Monographies politiques/Le Cardinal de Richelieu/02



LE CARDINAL
DE RICHELIEU.

SECONDE PARTIE.[1]

Ce qu’il y a peut-être de plus curieux à étudier dans la vie des grands ministres, ce sont les voies qui les ont conduits aux affaires, et les moyens par lesquels ils s’y sont maintenus. Les actes accomplis par eux, quelle qu’en ait été d’ailleurs l’importance, offrent rarement un intérêt égal à celui des luttes qu’imposent dans tous les temps la conquête et surtout la longue conservation du pouvoir.

Sous nos gouvernemens constitutionnels et dans nos sociétés régulières, c’est par la puissance de sa parole, l’autorité de son nom et le ménagement habile des caractères et des intérêts, qu’un homme politique acquiert et retient ce dépôt du pouvoir si ardemment convoité par toutes les ambitions rivales. Ce spectacle a de l’éclat sans doute, et de tels combats sont difficiles ; mais n’oublions pas que l’opinion publique de nos jours est une force irrésistible, et que les hommes supérieurs triomphent tôt ou tard, en s’appuyant sur elle, des résistances que pourraient susciter ou des intrigues ou des caprices. Il n’en était pas ainsi dans cette vieille société française, qui voyait l’autorité royale s’élever comme le seul pouvoir de l’état, au milieu des troubles excités par une aristocratie princière moins ambitieuse de droits politiques que de vanités et de jouissances. Pour se maintenir aux affaires à pareille époque, et pour les régir souverainement pendant dix-huit années, il fallut deux choses : la première, éviter le sort du maréchal d’Ancre, et convaincre les grands du royaume que de tels attentats ne se renouvelleraient plus impunément ; la seconde, rester maître de la pensée, sinon des affections du monarque, et associer étroitement le maintien de son pouvoir à la sûreté du prince et à l’existence même de la monarchie.

Voilà ce que sut faire Richelieu avec un bonheur incomparable. La longue domination exercée par ce ministre sur un prince qui, comme homme, n’éprouvait pour lui que des repoussemens, est un fait sans précédens dans l’histoire. Cette œuvre de persévérance et d’habileté doit être étudiée avec autant de soin que les grandes transactions diplomatiques de cette époque.

Louis XIII était, sous le rapport des affections, le plus changeant et le plus capricieux des hommes. Sa mère s’était crue sûre de son cœur, et avait fini sur la terre étrangère une vie traversée par toutes les douleurs ; sa jeune et belle épouse n’avait rencontré que froideur dans son triste hyménée. La confiance et l’amitié de ce prince avaient appartenu tour à tour à de Luynes, à Barradas, à Schomberg, à Saint-Simon, à Bassompierre, à Cinq-Mars, et cette royale amitié ne préserva pas toujours leur fortune et leur tête. Il avait aimé d’un amour mort et glacé comme lui-même des femmes spirituelles, de douces et pures jeunes filles, et ces liaisons s’étaient rompues sans effort, sans combat et sans laisser de vide dans son cœur. Tel était le maître auquel il fallait que Richelieu s’imposât ; tel était le monarque destiné à couvrir, jusqu’au dernier jour de sa vie, des plis de son manteau royal le ministre exécré dont l’impopularité remontait jusqu’au trône.

Ils paraissaient n’avoir rien de commun, ces deux hommes associés par une loi mystérieuse et fatale. Si l’on pouvait dire par où leurs habitudes se repoussaient, il n’était pas aussi facile de comprendre par où ils se sentaient mutuellement attirés l’un vers l’autre Aussi les contemporains y furent-ils trompés, et Louis hésita-t-il souvent lui-même entre ses instincts de prince et d’homme privé. Recueillez ses conversations les plus intimes, à Lyon avec sa mère pendant sa maladie, au parloir de la Visitation avec Mlle de Lafayette, dans les bois de Fontainebleau et les salons de Saint-Germain avec ses favoris d’un jour, plus tard dans les longues et fiévreuses veillées de sa campagne de Provence avec son grand-écuyer, partout vous l’entendez exprimant les répugnances que lui inspire le cardinal, la lassitude qu’il éprouve de ses procédés impérieux et de ses inflexibles exigences ; partout le roi semble apparaître comme oppressé par un pesant cauchemar qu’il suffirait pourtant d’un seul mot pour secouer. Pourquoi ne le prononce-t-il pas, ce mot suprême ? pourquoi Louis subit-il, aux dépens de son repos et de son bonheur intérieur, la rude domination contre laquelle il proteste tous les jours ?

Le caractère et la situation politique du monarque expliquent cette anomalie singulière. Louis XIII ressentait cette poignante méfiance entretenue par les longs périls de sa jeunesse, et qu’avait développée un naturel inquiet et solitaire. Il avait vu son enfance menacée par des insurrections formidables ; il savait tout ce que son tempérament maladif faisait naître d’espérances dans sa famille, tout ce qu’il excitait de dédain populaire au sein de la nation. Il ne croyait ni à l’affection de sa mère, ni à la tendresse de son épouse, ni à la fidélité de son frère, ni au dévouement des grands et du peuple. Marie de Médicis, que le premier acte de son pouvoir avait chassée du Louvre, se posait toujours devant lui comme une mère ambitieuse et outragée. Anne d’Autriche, que la froideur de son époux semblait vouer à une stérilité éternelle, était à ses yeux la personnification vivante de l’Espagne et d’une politique ennemie. Gaston d’Orléans, l’objet des prédilections de sa mère et peut-être de sa femme, le successeur désigné de son trône et de son lit, le boute-feu de tous les complots, le complice et l’espoir de l’étranger, lui apparut pendant tout le cours de son règne comme un ennemi public et domestique à la fois. Depuis la conspiration du maréchal d’Ornano jusqu’à la ténébreuse machination de Cinq-Mars, le nom du duc d’Orléans avait été mêlé à tous les projets des factieux, à toutes les correspondances secrètes de l’Escurial, à tous les vœux des ennemis de la monarchie et de la Francs. Autour du trône étaient groupés des princes et des seigneurs dont les subversives pensées allaient tour à tour de la reine-mère à Gaston, et des religionnaires de La Rochelle aux armées espagnoles : audacieux brouillons, brillans conspirateurs, dont la tête ne fléchit sous le joug des lois qu’après avoir entendu siffler la hache du bourreau.

Que Louis XIII se rappellât le passé ou qu’il pressentît l’avenir, de sinistres pensées s’offraient à son esprit et légitimaient ses inquiétudes. Une population distincte et ennemie stationnait au cœur de la France, à l’abri de ses forteresses et sous la protection des édits ; l’Espagne et l’empire unissaient leurs forces pour attaquer ses frontières par les armes, la cour par la corruption. Un seul homme, affrontant ces périls d’un front calme et serein, n’hésitait pas à compromettre sa tête dans la sanglante partie engagée entre les princes et la royauté ; il promettait puissance au dedans, grandeur au-dehors, et se portait fort de faire évanouir au pied des Alpes le vieux prestige de la prépondérance espagnole.

Couvert au début de son ministère du sang de Chalais et de celui de Boutteville, implacable vengeur de l’ordre monarchique ébranlé par la révolte, et de l’ordre social compromis par le duel, Richelieu avait mis un abîme entre lui et la haute noblesse ; il s’était fait, par nécessité plus encore que par nature, le champion de toutes les prérogatives royales, l’ardent promoteur de l’unité du pouvoir. Élevé aux affaires par la faveur de Marie de Médicis, il n’avait pas tardé à se trouver séparé de cette princesse par la différence de leurs vues politiques, la reine-mère aspirant à placer en Espagne et dans l’empire le point d’appui que le ministre entendait chercher ailleurs. Devenu le persécuteur acharné de sa bienfaitrice par un concours de circonstances qui assirent son crédit près du roi autant qu’elles compromirent la moralité de son caractère personnel, il avait imposé à la reine, en la rejetant hors de France, un rôle de complicité dans tous les attentats qui menaçaient son fils : il était ainsi devenu le pivot nécessaire de la résistance, la plus haute expression de la force monarchique et nationale luttant contre l’étranger.

Les souvenirs du passé élevaient donc une infranchissable barrière entre lui et Marie, et les attentats réitérés de Gaston contre la personne du cardinal ne laissaient à ce dernier de refuge et d’espérance que dans le triomphe éclatant de la royauté. Haï de la reine-mère, repoussé de la reine régente, abhorré de Monsieur, Richelieu n’existait que par la volonté de Louis XIII. Le roi mort ou détrôné, la tête de Richelieu tombait, malgré la pourpre dont elle était ceinte. Sa perte était la première satisfaction réclamée par les factieux, celle que Marie et Gaston aurait accordée avec le plus d’empressement et de joie. Le soin de sa propre sûreté garantissait donc le dévouement d’un ministre qui ne pouvait entretenir aucune espérance en dehors du service de son maître. Le moyen de s’étonner dès-lors que chez Louis XIII le roi ait toujours triomphé de l’homme, et que le soin de sa sûreté ait fait constamment incliner le monarque vers la seule force monarchique qui existât alors dans son royaume ?

En avançant dans la vie et dans la grandeur, Richelieu avait perdu la souplesse de ses premières années : son joug était devenu dur, son langage hautain, ses exigences croissaient avec son pouvoir. Mais n’était-il pas heureux jusque dans ses entreprises les plus hardies, et d’éclatans succès ne couvraient-ils pas toujours aux yeux du monde les contrariétés personnelles qu’il infligeait à son roi ? S’il le contraignait à changer de confesseur, à rompre des relations innocentes et douces ; s’il surveillait d’un œil jaloux ses actes, ses paroles et jusqu’aux plus intimes secrets de sa vie domestique, combien ne secondait-il pas, par le développement de ses vastes plans, la passion de Louis pour la guerre et sa haine contre la maison d’Autriche ! Combien la politique du cardinal n’avançait-elle pas d’ailleurs cette transformation de la royauté féodale en une royauté de droit divin ; œuvre dangereuse à laquelle la maison de Bourbon et la maison de Stuart se vouaient à cette époque avec une ardeur égale, quoique avec un succès bien différent !

C’est rarement par les petits côtés que se décident les grandes affaires, et la Providence ne permet pas que le développement d’une idée soit arrêté court par un accident. Lorsqu’on étudie la vie de Louis XIII et le ministère de Richelieu, l’existence politique de ce ministre apparaît à chaque instant comme menacée ; il semble qu’elle va dépendre d’une conversation de jeune fille, d’un retour de Louis vers sa mère, d’une manœuvre de favoris, d’un pas de plus fait par Cinq-Mars dans la confiance royale ; on croirait parfois le sort de l’état attaché à un accès de fièvre, à l’issue d’une chasse à Saint-Germain ou au secret d’une nuit conjugale : alors le colosse qui remue l’Europe paraît vaciller lui-même au plus léger souffle de la faveur royale. Pourtant, lorsqu’on pénètre plus profondément dans cette époque, on finit par comprendre que Dieu n’avait pas attaché les destinées d’un peuple aux fils de soie auxquels elles paraissaient suspendues. Une grande lutte était engagée, et Richelieu puisait sa force dans le principe d’ordre intérieur et de nationalité dont il était la personnification formidable. Le roi inclina toujours vers le cardinal par la force même des choses, et ce qui se révèle le plus clairement à quiconque a compulsé les innombrables mémoires laissés par les hommes de ce temps, c’est la résolution persévérante de Louis XIII de conserver son ministre, lors même qu’il paraît prendre l’engagement formel de l’écarter.

En suivant la rapide esquisse que nous tracerons ici des évènemens, on verra que la puissante volonté de Richelieu leur servit toujours de lien et de mobile. Observons aujourd’hui l’action de ce ministre à l’intérieur du royaume ; rendons-nous compte de ses efforts pour substituer une administration centralisée à ce gouvernement, mi-partie de féodalité et de franchise municipale, qui succombait sous sa confusion même. Suivons-le d’abord dans sa lutte contre les protestans et contre les grandes races ; une dernière partie de ce travail nous montrera le grand ministre sous son aspect européen, et contiendra l’appréciation de l’œuvre diplomatique qu’il prépara pour les négociateurs de Munster et d’Osnabruck.

