Monographie du patois de La Bresse

MONOGRAPHIE
DU PATOIS DE LA BRESSE
(VOSGES)

AVANT-PROPOS


Comme nouvelle contribution à la Société savante qui a bien voulu nous ouvrir ses rangs, nous apportons un travail d’amateur sur le dialecte patois de La Bresse (Haute-Moselotte), notre pays natal.

Pourquoi, en effet, nos archives scientifiques ne recueilleraient-elles pas le langage primitif aussi bien que l’histoire civile et religieuse, l’histoire naturelle, l’archéologie, les traditions et les usages de nos montagnes ? La linguistique ne mérite-t-elle pas, et n’a-t-elle pas acquis avec justice une faveur particulière, en ces derniers temps, dans la république des lettres et des sciences ? Or, on commence à s’apercevoir que les langues populaires sont des sujets aussi dignes peut-être de son attention que les langues littéraires et académiques, mais aussi qu’il ne faudrait pas moins de connaissances spéciales pour en faire une étude exacte at approfondie.

Malheureusement cette condition, aussi bien que celle d’une grande bibliothèque, nous a fait beaucoup trop défaut ; mais nous avons tâché d’y suppléer, autant qu’il était en nous, par une application soutenue à nous rendre compte le plus rigoureusement possible du beau langage où les souvenirs, chaque jour plus chers, de notre enfance et de notre jeunesse se sont pour ainsi dire incarnés ; et nous pensons qu’en cela notre patriotisme de clocher nous a bien servi ; nous osons prétendre avoir si fort remué dans tous les sens ce terrain vierge, avoir fouillé si minutieusement tous les coins et recoins de cette mine inexplorée, que nous aurons laissé peu à faire aux autres chercheurs qui voudraient amender une œuvre nécessairement défectueuse et la conduire à sa perfection.

Cette œuvre comprend dans son ensemble : 1° une grammaire complète ; 2° un vocabulaire également complet, dont la reconstruction nous a été facilitée par le concours intelligent et empressé de quelques compatriotes à qui nous nous faisons un devoir de rendre ici un hommage public de reconnaissance ; 3° enfin tout un volume de littérature.

Nous offrons seulement la grammaire à nos confrères de la Société philomatique, et nous les prions de l’accueillir avec plus d’indulgence encore que de curiosité.

J. HINGRE.




LE PATOIS DE LA BRESSE


NOTIONS PRÉLIMINAIRES


DÉLIMITATION GÉOGRAPHIQUE

La commune dont nous allons étudier le langage est située au cœur des plus hautes montagnes des Vosges, et confine aux vallées alsaciennes de Thann et de Munster du côté de l’Orient.

Le noyau primitif de la population s’y est établi dans le cours du VIIe siècle. Cette colonisation, partie des pieds du Saint-Mont, s’est avancée d’étape en étape, de hameau en hameau, de grange en grange[1], jusqu’aux sources de la Moselle et de la Moselotte, jusqu’aux plus hauts sommets qui séparent l’Alsace de la Lorraine. Dès le XIIIe siècle, La Bresse formait une communauté de 300 à 400 habitants, et se mettait en possession d’immunités et de privilèges qu’elle a conservés jusqu’à la Révolution, avec sa simplicité et ses usages traditionnels.

Il y aura eu propablement quelques infiltrations de la race alsacienne dans la population primitive, essentiellement gauloise, de ce pays frontière et relevant plus ou moins de seigneurs alsaciens à diverses époques du moyen âge ; mais il n’en est pas resté dans le langage de traces appréciables ; ou tout au plus un seul nom de famille, et peut-être une demi-douzaine de termes relatifs à la bûcheronnerie et à la marquairerie, que ces rares immigrants y venaient pratiquer.

ANCIENNETÉ ET ÉTAT DE CONSERVATION

Sans nul doute le patois actuel est foncièrement le même langage que celui des premiers habitants du pays. Mais dans quelle mesure s’est-il modifié durant cet intervalle de dix siècles ?

N’ayant pas la protection que l’écriture apporte aux mots d’une langue littéraire, ceux des langues populaires subissent beaucoup plus vite la contraction de leurs membres, l'usure de leurs angles, l’effacement de leurs aspérités et de leurs reliefs. Le bressau n’a pas pu échapper à la loi commune ; mais il y a mieux résisté que la plupart des autres patois. On peut croire que depuis un temps immémorial il était fixé et comme pétrifié dans les formes où nous l’avons saisi et photographié avant la mort prochaine qui le menace. Par une confrontation de détail avec le vieux français, prononcé comme il devait l’être plutôt que comme il est souvent écrit, on voit que notre patois s’est arrêté à peu près au même degré de condensation et d’usure.

Ce que nous disons de la forme des mots est également vrai de la grammaire en général, et de la syntaxe en particulier. Partout où il est en divergence grammaticale avec le français moderne, il se retrouve d’accord avec l’ancien et tous les autres patois.

Mais à travers cette constance de ses formes essentielles, toute langue vivante change plus ou moins son vocabulaire, soit en acquérant des mots nouveaux comme les objets qu’ils désignent ; soit en substituant par pur caprice des mots étrangers aux bons vieux mots traditionnels, réputés surannés et ridicules. La perte des vieux mots est toujours regrettable ; car ce sont les meilleurs ordinairement que la jeunesse et une sotte suffisance cherchent à démoder et à faire oublier. Quant à l’acquisition de mots nouveaux, elle ne peut qu’enrichir le trésor de l’idiome, mais à une double condition : la première, qu’ils soient au moins utiles, sinon nécessaires ; la seconde, que l’idiome jouisse d’une vitalité assez vigoureuse pour se les assimiler parfaitement et leur imprimer tout à fait son propre caractère.

Or le bressau n’en est plus là depuis une quarantaine d’années. Sans ombre de nécessité, il accepte toutes sortes de mots exotiques et les ingurgite sans les digérer. Soit mépris du passé et des choses locales, soit prétention puérile de paraître plus instruit, on rougit des termes qui n’existent pas dans les localités environnantes, on se moque des personnes qui persistent simplement à les employer, et on se fait gloire de les remplacer par d’autres tout disparates et de la plus misérable vulgarité. Délicieux parler de nos ancêtres, la nouvelle génération essaie de te franciser, de te civiliser, et n’aboutira qu’à faire de toi un mauvais jargon, un je ne sais quoi dont la perte définitive ne méritera plus aucun regret.

Une autre loi des langues populaires, c’est la nuance locale, la variation d’un groupe de population à un autre, ce que les Grecs appelaient le dialecte. Ainsi le picard et le normand vont se perdre dans le provençal, le rouchi ou wallon dans le gascon et le catalan, par des transformations presque insensibles et pour ainsi dire infinitésimales. Le bressau se nuance déjà à Cornimont et à Ventron, et va par degrés se fusionner à Dommartin et à Remiremont avec la branche collatérale qui descend, de Bussang à Rupt, la vallée de la Haute-Moselle. C’est pourquoi une foule de choses que nous aurons à faire remarquer sur notre dialecte ne lui sont pas exclusivement propres, et peuvent se dire pour beaucoup d’autres qui en sont plus ou moins éloignés. Comme nous l’avons pris avant le travail de décomposition auquel il est soumis depuis quelques années, de même nous le prenons soigneusement isolé de toute nuance voisine, et de toute dégradation étrangère, pur de tout alliage dialectal ; nous ne donnons qu’une eau de roche granitique puisée à sa source même.

