Monrose ou le Libertin par fatalité/IV/39

Lécrivain et Briard (p. 222-224).
Quatrième partie, chapitre XXXIX


CHAPITRE XXXIX

CONCLUSION


Ce fut moi qui, le même jour, appris à milord Sidney que sa nièce était enfin décidée à couronner les feux de Monrose. « Elle fait bien, me dit-il fort sérieusement, car je m’occupais déjà des mesures à prendre après tout ceci, pour borner les embarras dont pareille tête pouvait nous menacer. » Au surplus, il fut enchanté de se trouver dispensé d’être sévère. Au contrat, il se montra plus que généreux. Je l’aurais soupçonné de l’être avec ostentation, si de plus loin je n’avais bien connu cet admirable mortel dont l’unique faute avait été d’aller s’envaporer dans son Angleterre, et d’y prendre sottement un rôle dans la controverse des affaires publiques. Cependant, milord ayant un fils, dont prenait soin là-bas madame de Grünberg, ce qui m’avait privé d’embrasser cette bonne mère à Paris ; milord, dis-je, crut de son devoir d’établir qu’en enrichissant une nièce il ne faisait aucun tort à son propre héritier. Il prouva que le bien considérable dont la future comtesse de Kerlandec allait jouir, était le montant de certains revenus cumulés avec un capital que, lorsqu’elle naquit, il avait placé sur elle. Il s’y était ajouté l’héritage d’un père mort aux Indes après y avoir ramassé quelque bien.

Les noces se firent à ma terre. Tout ce que nous avions d’amis et de connaissances y fut prié : la bonne Sylvina bien entendu, et même, à cause d’elle, M. le président de Blandin et la folle Adélaïde, son épouse, ainsi que les Caffardière, qui, s’étant laissé entraîner à la séduction de Paris, avaient jusque-là retardé leur retour en province. Si quelques originaux de cette espèce semblent faire un peu tache au tableau, combien en revanche y donnaient de brillant les d’Aiglemont, les Garancey, les Senneville. Le délicieux Saint-Amand n’y demandait-il pas grâce pour sa moitié Popinel ? la ci-devant baronne de Liesseval, pour son caduc lieutenant-général ? Le tout mêlé d’Armande avec son garde-du-corps, de Belmont, de Floricourt avec leur prélat et leur Kinston, ne formait-il pas un clair-obscur plus piquant peut-être que l’éclat monotone d’une élite ? Je fis de mon mieux pour que rien ne manquât aux fêtes, dirigées surtout vers le but de lier et d’intéresser tous les cœurs. L’exemple d’une joie aussi franche, d’une cordialité aussi générale, n’avait peut-être jamais existé si près de notre égoïste Paris.

Cependant chaque jour, tandis qu’on délirait autour de nous, l’heureux mais éclairé Monrose cherchait à passer quelques instants tête à tête avec moi. Ce n’était plus pour des folies : il m’y parlait du passé comme d’un songe laborieux ; je le voyais surpris, effrayé de la route hérissée qui l’avait conduit si singulièrement au terme de son voyage. Son éternel refrain était : Bénissons la Providence ; sans le soin particulier qu’elle a daigné prendre de moi, n’aurais-je pas dû perdre cent fois le repos, peut-être même l’honneur et la vie ! Disons donc du libertinage, bien mieux encore que de la guerre : « C’est une belle chose quand on en est revenu. »


FIN DE LA QUATRIÈME ET DERNIÈRE PARTIE.