L’homme d’état véritable possède deux facultés qui s’exercent en quelque sorte simultanément. Son esprit doit embrasser d’une vue ferme et constante une pensée systématique, en même temps qu’il est tenu de transiger avec les faits, même les plus contraires à ses principes. Avoir devant les yeux un but invariable, lors même qu’on paraît s’en écarter, savoir ajourner l’application de sa pensée sans l’abdiquer jamais, telle est la double condition imposée à quiconque aspire à dominer les évènemens et les hommes. Richelieu la posséda au plus haut degré, et rarement esprit fut en même temps plus absolu et plus pratique, plus patient et plus inflexible.

Nous avons rappelé avec quelle souplesse il escalada les degrés du pouvoir, et l’on sait déjà quelles inspirations il entendait porter dans l’exercice du gouvernement. Le cardinal renouvelait, en la développant plus largement, la politique de Henri IV, qui cherchait dans la Grande-Bretagne, la Hollande, la Suisse et les puissances secondaires de l’empire un point d’appui contre la maison d’Autriche. Depuis la mort du Béarnais, la nécessité de professer cette politique paraissait bien plus manifeste encore. En Allemagne, l’empereur Ferdinand II était en voie de triompher des efforts mal concertés des protestans. L’Espagne pesait de plus en plus sur l’Italie, elle occupait les passes de la Valteline, soumise par des conventions antérieures à une sorte de neutralité garantie par l’occupation des troupes pontificales. Enfin, à l’intérieur du royaume, l’on entendait gronder sur tous les points l’orage qui, pendant les dix années de la régence, avait menacé la monarchie. En aucun temps, la cour n’avait été plus troublée, et la royale famille de France plus remplie de haines et de dissensions ; jamais les réformés du Languedoc et de la Saintonge, jamais les fiers bourgeois de La Rochelle n’avaient été plus arrogans, jamais MM. de Rohan n’avaient entretenu de plus hautes espérances.

Au commencement de 1625, quelques mois après l’entrée de Richelieu au ministère, une nouvelle rébellion protestante était venue corroborer dans son esprit cette conviction, qu’il n’était pas de gouvernement possible tant que les protestans conserveraient, outre la liberté de conscience, qu’il ne leur contesta jamais, d’anarchiques prérogatives administratives et militaires. Au mépris du serment qu’il avait prêté à Saint-Jean-d’Angely, le prince de Soubise s’était saisi des Sables-d’Olonne. Poursuivi par l’armée du roi, il s’était retiré à La Rochelle, « comme les oiseaux craintifs se cachent dans le creux des rochers quand l’aigle les poursuit. Là il reçut encore grace de sa majesté, mais comme la reconnaissance des infidèles est aussi infidèle qu’eux-mêmes, ces graces descendirent si peu avant dans son cœur, que ne lui en demeurent aucun sentiment ni mémoire. Sa rébellion, aussi féconde que l’hydre, renaît de nouveau, il met le feu dans le royaume, tandis que le roi est employé à la défense de ses alliés, ainsi qu’Érostrate embrasa le temple de Diane, tandis qu’elle était attentive à promouvoir à la naissance d’Alexandre[2]. »

Avec la secrète assistance des Rochelais, Soubise arma quelques gros navires et force chaloupes. À la tête de cet armement, il entra dans le port du Blavet, où il saisit sans coup férir six vaisseaux du roi ; il s’établit dans l’île de Ré, en écumant les côtes, pour augmenter sa flotte et ses finances. Pendant ce temps, le duc de Rouan insurgeait Montauban, et l’incendie, secrètement attisé par l’Espagne, semblait prêt à gagner tout le midi.

Il fallut à Richelieu une grande puissance sur lui-même pour ne pas conseiller au roi l’emploi immédiat de la force, et pour différer, en présence d’un attentat aussi odieux, l’expédition décisive qu’il roulait depuis long-temps dans sa tête. C’est ici où l’esprit politique du ministre se révèle dans toute son étendue. La guerre se faisait alors en Italie avec des succès si incertains, et l’issue en paraissait encore si douteuse, qu’il comprit l’urgente nécessité d’attendre et de transiger. L’Angleterre, où le mariage de Charles Ier avec Henriette-Marie venait d’exalter le sentiment puritain en soulevant de vives antipathies contre la France, menaçait d’ailleurs d’échapper à notre alliance, malgré les efforts de Richelieu pour la cimenter. Buckingham, en butte à la haine de la nation et aux attaques du parlement, entrevoyait dans une expédition destinée à soutenir le protestantisme français le seul moyen de résister à l’orage qui s’amoncelait sur sa tête. Le cardinal estima qu’il y aurait imprudence à braver l’hostilité combinée de la Grande-Bretagne et de la maison d’Autriche, et il eut assez d’empire sur le roi et sur lui-même pour ajourner à la conclusion de la paix avec l’Espagne l’éclatante vengeance qu’il prépara dès ce jour avec autant de persévérance que de secret.

Le cabinet de Philippe IV crut que la France s’empresserait de traiter avec les protestans pour retrouver l’entière disposition de ses forces et les jeter sur l’Italie. Les réformés, de leur côté, pensèrent que le cardinal s’empresserait d’accommoder les affaires d’Italie, afin d’être en mesure de les attaquer plus vigoureusement. Cette double conviction rendit le comte d’Olivarès plus empressé et les insurgés plus modestes : exploitée par Richelieu avec une habileté remarquable, elle prépara le succès de deux négociations presque simultanées, et le ministre a pu se rendre la justice de dire que, « par une conduite pleine d’une industrie inaccoutumée, il porta les huguenots à consentir à la paix de peur de celle de l’Espagne, et les Espagnols à faire la paix de peur de celle des huguenots. »

Le traité de Mouçon vida pour quelque temps la grande question de la souveraineté de la Valteline, point de jonction de la puissance impériale et espagnole avec l’Italie. Par ce traité, la souveraineté du pays fut conservée aux Grisons, ces vieux alliés de la France, et les Espagnols se trouvèrent exclus de la possession des passages sur lesquels ils avaient élevé si long-temps des prétentions.

De leur côte, les réformés avaient obtenu la paix à des conditions équitables et modérées. Thoiras avait chassé Soubise de l’île de Ré, et le maréchal de Thémines, en serrant de près La Rochelle, avait porté ses habitans à désirer un accommodement avec le roi. Le gouvernement de cette ville fut remis à son corps municipal ; mais un commissaire royal dut y résider désormais pour veiller à l’observation des clauses du traité et au maintien des droits de la couronne. Il était interdit aux Rochelois d’avoir aucun vaisseau armé en guerre, et il leur était enjoint d’observer pour le commerce les formes établies dans le reste du royaume. Ils s’engagèrent à restituer les biens ecclésiastiques dont ils s’étaient indûment emparés, et à garantir aux habitans professant la religion catholique le plein et libre exercice de leur culte, ainsi que celui du culte réformé leur était garanti à eux-mêmes[3].

La trêve ainsi conclue avec les ennemis permanens du dedans et du dehors allait être utilement employée. Les deux années qui s’écoulèrent depuis cette transaction jusqu’au siége de La Rochelle sont à coup sûr l’une des périodes les mieux remplies de l’histoire moderne ; jamais pouvoir qui s’élève ne s’est consolidé par des mesures plus décisives, par des vues plus neuves et plus fécondes.

La mort de Lesdiguières ayant rendu vacante la grande dignité de connétable, qui élevait dans l’armée un pouvoir égal, sinon supérieur à celui de la couronne, Richelieu n’hésita pas à en faire décréter à toujours l’abolition. Il en fut de même pour le titre de grand amiral, dont les prérogatives dans les armées navales étaient égales à celles du connétable. Ces deux grands officiers se partageaient l’autorité royale d’une façon d’autant plus complète, que la connétablie et l’amirauté, étant charges de la couronne, ne se perdaient qu’avec la vie. Les seigneurs qui en étaient revêtus avaient conquis le droit de ne rendre compte qu’au roi lui-même de la comptabilité financière des armées, de telle sorte que le pouvoir ministériel se trouvait exclu de toute intervention dans les branches les plus importantes de l’administration publique. La charge d’amiral de France n’étant pas vacante, le trésor paya au duc de Montmorency, son titulaire, une somme de douze cent mille francs pour remboursement, somme qui, bien qu’elle parût considérable, dit Bassompierre, « a été d’un grand gain au roi pour les succès des années suivantes, qui ne fussent pas arrivés sans cela. » Richelieu faisait en même temps créer une surintendance générale du commerce et de la navigation qu’il réunissait à ses fonctions ministérielles. De cette manière, il concentrait dans ses mains toute la partie administrative du service maritime, et rendait à la couronne, c’est-à-dire à lui-même le droit de conférer le commandement des forces navales, avec tous les emplois dont le grand amiral avait eu jusqu’alors la pleine et entière disposition.

Depuis long-temps, le ministre dirigeait sa pensée vers l’accroissement de la marine militaire et l’extension du commerce et de l’industrie. Le Testament politique contient sous ce double rapport les vues les plus curieuses à étudier. Les idées du cardinal sur le développement de la grande pêche et l’extension du personnel de la marine française, sur la fabrication des toiles et des industries qui se rattachent aux armemens, sont du plus haut intérêt. Richelieu est peu favorable, on doit le comprendre, aux théories de liberté commerciale qui n’avaient pas cours de son temps. Disciple de Sully et prédécesseur de Colbert, sa préoccupation principale consiste à indiquer à la France les produits naturels et manufacturés qu’elle peut substituer avantageusement aux marchandises importées de l’étranger, marchandises dont toutes ses mesures tendent à diminuer la quantité. Le commerce des échelles du Levant, celui des pelleteries du Canada, la troque sur les côtes de Guinée, les moyens à employer pour enlever aux Flamands et aux Hollandais la navigation des mers du Nord dont ils avaient acquis le monopole, tout cela occupe le ministre non moins que les plus graves transactions diplomatiques ; enfin le programme complet de nos objets d’exportation et d’importation dressé par lieu de provenance, indique l’attention sérieuse et soutenue qu’il apportait à des matières que l’esprit de gouvernement essayait alors de réglementer pour la première fois[4]. Le développement de la puissance navale de la France se liait trop étroitement aux projets de Richelieu contre La Rochelle et contre l’Espagne, pour qu’une telle pensée ait lieu de nous étonner. D’ailleurs, des questions d’honneur et d’étiquette venaient à cette époque dominer les intérêts, et le cardinal avait gros sur le cœur l’affront essuyé par le duc de Sully lorsqu’il se rendait à la cour d’Angleterre comme ambassadeur du roi. Le duc avait rencontré dans le canal, à quelques lieues des côtes de France, une bamberge anglaise qui, au nom du roi de la Grande-Bretagne, souverain des mers, somma le vaisseau français d’abaisser son pavillon et le cribla de boulets jusqu’à ce qu’il eût déféré à cette odieuse prescription.

Les larges vues de Richelieu sur la liberté des mers témoignent de l’influence qu’exerçaient déjà sur le droit public de l’Europe les principes de l’école hollandaise, et les moyens indiqués dans l’un des plus importans chapitres du Testament politique pour l’établissement d’une puissante marine militaire permanente sont aussi saisissans par leur grandeur que par leur nouveauté. « Il semble que la nature ait voulu offrir l’empire de la mer à la France, par l’avantageuse situation de ses deux côtes, également pourvues d’excellens ports aux deux mers Océane et Méditerranée.

« La séparation des états qui forme le corps de la monarchie espagnole en rend la conservation si mal aisée, que, pour leur donner quelque liaison, l’unique moyen qu’ait l’Espagne est l’entretainement de grand nombre de vaisseaux en l’Océan, et de galères en la mer Méditerranée, qui par leur trajet continuel réunissent en quelque façon les membres à leur chef.

