Monographies politiques – Henri IV
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MONOGRAPHIES POLITIQUES.




HENRI IV.


RECUEIL DES LETTRES-MISSIVES DE HENRI IV, publié par ordre de M. le ministre de l’instruction publique, par M. Berger de Xivrey. 1844.

MEMOIRES DE JACQUES NOMPAR DE CAUMONS, DUC DE LA FORCE, publiés, mis en ordre et précédés d’une introduction par M. le marquis de La Grange. 4 vol. in-8o,1843.
SATIRE-MENIPEE DE LA VERTU DU CATHOLICON D'ESPAGNE ET DE LA TENUE DES ESTATS DE PARIS, nouvelle édition, accompagnée de commentaires et précédée d’une notice sur les auteurs, par M. Charles Labitte. — 1841.

LA REFORME ET LA LIGUE, LA LIGNE ET HENRI IV, par M. Capefigue. — 1844.




SECONDE PARTIE.[1]

Les embarras du roi de Navarre furent singulièrement augmentés, lorsqu’au 10 juin 1584 Henri se trouva investi, par la mort du dernier frère du roi, du titre d’héritier présomptif de la couronne de France. A partir de ce jour, il devenait impossible d’écarter du débat la question de successibilité et la question religieuse, qui allaient désormais le dominer.

Henri était hérétique relaps. S’il existait dans les idées et le droit public de l’époque un empêchement dirimant au sacrement de la royauté, c’était assurément celui-là. Lorsque le premier serment de Reims imposait l’obligation de défendre contre l’hérésie l’unité de la foi, lorsque les lois ecclésiastiques avaient le caractère et la force des lois civiles, et que le prince s’honorait du titre d’évêque du dehors, l’exercice du pouvoir royal par un protestant était une impossibilité non moins évidente que ne le serait de nos jours la souveraineté d’un roi constitutionnel qui nierait la constitution. Jamais, du reste, obstacle ne fut plus universellement aperçu. Sur ce point, tous ceux qui ne s’avouaient pas ouvertement calvinistes s’exprimaient dans les mêmes termes. Relativement à l’impossibilité de voir un prince calviniste exercer les fonctions royales dans le royaume des fils aînés de l’église, il n’y avait qu’une opinion au parlement comme à l’hôtel de Grève, aux halles des marchands comme dans les salons des grands seigneurs. Catholiques politiques et catholiques ligueurs, gallicans et ultramontains, depuis l’avocat Pasquier jusqu’à l’avocat David, du président de Harlay au fougueux Lincestre, tout le monde faisait des déclarations presque identiques.

Dans la polémique engagée à cette époque, pas un catholique ne contesta la nécessité où se trouvait Henri de Navarre, pour s’asseoir au trône de son aïeul saint Louis, de rentrer en communion morale avec son peuple. La seule différence notable entre l’opinion des politiques et celle exprimée par les ligueurs, c’est que, suivant ceux-ci, le droit héréditaire était incapable de saisir un hérétique excommunié, tandis que, selon les autres, le droit de succéder était, dans tous les cas, bien et dûment acquis à l’héritier naturel, à condition qu’il rentrerait dans la communion nationale et qu’il se réconcilierait canoniquement avec l’église. La plupart des parlementaires admettaient une sorte de droit absolu en soi, mais inerte, et quoiqu’ils s’exprimassent sur ce point en termes confus, ils paraissaient en subordonner l’exercice à une prompte réconciliation avec l’église. Qu’on lise avec attention les nombreux écrits du parti politique, et l’on y trouvera cette doctrine partout consignée. Les auteurs même de la Ménippée, dans les plus vives ardeurs de leur dévouement monarchique, invoquent à chaque page la promesse solennellement faite par le roi de donner pleine satisfaction à la conscience de ses sujets sitôt que sa conversion ne lui sera plus imposée l’épée sur la gorge, au préjudice de son honneur comme prince et comme homme.

Henri partagea constamment sur ce point l’opinion de l’universalité de ses partisans catholiques, et à aucune époque de sa carrière on ne citerait une seule parole de laquelle on pût inférer qu’il espérât jamais se voir assis au trône de France avant d’avoir fait tomber la barrière qui le séparait de la nation. A cet égard, il y eut trois nuances diverses dans son langage, et chacune d’elles correspond aux différentes phases de sa vie.

Tant que vécut le duc d’Anjou, Henri évita autant qu’il le put de s’expliquer sur l’avenir, en ayant grand soin d’en présenter les éventualités comme très incertaines. A l’époque même où il était sans droit et sans prétentions prochaines au trône de France, n’ayant de force qu’à titre de chef du parti protestant, ses ménagemens pour ses coreligionnaires ne le firent jamais se départir d’une réserve dont on murmura plus d’une fois autour de fui. Devenu héritier de la couronne, nous l’entendons déclarer officiellement à la nation et aux trois états du royaume qu’il se soumet d’avance à la décision d’un concile oecuménique, et même, au besoin, à celle d’un simple concile national, et le calviniste Mornay est chargé de rédiger lui-même dans ce sens ses déclarations réitérées[2]. Enfin, quand le poignard de Jacques Clément lui aura frayé la voie du trône, et qu’il faudra rassurer la conscience du petit nombre de catholiques restés fidèles à son droit et à sa fortune, Henri annoncera solennellement l’intention de se faire instruire aussi promptement que le lui permettront les soins de la guerre. Il ouvrira, dès cette époque, une négociation directe avec Rome, et la seule question qui divisera les catholiques au moment de l’acte solennel de Saint-Denis sera celle de savoir si l’absolution peut être spontanément donnée par les évêques français avant l’assentiment de la cour pontificale. Si Henri IV ne s’était pas fait catholique, il fût resté, de son aveu, le chef impuissant d’une minorité, et jamais il n’aurait régné sur la France. Je ne sais pas, dans l’histoire, de fait plus avéré que celui-là.

On sait de quelles forces disposait l’association des villes et communautés de France au moment où la mort du duc d’Anjou vint donner Henri de Navarre pour successeur à Henri de Valois. Il y eut dans la ligue, à dater du jour même de sa fondation, deux intérêts qui se confondent dans l’histoire, mais qui n’étaient pas moins distincts par leur nature et leur tendance propre. L’un émanait de la résistance populaire à la réforme et se proposait un double but, le maintien de l’influence catholique dans le gouvernement et la suppression de l’exercice public du culte octroyé aux protestans par les édits ; l’autre n’était connu que d’un petit nombre d’adeptes : il s’agissait de préparer les esprits à un changement de dynastie, et de provoquer un vaste bouleversement au profit commun d’une maison ambitieuse et d’un cabinet étranger. Dans toutes les révolutions, la loyale sincérité des masses est exploitée par un intérêt embusqué derrière elles, et le complot grandit à couvert derrière l’irritation publique. La ligue subit l’effet de cette loi à peu près générale, ce qui ne l’empêcha pas d’être un mouvement aussi spontané que naïvement honnête.

A l’organisation de la noblesse protestante consacrée par les édits, au système des places de sûreté, des contributions volontaires et des réunions synodales, la bourgeoisie catholique avait répondu en formant autour de chefs de sa confiance et de son choix une organisation analogue. Les faiblesses et les oscillations du pouvoir, depuis vingt ans, avaient séparé du gouvernement l’opinion publique, qui, sentant sa puissance, était prête à en abuser. Lassés de voir les intérêts les plus sacrés à leurs yeux subordonnés aux froids calculs d’une reine sans conviction et aux mobiles caprices d’un prince dégradé, les catholiques avaient puisé l’esprit de résistance dans l’énergie de leurs mœurs et de leur foi. Bientôt l’idée d’un grand pouvoir à constituer, d’une haute influence municipale à conquérir, était venue ajouter les vagues enivremens de la liberté à l’ardeur des inspirations religieuses, et l’on avait vu se déployer le vaste mouvement populaire dans toute la hauteur de sa puissance et de son audace.

Dès le règne de Charles IX, des unions provinciales s’étaient formées en Languedoc, en Picardie, en Bretagne, dans l’Anjou, dans la Provence. Les gentilshommes s’engageaient sur leur honneur et l’épée de leurs ancêtres, les bourgeois, sur leur salut et les saintes reliques de la paroisse, à équiper un certain nombre d’hommes d’armes, à payer une contribution volontaire, à faire service de leur personne ou de leur bourse pour aider le roi à combattre l’hérésie. Le but avoué de ces associations, le seul qui fût alors sérieux, était de rétablir l’exercice exclusif de la religion romaine dans toute l’étendue du royaume.

C’était surtout au milieu de la bourgeoisie de Paris, dans les parloirs aux marchands et les grandes salles de l’hôtel de Grève, que les magistrats populaires devisaient ensemble et se concertaient pour faire tête à l’hérésie et l’extirper du sol de la France. La noblesse provinciale, qui constituait la force du parti réformé, était sans action dans Paris, où le clergé, le parlement et surtout l’université exerçaient une ardente propagande catholique. Paris aimait les princes qui traversaient ses rues entourés d’une pompe royale, et dont le luxe alimentait son commerce ; mais sa riche bourgeoisie avait très peu de goût pour les hobereaux du Béarn et de la Saintonge, qui joignaient à l’orgueil de leurs vieux parchemins la morgue austère du calvinisme.

