l’évêché, plus tard grand vicaire, remarqua cet adolescent frêle, pâle, distingué, et il le conduisit à la Petite-Œuvre de Chezal-Benoît. Jules fut bientôt, parmi ses condisciples, hors de pair pour la finesse et la souplesse de son esprit.

Le regard clairvoyant du frère Verjus pénétra jusqu’à l’âme : elle lui parut radieuse et il l’aima. Ainsi devaient être, pensait-il, Henri Perreyve[9] , ce ravissant modèle de la jeunesse cléricale, et Paul Seigneret, le martyr de la Commune[10].

Le frère Verjus est professeur d’une petite classe. Jules est élève de rhétorique. A trois ans près, ils sont du même âge, et leurs aspirations montent d’un même vol vers tout ce qui est beau, noble, généreux et saint. Les deux amis se plaisent ensemble ; mais, pour être à l’abri de toute illusion, ils ne se voient qu’avec. une permission du supérieur chaque fois renouvelée. Que si le Révérend Père, en vue d’un détachement plus complet, conseille au frère Verjus des rapports moins fréquents : « Je ferai de mon mieux…, ne tenant aucun compte de la nature et de ses exigences… Heureux d’être ensemble, nous serons aussi heureux d’être séparés[11]. »

Ce n’était point, certes, pour de banales conversations qu’ils se recherchaient, et moins encore pour des fadeurs et des fadaises, mais pour de fraternelles admonitions où l’on se disait la vérité crûment, et où l’on s’enflammait des saints désirs de la perfection religieuse.

« Oh ! que le Cœur de Jésus, écrivait le frère Verjus, me fait là une grande grâce ! Mon Dieu, si nous nous aimions tous ainsi !... »

« Que de beautés, que de douceurs célestes, que d’harmonies divines dans la sainte amitié !…. Oui, je crois que l’âme de Jules a été prédestinée par la miséricorde de Dieu à soutenir ma pauvre âme chancelante… Je veux m’en ouvrir à mon directeur… Je crois que cette chère âme me portera au Sacré Cœur tout droit… Quel bonheur de s’aimer comme au ciel[12] ! »

Et encore, ce mot candide tout à la fois et viril : « Mon Dieu, si vous ne voulez pas que je l’aime, ôtez-lui les traits de ressemblance qu’il a avec vous. Ô mon Jésus, c’est vous que j’aime en lui. Si cependant vous m’appelez à un amour plus parfait, frappez, coupez, tranchez[13] ! »

N’est-il pas vrai que Montalembert aurait pu ajouter une page à l’admirable chapitre de ses « Moines » : De l’amitié dans le cloître ?

Ces âmes idéales ne sont point faites pour traîner longtemps le poids de leur corps. Il tardait à Jules de s’en aller. Littéralement il avait la nostalgie du ciel[14]. Écoutez ce fragment d’une pièce de vers qu’il intitulait les Joies du Paradis :

Mon cœur veut s’abreuver aux sources de la vie.

Mon âme de mon corps veut briser les liens.

Elle veut s’élancer au sein de la patrie,

Loin des plaisirs qui ne sont pas les siens.

Il entend la voix de sa pauvre mère qui le voudrait retenir près d’elle :

Tu n’es, ô mon enfant, qu’au printemps de ton âge ;

Ta vie est une fleur qui vient de s’entr’ouvrir.

Reste près de ta mère à l’abri de l’orage.

Pourquoi veux-tu sitôt partir ?

Mais lui entrevoit les splendeurs et les allégresses du Paradis :

Mère chérie, adieu ! Le Seigneur me réclame…

Il fait si bon au ciel : ne me retenez pas !

Oh ! oui, je veux partir… Adieu, mère chérie !