« Comme la côte de ponant de ce royaume sépare l’Espagne de tous les états possédés en Italie par leur roi, ainsi il semble que la providence de Dieu, qui veut tenir les choses en balance, a voulu que la situation de la France séparât les états d’Espagne pour les affaiblir en les divisant. Si votre majesté a toujours dans ses ports quarante bons vaisseaux bien outillés et bien équipés prêts à mettre en mer aux premières occasions, elle en aura suffisamment pour se garantir de toute injure et se faire craindre dans toutes les mers par ceux qui jusqu’à présent y ont méprisé ses forces.

« Avec trente galères, votre majesté ne balancera pas seulement la puissance d’Espagne qui peut, par l’assistance de ses alliés, en mettre cinquante en corps, mais elle la surmontera par la raison de l’union qui redouble la puissance des forces qu’elle unit. Vos galères pouvant demeurer en corps, soit à Marseille, soit à Toulon, elles seront toujours en état de s’opposer à la jonction de celles d’Espagne, tellement séparées par la situation de ce royaume, qu’elles ne peuvent s’assembler sans passer à la vue des ports et des rades de Provence, et même sans y mouiller quelquefois, à cause des tempêtes qui les surprennent à demi-canal, et que ces vaisseaux légers ne peuvent supporter sans grand hasard dans un trajet fâcheux où elles sont assez fréquentes.

« Et quand même ils pourraient être servis d’un vent si favorable qu’ils n’auraient rien à craindre de la mer, le moindre avis que nous aurons de leur passage nous donnera lieu de le traverser, d’autant plus assurément que nous pouvons nous mettre à la mer quand bon nous semble, et nous retirer sans péril quand le temps nous menace à cause du voisinage de nos ports, qu’ils n’osent aborder. Par ce moyen, votre majesté conservera la liberté aux princes d’Italie, qui ont été jusqu’à présent comme esclaves du roi d’Espagne. Elle redonnera le cœur à ceux qui ont voulu secouer le joug de cette tyrannie, qu’ils ne supportent que parce qu’ils ne peuvent s’en délivrer, et fomentera la faction de ceux qui ont le cœur français.

« Le feu roi votre père ayant donné charge à M. d’Alincourt de faire reproche au grand-duc Ferdinand de ce qu’après l’alliance qu’il avait contractée avec lui par le mariage de la reine votre mère, il n’avait pas laissé que de prendre une nouvelle liaison avec l’Espagne, le grand-duc, après avoir ouï patiemment ce qu’il lui dit sur ce sujet, fit une réponse qui signifie beaucoup en peu de mots, et qui doit être considérée par votre majesté et par ses successeurs : Si le roi eût eu quarante galères à Marseille, je n’eusse pas fait ce que j’ai fait[5]. »

Des combinaisons financières minutieusement étudiées suivent cet aperçu de la politique du ministre. Richelieu n’ignore pas, pour employer une expression qui lui appartient, que, « si l’argent est, comme on dit, le nerf de la guerre, il est aussi la graisse de la paix. » Dans cette partie de son travail se développent les notions les plus saines et, sous certains rapports, les plus avancées.

Richelieu passe en revue tout le système des impôts, tailles et fermages, tel qu’il avait été formé par la suite des temps et par une longue série de faits contradictoires. Il prépare dans sa pensée la suppression de la plupart des tailles, qui lui paraissent affecter le principe même de la production, qu’il dégage toujours avec une sagacité remarquable. Il n’est pas sans intérêt de le voir combattre à outrance les conversionnistes de son temps, et s’opposer, dans l’intérêt du crédit public, à la réduction des rentes établies sur le domaine et sur l’hôtel-de-Ville, et au retranchement des intérêts produits par les offices achetés à deniers comptans.

« Quand la justice de cet expédient ne pourrait être contestée, la raison ne permettra pas de s’en servir, parce que sa pratique ôterait tout moyen à l’avenir de trouver de l’argent dans les nécessités de l’état, quelque engagement qu’on voulût faire. Il est important de bien remarquer, à ce propos, que telle chose peut bien n’être pas contre la justice, qui ne laisserait pas d’être contre la raison d’une bonne politique, et qu’il faut bien se donner de garde d’avoir recours à des expédiens qui, ne violant pas la raison, ne laisseraient pas de violer la foi publique. Si on la garde en ce point, ainsi que je l’estime tout-à-fait nécessaire, l’état en sera beaucoup plus soulagé qu’il ne serait, quand même on supprimerait une partie de ses charges sans nouvelles finances, en ce qu’il demeurera maître des bourses des particuliers en toutes occasions, et ne laissera pas d’augmenter considérablement son revenu[6]. »

Relativement aux charges acquises à prix débattu, Richelieu incline à en diminuer graduellement le nombre au moyen d’un remboursement au taux de l’acquisition. Il accepte du reste comme son siècle tout entier, mais sans la canoniser, ainsi qu’on l’a prétendu, la vénalité des offices, qui était devenue pour cette époque une impérieuse nécessité de gouvernement, et l’une des bases de l’organisation sociale même. En cela, le ministre va moins loin que Montesquieu, puisqu’il se borne à s’appuyer sur un fait alors incontesté, sans l’élever avec lui jusqu’à la hauteur d’une théorie fondamentale du gouvernement monarchique. C’est pourtant l’acceptation pure et simple de l’intérêt le plus universel et le plus puissant du temps qui semble avoir conduit certains esprits absolus du XVIIIe siècle à contester l’authenticité du Testament politique. C’est à cause du chapitre sur la vénalité des charges que le marquis d’Argenson, ce précurseur de la constituante, cet esprit dogmatique né cinquante ans trop tôt, n’hésite pas à attribuer cet ouvrage, indigne du grand génie dont il porte le nom, à quelque pédant ecclésiastique[7] ; c’est pour cela qu’en fait d’œuvres dignes de mémoire, l’auteur du Siècle de Louis XIV invite charitablement Richelieu à s’en tenir à la digue de la Rochelle !

D’innombrables témoignages attestent la sollicitude du ministre pour les grands intérêts de la navigation et de l’industrie. La colonisation du Canada fut reprise avec ardeur, la compagnie de Saint-Domingue fut fondée, et de grandes expéditions aux Indes reçurent de la couronne de puissans encouragemens. Pendant que des consulats s’établissaient dans toutes les échelles du Levant, et que Deshayes partait pour la Moscovie afin de nouer des relations commerciales avec le czar, le chevalier de Rasilly préparait, par une expédition sur les côtes du Maroc, la négociation de traités avantageux avec toutes les puissances barbaresques[8]. Des dispositions étaient prises pour féconder la pensée de Sully et creuser le canal de Briare. Des compagnies se formaient pour le dessèchement des marais, le défrichement des landes, l’endiguement des rivières ; tout annonçait enfin l’importance croissante acquise par la bourgeoisie et les efforts multipliés du ministre pour contrebalancer par l’influence des capitaux la puissance territoriale à laquelle il s’efforçait d’arracher le pouvoir politique.

Sous l’empire de la même pensée, des changemens plus décisifs étaient essayés ou préparés dans l’administration intérieure du royaume. Dans toutes les localités, on constituait une puissance administrative permanente en rapport direct avec le pouvoir ministériel, en opposition avec les gouverneurs et les grandes cours judiciaires. La création des intendans, contre lesquels s’éleva si vivement le parlement de Paris au début de la réaction aristocratique de la fronde, fut le premier pas dans la voie nouvelle où les évènemens précipitaient la France.

Dans l’assemblée des notables réunis à Paris en 1627, le ministre fit approuver une autre mesure qui ne tendait pas moins directement au but qu’il avait toujours devant les yeux. Il parvint à faire demander par les notables la démolition des places fortes qui ne seraient pas reconnues nécessaires à la défense du royaume contre l’ennemi extérieur. Cette demande, à laquelle il eut soin de rester étranger, s’appuyait sur la nécessité de dégager la couronne des charges immenses qu’un inutile entretien imposait aux finances du roi. Les grands seigneurs, et à leur tête le duc de Guise, gouverneur de Provence, poussèrent d’étranges clameurs en entendant cette proposition mal sonnante ; mais la plupart des parlementaires insistèrent avec vivacité, et les mesures étaient si bien prises, qu’en accueillant ce vœu le roi parut céder aux désirs unanimes de ses peuples[9].

Une tactique aussi habile, mais assurément moins morale, inspira une autre proposition solennellement adressée par Richelieu à la même assemblée, et chaleureusement repoussée par elle. Dans un mémoire en treize articles, le cardinal proposait de modérer les peines portées par les vieilles lois de la monarchie contre les criminels d’état, et de les réduire à la seule privation des charges et des emplois après une seconde désobéissance. Il y a quelque chose de triste et d’immoral dans le calcul qui inspirait une telle démarche. En trouvant un pareil fait dans l’histoire du terrible cardinal, la pensée se reporte involontairement sur l’homme de sanglante mémoire qui débutait à l’assemblée constituante en proposant l’abolition de la peine de mort.

Au moment où Richelieu jouait en face de la nation cette parade inconvenante de clémence, le sang de Chalais fumait encore sur le Bouffay de Nantes, et l’exécuteur aiguisait déjà sa hache pour abattre la tête de Boutteville. Le maréchal d’Ornano, enfermé au bois de Vincennes, n’avait payé que de sa liberté son intimité avec Monsieur. Il n’en fut pas ainsi de l’imprudent jeune homme qui avait accepté le rôle périlleux d’agent secret du cardinal auprès de ce prince, et auquel la chronique, qui fausse l’histoire aussi souvent qu’elle la complète, prête un rôle plus dangereux encore auprès de la duchesse de Chevreuse, celui de rival et d’amant préféré. Que Chalais fût entré dans une conspiration en acceptant la mission de la surveiller, qu’il fût l’un des instrumens du vaste complot tramé pour éloigner le frère du roi et lui livrer une place frontière, cela n’est pas contestable ; qu’il connût par confidence le plan ourdi par quelques affidés de Gaston pour tuer le cardinal dans sa propre maison de Fleury, il n’est pas interdit de le penser ; mais qu’il ait formé lui-même le projet d’attenter aux jours du roi, c’est là une imputation peu justifiée, que la frivolité de ce jeune homme suffit pour rendre invraisemblable. Ce dernier crime cependant eût seul légitimé la rigueur du supplice, puisque l’autre avait de nombreux complices connus et impunis parmi les hommes les plus considérables de la cour. Chalais le confessa lui-même avec ingénuité : il voulait être de la conspiration parce que tout le monde en était ; ce fut une affaire de mode et de bon goût, peut-être d’entraînement et d’amour[10].

On se rappelait alors, souvent funeste à plusieurs ! les grandes factions de la régence, les fortunes élevées au milieu des troubles et grandies par ces troubles mêmes ; on savait qu’il en était à cette époque des conspirations de cour comme des coups de lance du XIIe siècle, au moyen desquels se conquéraient duchés et royaumes outre-mer, et l’on ne se souvenait pas, depuis la mort du roi Henri, d’une condamnation juridique exécutée sur un homme de qualité pour avoir suivi la bannière d’un prince du sang. L’héritier de la maison de Périgord ne devina pas que les temps étaient changés, et que ce qui fut jusqu’alors un moyen de fortune était devenu tout à coup un crime irrémissible.

Confinés dans une prison rigoureuse, les princes de Vendôme, ces frères bâtards du roi, venus à la cour sur une invitation amicale, en firent à leur tour la cruelle expérience. Bien leur prit d’appartenir à ce sang royal dont Richelieu ne versa jamais une seule goutte dans les plus grands enivremens de sa haine et de sa puissance, tant il resta conséquent jusqu’au bout avec son rôle monarchique ! Bien leur prit de pouvoir s’abriter derrière leur écu fleurdelisé comme derrière un bouclier inviolable !