DÉLIMITATION DIALECTALE

Le dialecte de la Haute-Moselotte appartient à la famille gauloise ou française du Nord ; mais il est entre tous ses frères de la langue d’oil celui qui se rapproche le plus de ceux de la langue d’oc. On chercherait vainement dans la grammaire des uns et des autres, y compris ce que le peuple appelle le gaulois, et les linguistes le vieux français, des divergences considérables ; ce par quoi le nôtre se distingue éminemment, c’est le phonisme et le vocabulaire. Ainsi il réunit toutes les articulations spéciales à chacune des langues romanes et germaniques[2], et il a conservé un système intégral d’aspirations des consonnes aussi bien que des voyelles, qu’on retrouve à peine essayé chez les plus favorisées.

Son vocabulaire abonde en vocables que les autres ont perdus ou n’ont jamais possédés dans un pareil ensemble ; et ses affinités avec les langues dites celtiques et les langues germaniques sont nombreuses et très frappantes. Enfin nous croyons qu’il surpasse tous les dialectes français par la vigueur de son caractère et l’originalité de sa physionomie.

PHONÉTIQUE, ANALYSE DES SONS ET ORTHOGRAPHE

Un patoisant croirait déroger, s’il n’appliquait pas, et toujours avec force expressions techniques, à l’objet particulier de ses études les théories de la linguistique contemporaine sur le français. Nous ne partageons pas ce scrupule ; et il nous semble que les remarques de quelque importance en cette matière peuvent se placer aussi avantageusement dans le cours du vocabulaire. Nous bornons donc notre tâche présente à bien exposer la prononciation de notre dialecte, à analyser exactement les sons qu’il comporte, et à figurer clairement par une orthographe raisonnée toutes leurs nuances et toutes leurs particularités.

VOYELLES

Les voyelles du bressau forment la série ordinaire : a, è, é, i, ò, ó, u, avec les deux subalternes eu et ou. Les sons également simples et voyelles au, ai, ei, ne sont que des répétitions : au de ó (o ouvert et long), ai et ei de è (e ouvert et bref), sous des signes orthographiques différents.

Nous ne donnons pas non plus une place particulière à l’e muet, puisqu’il ne s’entend pas du tout quand il reste effectivement muet, et qu’il retombe en è, ou en é, ou en eu quand il devient sonore, comme on l’expliquera plus loin.

Ainsi donc le bressau a les mêmes voyelles et les mêmes nuances de voyelles que le français. Passons-les rapidement en revue.

A

C’est la voyelle dominante de l’idiome, qui en reçoit une physionomie très ouverte et un grand éclat matériel. Elle termine un certain nombre de substantifs féminins qui font en français, et as, atis en latin, par exemple : bauta — beauté ; bonta — bonté. Elle fait l’infinitif de la plupart des verbes appartenant à la première conjugaison du français et du latin : chanta — chanter ; pwaula — parler, etc. Sous ce rapport le bressau égale pour le moins les patois méridionaux, et surpasse beaucoup le breton. Combien surtout il apparaît plus élégant que tant d’autres de la Lorraine et de la Champagne avec leur terminaison sourde et lugubre des mêmes verbes en eu.

Quant à chercher la correspondance de cette voyelle a avec les langues voisines, savantes ou vulgaires, et à formuler là-dessus des généralités plus ou moins spécieuses, ce serait une tentative assez vaine et fort illusoire. Chaque règle établie par l’étalage d’un certain nombre d’exemples verrait se dresser contre elle de nombreuses exceptions, ou contradictions, qui se répétant, elles aussi, sur une certaine étendue, constitueraient à leur tour autant de règles collatérales et donneraient finalement le tableau d’un merveilleux caprice. Et pour lui former un digne encadrement, on n’aurait qu’à suivre les modifications que les mêmes voyelles reçoivent dans les mêmes mots d’une localité à une autre ; par exemple, dans le mot terre, qui partant de La Bresse sous la forme tièrre, devient à Cornimont tiarre, et plus loin, tiēre, tieûre, tiaure, târe, têre, tēre, teûre, taure, tîre, etc., avant d’arriver jusqu’à Charmes ou à Rambervillers.

Il y a cependant quatre choses qu’il nous paraît permis et utile de signaler à ce sujet :

1° Le bressau contredit volontiers le français en mettant ai où celui-ci met a, et réciproquement ; le mot aifare—affaire en est un parfait échantillon. En cela le bressau est plus fidèle à l’ancienne prononciation, que le français a souvent changée par une affectation de mauvais goût et de mauvais effet.

2° Le bressau change assez souvent l’a en au, soit au commencement des mots, soit au milieu, jamais à la fin : aubile—habile, aupēti—appétit, brauve—brave (probe).

3° À peu d’exceptions près, la syllabe finale al se transforme en au : mau—mal, ètau—étal, pau—pal (bâton).

4° Quaud l’a est nasalisé en français, le bressau supprime la nasalité et change l’a en ò (o bref et ouvert) : —dans, ònaue—année. Il en est souvent de même de l’e qui, dans la syllabe nasale en, sonne en français comme un a, ainsi qu’on le dira tout à l’heure.

E

En bressau, comme en français[3] l’e sonore n’a que les deux nuances d’ouvert et de fermé ; et la quantité prosodique ne les modifie pas.

Dans la syllabe qui correspond à la nasale française en, le bressau se débarrasse de la nasalité, et change la syllabe en è au commencement des mots, en ò à la fin, et tantôt en ò et tantôt en òn’ au milieu, quand cette syllabe a l’accent tonique ; exemples : ètēre—entier, èveulmè—envenimer, essòne—ensemble, —dent, —vent, dèkhò—descends, dèpòce—dépense, ròte—rente, et dèkhòn’de—descendre, khòn’de—essendre, çòn’de—cendre. Ce dernier cas, où l’n se conserve, mais pour se transformer de nasale en consonnante, n’a lieu que quand la finale est de ou te.

Mais ce que nous avons surtout à montrer ici, c’est le rôle très curieux que l’euphonie impose à l’e muet intermittent dans ce dialecte.

À une exception près, qui sera signalée tout à l’heure, l’e muet de la syllabe finale des mots dits à terminaison ou rime féminine : substantifs, adjectifs qualificatifs, pronoms possessifs, différentes flexions des verbes, adverbes, prépositions, interjections, cet e, disons-nous, reste simplement muet, ne sert qu’à faire bien articuler et ressortir la consonne sur laquelle il repose et dort. Et quand la lettre d’appui est une voyelle, il produit sur elle un fort mouillement postérieur, une espèce de diphthongaison retournée d’avant en arrière ou renversée ; ainsi, par exemple, feumâe—fumée = feumaîlle ou feumâ-ye ; fiée—épicéa = fiéille ou fié-ye, etc. ; de même tous les groupes êe, èe, [illisible]e, ie, oe, ue, eue, oue, aue, aie, ò[illisible], etc.[4].