Vous me suivrez bientôt dans la cité des saints,

Et là nous chanterons, et Jésus, et Marie,

En nous mêlant aux séraphins !…

Manifestement, la lame, comme dit le peuple dans sa langue imagée, usait le fourreau ; l’âme dévorait le corps. Les progrès du mal ne pouvaient échapper au regard du frère Verjus :

« Jules tombe malade. Ô mon Dieu, venez à notre secours ! Vous savez mes pactes, Seigneur, frappez sur moi. Je chercherai un moyen de conserver ce trésor à notre Société. Cher Jules, je vous aime beaucoup ; ne m’accusez pas de vouloir retarder votre bonheur. Je comprends vos désirs ; mais j’aime mieux encore la gloire du Sacré Cœur, les âmes, notre chère Société qui a besoin de vous. C’est pour eux que je veux vous conserver, au prix de ma vie, s’il le faut[15] ! »

Un mois plus tard :

« Jules souffre beaucoup. J’estime trop la souffrance pour regretter que ce cher Frère en soit gratifié ; mais, mon Jésus, épargnez sa santé, je vous en prie. Faites-moi souffrira sa place. Envoyez-moi sa maladie… Donnez-lui la force de bien souffrir. Faites qu’il vous aime de plus en plus et que de plus en plus il vous ressemble[16]. »

Les supérieurs, dans l’espoir peut-être que le changement d’air ferait du bien au malade, l’envoient, avant la fin de sa rhétorique, au noviciat. Les adieux des deux amis furent touchants[17] . On renouvela tous les pactes. On multiplia les promesses d’union dans le Cœur de Jésus. On s’offrit comme victimes à Notre-Seigneur pour l’entière observation des règles par tous et la réparation des fautes qui se commettent dans l’Institut. On évangélisera par la prière, puisqu’on ne peut le faire encore par l’action, les pays infidèles. Décidément, et de tout cœur, on se mettra à être des saints. Le frère Verjus veut baiser les pieds du cher postulant ; mais Jules tombe à ses genoux… On s’embrasse, et adieu ! Ils ne se reverront plus.

Après quelques journées de noviciat, Jules écrivit à son ami pour lui recommander ses chers sauvages. En ce moment, par la prière, il « évangélisait » les Philippines. Après la lecture de cette lettre le frère Verjus écrivit dans son Journal :

« Faites, ô mon Dieu, que je sois un jour martyr de votre divin Cœur, mais martyr ignoré, méprisé. Oui. ô mon Dieu, je serai content de tout. Disposez de moi, comme il vous plaira ; mais s’il m’était permis de former un vœu sur ma mort, je vous la demanderais cruelle, ignorée, cachée, méprisée, inconnue à jamais, et, pour cela, pleine de mérites devant votre miséricorde[18]. » Que le lecteur veuille bien se souvenir de cette prière : durant toute sa vie, le cher Missionnaire n’en fera point d’autre. Eumdem sermonem dicens[19].

Le frère Jules Mégret, semblable à ces oiseaux frileux qui volent à tire-d’aile vers les plages ensoleillées, ne fit que passer au noviciat, puis traverser la mort, le 30 mars 1881, et il entra dans la chaude lumière de l’éternité. Il n’avait pas dix-huit ans.

IV

Revenons sur nos pas.

Six mois d’études à Saint-Gérand, puis une année à Issoudun suivirent la profession religieuse. Pendant ce temps-là les nouveaux profès reprirent leurs études littéraires que la maladie et le noviciat avaient interrompues. Le frère Verjus se remit au travail avec ardeur, on peut même dire avec impétuosité, et aussi avec un esprit plus mûr. Sans éclat, mais solidement, il apprit ce que ses maîtres lui enseignèrent.

« Les classes commencent, écrit-il. Je ne veux pas perdre une minute. Je veux travailler à outrance, travailler jusqu’à extinction de forces. Je prends pour patrons de mes études Notre-Dame du Sacré-Cœur et saint Stanislas. Mon bon ange m’expliquera ce que je ne comprendrai pas. Notre-Dame m’ouvrira l’intelligence et saint Stanislas m’obtiendra une excellente mémoire… J’étudierai avec humilité, résignation, ardeur[20]. »

Bientôt quelques-uns de ses condisciples furent envoyés au scolasticat de Rome. Il les eût accompagnés volontiers. Il les rejoindra plus tard.