Quelque beau que fût le sang de Montmorency, il ne jouissait pas d’un si haut privilége. Aristocratique par excellence, il appartenait au cardinal ; c’était en quelque sorte son sang de prédilection. Si Chalais avait espéré gagner, à l’exemple de tant d’autres, un bon gouvernement et une grosse pension en suivant la bannière d’un prince, le comte de Boutteville put bien supposer à son tour qu’un duel sous les beaux marronniers de la place Royale fournirait plus de matière à la conversation des dames que de besogne au bourreau. C’était un furieux duelliste que François de Montmorency-Boutteville. Vingt-deux fois, dit-on, il avait enfreint les édits royaux, et les mémoires du temps racontent qu’unissant la rage du sacrilége à celle du duel, il avait contraint Pongibaut, cadet de la maison du Lude, à se battre avec lui le jour de Pâques, au moment où celui-ci se préparait à monter à la sainte table. Après ces beaux exploits et nombre d’autres vint la grande partie carrée organisée en plein midi, sur la place la plus fréquentée de Paris, entre Boutteville et Deschapelles, son parent, contre le marquis de Beuvron et le comte de Bussy. C’était là sans doute un effroyable attentat contre la société tout entière ; mais des milliers de gentilshommes ne succombaient-ils pas chaque année sous des mœurs plus fortes que les lois ? N’avait-on pas vu naguère le chevalier de Guise, ce bravo de grande maison, assaillir impunément, au sortir du Louvre et jusque sous les yeux de la reine-mère, le marquis de Cœuvres et le baron de Luz, dont la mort fit verser tant de larmes à cette princesse ? Après de si nombreux et si éclatans exemples, il était difficile de s’alarmer, et l’on pouvait laisser les gens de justice grossoyer à l’aise leur papier timbré. Ainsi pensaient Boutteville et Deschapelles, lorsque déjà, dans un sombre appareil, l’échafaud se dressait en Grève. Richelieu resta insensible à la douleur de la plus noble maison du royaume, et les imprudentes supplications du duc d’Orléans en faveur de gentilshommes qui lui étaient dévoués auraient suffi pour décider le ministre à un acte qui servait à la fois sa politique et sa haine[11].

Tout prenait donc une face nouvelle, et cette société de transition dont les élémens s’agitaient jusqu’alors dans une confusion anarchique, se coordonnait tout à coup sous une influence souveraine. Le pouvoir s’y révélait à tous les yeux par l’unité de ses plans, la fécondité de ses vues et la terrible majesté de ses vengeances. Richelieu se sentait assez fort pour oser désormais davantage et pour reprendre des projets dont il n’avait pas cessé un seul moment de préparer le succès.

Les réformés avaient commencé à s’agiter sous les mêmes incitations, et l’année 1628 allait voir s’accomplir enfin un des évènemens les plus considérables des temps modernes. Le mouvement puritain qui menaçait Charles Ier se développait alors dans toute sa fougue, et la princesse française qui partageait avec lui ce trône ébranlé par la tempête venait de subir un sanglant affront. Au mépris des stipulations formelles du traité de mariage, sa maison avait été congédiée, et les sujets catholiques du roi d’Angleterre voyaient s’appesantir le joug de fer dont le mariage d’Henriette-Marie avait eu pour but de préparer l’allégement. Soubise était à Londres, échauffant toutes les passions protestantes au sein d’un parlement républicain et dans la chaire fanatisée. Quel que fût l’ardent désir de Richelieu de maintenir avec la Grande-Bretagne une alliance que ses projets contre la cour de Madrid imposaient alors à ce ministre comme une des bases de sa politique, un premier devoir était dicté au gouvernement du roi très chrétien par l’opinion de l’univers catholique.

Il fallait obtenir réparation d’une violation manifeste des traités, et ne pas abandonner une fille de France aux influences protestantes dont on prétendait la contraindre à s’entourer. À cette condition seulement un mariage mixte avait été jugé praticable. Si la France eût reculé sur ce point, elle eût subi dans le monde un immense échec moral. Des redressemens furent réclamés avec une mesure que la violence des passions ne permit ni de comprendre ni d’apprécier. Emporté par le mouvement dont il allait bientôt devenir la triste victime, Buckingham descendit dans l’île de Ré pour tenter la grande croisade protestante à laquelle les réformés conviaient depuis si long-temps le roi d’Angleterre, et une formidable armée navale appareilla des havres britanniques, avec le projet de préparer en France le triomphe des idées politiques et religieuses par lesquelles le sol des trois royaumes était alors si profondément remué. L’incapacité militaire du favori de Charles Ier fit échouer sa tentative contre l’île de Ré, secourue par Richelieu avec une merveilleuse activité ; mais l’intervention de l’Angleterre avait eu sur les réformés son effet habituel. Les forces huguenotes se rassemblaient sur tous les points, et La Rochelle, excitée par la présence de l’ambitieuse mère du duc de Rohan, se préparait à opposer aux armes royales une résistance désespérée.

Ainsi le problème religieux posé depuis un siècle par Luther et Calvin, et le problème social que faisaient naître la chute de la hiérarchie féodale et l’avénement d’une société nouvelle, allaient se résoudre sur une langue de terre en face du vaste Océan, sillonné par les flottes de l’Angleterre et de l’Espagne, spectatrices de cette lutte décisive. Ainsi les forces municipales et les intérêts aristocratiques allaient pour la dernière fois s’unir dans une résistance commune, avant de succomber sous cette suprématie monarchique qui portait dans ses flancs le triomphe de la démocratie moderne. Le XIXe livre des Mémoires de Richelieu s’ouvre par un document d’une haute importance. C’est un exposé de la situation générale de l’Europe au moment où tant d’intérêts allaient se débattre sous les murs de La Rochelle. Dans cette note originairement écrite pour le conseil du roi, le ministre ne dissimule aucun des périls de la situation ; il semble les dominer tous par la fermeté de ses vues et la sérénité de ses espérances. L’Angleterre était armée contre la France et se préparait à de formidables efforts. La Hollande, échauffée par l’esprit de secte, menaçait de nous abandonner. L’empereur, aidé du duc de Lorraine, songeait à attaquer Verdun ; le duc de Savoie menaçait la Bourgogne, et des avis secrets laissaient redouter les mauvaises dispositions de Venise, où Mme de Rohan avait noué des relations. L’Espagne enfin gardait une neutralité évidemment malveillante. Cette grande puissance catholique n’oserait peut-être pas éclater tant que la lutte conserverait la couleur toute religieuse que lui imprimaient la révolte des huguenots et l’intervention du puritanisme anglais ; mais il était à craindre que ce caractère ne se modifiât bientôt pour laisser prévaloir une pensée toute politique. De grandes factions menaçaient l’autorité royale ; Monsieur était une arme dans la main des mécontens et de l’étranger, et sa légèreté offrait seule une garantie contre son ambition. Un prince du sang plus dangereux, le comte de Soissons, avait quitté le royaume, et pouvait devenir un instrument redoutable. Si, pour encourager le roi à combattre l’hérésie, l’Espagne venait de négocier spontanément un traité d’alliance, et d’offrir le concours de ses armées navales contre le cabinet britannique qui l’avait récemment offensée, rien qu’à voir la lenteur de ses préparatifs, et les conditions qu’elle imposait à une intervention active, il était évident que cette puissance n’était pas sincère. D’ailleurs, le ministre avait surpris le secret de ses démarches à Londres et de ses manœuvres ténébreuses sur plusieurs points. Aussi la France devait-elle se méfier grandement de la cour de l’Escurial, et surveiller de près les manœuvres de son escadre, alors déployée le long de nos côtes. Cependant cette connaissance des dispositions intimes de l’Espagne ne devait pas nous empêcher de nous montrer pleins de confiance dans son concours, afin de la compromettre aux yeux de l’Europe par cette union apparente et par un échange de bons procédés.

Il est curieux de compléter aujourd’hui cet exposé tiré du portefeuille de Richelieu par les révélations que deux siècles ont apportées à l’histoire. Les archives de Simancas, dépouillées avec une rare sagacité par un écrivain contemporain, ont apporté des preuves péremptoires de la trahison de l’Espagne ; les dépêches autographes adressées par Philippe IV au marquis de Legañes et au marquis de Mirabel, son ambassadeur à Paris, constatent le vif désir de l’Espagne de voir échouer le siége de La Rochelle, et ses efforts pour arriver à ce résultat au moment même où ses flottes recevaient l’ordre de se rendre dans les ports de France, afin d’appuyer les opérations militaires commencées par Richelieu. L’Espagne, qui redoutait le blâme de la cour pontificale et respectait l’opinion de l’univers catholique, ne voulait pas paraître se séparer de la France dans ce duel à mort contre l’hérésie et dans sa lutte contre la Grande-Bretagne, avec laquelle le cabinet de l’Escurial était lui-même en guerre. Mais l’Espagne redoutait encore plus les succès de la France que ceux du protestantisme et cette double préoccupation imposait au gouvernement de Philippe IV une attitude d’hypocrisie et des actes de trahison presque toujours découverts par la pénétration du cardinal.

Le tableau tracé par Richelieu de la grandeur du péril auquel était exposée la monarchie, serait à faire reculer une ame moins fortement trempée que la sienne. Loin de dissimuler aucune des éventualités de l’avenir, il semble se complaire à les étaler ; et à changer en certitudes les plus dangereuses hypothèses. C’est qu’il faut saisir fortement l’esprit du roi et l’opinion de la France, c’est qu’on est désormais trop avancé pour reculer, et qu’il n’y a plus qu’à déployer toutes ses forces et toutes ses ressources. Montrer l’imminence du péril est nécessaire pour mettre en mesure d’en triompher. Il faut saigner à blanc le royaume pour en finir promptement de La Rochelle, ainsi le veut le salut et l’avenir de la France. Prendre La Rochelle ! prendre La Rochelle ! Ceci devient l’idée fixe du ministre ; il vit désormais pour cette seule pensée, il ne respire plus que par elle. À toute heure du jour et de la nuit, tantôt en mer, tantôt debout sur sa glorieuse digue, il semble en proie à cette sorte de délire qui double les forces humaines, et révèle chez les ames supérieures des sens nouveaux et inconnus.

En parcourant les fragmens rassemblés sous la date de 1628 et la volumineuse correspondance manuscrite de la Bibliothèque du roi, vous voyez Richelieu passant tour à tour du rôle de ministre à celui de général, cumulant les plus minutieux détails du service de l’intendance et de la comptabilité avec la direction de toutes les opérations militaires et navales. Deux fois la flotte anglaise apparaît à la vue de la ville affamée, et deux fois elle recule devant la marine improvisée de la France et l’élan d’une armée qui se trempait pour les grandes choses. Tout le mouvement de l’Europe resta comme suspendu pendant une amnée, tant étaient graves les questions qui se vidaient devant ces puissantes murailles ! Enfin la fortune de la France l’emporta, et, en entrant dans La Rochelle par la brèche, la royauté prit véritablement possession du royaume.

Sévère jusqu’à la cruauté pour les ennemis de sa personne, Richelieu n’avait ni fanatisme de parti, ni besoin de vengeances collectives. Il n’eut pas d’effort à faire sur lui-même pour se montrer modéré, et l’état de l’Europe lui prescrivait d’ailleurs la promptitude et la prudence. Il enleva à La Rochelle tous les droits par lesquels une république municipale se maintenait au sein de la monarchie, il rasa les forts et les remparts, symboles et instrumens de sa dangereuse indépendance ; mais il ne songea pas même à porter atteinte à la sécurité des habitans et à la pleine liberté de leur conscience. Rien, dans le cours de sa vie, n’indique d’arrière-pensée contraire à la liberté religieuse. Il respecta toujours celle des réformés, et nous le voyons stipuler le même droit en faveur des catholiques près de Gustave-Adolphe et de tous les princes protestans, comme condition péremptoire de ses secours. Si la prise de La Rochelle a donc rendu possible la révocation de l’édit de Nantes, il est certain du moins que la pensée de cette révocation appartient à une politique toute différente de celle du cardinal.

