Monrose ou le Libertin par fatalité/III/24

Lécrivain et Briard (p. 133-138).
Troisième partie, chapitre XXIV


CHAPITRE XXIV

SUITE DU PRÉCÉDENT. C’EST MONROSE QUI
VA PARLER


« Les inséparables ont loué beaucoup la franchise d’Armande, et l’ont assurée qu’elles me connaissaient assez pour pouvoir combattre sa dernière idée, qui était que je ne pouvais conserver pour elle aucun sentiment de tendresse ni même de pitié. « De tendresse ! on vous en dispense, interrompit ici madame d’Aiglemont ; de la pitié ! c’est de quoi les âmes un peu fières ne sont nullement jalouses… Après ? »

« Cependant, continue Monrose, on se déshabillait lentement. Un petit bruit s’est fait entendre ; Floricourt a crié. « Poltronne ! a dit Belmont, ne sais-tu pas qu’on doit venir ? — Mais nous sommes enfermées ! — Tu vois que malgré cela… »

« En ce moment, l’une des coulisses, dont on se souvient[1], facilite l’entrée du prélat et du grand-chanoine ; ils étaient en pantoufles, et l’on devinait leur nudité sous de simples robes de chambre. « C’est un enchantement ! a dit l’Allemand, non moins émerveillé du luxe et de l’élégance de la pièce que de la manière dont il y arrivait. Je vois que la maîtresse elle-même !… Heureuse femme ! tant de charmes, tant de perfections et tant de moyens de jouir ! » « Ah ! voici que M. Monrose improvise pour moi des galanteries ! — Je vous donne ma parole d’honneur, comtesse, qu’il a dit cela mot pour mot. — Soit, mais sans doute il va maintenant s’occuper de ces dames ? — Dussiez-vous prétendre encore que je mens, je ne puis omettre que, frappé soudain de votre portrait[2], l’Allemand, fort connaisseur, à ce qu’il paraît, a pris un flambeau, et montant sur un fauteuil : « Eh bien oui ! a-t-il dit avec feu, cette délicieuse mine ne pouvait tourner autrement. Ô Félicia !… » En même temps, oubliant que celle de ses mains dont il ne tenait point le flambeau, servait à tenir croisés les pans de sa robe de chambre, il a fait un geste d’admiration et baisé sur la toile les deux boutonnets qui depuis sont devenus de si belles roses. On a vu pour lors une saillie mobile si imposante, que, riant de tout leur cœur, Belmont et Floricourt ont fait à mademoiselle de la Bousinière les plus fous compliments. — Allez, vous êtes un hâbleur ; mais savez-vous, Monrose, que vous n’avez nullement le talent de raconter ? La moindre circonstance vous arrête, vous fixe : un historien doit marcher rapidement vers son but. — Et tout mutiler pour être court ! — Non, mais laisser quelque chose à deviner. J’ai failli vingt fois vous en faire l’observation, tandis que vous vous confessiez. — Une confession ne doit-elle pas être entière ? — Humble aussi, et la main à la conscience. — J’avoue que la modestie n’est pas mon défaut. Je vous ai tout dit avec une bonne foi candide. — Et vous pouviez pourtant vous épargner beaucoup de détails de choses que j’aurais parfaitement entendues à demi-mot. — J’aime parfois à m’appesantir… » Ce dernier bout de phrase était un mauvais calembourg : j’eus bien de la peine à m’exempter des frais de l’explication ; la jeune marquise vint au secours… Il me fallut à mon tour la délivrer ; c’était dans ce lit une mêlée ! « Attendez, dis-je à mon auxiliaire, je me souviens d’un petit moyen d’empêcher les gens d’être si mutins !… » Alors m’emparant de ses cheveux, tandis qu’il s’efforçait de vaincre la marquise, je les partageai. « Entortillons chacune notre moitié autour du bras… »

Mais ce ne pouvait être que pour un moment plus éloigné ; déjà la jolie dame était… vaincue.

Monrose, 1871, Figure Tome 4 page 137
Monrose, 1871, Figure Tome 4 page 137

« — Vraiment, dit-elle après le combat, voilà comme vous m’avez défendue ! Il est d’une force, cet impertinent-là ! » Une dizaine de baisers fous le punirent de son crime. J’appris ensuite à la marquise comment, assujetti de droite et de gauche par sa chevelure partagée entre nous, le Samson ne pourrait plus rien entreprendre sans notre bon plaisir… « Eh bien, dit-il, vous ne saurez pas le reste de mon histoire. — Il est facile de deviner… — Peut-être ! — Vous serez en captivité jusqu’à ce que vous nous ayez satisfaites. — Eh ! quand je ne demande pas mieux, vous m’en empêchez ! — Joliment, monsieur le faune ! Comme je suis faite ! Il faut, comtesse, que j’aille mettre un peu d’ordre à cela. Morigénez-le toute seule un moment… » Hélas ! à peine eus-je perdu mon alliée, que… je perdis aussi la tête, et je fus à mon tour… vaincue.

Cependant, madame d’Aiglemont, peut-être tant soit peu jalouse, avait fait grande diligence… Pour l’associer du moins, je mis au jour une idée… Le fripon de Monrose la saisit avec ardeur… Enfin, après de longues incertitudes, la charmante marquise consentit à prendre une posture qui mit, tout près des yeux de mon vainqueur, des traits bien différents de ceux d’un visage : singulier et volumineux turban qui me coiffait ainsi pour la première fois de ma vie. Une bouche perpendiculaire invitait alors les stipulants baisers de notre fortuné coucheur, tandis qu’un toupet tant soit peu rétif se chicanait avec celui de ma tête, et que mes mains, étendues vers le haut, agaçaient en folâtrant les fraises élastiques qui couronnaient deux monceaux de neige.

À la suite de ce délicieux trio, nos paupières s’engourdissaient. Je priai mon cher neveu d’achever en quatre mots le compte qu’il avait à me rendre. « Notre prélat, dit-il, s’est mis conjugalement au lit avec madame de Belmont ; Armande s’est retirée chez elle avec le grand-chanoine ; Floricourt est sortie par une des niches : elle savait apparemment où rejoindre son narcotique baronnet. Moi, qui n’avais plus rien à faire par là, je suis venu… — Oh ! nous nous sommes très-bien aperçues que vous êtes venu ! dit madame d’Aiglemont, en balbutiant de sommeil… Bonsoir, comtesse. — Bonsoir, marquise. — Bonsoir, mes amies… Bonne nuit, mes petits amis. — Eh bien, mon neveu ! Ôtez donc ces mains ! — Adieu ! »


  1. Voyez Mes Fredaines, troisième partie, chapitre XIV, page 60.
  2. Celui que Sylvino fit autrefois, et qui décore cette pièce.