L’organisation de cette grande cité rendait facile la formation d’une puissante association dont le pouvoir municipal était la base en même temps que l’instrument. Malgré les réformes introduites par nos rois dans l’administration de la ville de Paris après les grandes séditions du XVe siècle, toutes les fonctions importantes continuaient à émaner de l’élection, et la souveraineté de la capitale était aux mains de son corps municipal. Ses échevins gardaient les clés des tours qui en protégeaient l’enceinte. Les corporations d’arts et métiers, les confréries diverses, choisissaient sans contrôle leurs syndics et leurs prévôts ; les habitans réunis sous leurs bannières dans les halles ou dans les cloîtres élisaient les chefs de la garde bourgeoise, depuis les colonels jusqu’aux dizainiers, et cette garde nationale, constituée sans intervention royale, devint l’armée même de la ligue. Les seize quartiers de Paris obéissaient à seize quarteniers investis de toutes les attributions de police et d’une haute autorité morale. Ces seize magistrats furent les chefs naturels du grand mouvement municipal. Comment n’en aurait-il pas été ainsi ? L’autorité de la magistrature élective s’exerçait d’une manière à peu près absolue sur la force publique et sur les finances de la capitale ; aux délégués de la bourgeoisie, conseillers, avocats, procureurs et greffiers au parlement, marchands de la rue Saint-Denis et du Pont-au-Change, appartenait le droit d’armer les citoyens, de les convoquer au son du beffroi, de tendre les chaînes dans les rues, de réglementer les industries et de veiller à la police urbaine. Cette société, que le pouvoir ne s’était point assimilée, vivait de sa vie propre dans toute l’énergie de ses instincts et de ses croyances. Symbole de l’unité nationale devant l’étranger, la royauté du XVIe siècle exerçait une mission plus militaire qu’administrative. Placée entre l’autorité morale de l’église et la puissance de corps indépendans, elle n’avait la main ni sur les intérêts, ni sur les consciences, et lorsqu’un grand ébranlement était imprimé à l’opinion, celle-ci ne voyait s’élever aucune digue devant son cours.

Tous les historiens s’accordent pour attribuer à l’avocat David, l’un des chefs de la bourgeoisie parisienne, la pensée de réunir dans une ligue commune les nombreuses associations organisées dans les provinces pour s’opposer aux progrès de la réforme. Devenu l’un des premiers instrumens de la conspiration ourdie par les princes de Lorraine et par le cabinet de l’Escurial contre la maison de France, David mit au service de cette cause les ressources d’un esprit inventif et d’une activité infatigable. Par ses écrits, par ses paroles et par ses démarches, il prépara les esprits à un changement que les évènemens semblaient préparer de loin, indiquant toujours les verdoyans rejetons de la tige de Charlemagne comme les successeurs naturels d’une royauté décrépite et d’une race abâtardie.

A Rome, où David s’était rendu pour exposer ses hardis projets, il fut accueilli avec froideur et inquiétude ; la prudence accoutumée du saint-siège s’alarma d’une telle entreprise et des chances redoutables qu’elle pouvait entraîner pour la cause catholique elle-même. Ce n’était pas à coup sûr le zèle qui manquait à Grégoire XIII et à Sixte-Quint : l’approbation donnée aux plus tristes scènes de cette époque ne l’avait que trop constaté ; mais le saint-siège comprit qu’un intérêt d’ambition se trouvait étroitement enlacé dans tous les plans de la ligue à l’intérêt religieux, et que les vues secrètes l’emporteraient promptement sur les résolutions patentes. Il jugea que ce n’était pas chose facile que de renouveler l’œuvre du pape Zacharie en face de la réforme maîtresse de la moitié de l’Europe, et d’altérer d’une manière notable l’équilibre du monde en faisant passer la France sous l’influence, pour ne pas dire sous la domination même de l’Espagne. C’était là une perspective qui alarmait fort sérieusement les souverains pontifes eux-mêmes, peu jaloux de jouer dans l’Italie conquise et dominée par la cour de l’Escurial le rôle d’aumôniers des rois catholiques. Rome s’alarmait surtout à la pensée que la puissance de la ligue finissant par absorber celle d’une royauté mise en tutelle, Henri III pouvait se trouver conduit à réunir ses forces à celles des huguenots pour échapper à la domination du parti catholique ; et, quel que fût son désir d’abattre l’hérésie dans le royaume très chrétien, le saint-siège reculait avec effroi devant la perspective de voir le protestantisme conquérir en France ce qui avait fait sa force en d’autres contrées, l’appui et le concours de l’autorité temporelle. De là les longues hésitations et les constantes répugnances de Sixte-Quint. Les déclarations du duc de Nevers, envoyé près de lui par le parti catholique, attestent les efforts persévérans du pontife pour arrêter les progrès de la ligue et ménager l’autorité royale tant que vécut Henri III. Sixte ne céda que devant des circonstances devenues plus fortes que sa propre volonté, tout énergique qu’elle pût être. Lorsqu’il donna son approbation à la ligue, celle-ci était déjà maîtresse du royaume et avait fait capituler la royauté ; le pape n’engagea d’ailleurs contre le roi de Navarre une lutte directe et personnelle en prononçant son excommunication qu’après que le pontife se fut trouvé directement placé entre le péril imminent d’une succession protestante et celui d’un changement de dynastie.

Éconduits à Rome, les agens de la maison de Lorraine avaient trouvé en Espagne un accueil plus empressé. Dès la tenue des premiers états de Blois, en 1576, le cabinet de l’Escurial exerçait au sein du parti catholique une influence prépondérante. Le traité secret signé au château de Joinville entre les princes de la maison de Lorraine et le successeur de Charles-Quint avait garanti la couronne au cardinal de Bourbon, à l’exclusion de tous les princes non catholiques de sa branche. Cet acte ouvrait dès-lors à MM. de Guise, à la mort du vieil oncle du roi de Navarre, une perspective assurée. Pour prix de cette concession et des larges subsides promis par la cour de Madrid, on s’engageait à rendre au roi catholique les places conquises dans les pays-bas espagnols. D’autres dispositions d’une nature plus générale avaient été ajoutées à celles-là : elles portaient sur l’interdiction du culte public aux protestans et la réception du concile de Trente dans le royaume, double clause qui, à cette époque, constituait à bien dire le symbole officiel du parti catholique.

Comment ce parti ne fût-il pas devenu le maître de la France ? Tout plein de la sève populaire et conduit par des chefs habiles, il associait à ses plans religieux le redressement des griefs, la convocation des états-généraux, la chute des mignons et la purification de cette demeure royale où l’ire publique voyait une autre Sodôme. La puissance de la ligue était devenue tellement irrésistible, surtout à Paris, qu’il ne restait à Henri III d’autre parti à prendre que de s’en déclarer le chef. Lorsqu’une situation est forcée, tous les reproches sont injustes. Ce qu’on peut imputer avec plus de raison au dernier des Valois, c’est d’avoir, par l’irrésolution de ses conseils et les tergiversations de sa conduite, compromis chaque jour le bénéfice de ses concessions et la dignité même de son malheur.

Le règne de ce prince put être considéré comme moralement terminé au mois de juillet 1585, lorsqu’après des résistances aussi longues qu’infructueuses il se vit contraint de signer l’édit de Nemours. Interdire tout exercice de la religion réformée dans le royaume, placer ses sujets calvinistes entre l’abjuration et l’exil, les déclarer à jamais incapables de toute fonction, leur retirer sans motif nouveau le bénéfice de tous les édits de son règne, donner enfin aux princes de Lorraine toutes les places fortes réclamées par eux, c’était abdiquer à la face du monde et déclarer que le roi de France s’appellerait désormais Henri de Guise.

Si cet acte fut pénible à Henri III, il ne porta pas au roi de Navarre un coup moins sensible.

Nous avons indiqué les motifs pour lesquels ce prince avait constamment répugné à engager avec le chef de sa race une lutte dont l’issue ne pouvait être que funeste à lui-même. En voyant donc disparaître tout espoir de constituer un parti intermédiaire et de préparer pour l’avenir le triomphe d’un système de transaction, en se trouvant désormais placé entre deux fanatismes également intraitables, Henri de Bourbon éprouva une émotion tellement violente que sa moustache en grisonna ; mais le propre des hommes éminens est de modifier leur conduite sans abandonner leurs desseins, et c’est là ce que sut faire ce prince avec une rapidité surprenante.

Sitôt qu’il se vit menacé dans son gouvernement par les forces royales réunies à celles de la ligue, il lança des émissaires dans toutes les provinces, des agens en Suisse, en Allemagne, en Angleterre, en Danemark, pour obtenir de l’argent et des secours, préparant tout pour faire tête à l’orage. Il échappa successivement, par une stratégie habile, à l’armée du maréchal de Matignon et à celle du duc de Mayenne, et, prenant l’offensive à son tour, il entama une série d’entreprises aussi hardies qu’heureuses contre des troupes divisées par les vues secrètes de leurs chefs non moins que par les ordres contradictoires émanés de la cour et du conseil de la ligue. Battant tous les buissons de la Gascogne et du Poitou, tenant tantôt dans des bicoques contre des armées, et tantôt s’élançant par des sentiers inconnus au centre du camp ennemi, on le vit, pendant deux années, suppléer à l’infériorité de ses forces par la fécondité de son esprit et l’audace de sa résolution. Ame de feu dans un corps de fer, homme de sang-froid jusque dans l’exaltation de la victoire, Henri était singulièrement propre à cette guerre dans laquelle le rôle du général se confondait avec celui du soldat. Passant du champ de bataille aux conférences, essuyant le feu de l’escadron volant après les charges de la cavalerie catholique, le prince s’abouchait à Saint-Bris avec Catherine, qui vouait ses vieilles années à l’intrigue, comme elle lui avait consacré sa jeunesse ; et pendant qu’il rassemblait toutes les forces du protestantisme pour les opposer à la brillante armée du duc de Joyeuse, il nouait des négociations avec les gouverneurs royalistes alarmés de l’autorité conquise par une seule maison et de la prépondérance chaque jour croissante de la ligue. Le coup de foudre de Coutras vint frapper celle-ci de stupeur, et donner à Henri III la plus dangereuse des tentations pour un prince faible, celle d’échapper par la ruse au parti dont il subit le joug.