La soumission de cette ville entoura le front de Richelieu d’une auréole éclatante. Il apparut dès-lors comme une puissance même pour ses ennemis, et il posséda la plénitude de cette force que donne toujours la conscience d’un grand rôle reconnu par l’opinion. Il s’attacha de toutes les manières à exploiter ce prestige, agissant sur l’esprit public par toutes les voies alors ouvertes à la publicité. La discipline des lettres était à ses yeux la conséquence de la discipline sociale, et la plupart des écrivains subirent sans résistance une influence qui s’épanchait en libéralités. Mais le moment n’était pas encore venu de savourer en paix au Palais-Cardinal les banales flatteries de ses poètes, les longues harangues de ses créatures de l’Académie, et de se faire saluer comme le suprême modérateur du monde dans de pompeuses héroïdes et des tableaux chorégraphiques. Si un pas décisif avait été fait, ce n’était encore qu’un premier pas dans une carrière toute semée de périls. La soumission de La Rochelle n’avait point entraîné celle des villes huguenotes du midi, et si, à l’annonce du grand désastre, la consternation s’était répandue dans les châteaux escarpés baignés par l’Ardèche et par le Rhône, les religionnaires ne persistaient pas moins à défendre pied à pied les remparts de leurs nombreuses villes de sûreté et la multitude de forteresses perchées au sommet de leurs montagnes.

La douleur qu’avait ressentie l’Espagne de l’heureuse issue d’un siége si long-temps traversé, et les complications nouvelles qu’ouvrit alors en Italie la succession du duché de Mantoue, avaient fait évanouir les derniers scrupules du roi catholique. Son gouvernement s’entendit secrètement avec la ligue des cités huguenotes et leur promit argent et secours de toute nature. Il leur envoya des officiers, et reçut à Madrid un agent accrédité du duc de Rohan pour négocier les bases d’une grande scission territoriale, destinée à préparer l’établissement d’une république fédérative sur le type de la confédération des Provinces-Unies. Les archives de Simancas ont laissé sortir de leurs cartons l’arrangement passé le 3 mai 1629 avec Clauzel, gentilhomme du duc de Rohan, arrangement par lequel ce seigneur, moyennant 600,000 ducats d’or, s’engageait à entretenir douze mille hommes de pied et douze mille chevaux, pour faire en France telle diversion qui plairait au roi d’Espagne, s’obligeant à ne signer aucun accommodement avec le roi très chrétien sans l’approbation préalable du roi catholique[12]. Une dernière lutte ne pouvait donc manquer de s’engager dans ces provinces de la langue d’oc, qui depuis l’origine de la monarchie s’étaient, pour ainsi dire accrochées à toutes les hérésies religieuses et à toutes les rébellions politiques pour défendre leur nationalité contre la grande unité française. Celle-ci était appelée à triompher encore une fois du principe romain et du principe féodal si étroitement associés dans les mœurs et les institutions des provinces méridionales du royaume. Mais avant d’atteindre ce résultat, assuré par la victoire de La Rochelle, il y avait à résoudre une question d’un intérêt majeur pour l’influence extérieure de la France, question que le moindre retard aurait infailliblement perdue.

Le décès du duc de Mantoue appelait à cette succession le duc de Nevers, son héritier collatéral, et l’Espagne s’entendait avec l’empire pour repousser un prince de cette maison de Gonzague que tous ses intérêts rattachaient à la France. Une armée castillane pressait étroitement Casal, et la perte de cette place importante aurait rendu l’issue du débat plus qu’incertaine. Richelieu comprit, avec sa perspicacité ordinaire, que la délivrance de Casal était imposée à la France par le souci de sa considération en Europe, comme la chute de toutes les villes huguenotes par le soin de sa puissance et de sa sécurité. Écoutez-le exposant au roi l’ensemble de la politique qu’il lui conseille pour le dedans et pour le dehors, voyez-le dérouler les conséquences qu’il se propose de tirer de ses premiers succès.

« Les intérêts de l’état sont divisés en deux chefs : l’un qui concerne le dedans, et l’autre le dehors.

« En ce qui touche le premier, il faut sur toute chose achever de détruire la rébellion de l’hérésie, prendre Castres, Nîmes, Montauban et tout le reste des places de Languedoc, Rouergues et Guyenne, puis entrer dans Sédan, et s’assurer d’argent.

« Il faut raser toutes les places qui ne sont pas frontières, ne tenant point le passage des rivières, ou ne servant point de bride aux grandes villes mutines et fâcheuses, parfaitement fortifier celles qui sont frontières ; il faut décharger le peuple, ne rétablir plus la paulette, abaisser les compagnies qui, par une prétendue souveraineté, s’opposent tous les jours au bien du royaume.

« Il faut que le roi soit absolument obéi des grands et des petits, qu’il remplisse les évêchés de personnes choisies, sages et capables, qu’il rachète le domaine du royaume, et augmente son revenu de la moitié, comme il se peut par moyens déjà indiqués.

« Pour le dehors, il faut avoir un dessein perpétuel d’arrêter le cours des progrès d’Espagne, et, au lieu que cette nation a pour but d’augmenter sa domination et d’étendre ses limites, la France ne doit penser qu’à se fortifier en elle-même, bâtir et s’ouvrir des portes pour entrer dans tous les états de ses voisins, et les pouvoir garantir de l’oppression d’Espagne, quand les occasions s’en présenteront.

« Il y a à considérer que, si l’Espagne dépouillait M. de Mantoue, elle serait absolument maîtresse en Italie, étant certain que tous les potentats qui étaient au-delà des Alpes, pleins d’affection pour la France et de mauvaise volonté pour l’Espagne, seraient esclaves de sa grandeur tyrannique, si elle venait à bout de son dessein.

« Le titre du roi pour défendre le duc de Mantoue est l’ancien droit de ce royaume qui en retient le nom, d’affranchir de tyrannie ceux qu’une puissance étrangère asservit injustement, et l’obligation naturelle aux princes de défendre ce que Dieu a fait naître sous l’abri de leur puissance…

« Je ne suis point prophète, ajoute Richelieu, mais je crois pouvoir rassurer votre majesté que ne perdant point de temps en exécutant ce dessein, vous aurez fait lever le siége de Casal et donné la paix à l’Italie dans le mois de mai ; et revenant avec votre armée dans le Languedoc, vous réduirez tout sous votre obéissance, et donnerez la paix à vos sujets dans le mois de juillet, de sorte que votre majesté pourra, comme je l’espère, retourner victorieuse à Paris au mois d’août[13]. »

Quelques jours après avoir écouté cet exposé, Louis XIII partait pour l’Italie, et, couvert par la présence du roi, Richelieu commandait en chef une armée de trente mille hommes, destinée à franchir les Alpes et à secourir Casal. Conformément à la vieille politique de sa maison, le duc de Savoie entendait tirer bon parti du différend survenu entre la maison d’Autriche et la France à l’occasion de la succession du duché de Mantoue : il voulait se faire attribuer le Montferrat, prétention que l’Espagne était disposée à accueillir, sous condition que ce prince fermerait les passages à l’armée française. Une négociation avec la cour de Turin n’ayant abouti qu’à des résultats équivoques, le ministre-général donna l’ordre de trancher la difficulté par la force, et la furie française emporta le Pas-de-Suze. Pendant que l’Europe croyait Louis XIII retenu au pied des Alpes, ce prince avait forcé les lignes piémontaises, délivré Casal, sauvé le duc de Mantoue, et, selon le programme de son ministre, il revenait avec une armée victorieuse se jeter sur le Vivarais pour en finir avec le parti réformé. En suivant, dans le Journal de Bassompierre, ces marches héroïques, on croit assister à une campagne du premier consul, et l’on sent pétiller l’esprit français dans toute sa verve native. Privas, Castres, Nîmes, Uzès, Montauban, de belles cités romaines et de vieux châteaux moresques tombèrent tour à tour au pouvoir des forces royales. La démolition des remparts commençait sitôt après la conquête, et Richelieu écoutait avec une inexprimable joie le bruit de ces ruines, qui, en tombant, annonçaient à la France la perpétration de son œuvre.

Si des cruautés furent commises dans l’enivrement de la lutte et du triomphe, le cardinal y resta constamment étranger, se bornant à faire pour son compte la guerre aux murailles et aux franchises provinciales. Habile et modéré avec les populations protestantes, presque flatteur pour leurs ministres, il sut vaincre sans écraser, et dissoudre un parti formidable sans lui donner la ressource du martyr. À partir de cette campagne et de cette année 1629, la réforme cessa d’avoir en France une importance véritablement politique, et de peser d’une manière sensible dans la balance des factions. Privés de toutes leurs places de sûreté, sans être aucunement menacés dans la jouissance de leur liberté religieuse, les huguenots perdirent à la fois et les moyens et la volonté de se mettre à la solde des ambitions princières. Les partis succombent moins sous la grandeur des forces qu’on leur oppose que sous l’à-propos de l’agression et par le prudent usage de la victoire. L’attitude passive des églises protestantes du Languedoc dans l’insurrection qui éclata moins de trois années après, sous le malheureux duc de Montmorency, suffit pour faire comprendre la transformation radicale opérée dans ce pays par cette brillante campagne et par les mesures qui la suivirent. L’occasion paraissait belle pour essayer un mouvement auquel s’associaient le gouverneur de la province et le frère du monarque, mouvement que l’Espagne secondait de tous ses efforts ; mais l’esprit protestant ne vint point compliquer cette querelle, dont une telle intervention aurait pu changer l’issue. Écrasé par l’ascendant moral de la royauté triomphante en France et en Europe, dépouillé de toutes les positions qu’il avait conquises durant une lutte séculaire, le protestantisme n’était désormais qu’une secte religieuse, et il n’aspira plus à se faire compter pour autre chose. Richelieu lui avait ôté l’espérance, la seule force par laquelle vivent les partis. La solidité de la pacification religieuse opérée par le cardinal fut mise vingt années après à une épreuve non moins décisive. Vainement la fronde, cette dernière protestation contre le travail opéré par le ministre de Louis XIII, se cantonna-t-elle pendant quatre années dans quelques provinces méridionales du royaume ; vainement se fit-elle appuyer par une armée espagnole et par l’épée d’un grand capitaine : les religionnaires demeurèrent constamment étrangers à ces agitations et n’essayèrent pas d’unir une cause désormais perdue aux entreprises de parlementaires brouillons et de grands seigneurs désœuvrés. Jamais parti ne donna plus complètement sa démission ; il ne fallut rien moins que les funestes mesures de 1685 pour rendre au protestantisme français une sorte d’importance politique.

La tâche principale de Richelieu était donc consommée au dedans du royaume et le rôle de la France en Europe allait devenir désormais l’objet principal de ses préoccupations. Nous apprécierons dans leur ensemble les idées du cardinal sur la constitution d’un nouveau droit public et d’un nouvel équilibre européen rendus nécessaires par l’anarchie qui menaçait alors le monde. Bornons-nous aujourd’hui à observer Richelieu dans le cours de la lutte nouvelle qu’il va engager contre des influences redoutables ; voyons-le triomphant de la cour après avoir triomphé des réformés.