Partout ailleurs, c’est-à-dire : 1° dans les monosyllabes dont il est la voyelle : articles, adjectifs démonstratifs, pronoms personnels et démonstratifs, comme le, me, te, se, etc. ; 2° dans la syllabe initiale, mais atone[5], d’un mot quelconque ; 3° dans l’intérieur des verbes où il est la voyelle de la syllabe du radical ; 4° à la fin des mots quand il s’appuie sur deux consonnes (âbre—arbre, baikhte—bât), dans toutes ces positions il est intermittent, il dort ou il se réveille suivant des lois dictées par les exigences de l’organe vocal et de l’oreille avec la plus rigoureuse précision.

Ce phénomène est l’effet de deux lois phonétiques, qui tout à la fois se limitent et se complètent mutuellement : la première, qui tend à simplifier les articulations et à supprimer les sons inutiles pour la clarté de la phrase ; la seconde, qui ne permet pas d’articuler trois consonnes de suite sans interposition de voyelles sonores[6]. Soit la phrase suivante : el khcoûte lé tiènerre qué rûne khu lai montain—il écoute le tonnerre qui gronde sourdement sur la montagne ; si l’e de l’article le restait muet, on aurait une série de trois consonnes impossible à émettre, ou plutôt, à bredouiller : t’ l’ t ; de même en faisant muet l’e de que : r’ q’ r ; mais, que l’e de le et de que se réveille, la phrase redevient facile et coulante. Mettons cet e devant deux consonnes, et nous retomberons dans la même nécessité : ò wé lé hlêda dan que d’ouyé le tiènerre—on voit l’éclair avant que d’entendre le tonnerre ; il faut que l’e de l’article de hlêda parle pour éviter l’ h’ l’ ; mais il peut, et par conséquent il doit rester muet dans l’article de tiènerre, car il ne laisse, en s’éclipsant, que deux consonnes : l’ t’ à la suite l’une de l’autre. Soit au contraire cette autre phrase : ò-z-ouyi le lou que voûhi dò le bõ—on entendait le loup qui hurlait dans le bois ; il faut faire muet l’e du que relatif et des deux articles le, parce qu’il est absolument inutile et pour la clarté de la phrase et pour la facilité de la prononciation. Enfin dans cette phrase : i vourõ ẽte ca petira—je voudrais être encore petit, l’e de petira peut et doit rester muet ; mais si on la modifie ainsi : i vourõ ca ẽte pétira, il doit parler pour ne pas laisser t’ p’ t en contact immédiat.

Quand cette loi d’euphonie ne fait pas apparaître un e sonore là où nos habitudes nous font préjuger qu’il existe un e muet, c’est que effectivement celui-ci n’existe pas. Ainsi, à la vue de rvéni—revenir, on présumerait assez naturellement que rv devrait être rev en réalité ; et ce serait une erreur ; pour prononcer cette phrase : elle revient en bon bressau, il faut dire : elle érviè ; il faut mettre un e sonore (réveillé), non pas après r, mais devant ; réviè n’est pas un mot de l’idiome.

En se réveillant, l’e muet sonne ou bien é, ou bien è, ou bien eu, sans que l’une ou l’autre différence puisse être laissée à l’arbitraire : 1° il sonne é dans les deux premiers cas d’intermittence marqués plus haut, c’est-à-dire, dans tous les monosyllabes dont il est la voyelle, et dans les mots où il est la voyelle de la syllabe initiale : le, me, tepi (pot)—tépi, bedu (perdu)—bédu ; 2° il sonne è dans l’intérieur des verbes où il est la voyelle du thème : moukhena (= moukhna) moissonner, i moukhenè (= moukhnè)—je moissonne, té moukhène—tu moissonnes ; ène alande grauheli (= grauhli) khu l’òrêre di ta—une hirondelle gazouillait sur le bord du toit, ène alande grauhèle—une hirondelle gazouille ; 3° il sonne eu, quand étant la voyelle d’une syllabe finale appuyée sur deux consonnes, il est suivi d’un mot qui commence encore par une consonne ; ainsi on dira bien : in âbre esseulè — un arbre creux comme un cylindre, mais l’e final d’âbre doit devenir sonore et sonner eu dans cette autre position : in âbre (= abreu) hlênè—un arbre élancé[7] : in prókhte auhanun gilet aisé, in prókhte (= prókhteu) biè-n-auhan—un gilet bien aisé.

Comme la troisième personne du pluriel du présent de l’indicatif et du présent ou imparfait du subjonctif fait toujours entendre la syllabe te ou simplement t’ derrière la syllabe du thème : el pwaulte—ils parlent, qu’el pwauléste—qu’ils parlent ou parlassent ; en vertu de la loi dont il s’agit, ce te final fera toujours teu quand le mot suivant commencera par une consonne : el rtòn’te ène piére—ils retournent une pierre ; el rtòn’te (= rtòn’teu) ló fwò—ils retournent leur foin ; el pwaulte essòne—ils parlent ensemble ; el pwaulte (= pwaulteu) giraumm’hê—ils parlent giraumé ; qu’el pwauléste (= pwaulesteu) cwòn’hè—qu’ils parlent cornimontais.

Toujours en vertu de la même loi, et aussi en vue d’éviter une fâcheuse homophonie, dont il sera rendu compte à propos des pronoms personnels, ceux-ci placés après le verbe comme sujets ou comme régimes, se prononcent encore meu, teu, seu au lieu de mé, té, sé, si le verbe finit par une syllabe en e muet : aipwôte-te (= teu) mas róbe—apportes-tu mes habits ? mwòne-me (= meu) hau—mène-moi en haut ; bóte-le (= leu) bai—mets-le en bas. Mais comme il s’agit ici, soit d’éviter une suite de trois consonnes, soit aussi d’écarter certaines homophonies d’un mauvais effet pour l’oreille et pour l’intelligence tout ensemble, on maintient le son eu lors même que le mot suivant commence par une voyelle, et alors, exception unique, l’élision ne se fait pas : laikhe-te (= teu) ètiôre—laisse-toi enfermer, aitache-le (= leu) i khtâle—attache-le à l’écurie.

Cet e final devenu eu, a la valeur d’une voyelle sonore et permet à un autre e intermittent, venant à sa suite, de rester muet : el pròn’te (= pròneteu) le méyó—ils prennent le meilleur. Dans tous les cas, il est aussi faible et aussi bref que possible.

La métamorphose vocalique de l’e muet en eu, qui s’impose partout au français, dans l’élocution soutenue et dans la poésie, rend sa physionomie singulièrement terne et disgracieuse. Chez nous elle est exceptionnelle, et très rare en somme ; elle n’assombrit jamais le tableau[8].