On comprend que ce joug pesât au descendant de soixante rois, et qu’un reste de fierté fit bouillonner son sang lorsque dans les rues de Paris, où l’outrage se dressait pour lui sous les formes les plus sanglantes, Henri voyait applaudir avec transport le duc de Guise ; mais en essayant une tardive résistance contre une domination qu’il avait acceptée, Henri III ne vit pas qu’entre les gentilshommes huguenots et la bourgeoisie ligueuse il n’y avait pas encore place pour une puissance intermédiaire, et qu’il fallait désormais, ou supplanter les princes lorrains dans la confiance publique, ou se jeter hardiment dans l’armée du Béarnais, pour marcher enseignes déployées contre Paris et contre la ligue. Hors de ces deux résolutions, il n’y avait à recueillir que honte et déception. La lutte était trop vive, et les intérêts n’étaient pas encore assez alarmés pour qu’un tiers-parti pût alors rester maître du champ de bataille.

Le roi avait sans doute réussi à détacher de la ligue quelques parlementaires : il était parvenu à tempérer la fougue de l’Hôtel-de-Ville et à s’assurer, en cas d’attaque contre sa personne, le concours du plus grand nombre des colonels de la garde bourgeoise, choisis pour la plupart parmi les dignitaires des cours de justice ; mais l’influence des chefs de la milice était dominée par celle des cinquanteniers et des dizainiers, tous sortis des corps de métiers et imbus de l’esprit des confréries. A l’autorité du conseil de Grève, groupé autour du prévôt des marchands, les seize quarteniers opposaient des réunions spontanément formées par les citoyens les plus zélés, les prédicateurs les pus ardens, les hommes les plus enclins aux résolutions décisives. La ligue avait aussi sa plaine et sa montagne ; elle eut ses déchiremens intérieurs aussi bien que ses rivalités sanglantes, et, comme toutes les révolutions populaires, ce grand mouvement municipal échappa promptement à ses premiers incitateurs.

Les débris de la dernière armée royaliste s’étaient dispersés après la défaite de Coutras. Le duc de Guise était maître des troupes qui venaient de repousser au-delà des frontières les reîtres envoyés par l’Allemagne protestante au secours de ses frères de France. Au milieu des colères publiques dont le flot montait d’heure en heure, Henri de Valois ne pouvait compter que sur le dévouement de quelques gentilshommes et sur celui de ces régimens suisses qui allaient faire pour la première fois, autour de la demeure royale, l’épreuve de leur longue fidélité. C’était trop peu contre toute une ville qui se croyait trahie par son roi, et qu’une longue excitation avait préparée à une extrémité terrible. La journée des barricades, qui chassa Henri III de sa capitale et livra Paris à la ligue pendant cinq années, fut un de ces mouvemens dont, seule entre toutes les nations, la France semble avoir le redoutable privilège. Le 14 mai 1588, on vit un peuple tout entier quitter son labeur et sa famille pour descendre dans la rue afin d’y jouer sa vie pour une idée ; on le vit triompher de la discipline par l’audace, et combiner dans une irrésistible puissance d’agression l’héroïsme du dévouement, l’enivrement de la révolte et de la mort.

Henri se fit, comme tous les rois vaincus, l’illusion de croire qu’il l’avait été par surprise. Chassé de Paris, il réunit à Blois les états-généraux de son royaume ; mais il vit bientôt qu’au sein de cette assemblée les passions n’étaient pas moins ardentes que sous les halles de Paris, et que les engagemens avec la ligue étaient plus étroits peut-être. Alors il appela l’assassinat au secours de son impuissance, et son bras énervé tenta un coup qu’un roi dans toute sa force aurait à peine osé. Il fit répandre dans un guet-apens le sang de l’homme le plus populaire de la France et celui d’un prince de l’église, puis le disciple de Catherine se crut le maître du mouvement parce qu’il en avait frappé la tête. Il aurait eu raison si, comme le pensait sa mère, la ligue n’avait été qu’une conjuration ; mais c’était une grande opinion nationale, et cette opinion ne recula pas devant un crime. Ce crime devint au contraire entre ses mains un grief et une arme de plus. A la nouvelle de l’attentat de Blois, Paris consomma sa révolte, et, pour la première fois en France, la souveraineté populaire descendit en armes sur la place publique, afin d’y proclamer la déchéance d’un roi et d’y revendiquer le droit imprescriptible de présider aux destinées de la nation.

Le peuple de la ligue devança le peuple de la Bastille, et les barricades de mai s’élevèrent au même titre que les barricades de juillet. Le XVIe siècle tenta, au profit d’une idée religieuse, ce qu’on a fait plus tard au profit d’une idée politique. La cause était assurément aussi noble, et l’intérêt n’était pas moins grand. Quelques mois plus tard, lorsque le meurtre de Henri III eut expié le meurtre du duc de Guise, le peuple de Paris déclara Henri IV exclu du trône, parce qu’il était étranger à la foi de la nation et repoussé par le saint-siège. Un peuple catholique subordonnait l’usage de sa souveraineté à la décision de la seule autorité religieuse reconnue par lui ; ceci était fort naturel, et confirmait le droit de cette souveraineté elle-même, bien loin d’en impliquer l’abandon. L’ultramontanisme de cette époque n’était donc au fond que le libéralisme de la nôtre. Les gens qui, au XVIe siècle, en appelaient à Rome étaient les hommes de la souveraineté nationale ; ceux qui déclinaient alors l’autorité du saint-siège étaient les sectateurs purs et simples du droit divin des rois et de leur autorité inamissible. Il a fallu beaucoup de subtilités pour empêcher de voir cela, et une grande mauvaise foi pour ne pas l’avouer.

L’incendie allumé dans la capitale eut bientôt embrasé le royaume du fond de la Bretagne à l’extrémité de la Provence. Les corps municipaux et la plupart des grandes compagnies judiciaires, réunis par une pensée commune et par une commune passion, engagèrent une correspondance intime qui restera comme le plus grand monument de l’esprit d’association en France. Dans de telles conjonctures, Henri III fut conduit à une résolution qui, prise à temps, pouvait avoir son importance, mais dont le bénéfice était désormais fort diminué pour lui. Il vint chercher un refuge dans l’armée protestante et confier sa couronne à ceux qu’il avait récemment déclarés indignes de vivre sur le sol de sa patrie.

Jamais le roi de Navarre ne déploya un tact plus exquis que dans cette occurrence délicate. Il s’effaça devant son roi malheureux avec non moins d’habileté que de convenance. Henri de Bourbon voyait se réaliser ainsi le plus cher et le plus ancien de ses vœux. Il cessait d’être le chef d’une minorité religieuse pour devenir le représentant et le défenseur du pouvoir royal opprimé. L’armée huguenote s’appelant désormais l’armée royaliste, il espérait voir les intérêts particuliers de la réforme disparaître devant ceux de la grande unité dont la royauté française était le symbole respecté.

Peut-être une telle espérance n’aurait-elle pas été trompée, si Henri III avait continué de vivre. Le catholicisme non équivoque de ce prince pouvait jusqu’à un certain point couvrir la religion de ses auxiliaires, dont la cause venait alors s’absorber dans la sienne. Si la victoire, qui s’était déclarée pour le roi après sa jonction avec les réformés, avait continué de lui rester fidèle, les peuples auraient pu voire dans ce retour de fortune le triomphe de la majesté royale plutôt que celui de l’hérésie. Mais le crime de Jacques Clément vint arracher soudain à Henri de Bourbon le précieux abri sous lequel il prenait si grand soin de cacher sa propre bannière, et rendre à la question religieuse l’intérêt passionné que ce prince s’efforçait de lui enlever. Dans la nuit du 2 août 1589, la garde écossaise fléchit le genou devant un nouveau maître, et les rudes compagnons du Béarnais le saluèrent roi de France, près du corps de son prédécesseur assassiné.

Quel début dans la royauté, et quelle perspective sanglante ! A Saint-Cloud, des larmes, des soupçons, des regards méfians et sinistres ; à paris, des cris de joie et des hurlemens de triomphe. Le fanatisme qui semblait planer sur ce vaste horizon et l’envelopper de toutes parts reculerait-il après un premier succès, et n’allait-il pas recommencer contre un roi excommunié ce qu’il venait d’exécuter contre un roi catholique ? Cette armée, formée à si grand’ peine par la jonction des deux princes, n’allait-elle pas se dissoudre sitôt qu’un droit incontesté cesserait d’en rallier les élémens divers ? Que feraient les catholiques si le nouveau roi persistait dans sa croyance, que feraient les protestans s’il se déclarait disposé à l’abandonner ? En donnant aux premiers la satisfaction qu’ils réclamaient, était-il assuré de gagner leur confiance tant que Rome persisterait à ne pas l’absoudre, et ne s’exposerait-il pas à perdre des fidélités éprouvées pour courir après des dévouemens incertains ? Serait-il jamais sérieusement adopté par la France catholique, et que pouvait-il attendre de l’Europe protestante après une abjuration qu’un éclatant succès ne ferait pas même pardonner ? Fallait-il retourner dans ses montagnes, comme le lui conseillaient quelques-uns, se retirer pour un temps près de la reine Élisabeth, comme le voulaient d’autres, ou bien fallait-il rester en roi devant sa capitale, et recevoir, à défaut de l’onction sainte, le sacre glorieux des batailles ? Mais comment faire la guerre sans argent, comment résister à l’or de l’Espagne, aux menaces pontificales et au sentiment public universellement soulevé ? comment tenir la campagne contre l’armée chaque jour grossie du duc de Mayenne, avec des troupes étrangères les unes aux autres et qui se débandaient d’heure en heure ?