On l’a déjà constaté dans la première partie de ce travail, il est injuste d’imputer à Richelieu le crime d’avoir systématiquement brisé l’aristocratie française, et changé, en la renversant, les bases de l’organisation de sa patrie. Plût à Dieu qu’une telle organisation eût existé, et que la France se fût trouvée à cette époque politiquement constituée ! Si des pouvoirs reconnus et rivaux s’étaient rencontrés en face de la royauté pour partager avec elle l’administration publique, moins qu’un autre peut-être le hautain cardinal eût prêté la main à l’œuvre de nivellement que d’impérieuses circonstances lui imposèrent. Placez-le en Angleterre, couvrez ses épaules de gentilhomme et d’évêque du manteau de pair du royaume-uni, et ses instincts le porteront assurément à chercher un autre rôle. Mais il fallait sauver la nationalité française et défendre l’ordre public contre les menées de conspirateurs aux gages de l’étranger. De quel pouvoir politique jouissait d’ailleurs la noblesse française ? quels droits réclamaient ses membres, de quelles prérogatives constitutionnelles entreprenaient-ils la conquête ? Les entendit-on demander d’une manière sérieuse les états-généraux, le vote des subsides, l’organisation régulière d’un parlement, la représentation du royaume ou des provinces ? réclamaient-ils quelque chose d’analogue à un bill des droits ? affichèrent-ils jamais la prétention de jouer dans l’état le rôle d’un grand pouvoir appuyé sur un grand intérêt ? De grosses positions pour les princes, des faveurs personnelles pour leurs agens, tels furent, sous le ministère de Richelieu comme sous celui du maréchal d’Ancre, les amorces de tous les complots, les seuls mobiles des mouvemens politiques. Le prince de Condé, chef du parti féodal opposé à la reine-mère, représentait même à un degré beaucoup plus élevé que le duc d’Orléans l’ensemble de ces intérêts seigneuriaux qui auraient pu, en la légitimant, constituer une grande opposition territoriale. À partir de la lutte armée de 1614, il semble que les idées politiques s’effacent de plus en plus, et qu’en devenant plus turbulentes, les ambitions prennent chaque jour des proportions plus mesquines. Sous la minorité de Louis XIII, le prince de Condé, est au-dessous de l’importance que pourrait acquérir sa cause ; sous la minorité de Louis XIV, un autre Condé parvient à peine à grandir, par ses efforts personnels, la faction au service de laquelle il consent à placer sa gloire. Que dire de ce Gaston, dont l’ambition ne s’élève jamais au-dessus d’une cupide exploitation financière, et qui, par ses attentats réitérés, précipita Richelieu dans la voie des répressions sanglantes ? Quelle portée politique attribuer aux projets d’un prince qui fit verser le plus noble sang de France sans exposer le sien, et partagea sa vie entre le soin de conspirer, et celui de dénoncer ses complices ? Dans la vie politique, rien n’expose plus à abuser du pouvoir que le droit acquis de mépriser ses ennemis. Le malheur du cardinal est de n’avoir trouvé debout devant lui ni un puissant et légitime intérêt, ni une idée féconde, ni un caractère fortement trempé. Ses adversaires l’irritèrent constamment sans parvenir jamais à se faire respecter. Il n’est pas un de leurs projets dont la réalisation ne fût devenue une calamité publique, un attentat à l’unité et à l’indépendance de la patrie. À l’exemple de Napoléon, Richelieu n’a détrôné que la médiocrité et l’anarchie.

Nous voici parvenus aux jours les plus agités de cette vie si pleine ; nous touchons aux temps où commencèrent les négociations du père Joseph en Allemagne, celles du baron de Charnacé en Suède, et où se prépare la dissolution de la vaste monarchie espagnole par la séparation du Portugal et l’insurrection de la Catalogne. Après avoir réglé le sort des provinces méridionales, le cardinal-généralissime était retourné prendre le commandement de l’armée d’Italie avec des pouvoirs d’une telle étendue, que, selon l’expression d’un contemporain, de toutes ses attributions souveraines, le roi ne s’était réservé que le droit de guérir les écrouelles. Appelé à combattre les généraux espagnols et à lutter d’adresse avec la diplomatie tortueuse du cabinet de Turin, Richelieu se montra à la hauteur de cette double tâche. Les mœurs incertaines et peu réglées de ce temps permettaient de les concilier : personne n’ignore que les généraux les plus renommés de l’époque, depuis le cardinal-infant jusqu’au cardinal de La Valette, appartenaient à l’église. L’esprit parlementaire s’efforçait de faire prévaloir la distinction des deux puissances ; mais elle était loin d’être réalisée dans les habitudes et la pratique de la vie. On voyait donc Richelieu à la tête de son armée, revêtu du costume si minutieusement décrit par Puységur[14], cuirasse couleur d’eau, habit feuille-morte relevé d’une légère broderie d’or, ample chapeau à plumes, épée au côté, pistolets à l’arçon de la selle, toujours suivi du capitaine de ses gardes, et précédé de pages portant ses gantelets. On entendait les soldats donner le maudit cardinal à tous les diables pendant les dures épreuves de la campagne, et l’applaudir avec transport lorsqu’il conquérait Pignerol à la France.

Après s’être ouvert, par la prise de cette ville, une bonne porte sur l’Italie, Richelieu rentra dans le royaume, où de grands dangers allaient le menacer dans tout l’éclat de sa fortune et le prestige de sa gloire. Les motifs véritables de sa rupture avec la reine-mère restent obscurs pour l’histoire et n’importent guère à la postérité. Ce qu’il est facile de pénétrer, indépendamment de toutes les révélations anecdotiques, c’est que Richelieu se sentait désormais trop nécessaire au monarque pour accepter un rôle secondaire, et qu’il aspirait à se dégager d’une domination que Marie mettait tous ses soins à maintenir et à aggraver. Ce désaccord, préparé par des débats personnels, se révéla pour la première fois à l’occasion de la succession de Mantoue, question dans laquelle la princesse florentine portait de vieilles antipathies de race en opposition avec les intérêts du prince de Gonzague et avec le protectorat départi à la France. Ces contrariétés de reine, aigries peut-être par d’amères ressentimens de femme, conduisirent Marie à travailler avec plus d’ardeur que de prudence à l’éloignement de l’homme qui se sentait alors assez fort pour ne plus garder de son vieux rôle de créature que les dehors d’une soumission respectueuse. Le cardinal ne se dissimula pas le péril d’une telle inimitié ; mais il savait aussi tout ce que l’ame inquiète de Louis nourrissait de soupçons relativement à sa mère : il comprit dès-lors qu’il n’était pas impossible de puiser dans cette inimitié même une force nouvelle, et qu’en faisant de Marie de Médicis la première ennemie de son fils, il associerait pour jamais ses destinées et ses haines aux destinées et aux haines de son roi.

Au retour de la campagne de 1630 en Italie, Louis XIII s’était arrêté à Lyon, atteint d’un mal qui un moment fut estimé mortel. Sa convalescence fut longue, ses douleurs furent aiguës, et sa mère lui prodigua des soins que rien ne remplace pour un fils gisant sur un lit de douleurs. Autour de cette couche, dont elles avaient seules le privilége d’approcher, des femmes lièrent une conjuration qui faillit changer les destinées du royaume. Les deux reines y portèrent la violence de leurs passions personnelles contre le cardinal ; la princesse de Conti et la duchesse d’Elbeuf s’y associèrent par suite d’intérêts froissés et de ressentimens de famille ; le garde-des-sceaux de Marillac et son frère, auquel Richelieu avait fait donner récemment le bâton de maréchal, accueillirent un projet qu’on promettait de faire servir à l’avancement de leur fortune. Le roi parlait souvent des procédés violens du cardinal, de sa superbe et de son despotisme ; il se plaignait d’être effacé par son ministre, au grand détriment de sa dignité souveraine. Il ne fut pas difficile de profiter de cette disposition de son esprit et de cette prostration de ses forces pour lui arracher, au prix d’un redoublement de tendresse, la vague promesse de sacrifier son ministre. Pour échapper à la fatigue de cette lutte, le roi demanda du temps, et la reine-mère consentit à différer jusqu’au retour de la cour à Paris la réalisation de ce qu’elle considérait comme une parole royale ; mais elle ne put s’empêcher d’escompter ce triomphe, de l’étaler à l’avance avec une imprudente complaisance. Dans l’entrevue de Versailles, elle vint avec hauteur exiger comme une dette ce qu’il aurait fallu implorer comme un bienfait, et elle laissa deviner au roi un joug plus dur et plus humiliant que celui dont on affectait de vouloir le délivrer. Richelieu, de son côté, en appela de Louis malade à Louis en bonne santé ; il parla à la fierté du roi, resplendissant de la gloire de ses armes ; puis affectant un dégoût profond du pouvoir, il supplia le prince de le sacrifier à la paix de sa famille, et reçut l’ordre formel de rester auprès du trône, à la sûreté duquel il était devenu nécessaire. Ainsi finit cette journée, baptisée du nom de journée des dupes par l’une de ses plus spirituelles victimes ; ainsi se préparèrent à la fois l’omnipotence du ministre et la disgrace de la reine-mère.

Les évènemens qui suivirent cette crise durent faire pressentir à cette princesse le sort qui l’attendait. L’ascendant du cardinal était devenu irrésistible, et déjà son bras s’appesantissait avec une rigueur inexorable sur ceux qui avaient commis le crime de douter de sa fortune. La cour fut interdite à tous ceux qu’il avait appris à connaître pour ses ennemis. Bassompierre alla préparer ses bons mots à la Bastille ; une prison rigoureuse s’ouvrit pour le garde-des-sceaux de Marillac, et son frère, arrêté en Italie à la tête de son corps d’armée, se vit placé sous une accusation de péculat pour des faits qui n’étaient pas de nature à faire fustiger un laquais, selon les expressions de l’infortuné maréchal. Sans deviner encore jusqu’où iraient la vengeance du ministre et la complaisance des juges institués par lui, la reine avait fait de vains efforts pour sauver cette noble victime ; désormais l’oreille de son fils lui était fermée comme son cœur.

Retirée à Compiègne, Marie apprit un matin qu’elle y était prisonnière et qu’il ne lui restait plus que la vaine consolation de remplir le royaume de l’éclat de ses plaintes et de ses reproches. Revenant alors aux tristes souvenirs de sa première captivité et de sa nocturne évasion, elle crut possible d’organiser une prise d’armes, et s’entendit avec le gouverneur d’une place frontière pour qu’on lui en ouvrît les portes ; mais le secret de cette négociation avait été découvert par Richelieu, et celui-ci prit ses mesures pour s’assurer de la fidélité de la garnison, en même temps qu’il entretint avec le plus grand soin les illusions et les espérances de la princesse. Marie ne rencontra pas plus d’obstacles pour s’enfuir de Compiègne que pour traverser le royaume, et, pleine d’une confiance perfidement entretenue, elle vint frapper de nuit aux portes de La Capelle, qui ne s’ouvrirent point devant la mère du roi. Une seule ressource lui restait alors ; se voyant à quelques pas de la frontière et poursuivie par des détachemens dont la mission véritable était de la contraindre à la passer, elle la franchit la vengeance dans le cœur, sans se douter qu’elle ne la repasserait jamais, et qu’un abîme infranchissable allait la séparer de la France. C’était le point où Richelieu travaillait depuis long-temps à l’amener ; c’était le gage de sa victoire et la condition de sa pleine sécurité. Enlacée dans le piége si adroitement préparé, Marie de Médicis alla recevoir à Bruxelles l’hospitalité réservée par la cour d’Espagne à tous les ennemis de la France et de son roi.

Une destinée analogue attendait le duc d’Orléans, moins propre encore que sa mère à lutter d’habileté avec un ministre consommé dans l’intrigue. Une première fois déjà Monsieur avait passé la frontière, et était allé attendre en Lorraine le résultat d’un ultimatum qui portait sur le chiffre de ses pensions et l’étendue de ses apanages. Le traitement fait à sa mère lui fournit, en 1631, un prétexte plus plausible. Après avoir vainement essayé d’organiser une résistance armée à l’intérieur, et de tenir dans les murs de sa ville d’Orléans, il s’était retiré à Besançon, suivi de Puylaurens, son conseiller intime, des ducs d’Elbeuf, de Roannes et de Bellegarde, et inspiré par le président Le Coigneux, organe de l’opposition parlementaire près de ce prince. Après avoir épousé à l’étranger, sans le consentement du roi, une princesse de la maison de Lorraine, Monsieur se voua, avec autant de soin qu’en comportait sa légèreté naturelle, à préparer l’invasion du royaume. Devenu à Bruxelles le centre d’une émigration considérable, il organisa une armée de stipendiés allemands, suisses et polacres, reîtres sans foi ni loi, dont les mémoires du temps tracent à l’envi les plus hideuses peintures. Cependant le péril était moins dans ces rassemblemens désordonnés que dans les fidélités douteuses, et l’heure des épreuves décisives avait sonné pour le pouvoir et le système politique de Richelieu.