I

Il conserve toujours le son qui lui est propre, même dans la syllabe nasale in ; il n’y devient pas ei, et la syllabe ne fait pas ein comme en français ; c’est tout simplement l’i pur nasalisé[9]. En vieux francais, in assonait très bien avec i. Le bressau poussant encore plus loin cette disposition, supprime souvent la nasalité, retranche l’n et ne garde que l’i pur ; exemple : chèmi—chemin, fi—fin, vehi—voisin, etc.

À peu près invariablement l’i prend la place de l’l dans les groupes bl, cl, fl, gl, pl ; de plus, le c devient alors t, et g devient d, forte pour forte, douce pour douce ; ce qui fait un assouplissement encore plus accentué qu’en italien ; exemple : bian—blanc, it. bianco ; tiôre—clore, it. chiudere (= kioudere) ; fian—flanc, it. fianco ; dió (v. fr. glot), it. ghiotto ; pian—plaint(e), it. pianto, lat. planctus.

L’i remplace quelquefois l’u, comme dans imeûre—humeur, kime—enclume, etc., mais ce n’est qu’une ombre de ce que fait le dialecte voisin de Gérardmer.

O

L’o, comme l’e sonore, a les deux nuances ordinaires d’ouvert et de fermé ; la quantité prosodique n’y change rien.

Nous dirons plus loin par quels accents orthographiques nous exprimons les différentes sortes d’e et d’o.

U

Le bressau répugne encore plus que le français à mettre cette voyelle au commencement des mots ; il la fait ordinairement dévier vers i, et surtout vers eu ; exemple : eusaige—usage, etc.

De même que l’i, quand il est nasalisé, il garde le son qui lui est propre, ne fait pas eu, et la syllabe un ne se modifie pas en eun. Du reste, les sous-voyelles eu et ou ne se nasalisent jamais.

W

Cette voyelle-consonne se prononce vou : 1° au commencement des mots ; 2° au milieu, entre deux voyelles ordinaires ; 3° à la même place, après les consonnes liquides l, m, n et r. En toute autre position, elle se prononce ou, ne laissant pas entendre sensiblement le v. Elle n’est jamais employée que pour diphthonguer la voyelle dont elle est toujours suivie. Nous l’avons adoptée comme très avantageuse pour éviter des accumulations de voyelles qui troublent la vue et gênent la prononciation.

Y

L’y n’est qu’une semi-voyelle, remplaçant l’i pour diphthonguer : 1° l’i lui-même ; 2° une voyelle quelconque déjà précédée d’une autre ; exemple : wadyi—verdoyait ; rqwéyé—rechercher.

Lorsque l’y se place ainsi entre deux voyelles pour diphthonguer ou mouiller la seconde, si la première est un a, il ne la change pas en ai, comme le français dans pays, payer, etc. ; il lui laisse le son d’a sans nulle altération ; on prononcera donc pwayé—payer comme s’il était écrit pwa-yé ; hayan—haïssable, comme ha-yan.

L’y s’emploie encore en qualité d’euphonique entre deux voyelles sonores, dont l’une finit le mot précédent et l’autre commence le mot suivant, et fait alors sur celle-ci l’effet d’une parfaite diphthongaison ; exemple : pwaula ai-y-in òme, ai-y-ène fòme—parler à un homme, à une femme, se prononce comme s’il y avait : yin, yène ou iène.

Puisque l’y est toujours auxiliaire, il ne doit plus servir à exprimer le pronom et l’adverbe français y, où il prendrait un rôle indépendant et absolu ; ce mot s’écrira simplement i, comme en v. français.

EU, OU

Ces deux sous-voyelles ont des sons aussi simples que les voyelles primaires, bien qu’elles soient composées de deux lettres sur le papier. Il est impossible d’y entendre des diphthongues, et ce serait tromper complètement le lecteur que de les donner pour telles, de les appeler de ce nom.

AU, AI, EI

Ces trois graphismes sont purement et simplement de doubles emplois. Au est identique à ó (o ouvert et long), et ai, ei à è (e ouvert et bref). Nous aurions pu les exclure du terrain neuf sur lequel nous travaillons ; mais nous cédons à l’exemple du français, parce que nous n’y voyons pas de sérieux inconvénient.

DIPHTHONGUES

Les quatre voyelles a, e, i, o se diphthonguent soit par i, soit par w ; les sous-voyelles eu et ou ne se diphthonguent que par i ; l’u ne se diphthongue d’aucune manière.

On peut y joindre la diphthongaison inverse ou renversée produite par l’e muet sur une voyelle antécédente : ae, èe, ie, ue, eue, oue, etc.

La diphthongaison par i, y, et celle que produit l’e muet, reviennent à un simple, mais fort mouiilement. On ne saurait dire la même chose de la diphthongaison par w. Celle-ci n’existe pas en français, mais elle caractérise tout particulièrement l’italien et l’espagnol, aussi bien que notre idiome vosgien. Cependant le français cherche à s’en rapprocher par la prononciation moderne de la syllabe oi ; la prononciation ancienne était beaucoup plus étroite, et elle se retrouve à peu près dans , qui est celle du bressau ; fwé—foi, bwé—boit ; on prononce un peu moins étroitement les mots empruntés au français : loi, voix, etc.

Le bressau n’admet pas la diphthongue française ui ; il la réduit ordinairement à u ; exemple : condûre—conduire, lûre—luire ; et quelquefois à i, exemple : bi—buis ; quelquefois à eu, exemples : eûte—huit, peû—puits, keûte—cuite, etc.

CONSONNES

Les consonnes b, c, d, f, g dur, k, l, m, n, p, q, r, s, t, v et z s’articulent à la française. Nous conservons l’usage de faire sonner le c doux comme l’s dure, et l’s douce comme le z ; c’est un sacrifice à la mode que nous ne faisons pas sans regret.

Le ch, le g doux et le j, l’h et le kh ont des articulations étrangères qui demandent une explication toute spéciale.

CH

Cette consonne graphiquement composée, essentiellement sifflante en français, est au contraire explosive en bressau comme en anglais et en espagnol. On peut en figurer l’articulation d’une manière assez exacte par tch[10]. C’est encore la même que celle du c devant e et i en italien.

Cependant ch reprend l’articulation sifflante du français lorsqu’il est suivi d’une autre consonne sans interposition sensible d’une voyelle. Dans cette phrase : aitale nóte chévau—attèle notre cheval, le ch de chévau se prononce d’une manière explosive, tch. Dans celle autre phrase : aitale lé chevau—attèle le cheval, ch se prononce à la manière sifflante française, parce que l’e de che rendu muet par l’e réveillé de l’article , est comme s’il n’était pas et donne en réalité chvau.

G doux et J

De même que le ch, ces lettres sifflantes en français, sont encore explosives en bressau, comme en anglais, et comme le g devant e et i en italien. On peut les figurer approximativement par dge, dgi, dj, sauf qu’en réalité le d ne s’entend pas.