« Les Frères*** vont à Rome. Mon Jésus, je vous remercie de renverser ainsi tous mes désirs. Vous voulez m’apprendre à ne rien désirer. Merci. Fiat ! Faites que je sois méprisé, inconnu[21]. »

Le lendemain il écrit :

« Le désir de travailler augmente en moi. Il faut que je sois un saint et un savant[22]. Tous les jours je ferai un acte de vertu et une prière à Notre-Dame pour obtenir la vraie éloquence et la vraie science[23]. »

Le pieux étudiant, malgré son courage et sa persévérance, malgré les notes volumineuses qu’il amasse tous les jours, ne deviendra jamais ce qu’on appelle un savant ; jamais il ne sera versé profondément dans les matières qui sont d’érudition, de science ou de littérature ; mais, de tout il aura des clartés, et, s’il avait vécu dans le monde, en quelque milieu que ce fût, il eût fait, comme on dit, figure. Il deviendra un saint. Jamais l’ardeur à l’étude ne sera au détriment de la ferveur spirituelle. Prouvons-le en lisant son Journal d’âme.

« La créature qui m’aidera le plus (à me sanctifier) sera mon Livre des Constitutions… Par conséquent lecture attentive et assidue… Les deux premiers chapitres sont pleins d’enseignements, et magnifiques. — Observation exacte et rigoureuse de l’esprit et de la lettre de mes saintes Règles[24]. »

Il y reviendra souvent :

« Je veux connaître et posséder à fond ce saint livre. À elle seule, la science de nos Règles peut me sauver. Je mettrai tout en œuvre pour savoir mes Constitutions. Ce livre sera pour moi, après la Bible, le Livre des livres et la première source de ma science spirituelle[25]. » — « Se faire indifférent… Pas plus la vie que la mort. Mon Jésus, je ne désire aucun genre de mort particulier. Si votre gloire n’y est pas intéressée, je ne veux pas être martyr. C’est le plus grand sacrifice que je puisse faire, ô mon Jésus, vous le savez. Mais, si votre gloire le demande, prenez-moi, faites-moi martyr[26]. » — « Ô mon Dieu, pardon ! Ayez pitié d’un pauvre misérable qui vous doit tout, qui vous a, malgré cela, offensé ; mais qui désire vous aimer, et qui souhaite, comme la plus grande des grâces, souffrir, vivre et mourir pour vous !» — « J’ai fait une bonne méditation. J’ai supplié le Sacré Cœur de m’accepter à son service pour que je puisse lui donner des marques de mon repentir et de mon amour. Je lui ai promis de ne plus déserter et de mourir pour lui. » — « Ô Jésus, souffrir, aimer et mourir ! » — « Il me semble que l’estime des créatures me tourmente de temps en temps. Il faut absolument extirper de mon cœur cette mauvaise racine. » — « … Je me mets en présence de mon Jésus crucifié : mon Dieu, je déclare ne tenir plus à aucune créature, à aucun projet, à aucune affection. Je m’en remets entièrement à vous. Je veux vénérer, aimer, estimer mes supérieurs et tous mes frères, et ne rechercher que votre approbation, ô mon Jésus. Puissé-je avoir à vous prouver par des actes que ma résolution est sincère ! Mais, que dis-je ? Vous voyez mon cœur. Vous savez que je désire vous aimer jusqu’au martyre le plus cruel, et surtout jusqu’au sacrifice de ma volonté et de tout moi-même dans les petites choses. Ô mon Jésus, je désire par là vous préparer pour Noël un lieu de doux repos en mon pauvre cœur. Je le veux, ô mon Dieu, par mon travail assidu, me résignant à n’avoir aucun succès, si cela vous plaît. Je le veux par ma piété et ma vie intérieure. Je vous renouvelle tous mes vœux et tous mes pactes. Recevez-les avec la promesse, autant que je puis la tenir, de faire toujours le plus parfait. » — « Hélas ! que je suis faible ! J’ai encore manqué à ma résolution. Ô mon Sauveur, délivrez-moi ! Je veux être un saint. Ô Marie ! ô Mère ! ô Mère ! ayez pitié de votre pauvre Stanislas[27] ! » — « Aujourd’hui je me suis mortifié à mon aise. Je n’ai cependant pas assez de courage. Ah ! que je voudrais donc avoir quelqu’un pour me martyriser continuellement[28] ! »