Déjà le duc d’Épernon avait déserté le camp royal, emmenant dans les provinces dont il avait le gouvernement plusieurs milliers des meilleurs soldats de l’armée. Beaucoup de gentilshommes catholiques avaient suivi cet exemple, un plus grand nombre se disposaient à l’imiter. Parmi ceux qui continuaient à servir le nouveau roi, la plupart ne le faisaient qu’avec hésitation et froideur, sans attachement pour sa personne, et sous la déclaration formelle qu’il n’y avait pas à compter sur eux au-delà du terme de quelques mois réclamé par Henri pour réfléchir à ses devoirs de roi et de chrétien. Les seigneurs les plus qualifiés du royaume, le duc de Montpensier, le duc de Longueville, le duc de Nevers, le duc de Luxembourg, appartenaient à cette catégorie, qui correspondait aux sentimens de la portion modérée du parti catholique.

Ceux d’entre les membres du parlement de Paris qui avaient suivi à Tours Henri de Valois ne consentaient à engager à son successeur qu’une fidélité conditionnelle[3]. Chacun se montrait exigeant et hautain en face de ce pouvoir qu’un souffle semblait devoir renverser. Chacun faisait ses réserves, quelquefois sous l’inspiration de sa conscience, le plus souvent dans l’intérêt de son ambition. Si les nobles compagnons de la vie laborieuse du Béarnais, si quelques officiers royalistes, groupés autour de Biron, dominés par le calme imperturbable et la sérénité confiante du monarque, s’écriaient, en pressant les mains du vainqueur de Coutras : Sire, vous êtes le roi des braves, et ne serez, abandonné que des poltrons, on voyait la plupart des gentilshommes catholiques, au rapport d’un témoin oculaire de ces grandes scènes, « renfoncer leur chapeau en présence du roi lui-même, fermer les poings, comploter, se toucher la main, faire des vœux et promesses dont on disait pour refrain : Plutôt mourir que d’avoir un roi huguenot[4]. »

Conquérir un royaume, dont les huit dixièmes étaient catholiques, avec une armée composée pour les deux tiers de protestans, telle était la tâche imposée à Henri IV. Lorsqu’on voit commencer sous de tels auspices l’un des plus beaux règnes de notre histoire, on demeure confondu en comparant la faiblesse des moyens à la grandeur des résultats. C’est dans les écrits de l’homme qui contempla de si près les perplexités de son maître qu’il faut voir se dérouler la suite de ces difficultés, qu’on estimerait insolubles, si elles n’avaient été si merveilleusement surmontées ; c’est dans ces pages judicieuses qu’on suit à l’œuvre le roi politique, livrant dans son cabinet de plus rudes combats que sur le champ de bataille, couvrant par sa loquacité gasconne et par sa franchise calculée sa prodigieuse entente du caractère, des intérêts et des faiblesses de chacun.

À tout moment, huguenots et catholiques le menacent d’une défection éclatante. Les premiers, indignés des promesses du roi, voudraient que leur chef se rejetât franchement dans les bras des seuls hommes sur lesquels il pût compter, et fit un énergique appel à Genève, à l’Angleterre, à la Hollande et à toutes les puissances protestantes dont les intérêts politiques se confondent avec ceux de la réforme ; les autres se plaignent avec amertume que les six mois réclamés par le monarque soient écoulés sans que son abjuration ait été consommée, et s’alarment en voyant le saint-siège persister à repousser ses ouvertures et à le noter d’indignité. Il n’est pas de jour où les deux partis ne soient prêts à tirer l’épée, et la haine était poussée à ce point au sein de l’armée royale, au rapport du duc de Sully, que le premier soin après la bataille était de séparer les cadavres des morts, afin qu’ils ne s’imprimassent pas l’un à l’autre une flétrissure dans la tombe.

Les préoccupations personnelles étaient plus vives encore que les soucis d’une autre nature. Il n’était pas un commandement de place à donner, une compagnie à pourvoir, qui ne rouvrît la lutte entre les catholiques et les huguenots. Aux premiers, Henri IV assurait toutes les bonnes et lucratives positions ; il dédommageait les seconds par des témoignages charmans de regrets et de secrète confiance. Reçu froidement aux levers du roi, Rosny est admis la nuit dans sa tente, et l’homme pour lequel aucune négociation n’a de mystère ne réussit pas même à obtenir le gouvernement d’une bicoque ! À bout de désintéressement et de patience, Rosny lui-même s’éloigne, pour ne pas dévorer plus long-temps, en face de ses ennemis, des refus qui lui font douter du cœur de son ami et de la justice de son roi.

Personne ne fut plus souvent condamné à être ingrat, et ne s’en acquitta de meilleure grace. Épuisant sans réserve le dévouement des siens, Henri échappait par des mots heureux à la dette de la reconnaissance, et appliquait avec bonheur un système qui aurait paru odieux chez un autre. Ce prince prit à la ligue tous les membres de son cabinet, la plupart des généraux de ses armées et des grands dignitaires de sa cour ; il traita avec tous ses ennemis, au préjudice de ses plus vieux serviteurs, tarifant chacun selon la mesure de son importance, selon le degré même de sa haine. C’est là ce que le XVIIIe siècle a cru devoir appeler la clémence de Henri IV, et ce que nous appelons aujourd’hui sa politique : politique pénible, mais nécessaire, qu’un roi chevalier n’aurait point faite, mais qui seule était possible au milieu de la corruption générale que les longues perturbations amènent presque toujours à leur suite.

C’était avec ces hommes aigris et ces serviteurs nouveaux que Henri IV allait conquérir pied à pied un royaume où, lors de son avènement, Tours, Blois et Caën étaient à peu près les seules places importantes qui arborassent ses blanches couleurs. Dominé par le conseil de la sainte-union, frémissant sous la parole de ses orateurs, Paris redoublait d’ardeur et de sacrifices. Il avait dirigé une armée nombreuse et bien pourvue sur la Normandie, où le roi s’était retiré pour recevoir les secours de l’Angleterre. Rouen y surpassait Paris dans son dévouement à la vieille cause municipale et catholique. Lyon, Bordeaux, Toulouse, Marseille, presque toute la France d’outre-Loire retrouvait ses vieux souvenirs d’indépendance et d’administration locale. La Flandre espagnole versait de grandes forces sur la Picardie, et la catholique Bretagne avait ouvert tous ses ports aux flottes de Philippe II.

Ce fut pourtant cette armée royale, si inférieure en nombre et en ressources à la grande armée populaire qui vainquit à l’héroïque journée d’Arques et à la grande bataille d’Ivry, ce furent ces gentilshommes mécontens et désunis qui triomphèrent des bonnes villes de France, associées dans une pensée de conscience et de liberté bourgeoise ; enfin, l’on vit ces escadrons, sans artillerie, sans argent, sans union, et le plus souvent sans discipline, défaire et chasser deux armées espagnoles, commandées par le prince de Parme, le premier capitaine de son siècle. Comment cela se put-il faire, et pourquoi la ligue fut-elle vaincue ?

Le coup décisif porté par Henri IV à ses ennemis fut assurément son abjuration. La France conquit son roi à Saint-Denis, et ce prince y conquit à son tour un royaume. Le canon de la messe, ainsi qu’il le déclarait dans une spirituelle saillie, pouvait seul faire brèche aux bonnes murailles de Paris. Le retour de Henri de Bourbon à la religion de ses ancêtres et de ses peuples transformait la ligue en faction. Enlever à un parti l’idée du droit sur lequel il s’est fondé, c’est le frapper à mort dans la conscience publique. Mais les obstacles qu’on vient de rappeler, joints aux démarches passionnées d’un légat instrument aveugle de l’Espagne, avaient retardé de quatre années l’accomplissement de la promesse faite par le roi lors de son avènement à la couronne. Ces retards étaient une arme formidable, et si la sainte-union n’a pas triomphé avant l’acte solennel du 25 juillet 1593, il faut bien en inférer qu’il y avait en elle un germe de ruine et d’impuissance. Quel était-il ?

La ligue réussit à empêcher Henri IV de régner tant qu’il ne fut pas catholique, mais elle échoua complètement dans ses efforts pour constituer une autre royauté. La première partie de cette tâche était fort simple, c’était l’application du vœu presque unanime de la nation et de la loi fondamentale du royaume ; la deuxième présupposait un accord de vues qui manqua complètement à la grande conjuration espagnole et lorraine.

Si le prince auprès duquel tous les autres princes paraissaient peuple[5], si le fier Balafré avait vécu durant ces jours de crise, nul doute qu’en s’appuyant sur les intérêts du tiers-état, il n’eût été en mesure de tenter avec un succès presque certain un mouvement analogue à celui qu’avait consommé le chef de la troisième race à l’aide des hautes influences féodales. Une telle révolution aurait ouvert devant la France le cours de destinées nouvelles et très différentes, car elle aurait rendu Louis XIV impossible, et probablement l’assemblée constituante inutile en inaugurant deux siècles plus tôt l’avènement de la bourgeoisie à la tête des affaires publiques. Mais le duc de Guise était mort, et la prévoyance de Henri III avait anéanti jusqu’à ses restes pour que le peuple ne les vénérât pas comme des reliques. Son jeune fils était captif au château de Tours. Dans la maison même de Lorraine, on inclinait d’ailleurs à faire valoir les droits du marquis de Pont, petit-fils d’Henri II par sa mère. Enfin, le duc de Mayenne, chef effectif du gouvernement et de l’armée, s’étonnait, non sans motif, que dans sa propre famille on pût songer pour le trône à une autre candidature que la sienne ; aussi, dans l’impossibilité d’y monter, n’aspira-t-il guère, pendant toute la durée de sa lieutenance-générale, qu’à faire proroger les pouvoirs dont il se trouvait investi, en laissant sans solution une situation qui le rendait nécessaire.

L’élection du cardinal de Bourbon fut inspirée par ces prétentions sans audace et ces ambitions expectantes. Si cet acte d’indécision et d’imprévoyance fut bientôt rendu vain par la mort de ce roi quasi-légitime, il ne créa pas moins en faveur de la maison de Bourbon un titre incontestable, même aux yeux de ses ennemis. Du moment où l’on reconnaissait la puissance du droit héréditaire, et où l’on ne fondait l’exclusion du chef de la branche aînée que sur une incapacité déterminée, il était évident que le droit de ce prince se reproduirait dans toute sa force aussitôt que sa position religieuse serait changée.