Ils reviennent à l’articulation française dans le même cas que le ch, c’est-à-dire, devant une autre consonne qui suit immédiatement. Prononcez donc g à l’anglaise, à l’italienne dans cette phrase : mingé âque— manger quelque chose ; prononcez-le à la française dans cette autre : minge té pain—mange ton pain.

La cause physiologique de ces modifications du ch et du g doux ou j, c’est l’éloignement trop grand qu’il y a entre la position mécanique prise par l’organe vocal pour articuler ch ou j explosif, et celle à prendre pour articuler toute autre consonne immédiatement, sans transition de l’une à l’autre par une voyelle sonore.

H et KH

Lorsque le souffle vocal, en s’exhalant de la poitrine, produit un frôlement sensible, mais doux, sur les parois du larynx, et s’échappe de la bouche sans recevoir aucune autre modification particulière ni du palais, ni des dents, ni des lèvres avec le concours de la langue, il constitue l’aspiration gutturale, qui s’écrit par l’h aspirée. Lorsque ce frôlement est reporté, avec le souffle vocal, à la surface du palais, où il augmente notablement de vivacité et de rudesse, il donne l’aspiration, ou mieux, la spiration palatale que nous écrirons par kh. Lorsque le souffle vocal prend sa modification spécifique, soit 1° en allant se heurter contre l’extrémité antérieure du palais, soit 2° en passant avec un effort strident entre les deux cloisons dentales, que les lèvres laissent un peu à découvert, soit 3° en faisant le même effort et en produisant un effet analogue entre les lèvres ramenées sur les dents et rapprochées l’une de l’autre, il ne constitue plus que des sifflements, les premiers écrits par ch, g doux et j français, les seconds par e doux, s, x, z, les troisièmes par f et v. Ils diffèrent tous sensiblement des aspirations du palais et du gosier. À mesure que la modification consonnante du souflle vocal marche de l’intérieur à l’extérieur, elle perd de sa profondeur et de sa douceur pour devenir plus légère et plus stridente. L’aspiration gutturale, la plus profonde et la plus douce, est l’aspiration par excellence ; c’est, pour ainsi dire, une exhalaison de l’âme dans la parole vivante et vivifiante. La spiration palatale tient le milieu et fait la transition entre l’aspiration gutturale et les sifllements extérieurs, et réunit toutes les qualités phoniques de ceux-ci et de celle-là. Elle est peut-être de tous les phonismes le plus parfait et le plus beau.

Les langues privées de l’une et l’autre aspirations peuvent faire entendre à l’oreille un fort joli gazouillement ; elles ne font pas sentir à l’âme ce qui donne le plus de vie réelle et d’animation intime à la parole humaine. Et le français en est là. Il n’a probablement jamais connu la spiration palatale ; et aujourd’hui il n’a même plus la force d’émettre l’aspiration gutturale, et son h aspirée n’est plus qu’un souvenir, un signe vide et trompeur.

Le bressau possède et maintient l’aspiration gutturale et la spiration palatale en pleine vigueur ; il en tire même son caractère le plus frappant. D’abord il aspire de l’une et de l’autre toutes les voyelles en toutes positions ; ce qui lui est commun avec la plupart des langues indo-européennes[11] ; mais ce qui lui est particulier entre beaucoup de celles-ci, c’est d’aspirer encore toutes les consonnes, moins toutefois les sifflantes f et v, c doux, s, x et z et ch français, par la raison que f et v s’articulent trop loin du gosier et du palais, et que c doux, s, x, z, ch et j français ont avec les aspirations une telle affinité qu’ils leur cèdent la place très souvent.

Selon les rapprochements physiologiques, l’aspiration des consonnes douces b, d, g (doux et dur), j et w se fait par le gosier ; l’aspiration des consonnes fortes c dur ou k ou q, p et t se fait par le palais ; celle des liquides ou moyennes l, m, n, r se fait indifféremment des deux manières. Et ces aspirations saisissent leurs consonnes directement, sans préparation, au commencement des mots tout aussi bien qu’au milieu[12], comme on peut le voir par des exemples pris dans chaque catégorie.

Douces b, d, g, j, w aspirées par h : hboûla—ébouler ; èhbwa—gourmand ; hdôna—étourdir par une chute sur le dos ; dèhdôna—faire passer cet étourdissement ; hgóta—égoutter ; érhguînè—observer avec trop d’attention et en dessous ; hjada—gambader ; érhjada—recommencer à gambader ; hwauda—crier joyeusement iou ! iou ! ; dèhwaula—démancher.

Fortes c dur (ou k, ou q), p, t aspirées par kh :

Khcâfe—coque, coquille ; dèkhcalbeuché—couper les tronçons de branches et les nœuds d’un arbre ; khqwâre—équerre ; s’aikhkeuché—se précipiter en avant ; khparle—éclisse ; dèkhpilè—ôter la graine de la gousse ; khta—goutte qui tombe ; raijókhton—complément ajouté.

Liquides ou moyennes l, m, n, r : 1o  aspirées par h : hlêre—choisir ; Anhla—trisaïeul ; hmeûre—mettre en mouvement ; tóhmâ—tout jamais ; hniêe—troupe, nuée ; aihnóyé—agenouiller ; i pérhrâ—j’aimerai.

2o  Liquides aspirées par kh :

Khlanda—répandre ; poukhla—cochonnet : khmiquè—flairer ; rèkhmèlè—ressemeler ; khnâquê—maigre, sec et mal porté ; dèkhneûquè—déprendre d’une affection matérielle et grossière ; poukhra—martin-pêcheur,

L’affection de l’idiome pour ces aspirations est si grande qu’il les substitue sans cesse, la gutturale à l’s douce, au g doux et au j, la palatale à l’s dure et à ch français : poûhon—poison, hnó—genou, hmê—jumeau, poukhon—poisson, khneille—chenille, etc. Partout où les autres langues préfixent à un mot commençant par une consonne la préposition ex ou ses abréviations e, s, le bressau change celle-ci en h ou en kh suivant les affinités physiologiques : en d’autres termes, là où les autres langues sifflent leurs consonnes le bressau les aspire.

Ce phénomène de l’aspiration des consonnes apparaît comme un vestige dans beaucoup d’autres langues. Ainsi l’allemand aspire quelquefois le t, mais au milieu des mots seulement : acht, hecht, richten, etc. ; le grec ancien aspirait l, n et th au commencement de quelques mots, par le palais seulement, et r des deux manières ; les langues slaves ont aussi quelque chose de semblable ; mais nous doutons qu’il existe beaucoup de langues montées sur un système aussi universel et aussi parfait[13].

NASALITÉ

Le bressau ne nasalise pas l’e fermé (é), ni l’o ouvert (ò, ô), ni par conséquent au qui a un son identique à ô, ò, ni enfin les sous-voyelles eu et ou, ce pourquoi il ne transforme pas un en eun comme fait le français. En général la nasalité n’altère pas le son propre de la voyelle qu’elle affecte.

Toute m et toute n qui n’est pas suivie d’un e muet ou d’une apostrophe est simplement nasale et nullement consonnante.