En mai 1879, il souffre d’un mal de gorge qui menace de dégénérer en bronchite. Il écrit avec une naïveté charmante  :

« O mon Jésus, vous savez bien que j’ai besoin d’une bonne poitrine pour vous prêcher et pour être martyr. Je veux vous sacrifier mon corps tout entier, mais un corps qui soit sain. O mon Jésus, quand viendra ce jour béni ? »

En ce temps-là, l’évangélisation des îles Aukland fut offerte aux Missionnaires du Sacré-Cœur. Vite le frère Verjus se propose pour le premier départ. « O bonheur ! Merci, mon Jésus ! J’ai parlé au T. R. P. Supérieur général : il a bien accueilli mes désirs. Il m’a promis que je serais de la première colonie !... Oh ! quand viendra le jour où je verrai couler mon sang, pour témoigner de la divinité de Jésus[29] ! »

Après de tels élans vers l’apostolat, vers la souffrance et le martyre, ce jeune religieux de dix-neuf ans a-t-il besoin de nous dire : « Je me sens porté vers Dieu avec une force insolite<ref>14 juin 1879./<ref> » ?

Au mois de juin de la même année, le 17, il est auprès du lit de mort d’un Missionnaire du Sacré-Cœur.

« Notre cher P. Georgelin, écrit-il, est malade. J’ai eu le bonheur d’être désigné pour aller le veiller. Il m’a bien édifié. Quelle vie pleine ! Quelle patience dans les souffrances ! Quelle sainte obéissance ! O mon Jésus, je suis heureux que vous ayez de tels serviteurs. Il m’a promis de prier pour moi. Je veux lui demander sa bénédiction avant sa mort qui arrivera peut-être cette nuit. »

Puisque nous rencontrons sur notre route ce vénérable religieux, qui fut secrétaire général de notre Institut, disons un mot de sa vie et un de sa mort.

C’était un Breton de Saint-Brieuc, où il naquit en 1810. Fils d’un chef d'institution, Paulin commença le latin à sept ans ; à onze ans, il corrigeait les devoirs de ses condisciples plus jeunes ; à douze ans, il faisait expliquer les auteurs de septième et de sixième ; à treize ans, son père lui confiait une division. Le père meurt. Paulin n’a que seize ans et demi. La ville de Quintin l’autorise à continuer son professorat. L’année suivante, il passe ses examens à Rennes excellemment, et le voilà chef d’institution à la place de son père. Il le fut huit ans. Son petit frère Adrien l’aidait, comme il avait lui-même aidé son père. Cet enfant était, comme son aîné, et plus encore peut-être d’une précocité merveilleuse. A huit ans, il ne faisait plus de faute d’orthographe et corrigeait les devoirs d’élèves qui avaient quinze ans. Il mourut à huit ans et demi. Paulin, désolé, ne put se faire à l’idée de rester seul à la tête de l’institution paternelle. Il entre dans l’Université. Il y passe cinq ans. Un Père jésuite lui révèle sa vocation. Tout en professant au collège de Vannes, il suit brillamment les cours du grand séminaire. Prêtre, il est nommé aumônier du collège où il était professeur. Trois ans après, en 1841, nous le trouvons à la tête du collège d’Ancenis, qu’en peu de temps il a relevé de ses ruines.