L’Espagne, de son côté, par suite des préoccupations paternelles de Philippe II, subordonna toujours à l’élection de l’infante le succès de la grande cause catholique ; elle vit dans la ligue un moyen de donner la couronne de France à une princesse d’Autriche, et de prendre des places fortes à sa convenance. Le cabinet de l’Escurial traita avec tout le monde sans omettre les politiques ; il fit diverses ouvertures au roi de Navarre lui-même qu’il aurait reconnu sans hésiter, sous condition de consentir au démembrement de son royaume. Entretenant la guerre civile par des subsides et par des secours insuffisans pour la terminer, l’Espagne laissa penser à tous les partis que l’impuissance de la France valait à ses yeux plus qu’une victoire. Que l’on ajoute à l’impopularité inséparable d’une telle politique l’antipathie inspirée à la bourgeoisie ligueuse par la hauteur de la hidalgie castillane, le désaccord inévitable entre une garde bourgeoise et une armée étrangère formant ensemble la garnison d’une grande capitale ; qu’on songe aux conflits journaliers que ne pouvait manquer d’engendrer une situation révolutionnaire durant laquelle aucun pouvoir n’était défini, et l’on se convaincra que la ligue a succombé principalement par l’effet de l’intervention étrangère.

A l’égoïsme des prétentions vint se joindre la lutte qui s’ouvrit promptement entre les différentes classes de citoyens associés dans la sainte-union. Ce grand mouvement populaire avait traversé la phase bourgeoise et la phase démocratique ; puis, selon l’invariable formule de toutes les révolutions, la crainte provoqua au sein des classes moyennes la réaction qui ouvrit à Heuri IV les portes de sa capitale.

Après l’expulsion de Henri III, lorsque les capitaines des quartiers, les procureurs au Châtelet et les marguilliers des paroisses se trouvèrent revêtus de la plus haute puissance politique et maîtres souverains de la Bastille et du Louvre, un tel changement parut fort doux à la bonne bourgeoisie parisienne, y compris la plupart des membres des cours et tribunaux ; mais lorsqu’on vit le président Brisson et les conseillers Tardif et Larcher pendus en Grève par la justice sommaire de quelques démagogues, arbitres suprêmes des destinées d’une opulente capitale, on commença, dans les parloirs des marchands et sous les hauts lambris des parlementaires, à s’inquiéter de l’avenir et à se demander où tout cela s’arrêterait. Ce fut bien pis lorsqu’il fallut soutenir un long siège et supporter des privations d’autant plus affreuses qu’on y était moins préparé. Les gens du peuple, appuyés aux piliers des églises, la face blême et le front intrépide, prenaient patience en écoutant leurs orateurs chéris, et en accueillant, au milieu des tortures de la faim, les plus folles illusions aussi bien que les plus vaines espérances ; mais les gens de robe et de finance, les hommes de lettres et de loisir ne se mettaient pas aussi facilement au régime de cette viande creuse, et s’épuisaient en efforts persévérans pour faire baisser le thermomètre de l’opinion publique. Il est curieux, durant la tenue des états de Paris, de suivre les progrès de cette lutte engagée par les intérêts contre les passions, et de constater jour par jour les conquêtes que ceux-là font sur celles-ci. Au milieu de cette lassitude et de ce découragement inséparable des longs efforts parurent ces nombreux pamphlets et ces mordantes satires des politiques, œuvres élégantes et froides, dont l’à-propos fit le succès, parce qu’elles opposaient à point nommé à l’entraînement populaire les prosaïques réalités d’une vie de souffrances et de privations.

« Oh ! que nous eussions esté heureux si nous eussions esté pris dès le lendemain que nous fusmes assiégez ! Oh ! que nous serions maintenant riches, si nous eussions faict cette perte ! Mais nous avons brûlé à petit feu, nous avons languy, et si ne sommes pas guaris. Nous avions de l’argent pour racheter nos meubles, et depuis nous avons mangé nos meubles et notre argent. Si le soldat eût forcé quelques femmes et filles, encore eût-il épargné les plus notables ; mais depuis elles se sont mises au bordeau d’elles-mesmes et y sont encore par la force de la nécessité qui est plus violente et de plus longue infamie que la force transitoire du soldat, au lieu que celle-ci se divulgue, se continue et se rend à la fin en coustume affrontée sans retour. Nos reliques seraient entières, les anciens joyaulx de la couronne de nos rois ne seroient pas fonduz comme ils sont. Nos faux bourgs seroyent en leur estre et habitez comme ils estoyent, au lieu qu’ils sont ruinés, défects et abatuz. Nos rentes de l’Hôtel-de-Ville nous seroient payées, nos fermes des champs seroient labourées, et en recevrions le revenu au lieu qu’elles sont abandonnées, désertes et en friche. Nous n’aurions pas veu mourir cinquante mille personnes de faim, qui sont mortes en trois mois espar les rues et dans les hôpitaux, sans miséricorde et sans secours. Nous verrions encore notre Université florissante et fréquentée, au lieu qu’elle est déserte et solitaire, ne servant plus qu’aux paysans et aux vachés des villages voisins ; nous verrions la salle et la galerie des Merciers pleines de peuple à toute heure, au lieu que n’y voyons plus que l’herbe verte qui croist là où les hommes avoyent à peine espace de se remuer. Nos ports de Grève et de l’Escole seraient couverts de bateaux, pleins de blés, de vins, de foin et de bois. Permettez-moi que je m’exclame pour déplorer le pitoyable état de cette royne des villes, de ce microcosme et abrégé du monde ! Ha, messieurs les députés de Lyon, Thoulouze, Rouen, Amiens, Troyes et Orléans, regardez à nous, et y prenez exemple, et que nos misères vous fassent songer à nos despens[6]. »

Les conseils donnés à la bourgeoisie parisienne par Pierre Pithou et ses collaborateurs de la Ménippée furent suivis au pied de la lettre. La classe moyenne employa, pour préparer une capitulation, les mêmes efforts qu’elle avait consacrés à organiser la résistance. On vit les membres les plus notables de l’administration municipale et des corps de métier, jusqu’alors ligueurs indomptables, conspirer avec Brissac et le seconder bientôt après, lorsqu’au prix de 1,600,000 livres ce gouverneur ouvrit au roi les portes de la capitale dont la garde lui avait été commise. Brissac trahit la ligue comme d’autres ont trahi l’empire, au déclin de sa fortune et à la veille d’une défection générale. Il fut l’homme des intérêts en souffrance et des esprits refroidis par la réflexion : prenant les devans, il fit, à son profit particulier, un acte que l’ensemble de la situation aurait bientôt rendu nécessaire.

Mais si la bourgeoisie déserta la sainte-union pour ramener l’abondance sur sa table et le calme dans la cité, cette grande époque ne reste pas moins comme son principal titre d’honneur aux yeux de la postérité et au jugement de l’histoire. La bourgeoisie française ne céda qu’après avoir contraint son roi à s’incliner devant la loi et la volonté du pays, en se faisant catholique. Jusqu’aux conférences de Suresne et à la promesse d’abjuration, on la vit soutenir héroïquement la lutte au prix des plus pénibles sacrifices, de ceux qui devaient répugner davantage à ses habitudes régulières et à ses mœurs pacifiques. La ligue atteignit son but et ne réussit pas à le dépasser ; elle conserva l’orthodoxie religieuse, sans lui sacrifier l’une des lois fondamentales du royaume, et la France sut rester catholique, en maintenant, par une déclaration solennelle, rendue sous les bayonnettes espagnoles, l’exclusion perpétuelle des étrangers de la couronne. L’arrêt du 28 juin 1593 est l’un des actes les plus glorieux de la vieille magistrature[7]. Il empêcha une résistance long-temps légitime de devenir une révolution, fit la part de tous les droits, au milieu des périls de la guerre et sous les cris de l’émeute, avec la calme équité qu’on aurait apportée dans le règlement d’une contestation privée.

Après l’abjuration de Saint-Denis, un tel arrêt devenait le signal de la prochaine entrée du roi catholique et français dans la capitale de son royaume. Neuf mois d’attente s’écoulèrent cependant, plus remplis par les négociations secrètes que par les opérations militaires, et durant lesquels la corruption fut pratiquée avec aussi peu de ménagement que de scrupule.

Les spéculateurs qui, dans la nuit du 22 mars 1594, livrèrent aux troupes royalistes la porte Saint-Honoré et introduisirent clandestinement Henri IV dans Paris, cédèrent moins à des considérations politiques qu’à des motifs d’intérêt privé. Comme le disait quelques jours après le monarque gascon dans un accès d’humeur joyeuse, en se chauffant à la large cheminée du Louvre, ils vendirent à César ce qui appartenait à César[8]. Mais telle était la condition faite au Béarnais, et qu’il accepta durant tout le cours de son règne avec une facilité dont il est difficile de faire honneur à son esprit chevaleresque.

A peine installé à Paris, il courait faire visite à mesdames de Nemours et de Montpensier, adressait des émissaires à tous les princes de Lorraine, et préparait le bilan de toutes les consciences ennemies. Il achetait Rouen de Villars, l’un des plus furieux ligueurs, payait un million au duc de Joyeuse pour Toulouse, 800,000 livres à Lachâtre pour Orléans, 400,000 livres à M. de Villeroy pour Pontoise, traitait avec le duc de Lorraine au prix de trois millions, en assurait autant au duc de Mayenne et au duc de Guise. Il achetait plus tard, à un prix plus exorbitant encore, la soumission du duc de Mercœur et la pacification de la Bretagne. Il consacrait enfin une somme de plus de trente-deux millions de livres à provoquer ces capitulations individuelles dont Sully nous a précieusement conservé le tarif et les quittances[9].