ORTHOGRAPHE

Nos patois n’ont pas de littérature écrite ; et ce que l’on en a écrit ne l’a jamais été avec une orthographe sérieusement raisonnée ; ce terrain est donc pour nous aussi neuf et libre que possible.

La Société de Linguistique de Paris recommande fort aux patoisants l’orthographe phonétique, laquelle doit reproduire les mots comme ils se prononcent, mais d’après un alphabet soigneusement déterminé. Par contre, tous les patoisants lorrains qui nous ont précédé, emploient systématiquement l’orthographe française, et souvent encore en outrent le gâchis.

Une littérature immense et souveraine ne permet pas une amélioration radicale, si désirable qu’elle soit, de l’orthographe française ; mais nos patois sont bien dégagés d’une pa-

reille entrave ; ils ne sont, à plus forte raison que toute autre langue écrite ou littéraire, et ne peuvent être que ce qu’ils résonnent dans la bouche de l’orateur et à l’oreille de l’auditeur.

On prétend que l’intérêt étymologique requiert cette contradiction perpétuelle entre la prononciation et l’écriture ; intérêt bien spéculatif en vérité, et trop souvent présumé, trop souvent faussé ; mais en quoi cet encombrant intérêt est-il compromis par l’orthographe italienne, espagnole, allemande, et beaucoup mieux servi par l’anglaise et la française ? Car ces dernières le sacrifient sans cesse à leur caprice, autant qu’à la nécessité.

Les patoisants lorrains nous mettent sous les yeux certains échantillons d’orthographe phonétique pour nous prouver qu’elle nous peindrait nos jolis patois sous les formes les plus grotesques, les plus affreuses et les plus inintelligibles. En effet, ces échantillons ne sont que des caricatures, où les mots, écrits avec les choix de lettres les plus fantaisistes, les plus invraisemblables, ne sont pas même analysés et démêlés les uns d’avec les autres. Mais n’est-ce pas retomber aussi dans la pure caricature que d’écrire, par exemple, la troisième personne de l’indicatif présent du verbe être : ast, ost, au lieu de a, o, sous prétexte que le français l’écrit est (pour prononcer è), et en mémoire du latin est, qui du moins se prononçait est’, ou de l’allemand ist, qui, lui aussi, se prononce ist’ ?

Et qu’arrive-t-il de là ? C’est qu’après avoir montré ce signe trompeur, on est obligé de l’écrire de nouveau pour le corriger et pour en indiquer la prononciation. Le signe rectificatif, qui est le véritable, n’était-il pas le seul dont il fallait se servir ?

Donc, après avoir longtemps pesé les raisons pour et contre ; après avoir constaté l’impossibilité de faire un triage rationnel des mots où l’on pourrait conserver l’orthographe prétendue étymologique, sans tomber dans toutes sortes d’inconséquences inévitables et dans une confusion universelle, nous nous sommes arrêté à l’orthographe phonétique la plus sévèrement raisonnée tout à la fois et la plus mitigée.

Nous prenons pour base l’alphabet du français avec les différences indispensables, et nous en suivons l’orthographe le plus près que la vérité vocalique et consonnante nous le permet. Entre deux manières d’écrire un mot également justes sous ce dernier rapport, nous prenons toujours celle à laquelle un lecteur français est habitué.

Avec cette précaution essentielle, jointe à une analyse et à un distinction parfaite de tous les mots, surtout des particules, et si on veut bien ne pas oublier la recommandation instante de les écouter en les lisant, nous espérons que nos textes seront aussi intelligibles à tout le monde qu’avec une orthographe panachée à la française, et auront le grand avantage de se faire prononcer sans erreur grave par tous les étrangers.

L’orthographe strictement phonétique n’admet pas de lettres parasites, c’est-à-dire, qui ne se prononcent jamais, ou ne sont pas nécessaires pour indiquer la vraie prononciation. C’est pourquoi : 1° nous n’ajoutons pas au pluriel des substantifs, des adjectifs et des pronoms de la troisième personne el—il, ils, l’s française, qui ne s’y fait jamais sentir ; et il en est de même aux personnes plurielles de la conjugaison. 2° Nous éliminons à la fin des mots toute autre consonne qui ne s’y prononcerait pas ; exemple : —temps, —jour, —paix, cwâ—couard, dekhu—dessus, gran—grand ; et la consonne qui doit se prononcer à la fin d’un mot est toujours suivie de l’e muet ; exemple : aimoure—amour, òneûre—honneur, ôre—or (métal), soudâre—soldat ; d’où il suit qu’une rime féminine pour l’oreille et dans la réalité, n’est pas masculine pour l’œil, ce qui fausse énormément la versification française. 3° Nous ne maintenons le redoublement d’aucune consonne à l’intérieur des mots, excepté : 1° de l’r pour marquer la longueur prosodique d’une syllabe : tierre—terre, tiènerre—tonnerre ; et 2° de l’s pour marquer qu’elle est dure et non douce entre deux voyelles : pòssa—penser, dèpoûssa—épousseter ; mais nous écrivons òme—homme, fòme—femme, aitòn’de—attendre, baite—battre, alwate—alouette.

Nous ne comprenons pas parmi les parasites, les lettres, au nombre de trois, qui ne le sont que par accident et par intermittence. Si on ne les écrivait pas quand elles dorment, on infligerait à l’orthographe des mots, la plupart monosyllabiques, où elles se rencontrent, une variation continuelle, d’un effet beaucoup plus fâcheux que celui de leur conservation momentanément muette et superflue. Du reste, il est très facile de retenir les règles très simples de leur intermittence.

La première de ces lettres est l’e muet, dont le jeu a été expliqué précédemment, et dont il faut en toute hypothèse indiquer la présence.

La deuxième est l’s finale des articles, des adjectifs possessifs et démonstratifs, et des pronoms au pluriel. Comme en français, elle se tait devant la consonne initiale du mot suivant, et elle résonne en s douce ou z sur une voyelle : las fòme—les femmes = lâ fòme ; las òme—les hommes = lâ-z-òme, etc.

La troisième est l’l du pronom personnel el—il, ils, soumise à la même intermittence et dans les mêmes cas que l’s des articles, adjectifs et pronoms pluriels dont il vient d’être parlé : el ta—il était = è ta ; el a—il est = èle a ou èl’ a ; el tête—ils étaient = è tête ; el airon—ils auront = él’ airon.

Enfin nous conservons toujours, bien qu’il ne se prononce jamais, le t de la conjonction et, parce que sans amener aucune difficulté ou confusion, il a l’avantage de distinguer cette particule de plusieurs autres en è pur, d’un usage très fréquent.

C’est ici le lieu d’expliquer le choix que nous avons fait de l’expression graphique kh pour la spiration palatale.