M. l’abbé Georgelin aspirait à la vie religieuse et aux Missions étrangères. La vénérable Mme d’Houet, fondatrice des Fidèles Compagnes de Jésus, lui fait espérer la direction spirituelle d’une maison qu’elle songeait à fonder en Amérique. En attendant, il accepte d’abord l’aumônerie du pensionnat de Carouge, en Suisse, où, pour servant de messe, il eut un futur évêque, un cardinal de la sainte Église, Gaspard Mermillod ; puis celle du pensionnat de la rue de la Santé à Paris. Il était là depuis quinze ans, lorsqu’en 1865, il vint à Issoudun faire une retraite. Le voilà Missionnaire du Sacré-Cœur. Il redevient, malgré ses cinquante-cinq ans, professeur de rhétorique, ensuite de philosophie, au collège de Chezal-Benoît. Prêté, en 1869 à l’archiprêtre de Tournus, pour la direction d’une école, il y reste jusqu’au moment de l’invasion garibaldienne. Alors il s’enfuit à Carouge, chez les Fidèles Compagnes, où son ancien enfant de chœur, l’évoque d’Hébron, vicaire apostolique de Genève, lui fit fête. Après la guerre, l’ancien chef d’institution, l’ancien principal de collège, accepte volontiers l’humble titre de vicaire à la paroisse de Saint-Cyr d’Issoudun, desservie par les Missionnaires du Sacré-Cœur. Ce devait être là le dernier poste de ce vénérable prêtre. Il s’y consuma lentement, pieusement, toujours modeste, toujours aimable, de cette amabilité qui est le sourire des âmes charitables. Il mourut dans l’octave du Sacré-Cœur, le jour même de sa fête, qui était aussi celui de sa naissance[30].

« Ce matin écrit le frère Verjus, à 9 heures 10 minutes, notre cher et vénéré P. Georgelin a rendu sa belle âme à Dieu. Il est mort à la peine. Il est tombé dans le Sacré Cœur. Que le Sacré Cœur soit béni de tout !.. Je suis allé prier devant sa dépouille mortelle. J’y suis resté une heure et demie, j’y ai fait une excellente méditation qui m’a confirmé dans mes résolutions du mépris du monde et de l’estime des âmes… Je veux, comme le P. Georgelin, travailler, vivre et mourir pour le Cœur de Jésus, »

Tout en faisant ses études, le Frère est employé, trois quarts d’heure par jour, au Bureau de l’Archiconfrérie de Notre-Dame du Sacré-Cœur. Il est le secrétaire de la sainte Vierge ; quel honnneur ! Il écrira souvent aux zélateurs et aux zélatrices en faveur de l’Ecole apostolique ; quelle joie ! Aussi bien lisons-nous dans son Journal : « Je remercie le Cœur de Jésus de ce qu’il m’a donné cette obédience. Je veux en profiter pour faire le plus de bien possible à ma chère Petite-Œuvre, pour qui je voudrais mourir[31]. »

En attendant, il vivra pour elle. Au mois d’octobre 1879, nous le trouvons professeur à Chezal-Benoît.



  1. Philip., I. 21.
  2. Je fais pour trois ans les vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance.
  3. Annales belges de Notre-Dame du Sacré-Cœur, 1er avril 1891. Les morts de la Petite-Œuvre.
  4. Voyez les Annales de Notre-Dame du Sacré-Cœur, octobre 1878.
  5. 2 février et 5 avril 1880.
  6. 6 mai 1880.
  7. Cité par Montalembert dans son admirable Introduction aux Moines d’Occident, p. LXXX.
  8. Méditation sur la Passion de Notre-Seigneur, 1878.
  9. 22 mars 1880.
  10. 13 juin.
  11. 31 mars 1880.
  12. 18, 20 et 22 mars 1880.
  13. 17 décembre 1879.
  14. Plus tard, en Nouvelle-Guinée, Mgr Verjus, dira de lui-même : «Le désir du ciel me fait pleurer. Le mal du pays me prend. »
  15. 27 et 28 février 1880.
  16. 30 mars 1880.
  17. Le 12 avril 1880.
  18. 1er  mai 1880.
  19. Matth., XXVI, 44.
  20. Journal, 2 et 3 octobre 1878.
  21. 6 octobre.
  22. 7 octobre.
  23. 18 avril 1879.
  24. Septembre 1878.
  25. 7 août 1880
  26. Septembre 1878.
  27. 15 décembre 1878.
  28. 31 avril 1879.
  29. 1er octobre 1878.
  30. Cf. les Annales de Notre-Dame du Sacré-Cœur, septembre 1879.
  31. 25 octobre.