En observant avec quelque attention les premières démarches de Henri IV après son entrée dans Paris, il est facile de voir que ses appréhensions constantes, pour ne pas dire exclusives, portaient sur les dispositions secrètes du peuple. Il croyait l’Espagne lassée d’une entreprise toute pleine de déceptions, et n’ignorait pas que la vieillesse de Philippe II le faisait incliner à la paix. Il savait que l’or et les honneurs lui assureraient les grands, et que la mémoire de si récentes calamités maintiendrait les classes aisées dans une passive obéissance ; mais il ne se dissimulait pas que d’ardentes colères couvaient au sein des masses. Celles-ci se croyaient trahies et ne se tenaient pas pour vaincues. Elles voyaient avec une profonde répulsion, assis au trône des rois, le renégat qu’on leur avait appris si long-temps à insulter et à maudire. Se refusant à reconnaître pour sincère une conversion intéressée que Rome persistait encore à ne pas ratifier par une absolution, bon nombre d’esprits faisaient de cette abjuration même un grief de plus contre lui. D’ailleurs les souffrances passées touchaient peu le peuple, car elles sont malheureusement son partage sous tous les régimes, et ces grands jours de crise lui avaient apporté du moins des émotions qui lui avaient fait oublier sa misère, et dont il regrettait la perte. Il avait alors une cause à défendre et du sang à verser pour une pensée chère à son cœur. Ces souvenirs, qui survécurent à quinze ans de prospérité pour enfanter Ravaillac, étaient, dans les premières années du règne de Henri IV, un péril de chaque moment. Ce prince ne se faisait pas illusion sur les répugnances qu’il inspirait au peuple de sa capitale et de beaucoup de villes ligueuses ; aussi peut-on voir dans le journal de sa vie que d’efforts il tentait chaque jour pour se concilier les masses, quels semblans de confiance et de sécurité il affectait au milieu des précautions multipliées d’une police alarmée et vigilante. Henri consacre aux processions et aux longues solennités populaires tout le temps qu’il dérobe à ses maîtresses ; il recherche et pensionne, les hommes importans de la sacristie et des halles, et donne une place de prédicateur de la cour au célèbre Lincestre lui-même[10]. Il prodigue aux membres du parlement restés à Paris sous le gouvernement de la ligue toutes les charges de l’administration et toutes ses faveurs personnelles, pendant qu’il se montre réservé jusqu’à la froideur pour les parlementaires émigrés à Tours et demeurés fidèles à sa fortune ; ce prince pratique enfin, en toute occasion, la maxime qu’il n’y a pas à s’occuper de ses amis lorsque leur dévouement est assuré.

La lassitude générale avait amené la restauration. Ce qu’elle représentait pour le pays, c’était le désarmement des partis et la fin de la guerre. Le besoin et l’espoir de la paix assurèrent à cette restauration, non pas la bruyante popularité dont se sont complu à la doter les peintres et les poètes, mais cette popularité calme et froide que donnent pour un temps les intérêts satisfaits. En même temps qu’il achetait ses ennemis en paraissant leur pardonner, Henri entamait avec l’Escurial une négociation dont l’issue pouvait désorganiser complètement la faction instrument dévoué de l’Espagne et si long-temps soutenue par ses subsides. S’il avait cru devoir, après son entrée dans sa capitale, faire acte de puissance royale en déclarant solennellement la guerre au roi catholique, les besoins de sa politique lui commandaient impérieusement de la terminer. Engagé comme l’était Philippe II, le succès d’une telle négociation ne paraissait pas facile, quelque désir que pût éprouver le vieux monarque dans l’intérêt de son faible successeur. Une patience à toute épreuve et une mesure extrême pouvaient seules la faire réussir. Henri IV ne se laissa détourner de ce but, devenu la principale nécessité de sa politique parce qu’il était la plus chère espérance de ses peuples et la condition tacite de son avènement, ni par les lenteurs inséparables de toute transaction avec l’Espagne, ni par le redoublement de violences et d’insultes que ses succès provoquèrent au-delà des Alpes et des Pyrénées. Depuis ses nobles procédés envers la garnison espagnole, à son entrée dans Paris, jusqu’au combat de Fontaine-Française, à la reprise d’Amiens, et au long siège de La Fère, toutes ses opérations et tous ses actes furent soigneusement calculés pour atteindre le résultat capital de ses efforts et de ses vues.

Se faire absoudre à Rome, se faire reconnaître à Madrid, entrer enfin dans la grande communion catholique par la double consécration de son chef spirituel et de son chef européen, telle fut la préoccupation constante d’un prince qui ne se dissimula jamais les périls inséparables d’une situation équivoque et d’un titre contesté. À Rome ses humbles et souples négociateurs, à Paris ses secrétaires d’état, sortis de la ligue et vieillis dans les traditions de l’alliance espagnole, n’épargnèrent aucune démarche, ne se laissèrent rebuter par aucune difficulté. Henri savait qu’il n’était pas encore temps de se montrer superbe, et qu’il faut mesurer ses exigences à ses forces. L’absolution solennelle donnée par Clément VIII au roi de France dans la capitale du monde chrétien, le traité signé à Vervins entre ce prince et le roi catholique, étaient indispensables pour asseoir sur des bases stables le trône du chef de la maison de Bourbon. Ces précieuses conquêtes diplomatiques une fois consommées, il lui fut enfin permis de poursuivre une autre pensée que celle de sa propre conservation.

Durant la période de douze années qui s’écoule de 1598 à la mort de Henri IV, la physionomie de son règne s’éclaircit et s’élève. À la vie d’expédiens du chef de parti, à sa morale facile, à ses allures gasconnes, succèdent des vues systématiques appliquées avec une dignité persévérante. C’est toujours le prince à la parole vive, à la réplique heureuse, à la pensée nette et précise ; mais on sent que le souverain absorbe l’homme, et le modifie sensiblement, même au sein de ses faiblesses. Roi très chrétien, époux d’une Médicis, père d’un jeune dauphin, appuyé sur Rome et sur le clergé, reconnu et admiré par toute l’Europe, entouré de tous ses ennemis, qui font cortége à sa gloire, le Béarnais ne vit plus à cheval, dans les incertitudes et les anxiétés de chaque jour ; du sommet élevé où la fortune l’a porté, il embrasse d’une vue sereine une plus vaste perspective. Henri veut donner à la grande monarchie dont il est devenu le chef héréditaire, et qu’il laissera aux mains d’un enfant, des fondemens plus solides, il s’occupe surtout de conjurer pour l’avenir des dangers analogues à ceux qui faillirent amener le démembrement de la France. Constituer plus fortement l’unité nationale en restreignant toutes les forces indépendantes de la puissance royale, arracher à l’Espagne la prépondérance que lui avait léguée Charles-Quint en fondant l’équilibre européen sur la liberté du corps germanique, tel fut le double projet dont l’expérience du passé lui avait démontré l’urgence, et auquel il consacra toute la maturité de son intelligence et de sa vie.

L’édifice de la nationalité française, si péniblement élevé par les grands hommes et par les siècles, avait failli s’abîmer durant les violentes convulsions de la ligue. Voisine de l’Espagne, à laquelle obéissaient les deux mondes, de la Savoie, dont une maison ambitieuse travaillait à faire un royaume en exploitant sa position de gardienne des Alpes, subissant l’influence des cantons suisses et des Provinces-Unies, où l’esprit municipal avait enfanté des nations, la France avait aussi sous les yeux le dangereux exemple de cet empire d’Allemagne que l’aristocratie princière tentait de dissoudre au profit de sa puissance. Un d’Epernon en Saintonge, un Lesdiguières en Dauphiné, un duc de Mercœur en Bretagne, menaçaient la puissance des rois non moins sérieusement que les maisons de Saxe ou de Hesse pouvaient menacer celle des empereurs.

À ce péril de l’hérédité des gouvernemens provinciaux, contre lequel luttait depuis long-temps la royauté des Valois, la ligue était venue en ajouter un autre. Elle avait éveillé la bourgeoisie et le peuple lui-même à la vie politique, et le mouvement communal du XIIIe siècle paraissait prêt à se développer sous un aspect nouveau. Un lien plus intime resserrait les corporations dont était parsemé le sol de la France, et les villes, par de longs sacrifices, quelquefois par d’héroïques résistances, avaient rajeuni tous les droits conquis en d’autres siècles. La réaction catholique aidait singulièrement à ce retour vers un passé tout illuminé par la foi, et, chose digne de remarque, les espérances poursuivies par les réformés ne lui étaient pas moins favorables. Ainsi le pouvoir monarchique se trouvait également menacé par les prétentions du parti territorial, représenté par les gouverneurs de province, et par l’émancipation de la bourgeoisie que le catholicisme groupait à Toulouse, autour du Capitole, tandis que la réforme la réunissait en armes dans l’enceinte imprenable de La Rochelle. L’ame attristée de Henri IV avait pénétré toute la portée de ce redoutable mouvement dirigé contre l’unité du royaume, et qui ne fut contenu sous le règne de son successeur que par la subite intervention d’un grand homme. Il ne proposa pas un autre but à son règne que de lutter par avance contre des périls inévitables et prochains. Ce prince mit son habile modération et sa prudence consommée au service de la cause que le formidable héritier de sa pensée politique fit triompher par le glaive du bourreau.