Au défaut du français, nous avons dû recourir à l’une ou à l’autre des langues où cette articulation est usuelle pour leur emprunter le signe qui s’accorderait le mieux avec notre alphabet. Et d’abord nous avons rejeté sans nulle hésitation le hh, imaginé tout à l’aventure par l’abbé Petin, et adopté de confiance après lui par les patoisants qui ont eu besoin de quelque chose d’équivalent. Selon toutes les conventions reçues, ce hh indique naturellement un renforcement effroyable de l’aspiration du gosier ; et, dans le fait, tous ces savants ou amateurs, M. Adam excepté, prennent le change sur la vraie nature de la spiration palatale et la donnent pour ultra-gutturale ; mais c’est une grave erreur ; et l’écrire par hh est un vrai contre-sens, autant qu’il peut y en avoir dans les choses de convention.

Aucune langue littéraire ne s’est trompée sur un point tout à la fois aussi élémentaire et aussi important.

Le grec écrit la spiration palatale par χ (khi), le latin par ch=kh (car le c latin est toujours dur), l’allemand par ch=kh, le breton par c’h=kh, le russe par Х (khâ), l’espagnol par x, par g doux et par j, une foule de langues orientales par kh, etc., etc.

Nous nous étions primitivement arrêté à l’x espagnol, d’abord parce que le son de cette spirante, comme le j fr., est assez voisin de la spiration du palais ; ensuite parce qu’il sonnait ordinairement de même en v. fr. austrasien, s’il est permis de le conclure du fait que tous les noms de lieux où l’x se rencontrait autrefois et se rencontre encore aujourd’hui, ont conservé cette prononciation en patois ; et cela nous paraissait d’autant plus acceptable que le bressau, non plus que le bourguignon, ne fait jamais entendre le son de l’x proprement dit. Mais les amateurs les plus compétents nous ont tous fait observer que le lecteur français aurait trop de peine à changer constamment une articulation à laquelle il est habitué, en une autre qui lui est si antipathique ; et que ce serait pour tout le monde une pierre d’achoppement.

D’un autre côté, nous ne pouvions pas songer au χ grec, tout à fait étranger à nos alphabets latins ; nous ne pouvions pas songer davantage au ch latin ou allemand, même avec le c’ marqué d’une apostrophe (c’h) comme en breton, à cause de l’emploi essentiel dont il est déjà pourvu ; mais il nous restait son strict équivalent kh, avec l’unique et minime inconvénient de n’avoir pas encore été usité autour de nous, ou d’avoir l’apparence d’une nouveauté. Sans doute un signe graphiquement simple comme le χ grec, le Х russe, l’xj espagnol, vaudrait encore mieux à tous les points de vue ; mais ce qui justifie le signe composé ch, kh, ce qui explique le choix qui en a été fait par tant de langues différentes, c’est que le c dur, k, venant se placer immédiatement devant l’aspiration gutturale, détermine une position de l’organe vocal qui la renvoie forcément au centre du palais, et la transforme ainsi en palatale. Et en effet, les personnes qui ne peuvent émettre cette articulation, suppriment par instinct le souffle caractéristique et se bornent au k. C’est ainsi qu’on prononce Zurik’ pour Zurich, Munik’ pour Munich, Kérès’ pour Xeres, Kédive pour Khédive, Tat-Ké pour Tat-Khé, etc. Cela suffit, ce nous semble, pour obtenir l’approbation de quiconque ne se refuse pas à entendre raison.

EUPHONIQUES

Nous les écrivons, à l’ordinaire, entre deux traits d’union, Les plus fréquentes sont y et z ; viennent ensuite d, n, t ; et enfin, mais rarement, l et r. Il est bien entendu que l’y euphonique ne compte pas pour une syllabe, qu’il ne fait que mouiller la voyelle initiale du mot suivant ; ainsi, ai-y-in-òme—à un homme = ai yin òme ; ai-y-ène fòme=ai iène fòme.

ACCENTS GRAMMATICAUX

Cinq espèces d’accents nous sont nécessaires pour marquer toutes les nuances de l’e et de l’o ; car sur ce point essentiel, nous ne voulons rien abandonner non plus au hasard, et par le fait même à l’erreur.

1o L’accent grave marque les e et les o ouverts et brefs : è, ò. 2o L’accent aigu marque les e et les o fermés et brefs : é, ó. 3o L’accent circonflexe ordinaire marque les e et les o ouverts et longs : ê, ô. 4o L’accent circonflexe grec marque les e et les o fermés et longs : ẽ, õ. 5o Enfin, le tréma marque l’e muet final que sa position syntactique accidentelle force à parler et à sonner eu : ë ; exemple : el cwórtë le dra-hau—ils courent en montant.

L’accent circonflexe sur â, î, û, eû, oû indique simplement que la syllabe est prosodiquement longue. Toute voyelle ou syllabe qui ne le porte pas est brève, ou moyenne.

ACCENTUATION, PROSODIE, HIATUS ET VERSIFICATION

L’accentuation comprend l’accent tonique (lequel n’est pas du tout l’accent orthographique), et l’accent oratoire. En bressau comme en français, l’accent tonique est toujours sur la dernière syllabe ou voyelle sonore. Quoique très prononcé et très énergique, il se laisse parfois infléchir par l’accent oratoire, qui est beaucoup plus libre et plus dominant.

La quantité prosodique différencie les syllabes en brèves, longues et moyennes. La brève représente l’unité de temps, unité instantanée, indivisible. La longue dure trois fois autant pour le moins, et quatre fois pour le plus. La moyenne prend de deux à trois temps ; c’est une syllabe nasale, qui serait brève, si la nasalité n’en allongeait pas forcément l’émission ; elle est toujours un peu plus longue à l’intérieur des mots qu’à la fin.

Jamais paysan ne commet de faute sur cette quantité prosodique, ni sur l’accentuation, ni sur les règles grammaticales et syntactiques de son langage, non plus que le petit peuple d’Athènes n’en commettait dans le sien.

L’hiatus ou choc d’une voyelle contre elle-même sous la même nuance, à la fin d’un mot et au commencement d’un autre, s’adoucit par une légère suspension qui peut se figurer ainsi : ala… as loûre—aller à la veillée, jé… ai l’aiveûle—jouer à Colin-Maillard, el vené… ẽrmain—il vint hier, el se bóti… i lée—il se mettait au lit, wau… auhan—guère aisé, etc., etc. Quant aux hiatus fictifs que le français veut voir, on ne sait pourquoi, entre deux voyelles ou nuances de voyelles différentes, si le bressau les efface quelquefois par une lettre euphonique, c’est en souvenir d’une lettre tombée, comme : bwò-n-èfan—bon enfant, ò-z-i viron—on y ira. Cependant les particules qui sonnent è, savoir : ai—à, è—en, et (= è) requièrent toujours une euphonique devant une voyelle quelconque, sans distinction ; exemple : aivan-et-y-aiyé—avant et arrière, tòna è-y-auve—tourner en eau, ai-y-oûre dute—à heure due. Mais la préposition è—en reprend quelquefois l’euphonique n au lieu de l’y, comme dans ces phrases : mate è-n-ieuve—mettre en œuvre, bóta è-n-aivan—mettre en avant.