La publication intégrale des dix volumes fournis par le manuscrit des affaires étrangères a révélé sur cette grande crise intérieure des détails entièrement inconnus aux historiens du XVIIe siècle et à tous les écrivains qui les ont suivis. Elle a mis en évidence le péril vraiment imminent auquel la campagne de Monsieur exposa la monarchie française et la personne de Louis XIII. Un grand nombre de gouverneurs et de commandans de places fortes avaient lié avec l’héritier du trône des rapports qui n’échappaient point à la sagacité du ministre, mais que la prudence lui prescrivait souvent de paraître ignorer. Le duc de Guise, en Provence, avant son remplacement par le prince de Condé, avait organisé des forces navales considérables, et s’était vainement adressé aux principaux chefs des réformés pour en obtenir un concours qu’un prince de la maison de Lorraine ne leur avait assurément jamais demandé. Les mouvemens du duc d’Épernon dans sa province de Guyenne, les levées nombreuses entreprises par lui sans ordre de la cour, ne donnaient pas moins d’inquiétude au cardinal, et de tous les gouverneurs des provinces méridionales du royaume, M. de Montmorency était peut-être celui dont la fidélité fut long-temps le moins suspecte à la cour. Les parlemens, de leur côté, essayaient contre le système unitaire de Richelieu cette opposition sourde et hargneuse qu’un succès de quelque importance aurait convertie en une hostilité déclarée. Celui de Paris, sous prétexte d’une violation de prérogative, s’était refusé à enregistrer les arrêts du conseil par lesquels les adhérens de Monsieur étaient déclarés atteints du crime de trahison et de lèse-majesté.

Comment s’étonner de ces résistances, lorsque la couronne était portée par un roi valétudinaire alors sans postérité, à la vie duquel des pronostics réputés infaillibles assignaient un terme prochain ? Quel général n’eût hésité à faire usage de ses armes ? quel magistrat n’eût tremblé sur ses fleurs-de-lis en apposant sa signature à un acte dirigé contre l’unique héritier du trône ? Du côté de Monsieur, Richelieu seul avait brûlé ses vaisseaux, seul il résistait à la mère et au frère du monarque avec toute l’énergie que le désespoir met au service de l’ambition. Pour contenir l’aristocratie de cour et la haute magistrature réunies dans une opposition commune, il divisait les attributions, multipliait les offices, élevait ses créatures à de surprenantes fortunes. Comme tous les chefs de gouvernement dans les temps de révolution, il avait pour maxime d’établir « le plus possible de gens nouveaux, parce que l’intérêt qu’ils ont au temps présent est la meilleure caution de leur fidélité[15]. » Ces hommes obscurs, qu’il faisait siéger au conseil d’état, sur les bancs des enquêtes, dans les chambres des comptes, qu’il envoyait comme agens diplomatiques dans toutes les cours de l’Europe, devenaient ses espions, ses commissaires, ses juges, et au besoin ses bourreaux. Liés étroitement à sa fortune par l’intérêt même de leur conservation, ils trouvaient en lui seul leur sécurité et leur garantie. Aussi ne lui firent-ils jamais défaut, lorsqu’à l’exemple de tous les pouvoirs menacés il éprouva la dangereuse tentation de suppléer à la force par la terreur.

Arrêté depuis deux années, le maréchal de Marillac attendait qu’il plût au ministre de faire statuer enfin sur des faits que les juges ne prenaient guère plus au sérieux que l’accusateur lui-même. Prisonnier politique, les circonstances seules devaient décider de son châtiment et de son crime. Or, ces circonstances étaient devenues terribles. L’Espagne se préparait à seconder Monsieur, et l’émigration était en armes sur les frontières. Il fallait, en portant un coup audacieux, arrêter les défections imminentes, et séparer Louis de sa mère par un acte irrémissible. Richelieu réunit en conséquence, dans sa propre maison de Ruel, les juges donnés par lui à l’accusé, et leur déclara que l’état des affaires du roi exigeait qu’il prît la tête du maréchal. Il la fit couper froidement en place de Grève, après avoir eu soin d’engager la solidarité du roi par un refus formel de grâce. Danton n’a pas eu, pour justifier le 2 septembre, d’autres argumens que ceux du cardinal lorsqu’il lança cette tête comme un premier boulet contre l’ennemi.

S’il faut faire porter sur Richelieu la double responsabilité de cet assassinat politique et des injures prodiguées à sa victime dans l’écrit qui porte son nom, cet épisode de la vie du grand ministre serait un des plus compromettants pour sa mémoire ; mais ce passage n’est pas du nombre de ceux où sa main se fasse reconnaître, et, à la bassesse de ces accusations accumulées qui ne ménagent pas plus la naissance de Marillac que son cœur de militaire et sa probité, il est trop facile de reconnaître l’œuvre d’un subalterne chargé de calomnier les morts au profit des vivans. Nous avons déjà constaté que, dans le volumineux travail édité par M. Petitot, les quinze premiers livres seuls ont été écrits par Richelieu. Ceux qui suivent paraissent composés de notes émanées de divers rédacteurs, au milieu desquelles sont intercalés des mémoires originaux et des documens précieux préparés par le ministre pour le roi ou pour les plus secrètes délibérations de ce qu’on appelait alors le conseil étroit.

Cependant Gaston avait pénétré en France rempli de cette confiance toujours funeste aux proscrits. Les maréchaux de La Force et de Schomberg reçurent bien à regret l’ordre de s’opposer avec toutes les forces disponibles de la monarchie à la marche de l’héritier du trône. Placés entre les périls de l’avenir et un péril beaucoup plus immédiat et plus certain, ils se décidèrent pour la cause que le ciel avait secondée jusqu’alors, et qui avait à son service de si éclatantes récompenses et de si terribles châtimens. Monsieur, d’ailleurs, depuis son entrée dans le royaume, avait marché de faute en faute. Les étrangers réunis sous ses ordres incendiaient les villes, ravageaient les campagnes, et marchaient sans discipline comme à une victoire assurée. Au lieu de se cantonner dans les provinces de l’est, pour préparer dans l’armée des défections importantes, ce prince se dirigea par l’Auvergne sur le Languedoc, afin de profiter de la soudaine défection du duc de Montmorency et de la présence des huguenots. Cette résolution le perdit.

Le XXIIIe livre des Mémoires fait toucher au doigt toute la gravité de cette faute. On peut y voir sous un jour tout nouveau, et, il faut le dire, assez peu honorable, la conduite de la noble victime de cette insurrection. Ce livre nous montre Montmorency s’efforçant de tromper la cour et de se ménager avec elle, alors qu’il a déjà donné des assurances à Monsieur ; il réduit aux mesquines proportions d’un acte de faiblesse et d’imprévoyance un évènement dont on aimerait au moins à élever le principe jusqu’à la hauteur de la catastrophe qui le termine. En se jetant dans le midi, le duc d’Orléans changeait le caractère de son entreprise, car il en subordonnait le succès à l’éventualité d’un soulèvement des réformés. Dès ce moment, l’héritier de la couronne n’était plus que le continuateur décrédité de l’œuvre de Henri de Rohan ; il prenait le rôle toujours chanceux de chef de parti, au lieu de faire valoir des droits auxquels le plus léger incident pouvait donner ouverture.

M. de Montmorency était issu d’une race qui avait habilement ménagé ses intérêts particuliers dans l’ardeur des luttes religieuses du siècle précédent. Conséquent avec les traditions politiques de sa maison, il crut pouvoir ranimer au cœur des protestans le feu de la rébellion, en même temps qu’il assemblait de sa pleine autorité les évêques et les états de la province, pour les engager dans sa révolte par la perspective de redressemens à réclamer et de priviléges à conquérir. L’invincible obstination des protestans à repousser les offres les plus brillantes, pour se tenir en dehors de cette affaire, fit crouler ce plan par sa base. Les impressions de la campagne de 1629 étaient encore si vives dans le Languedoc, et la conduite de Richelieu en matière religieuse avait été si prudente et si habile, que les officiers protestans se montrèrent presque partout les plus fermes soutiens du gouvernement royal. Voyant que le dessein du gouverneur de la province était de soulever leurs coreligionnaires, au risque de les exposer à des vengeances terribles, « les ministres se crurent obligés, pour leur propre défense, dit Richelieu, de faire plus que tous les autres pour le service du roi. » Ainsi l’on vit le duc de Montmorency allant vainement de ville en ville et de consistoire en consistoire pour tenter la fidélité du peuple, et ne recueillant que d’injurieux refus, tant il est vrai que la puissance des idées ne survit point aux circonstances, et qu’en politique les anachronismes sont les plus dangereuses de toutes les illusions ! Le succès de l’insurrection était donc devenu impossible. Elle n’avait plus à tenter que les hasards d’une bataille, cette dernière ressource des causes compromises. Montmorency voulut y mourir. Entraîné par sa fougue et par la vue de l’abîme que son imprévoyance avait si tristement évoqué, il inonda les champs de Castelnaudary du sang héroïque des connétables mais le ciel en réserva le reste à l’inflexible justice de Richelieu.

L’exécution de l’arrêt rendu par le parlement de Toulouse fut le complément nécessaire de la politique du ministre. Richelieu commet un crime politique, lorsqu’il immole le maréchal de Marillac sous l’appareil d’une justice dérisoire ; quand il fait monter sur l’échafaud le chevalier de Jars, et que, résolu d’épargner sa vie, il se complaît à lui faire dévorer toutes les angoisses de la mort, le cardinal est cruel et lâche dans sa cruauté. Il n’est pas moins barbare lorsqu’il associe le jeune de Thou au supplice de son ami, et qu’il confond la non-révélation d’un attentat avec cet attentat lui-même. En frappant le duc de Montmorency, Richelieu consomme un acte tout politique, que l’état du pays imposait évidemment à la royauté. La clémence n’est un moyen de gouvernement qu’autant qu’elle est parfaitement libre. Épargner Montmorency après une trahison à laquelle il avait tenté d’associer les états même de sa province, c’était enseigner aux grands du royaume qu’ils pouvaient en pleine sécurité se lier au sort d’un prince assez puissant pour les protéger jusque dans sa défaite. C’était leur révéler, selon le mot heureux du cardinal, qu’en hasardant leur fortune pour le duc d’Orléans, ils la plaçaient à gros intérêt sans exposer le fonds. Cette résolution frappait d’un même coup les grands dans leur puissance et Gaston dans son honneur ; le ministre avait, en effet, la certitude que le sort réservé à Montmorency n’empêcherait pas l’accommodement si vivement imploré par le prince. Le plus sûr moyen de frapper au cœur un parti fut toujours de déshonorer son chef, et c’était atteindre ce but de la manière la plus complète que de faire tomber la tête du gouverneur du Languedoc en même temps que la clémence fraternelle du roi s’étendait sur l’instigateur de sa révolte, pour le rétablir dans ses honneurs et dans la jouissance de tous ses biens.