Le chef de la maison de Bourbon ne lutta pas avec moins de persévérance contre les libertés municipales que contre les prétentions seigneuriales. Il énerva les unes en substituant graduellement aux pouvoirs mal définis des officiers électifs une administration régulière et un puissant système financier ; il travailla à désarmer les autres en faisant prévaloir l’esprit de caste sur l’esprit aristocratique, et la vie de cour sur la vie de château. Henri IV, porté au trône par la noblesse provinciale, se fit le chef des gentilshommes de race contre les grands seigneurs terriens aussi bien que contre les bourgeois. Ceux-ci lui avaient, pendant cinq ans, fermé l’accès du trône ; ceux-là menaçaient, dans un prochain avenir, la faiblesse de son successeur. Gardant rancune aux premiers pour les souvenirs de la ligue, redoutant les seconds par les prévisions de la régence, Henri tenta des efforts persévérans pour diminuer la puissance des uns et des autres ; il s’attacha à changer les grands seigneurs en simples capitaines de ses gardes, et les hommes influens des parlemens et des grandes villes en secrétaires du roi, maîtres des requêtes et pensionnaires du trésor. Dans l’aristocratie, bon nombre se laissèrent prendre à cette haute et intime familiarité avec le monarque, les autres s’enfermèrent dans leurs terres ou derrière les remparts des places de sûreté, pour attendre des temps plus favorables. Dans la bourgeoisie, on oublia vite le glorieux épisode de la ligue, et, successivement évincés de toutes les fonctions importantes, effacés et humiliés par les gentilshommes maîtres de tous les accès de la cour, ses membres principaux rentrèrent silencieusement dans leurs comptoirs et dans leurs poudreuses études pour attendre, près de deux siècles, le moment de reparaître avec la vengeance dans le cœur sur la scène qu’ils étaient ainsi contraints de déserter.

Henri IV poursuivit sans relâche cette œuvre d’amortissement de toutes les forces contemporaines. Cachant, comme Auguste, sous des dehors systématiquement populaires, la réalité de sa puissance et l’orgueil de sa race, il laissa tomber en désuétude, malgré des engagemens formels et réitérés, la seule institution nationale universellement respectée, celle des états-généraux. Il remplaça ceux-ci par une simple assemblée de notables, et, lorsqu’il se déclarait prêt à se mettre en tutelle entre leurs mains, il disposait adroitement les choses de manière à rendre complètement vains tous les résultats de leurs délibérations[11]. Surveillant sans bruit et réprimant sans éclat les tentatives qu’il y avait quelque péril à divulguer, il lui suffisait que La Trémouille et Bouillon sussent qu’il avait l’œil sur eux, et qu’il n’ignorait rien des choses qui se murmuraient dans les conciliabules des réformés. Cependant, lorsqu’un grand exemple pouvait trouver des imitateurs au milieu de ses serviteurs mêmes, lorsque le danger ne sortait plus de ces partis mécontens qu’il fallait savoir ménager jusque dans leurs violences, mais du sein des forces monarchiques qu’il essayait si péniblement de grouper autour du trône, alors il se montrait inflexible presque jusqu’à la cruauté. Que sont les exécutions de Montmorency et de Cinq-Mars auprès de celle du maréchal de Biron, et lequel de Richelieu ou de Henri IV a subi les plus dures nécessités de la politique ? Montmorency avait été pris les armes à la main ; Cinq-Mars était un traître qui conspirait par vanité contre son roi et contre son bienfaiteur ; ni l’un ni l’autre n’avaient épuisé leur sang pour placer la couronne sur la tête du monarque dont ils imploraient le pardon ; l’un venait de soulever le tiers du royaume, l’autre en ouvrait les portes à l’Espagne : tout cela était plus grave que les vantardises de Biron et ses manœuvres impuissantes avec la Savoie ; mais la conspiration du maréchal était le premier indice d’un mal pressant dont Henri mesurait chaque jour les conséquences en méditant douloureusement près du berceau de son fils. Il voyait clairement qu’il n’avait été qu’une digue, et qu’après lui le torrent tendrait à reprendre son cours : cette désespérante conviction le rendit inexorable ; il se vengea, pour ainsi dire, à l’avance en abattant la glorieuse tête d’un soldat et d’un ami[12].

Il n’est pas une combinaison politique de Henri IV dont Richelieu n’ait été l’exécuteur. Le terrible cardinal n’a guère fait qu’appliquer, selon son caractère et selon la différence des temps, les pensées qu’échangeaient Henri de Bourbon et Maximilien de Béthune pendant leurs conversations intimes dans la grande allée de l’Arsenal ou sous les sapins de Fontainebleau.

La guerre aux deux branches de la maison d’Autriche, l’alliance maritime avec l’Angleterre contre l’Espagne, la liberté du corps germanique sous le protectorat de la France, l’équilibre de l’Allemagne fondé sur l’égalité des deux religions, la balance politique de l’Europe, telle qu’elle fut réalisée un demi-siècle plus tard par le traité de Westphalie, aucun de ces points de vue, alors si nouveaux et si hardis, n’échappait à la sagacité du roi. Il se préparait avec patience et discrétion à diriger dans ce sens l’activité de la France, contraint, pour cela, de soutenir des luttes quotidiennes avec les membres les plus considérables de son conseil. Villeroy et ses vieux collègues persistaient, avec la nation presque tout entière, à considérer comme une sorte d’article de foi le maintien des bons rapports avec l’Espagne, afin de résister aux puissances protestantes et aux tentatives insurrectionnelles de l’intérieur. Le grand parti espagnol exerçait alors en Europe une influence sans limites. En France, il eut pour chef Marie de Médicis jusqu’au ministère de Richelieu, et l’épouse même de Jacques Ier professait avec éclat les mêmes sentimens au milieu de l’Angleterre protestante. Aucun prince de la chrétienté ne rougissait dans ce siècle de s’avouer pensionnaire du roi catholique, et le souvenir de Charles-Quint semblait encore tenir le monde dans une respectueuse déférence.

Le surintendant des finances était le seul ministre qui osât appuyer les vues novatrices du monarque, et qui ne craignît pas d’aller jeter en Angleterre les bases d’un traité en faveur des Provinces-Unies et d’une alliance éventuelle contre l’Espagne et l’empire ; mais Sully était protestant, et ses croyances religieuses expliquaient ses inclinations politiques. Une telle interprétation donnée aux vues de Henri IV l’aurait perdu dans l’opinion de ses peuples non moins que dans celle du monde catholique. L’œuvre la plus haute de sa politique fut assurément de poursuivre la réalisation de ces pensées en y faisant incliner la cour de Rome elle-même, et en reprenant à la tête du catholicisme une position assez forte pour faire tomber toutes les calomnies en écartant tous les soupçons. D’Ossat exploita avec une rare habileté les traditions de la chancellerie romaine et les intérêts temporels du saint-siège en Italie, en concurrence, sur presque tous les points, avec ceux de l’Espagne[13]. Aussi, dans les difficiles négociations relatives au marquisat de Salaces et à l’édit de Nantes, dans l’affaire plus délicate encore de la dispense à obtenir pour le mariage de la duchesse de Bar, sœur du roi, Rome se montra-t-elle, durant ce règne, aussi dévouée à la politique de la France qu’à la personne du monarque. Ainsi appuyé du saint-siège, sur lequel il avait fait monter par son intervention deux pontifes qui lui durent la tiare[14], entouré des jésuites rappelés par lui, et qui rendaient témoignage de son orthodoxie comme de sa justice, Henri avait repris toute la liberté de ses allures et rendu à la France, avec son rôle naturel, une prépondérance éclipsée pendant près d’un siècle.

C’est par comparaison qu’il faut juger les époques comme les hommes, et lorsqu’à de longs jours d’impuissance et de honte on voit succéder ce temps d’activité réparatrice, on sent qu’un esprit original et puissant a passé par là. Le nom de grand a donc pu être justement attribué par ses contemporains au prince qui sut frayer à sa patrie une voie vers de hautes destinées. N’acceptons pourtant qu’avec réserve tous les résultats de ce règne mémorable, et ne méconnaissons ni les idées fausses ni les germes dangereux qu’il prépara pour l’avenir.

Exclusivement préoccupé, comme presque tous ses prédécesseurs, du soin de constituer territorialement la France, Henri ne s’inquiéta point de la constituer politiquement. Il la laissa plus dépourvue d’institutions qu’elle ne l’était avant la ligue ; il ne fonda rien qui pût résister aux intérêts égoïstes dont l’inévitable coalition l’alarmait pour la jeunesse de son fils, et en mourant il emporta dans la tombe son œuvre tout entière. Cinquante années d’agitations étaient donc restées stériles. La bourgeoisie trouva sa perte dans le grand mouvement dont elle avait espéré voir sortir la légitime consécration de son importance ; la noblesse conquit des honneurs et ne réclama aucune puissance, plus jalouse d’être admise aux levers du monarque que d’entrer légalement en partage de son autorité. Par leur concert et leur menaçante attitude, les réformés obtinrent des conditions beaucoup plus favorables que toutes celles qui leur avaient été concédées jusqu’alors, et l’édit de Nantes leur assura une position politique et militaire que Sully lui-même n’hésite pas à déclarer incompatible avec les attributions d’une monarchie. Cependant le grand principe de la liberté de conscience ne s’établit ni dans les esprits ni dans les mœurs, et la force seule garantissait des droits exposés chaque jour à se voir contestés le lendemain. Au lieu de régler par des institutions régulières cette vie politique qui avait circulé à torrens aux états de Blois et de Paris, on estima qu’il était plus habile de la tarir à toutes ses sources, là du moins où l’on pouvait l’atteindre sans trop de péril, et le roi seul resta debout dans le royaume, appuyé sur une brave noblesse dont on fit moins un corps qu’une caste, et à laquelle on persuada que son seul devoir envers la France était de se faire tuer pour elle. De plus, Henri IV, dans son triomphe, eut des flatteurs, et ceux-ci altérèrent singulièrement la physionomie des évènemens contemporains et la portée de la restauration qui l’avait fait monter au trône.