Presque tous les historiens ont rapporté, d’après Siri, la longue argumentation dans laquelle le cardinal expose au conseil avec une impartialité calculée les motifs sur lesquels on pouvait s’appuyer pour faire prévaloir ou le parti de la rigueur ou celui de la clémence ; mais la publication intégrale des Mémoires a révélé un fait moins connu. D’après le ministre, où suivant l’écrivain auquel il avait donné mission d’écrire, le roi seul aurait décidé l’exécution immédiate du noble condamné. L’auteur des Mémoires affirme que Richelieu opina pour la condamnation à mort sans commutation, avec déclaration royale portant que l’arrêt serait exécuté « à la première mauvaise conduite de Monsieur contre son devoir et la volonté de sa majesté. » Ici se révèle l’homme tout entier. Pour conquérir une importante garantie de plus, Richelieu n’hésite pas à violer tous les principes du droit et de l’humanité. Il prétend faire dépendre du fait d’un tiers l’exécution d’un arrêt criminel, et il ne lui répugne pas de préparer au condamné une position d’attente plus atroce que la mort même. Aux yeux du cardinal, la justice est absorbée par la nécessité politique, idée funeste qui est la grande tentation et la pierre d’achoppement de l’homme d’état. La mort du duc de Montmorency acheva l’œuvre de la soumission des grands, comme l’habile expédition du Languedoc et du Vivarais avait terminé la lutte contre les réformés. À partir de ce jour, la pensée de Richelieu ne rencontra plus d’obstacle, et, s’il eut à frapper, il faut reconnaître qu’il n’eut plus à vaincre. Aussi toute son attention se porte-t-elle sur l’Europe soumise alors à l’expérimentation de la politique vigoureuse qui lui avait si bien réussi à l’intérieur du royaume. De nouveaux débats avec Monsieur toujours suivis de conciliations à prix d’argent et du désaveu de ses complices, des négociations peu sérieuses avec la reine exilée pour préparer un retour que le cardinal est bien résolu à refuser, des intrigues de femmes et de mignons qui troublent la sécurité du puissant ministre sans le détourner jamais de ses desseins, de grands évènemens traversés par des misères, remplissent cette vie qui se confond désormais avec la vie même de son siècle.

La conspiration d’un favori comblé des bienfaits du prince et du ministre ne fut qu’un accident sans importance aux derniers jours de cette existence agitée. Un fat enivré de sa fortune, un homme de plaisirs, insolent envers son roi autant qu’ingrat envers son bienfaiteur, n’était pas de taille à reprendre avec succès des tentatives qui avaient échoué dans des conditions bien autrement redoutables. La conjuration de Cinq-Mars, étourdi sans tête et sans cœur, vendant son pays à l’Espagne et rouvrant à Gaston la voie de trahison où ce prince avait marché toute sa vie, fut un exemple de fascination et d’outrecuidance plutôt qu’un péril sérieux pour le royaume. Aussi, lors même que le favori était maître de l’oreille royale, Richelieu n’éprouva-t-il jamais le besoin de préparer des armes contre lui, bien assuré que la légèreté du grand-écuyer lui en fournirait de surabondantes. Le drame sanglant de la place des Terreaux n’était point nécessaire pour faire triompher un système moins menacé à cette époque par la force de ses ennemis que par l’obscurité de leurs intrigues. Plusieurs années avant la tentative du jeune d’Effiat, Richelieu assistait au triomphe et au développement de sa pensée. L’unité monarchique était fondée, le droit commun pesait sur les plus hautes têtes, et des pouvoirs incertains de leurs attributions, plus incertains encore dans leurs principes, s’étaient tous effacés devant l’éclat du trône. Les idées et les lettres se modelaient sur le type éclatant conçu par le ministre et qu’allait réaliser bientôt le fils de Louis XIII.

La fécondité inespérée de la reine parut associer la Providence elle-même à l’œuvre poursuivie à travers tant d’obstacles et assise au prix de tant de sang. C’est un curieux morceau que celui qui termine par le compte rendu de l’année 1638 les importans Mémoires dont nous avons essayé de faire connaître la substance. On dirait un ardent cantique d’actions de grace élancé vers le ciel, un Te Deum solennel entonné par le ministre d’une grande monarchie, au moment où Dieu donne au royaume un gage visible de sa protection, et où le souverain dépose sa couronne aux pieds de la Vierge protectrice de la France. C’est donc de ce sommet suprême de sa grandeur et de sa fortune que nous pouvons embrasser la combinaison de Richelieu, et apprécier la pensée politique destinée à combler le vide immense laissé dans les sociétés humaines par la chute de la hiérarchie féodale et la crise du XVIe siècle.

Les germes de mort que la monarchie absolue recelait dans son sein n’échappent aujourd’hui aux regards de personne, et par de là les éclatans succès du règne dont on voit poindre l’aurore, il est facile de pressentir la décadence d’une forme sans garantie et d’une pensée sans avenir. Si le règne de Louis XIV est le fruit du règne de Richelieu, si le grand roi est l’œuvre et comme la créature même du grand ministre, n’est-il pas également certain que Louis XIV prépara par l’extension du pouvoir royal la tempête qui faillit emporter toutes les monarchies ? Quelle garantie restait à la royauté contre ses propres entraînemens, quelle force trouvait-elle dans ses épreuves, quelles racines pouvait-elle pousser désormais dans le cœur et dans les intérêts des peuples ? En écrasant la réforme, Richelieu avait respecté la liberté de conscience, mais celle-ci ne serait-elle pas menacée lorsqu’une inspiration moins politique que celle du cardinal viendrait à prévaloir dans les conseils de la couronne ? En portant la guerre dans toute l’Europe, et en subventionnant presque tous les princes du continent, Richelieu avait su fonder et maintenir le crédit public ; mais quelle garantie lui serait donnée, et quelle puissance pourrait le protéger contre les audacieuses spéculations d’un Law ou les mesures spoliatrices d’un Terray ? Dans ses transactions diplomatiques, Richelieu s’était, pendant près de vingt ans, inspiré d’une même pensée ; mais quel cabinet saurait garder ces hautes et fermes traditions dans une cour où le bon plaisir faisait seul les ministres ? Quel pouvoir serait assez fort pour empêcher Dubois de vendre son pays à l’Angleterre, et les maîtresses d’un roi dissolu de décider souverainement de la guerre et de la paix ? Les parlemens avaient perdu une partie de leur indépendance ; les libertés municipales et celles des provinces avaient disparu avec les remparts des villes et les donjons seigneuriaux. Les classes bourgeoises, pour puiser de la force contre l’aristocratie de cour, tendaient à se confondre avec la démocratie elle-même, tandis que la noblesse abattait ses futaies et laissait tomber ses châteaux pour venir faire figure à Versailles. Un seul pouvoir se dressait donc contre la royauté, celui de l’opinion publique, pouvoir dangereux lorsqu’il est sans interprète, et qui prépare les révolutions en rendant les transactions presque toujours impossibles. Rien de tout cela n’est douteux, et Richelieu verrait, aujourd’hui tout aussi distinctement que nous le côté faible de son œuvre. Mais pouvait-il pressentir ces conséquences éloignées, et jusqu’à quel point devait-il se refuser à fonder le présent par la crainte de compromettre l’avenir ?

Toutes les révolutions sont logiciennes, et l’on espérerait vainement les arrêter dans le cours de leurs inflexibles syllogismes. Richelieu visait au plus pressé, et, la vue obscurcie par la fumée du combat, il ne découvrait que les obstacles qu’il avait en face de lui. Aucun de ses contemporains ne paraît avoir eu des prévisions plus lointaines ; car, de tous les esprits éminens du XVIIe siècle, le saint instituteur du duc de Bourgogne est le premier écrivain qui ait essayé de formuler pour la France un plan de réorganisation politique. On a vu, par le spectacle des temps antérieurs à l’avénement du cardinal, combien peu la haute aristocratie avait le goût et l’instinct des réformes sérieuses : la fronde montra également jusqu’à quel point les classes bourgeoises étaient alors dénuées de patriotisme et d’esprit politique. Sous la régence d’Anne d’Autriche, les parlementaires firent une campagne non moins factieuse et non moins stérile que celle des grands sous la régence de Marie de Médicis. Ils abdiquèrent promptement la direction du mouvement suscité par eux, et le conseiller Broussel s’effaça vite devant le prince de Condé venant livrer à la suprématie monarchique un vain et dernier combat. Parlemens, noblesse, provinces, villes et corporations, chacun tirait à soi dans la vieille France : deux forces pouvaient seules rattacher à un centre commun ces membres épars d’un grand corps, la royauté ou la révolution, les idées de Richelieu ou celles de la constituante.


Louis de Carné.
  1. Voyez la livraison du 1er novembre.
  2. Mémoires de Richelieu, liv. XVI.
  3. Traité de Paris du 5 février 1626.
  4. Testament politique, chap. IX, sect. 6.
  5. Testament politique, chap. IX, sect. 5.
  6. chap. IX, sect. 7.
  7. Considérations sur le gouvernement de la France, chap. V, art. 7.
  8. On trouve sur ce point de curieux détails dans un travail récemment publié par M. Thomassy : Des Relations politiques et commerciales de la France avec le Maroc, 1 vol. in-8o ; Arthus Bertrand, 1842.
  9. Journal de Bassompierre, t. II. — Levassor, t. V, liv. XXIV.
  10. On peut comparer sur ce point la diffuse défense de Chalais, présentée par Levassor, aux imputations passionnées du cardinal. — Histoire du règne de Louis XIII. t. V, première partie, et Mémoires de Richelieu, liv. XVII.
  11. Un long mémoire, écrit par Richelieu lui-même pour déterminer le roi à rejeter le pourvoi en grace, contient le passage suivant, où l’ame du cardinal se révèle tout entière : « Tacite dit que « rien ne conserve tant les lois en leur vigueur que la punition des personnes desquelles la qualité se trouve aussi grande que les crimes. Châtier pour des fautes légères marque plutôt le gouvernement de cruauté que de justice, et met le prince en haine, et non en respect. Et quand on ne châtie que des personnes de basse naissance, la plus noble partie se rit de telles punitions, et les croit plutôt ordonnées pour les malheureux que pour les coupables. » Que si l’exécution tombe sur ceux dont les qualités sont aussi connues que les crimes, le crime diminue la compassion de la peine, et la qualité ôte aux autres la volonté de se perdre, parce qu’il ne leur reste aucune espérance de se sauver. Votre majesté trouve en cette rencontre ces deux conditions :

    « Les prisonniers appartiennent de près aux plus illustres maisons de ce royaume. L’un d’eux a rompu vingt-deux fois les édits, c’est-à-dire autant de fois qu’il a hasardé sa vie il a mérité de la perdre. Leurs crimes sont si publics, que nul ne peut improuver le châtiment, et l’extraction si bonne, qu’en ne leur pardonnant pas, vos édits seront dans un éternel respect.

    « Les grands qui ont entrepris de les sauver pourraient imputer leur salut à leur instantes sollicitations plutôt qu’à votre bonté, et eux-mêmes seraient capables de leur rendre plutôt hommage de leur vie qu’à votre majesté, qui serait le vrai et seul auteur de leur grace.

    « Il est question de couper la gorge au duel ou aux édits de votre majesté.

    (Mémoires de Richelieu, liv. XVIII.)

  12. Dans son mémoire adressé au roi d’Espagne, Clauzel prévoyait le cas possible du triomphe absolu de la république méridionale des huguenots : « Si M. de Rohan et ceux de son parti peuvent devenir assez forts pour se cantonner et pour former un état particulier, en ce cas ils promettent la liberté de conscience et le libre exercice de leur religion aux catholiques, lesquels jouiront de tous leurs biens présens et à venir, et ne seront pas plus chargés que les autres des impôts et des taxes. Les ecclésiastiques, les religieux ou religieuses seront maintenus dans leurs honneurs et dans leurs dignités ; les catholiques entreront dans les magistratures ; il y aura égalité de justice partout, et les catholiques seront admis dans les parlemens, chambres de comptes, présidiaux, sénéchaussées, et dans tous les offices de justice. Enfin ils seront conservés dans tous leurs biens, honneurs et dignités, comme ceux de l’autre partie, excepté en ce qui regardera la sûreté des deniers. » (Archives de Simancas, cot. A, 63, 81.)
  13. Mémoires de Richelieu, liv. XX, et Vie du cardinal de Richelieu, par Le Clerc, t. II, liv. III.
  14. Mémoires, liv. II, p. 66.
  15. Mémoires, liv. XXIII.