On feignit d’oublier que celle-ci ne s’était opérée que par suite de la conversion du roi, et l’on présenta comme une victoire ce qui n’était qu’une transaction. La ligue, qui avait été assez puissante pour amener le prince au but principal qu’elle s’était proposé, ne fut plus envisagée que comme une rébellion aussi odieuse dans son principe qu’impuissante dans ses efforts, et la solennelle protestation de tout un peuple devint une émeute que la magnanimité du monarque daignait pardonner au repentir des coupables. Plus une parole de liberté, plus un appel aux droits de la nation, plus un souvenir à ses vieilles franchises, sur ce sol que les plus audacieuses théories avaient naguère remué jusqu’aux abîmes. Au contrat immémorial passé entre la royauté franque et la nation, la conspiration des historiographes et des publicistes de cour substitua une sorte de droit absolu et surhumain, indépendant de toutes les lois comme de toutes les volontés populaires. La royauté se crut inviolable et consacrée jusque dans ses faiblesses et dans la légitimation de leurs fruits. Lorsqu’un double mariage avec l’Espagne eut infusé toute la froideur et toute la morgue castillane aux deux successeurs immédiats de Henri IV, en leur faisant perdre jusqu’aux dernières traces des populaires allures de leur ancêtre, il devint plus facile d’observer à nu le génie de cette royauté transfigurée, et de s’alarmer des destinées préparées pour la France et pour elle-même. Pendant que le pédantisme de Jacques Stuart formulait avec l’appui de l’anglicanisme épiscopal ce droit divin des rois, contrefaçon de la théocratie juive et de l’omnipotence païenne des Césars, l’épée du Béarnais, secondée par la ferveur royaliste des parlementaires et des docteurs gallicans, faisait prévaloir en France des doctrines analogues, et l’on entendait alors les beaux esprits répéter en chœur, comme un dogme non moins religieux que politique :

Les rois, enfans du ciel, sont de Dieu les images ;
Jupiter en prend cure et les garde d’outrages ;
Il les faict révérer, réputant les honneurs
Estre à lui-mesme faicts, qu’on rend à ses seigneurs[15].

Il y avait aussi près de là au mot : l’état, c’est moi, que de ce mot lui-même à une révolution. Enfin, lorsqu’on apprécie dans leurs conséquences dernières les grandes combinaisons européennes conçues par Henri IV, il est difficile de n’y pas voir une sorte de consécration du matérialisme politique et de l’anarchie religieuse qui consumaient les peuples. Une telle politique était nécessaire sans doute, car aucun lien moral ne les réunissait alors, et il était important que la France prît l’initiative d’une réorganisation de l’Europe, devenue indispensable ; mais des théories d’équilibre, exclusivement fondées sur l’égalité des puissances et le balancement des intérêts, n’étaient évidemment une garantie pour aucun droit : il suffisait, en effet, qu’une iniquité fût commise en commun pour être sanctionnée par un pareil droit des gens, qui consacrait le vol collectif en n’excluant que le vol individuel. Aussi les nationalités ne furent-elles jamais moins respectées dans le monde que par les générations qui ont fait du balancement des états la seule base de leur foi sociale, et faut-il reconnaître que le partage de la Pologne a été le dernier mot du droit public élaboré au siècle précédent, et dont l’initiative appartient à Henri IV.

Indifférent et sceptique dans un siècle pieux, ce prince n’avait foi que dans la force tempérée par la prudence. Le côté humain des choses saisissait seul cette nature ardente et sensuelle. Jamais esprit ne fut doué d’un sens plus pratique ; rarement intelligence fut mieux organisée pour le gouvernement d’une société et la reconstitution d’un pouvoir. C’est cette gloire qu’il faut conserver tout entière au grand pacificateur de la France, en le dépouillant du masque de bonhomie et de sensibilité d’opéra-comique qui cache et dénature parfois sa sérieuse physionomie. Le dernier et le plus sagace historien de la grande époque dont nous venons d’esquisser les traits principaux, M. Capefigue, a fait observer avec beaucoup de raison que Henri IV est devenu le héros des contemporains de Voltaire et de Louis XV par ses faiblesses beaucoup plus que par ses qualités véritables. C’est à l’homme qui trouvait qu’un royaume valait une messe, et qui changea trois fois de religion, c’est au monarque qui consacra tous les désordres par la publicité des siens, que les flatteurs du roi de Prusse et de Mme de Pompadour ont dressé une statue peu ressemblante. A nous qui avons vécu dans d’autres temps et assisté aux épreuves d’une restauration moins heureuse, parce qu’elle fut moins habile, il appartient de comprendre dans toutes ses nuances cet esprit souple et pénétrant qui sut ajouter à tant de dons heureux les apparences de presque toutes les vertus qu’il n’avait pas. Les révolutions sont des lentilles qui révèlent des détails inobservés et des aspects nouveaux. Mieux comprendre le passé est l’un des profits les plus nets des agitations contemporaines, et le sens historique s’est singulièrement développé en ce pays depuis qu’il a vu à l’œuvre tant d’intérêts et tant de passions contraires.


L. DE CARNÉ.

  1. Voyez la livraison du 15 février.
  2. Voyez entre autres, au tome II de la Collection des lettres-missives de Henri IV, la lettre à MM. de la faculté de théologie au collége de Sorbonne, 11 octobre 1585, et la Déclaration à MM. du clergé, de la noblesse et du tiers-état, 1er janvier 1586.
  3. On sait que, de son côté, dans la déclaration enregistrée au parlement séant à Tours sitôt après son avènement, Henri IV promettait solennellement « de maintenir la religion catholique, apostolique et romaine dans le royaume, de ne conférer les bénéfices et dignités ecclésiastiques qu’à des catholiques, d’exécuter les offres qu’il avait faites plusieurs fois de s’en rapporter sur l’article de la religion à un concile général ou national qui serait assemblé, s’il était possible, dans six mois ; qu’il n’y aurait plus dans le royaume d’exercice public d’aucune autre religion que de la catholique, excepté dans les endroits dont les huguenots étaient en possession ; qu’on ne mettrait que des commandans catholiques dans les villes et châteaux qui seraient pris sur l’ennemi ; que les charges et dignités ne seraient conférées qu’à des catholiques, sauf les restrictions insérées dans le traité du mois d’avril précédent, passé entre lui et le feu roi ; qu’il procurerait par toute sorte de moyens le châtiment de ceux qui auraient eut part au détestable parricide commis contre la personne de ce prince, et qu’enfin il permettrait qu’on députât au pape pour l’informer des raisons que les principaux seigneurs avaient eues de reconnaître sa majesté pour leur souverain. »
  4. D’Aubigné, t. III, liv. II.
  5. Mot attribué à la duchesse de Retz.
  6. Satire ménippée, harangue de M. Daubrai pour le tiers-état,
  7. « Sur la remontrance faite par le procureur-général du roi, et la matière mise en délibération, la cour n’ayant, comme elle n’a jamais eu, d’autre intention que de maintenir la religion catholique, apostolique et romaine, en l’estat et couronne de France, sous la protection d’un roi très chrétien, catholique et français, a ordonné et ordonne que remontrances seront faites, cette après-dinée, par M. le président Le Maître, assisté d’un bon nombre de ladite cour, à M. le lieutenant-général de l’estat et couronne de France, en présence des princes et officiers de la couronne, estant de passage en cette ville, à ce qu’aucun traité ne se passe pour transférer la couronne en la main des princes et princesses étrangères, que les lois fondamentales de ce royaume seront gardées, et les arrêts donnés par ladite cour pour la déclaration d’un roi catholique et français soient exécutés, et qu’il ait à employer l’autorité qui lui est commise pour empêcher que, sous prétexte de la religion, la couronne ne soit transférée en main étrangère, contre les lois du royaume, et pour venir, le plus promptement que faire se pourra, au repos du peuple, pour l’extrême nécessité duquel il est rendu ; et néanmoins dés à présent a déclaré et déclare les faicts et ceux qui le seront cy-après pour l’établissement d’un prince et d’une princesse étrangère nuls, et de nul effet et valeur, comme faicts au préjudice de la loi salique et autres lois fondamentales du royaume. » (Journal du règne de Henri IV, par Pierre de l’Etoile, t. 1er, p. 368.)
  8. Journal de Henri IV, t. II, p. 10.
  9. Mémoires de Sully, liv. X.
  10. Journal de Henri IV, t. II, p.74.
  11. Sully explique fort au long comment les notables de Rouen furent conduits par d’habiles manœuvres à faire des propositions tellement inexécutables, que les membres de l’assemblée furent les premiers à supplier bientôt après le monarque de n’avoir aucun égard aux articles de leurs cahiers. (Mémoires, liv. VIII.)
  12. Les importans Mémoires du maréchal duc de La Force, récemment publiés par M. le marquis de La Grange, et qui jettent tant de jour sur cette époque, attribuent à l’influence du duc de Sully sur Henri IV et à la haine personnelle de ce ministre contre le maréchal de Biron l’exécution de l’arrêt de mort. La Force, beau-frère de Biron, en fait un crime au surintendant : rien de plus naturel ; mais il est un point de vue politique auquel ces Mémoires ne se mettent pas, quoiqu’il suffise d’en parcourir les curieuses pages pour s’y trouver soi-même placé. Voyez la lettre du maréchal à Mme de La Force, 4 juillet 1602, et la lettre du roi à M. de La Force, 7 août. (Tome 1er, page 334.)
  13. Voyez surtout, dans la correspondance du cardinal d’Ossat, le beau mémoire intitulé : Avis sur la guerre de Savoie, 6 septembre 1600.
  14. Léon XI, cardinal de Médicis, et Paul V, cardinal Borghèse. « Le pape Léon XI, dit avec aigreur le chef irrité des calvinistes, avait coûté au roi trois cent mille écus à faire. » (Vie de Duplessis-Mornay, liv. II, p. 305.)
  15. Singeries de la Ligue, dédiées à MM. de Paris, par Jean de La Taille.