La versification patoise n’a aucune règle particulière. Elle n’a jamais été pratiquée d’une manière sérieuse et méthodique. Le paysan se contente de bouts rimés ; il ne rime ni ne mesure que par à peu près. Si donc vous voyez une poésie patoise rimée et mesurée à la rigueur, tenez pour certain que c’est l’œuvre d’un lettré. Au reste, les patois peuvent se mettre en vers tout aussi parfaitement que les langues les plus littéraires. Pour la rime, il faut qu’elle roule sur des syllabes de même nuance vocalique et de même quantité prosodique. Pour la mesure, il ne faut jamais compter l’e effectivement muet ; cela ferait un horrible jargon. Enfin on peut, et on doit ne tenir compte que des hiatus réels, ceux qui proviennent de la même voyelle nuancée de la même façon. Observons que la suppression des consonnes parasites augmente la facilité de rimer pour l’œil en même temps que pour l’oreille.

Non plus que le grec d’Homère et l’hébreu de Moyse, les patois ne connaissent cette convention de précieuses ridicules, qui consiste à distinguer les termes nobles et les termes vulgaires, les expressions poétiques et les expressions prosaïques ; il n’y a, en effet, d’élevé ou de bas, de poétique ou de prosaïque, que les objets eux-mêmes, les pensées et les sentiments.

TABLEAU RÉCAPITULATIF DES ARTICULATIONS PROPRES AU PATOIS DE LA BRESSE

L’usage français fait la base de notre orthographe. Nous ne nous en écartons que pour éviter toute erreur et toute équivoque ; nous n’en retranchons que ce qui ne représente aucun son réel ; nous n’y ajoutons que les formes graphiques nécessaires pour exprimer des sons particuliers et nouveaux.

1° DORMANTES : E, L, S, T

Le, me, te, de, ne, etc., = l’, m’, t’, d’, n’, etc. ; bwadela—babiller = bwadla, kenókhe—connaître = knókh’, etc., etc.

El—il, ils, devant une consonne = è ; devant une voyelle = èl’, èle.

Las, das, mas, ças, nos, vos, los, etc., etc., devant une consonne = lâ, dâ, mâ, çâ, no, vo, lo, etc., etc. ; devant une voyelle = lâ-z ou lâze, dâze, mâze, çâze, noze, voze, loze, etc., etc. ; et—et = è toujours.

2° VOYELLE-CONSONNE W

Au commencement des mots, entre deux voyelles, et après l, m, n, r, w = vou ; en toute autre position, w = ou ; il entre toujours dans une diphthongaison.

3° SEMI-VOYELLE Y

L’y est toujours une simple euphonique, ou une simple mouillante et diphthonguante.

4° NUANCES DES VOYELLES E et O

è = e ouvert et bref.

é = e fermé et bref.

ê = e ouvert et long.

= e fermé et long.

ë = eu, toujours faible et bref.

ò = o ouvert et bref.

ó = o fermé et bref.

ô = o ouvert et long.

õ = o fermé et long.

5° ÉQUIVALENCES

ai = ei = è = et (conjonction).

au = ô.

ain = ein ; ien = iain = iein.

g doux = j ; gea = ja ; geò = .

6° DIFFÉRENCES ESSENTIELLES AVEC LE FRANÇAIS

I reste pur i dans la syllabe nasale in.

U reste pur u dans la syllabe nasale un.

Ch = ch anglais = ch espagnol = c (e, i) italien = tch, mais sans laisser entendre le t.

G doux (ge, gi) et j = g doux (ge, gi) et j anglais = g doux (ge, gi) italien = dg, dj, mais sans laisser entendre le d.

7° ARTICULATION (SPIRATION PALATALE) ET SIGNE GRAPHIQUE ÉTRANGERS AU FRANÇAIS

Kh = ch allemand = c’h breton = ch latin = g doux (ge, gi), j et x espagnol = Х russe = χ grec = kh de beaucoup de langues orientales.


GRAMMAIRE DU PATOIS DE LA BRESSE


SUBSTANTIF

Il n’y a jamais de différence entre le singulier et le pluriel des substantifs ; elle ressort uniquement de l’article ou du contexte.

Les relations de causalité et de possession entre deux substantifs n’ont pas besoin de l’article de, si le second (cause ou propriétaire) est un nom propre dans la force du terme : Jean Jéhan—Jean (fils de) Jéhan, lé chevau Yéyan-Têyin—le cheval (de) Laurent (fils de) Têyin. Mais si le nom est seulement approprié, comme lé Gêre—le Gendre, ou ramené à cette catégorie par un qualificatif déterminatif comme grand, petit, gros, etc., l’article de redevient nécessaire : lai fée di Gran-Bwakhtiè—la fille du Grand-Bastien, las vaiche di Grõ-Jeugè—les vaches du Gros-Joseph.

ARTICLE

Masculin singulier :

Le—le. Il fait au commencement de la phrase, et au milieu à la suite d’un e muet et devant une consonne, et même en toute position, après une suspension qui puisse donner, si courte qu’elle soit, la sensation d’une reprise[14] : lé tò s’aineûte—le ciel s’assombrit, prò le cisẽ et cõpe lé nou—prends le(s) ciseau(x) et coupe le nœud.

Il s’élide comme en français, en d’autres termes, l’e reste muet devant une voyelle : tiõ l’eukhe—ferme la porte.

De—de. Il fait au commencement de la phrase, et au milieu après un e muet et devant une consonne et même en toute position après une suspension, si courte qu’elle puisse être, pourvu qu’elle simule un recommencement de phrase : dé l’agen, té ne n’airẽ pwò—de l’argent, tu n’en auras point, in moukhẽ de pain—un morceau de pain, ène peice dé tâte—une pièce de tarte, das besògne d’eutau qué lai sôhon cómande—des besognes d’intérieur que la saison commande.

Il s’élide aussi devant une voyelle : in wére d’auve—un verre d’eau.

De le, se contracte en di, comme le français en du : lé mu di beurheû—le mur du champ. Cette contraction se fait également avec le, pronom et régime d’un verbe : el a tò di moukhena—il est temps de le moissonner ; mais elle n’a pas lieu quand le doit s’élider : i n’â mi lehé de l’aîtòn’de—je n’ai pas (le) loisir de l’attendre. On verra plus loin que le bressau contracte de même me le en mi, te le en ti, se te en si, ne le en ni.

I—au. Cette contraction de ai le en i, n’a pas lieu, non plus que celle du français à le en au, quand le doit s’élider : Ai l’aufeû—au foyer (c’est-à-dire à la cuisine). On dit bien ai lé, mais alors est pronom : ije â pwaula ai lé—j’ai parlé à lui.

Féminin singulier :

Lai—la ; il y a élision comme en français, devant une voyelle : lai hlîne—la poule, l’õe—l’oie.

Dé lai—de la ; ai lai—à la. Il y a aussi élision devant les voyelles : lai lòche dé lai fiate—l’anche de la futaille ; lai lòche dé l’ailmate—l’anche (le bec) de la lampe ; ai lai biêe—à la lessive, ai l’auve—à l’eau.

Masculin et Féminin pluriel :

Las—les ; das—des ; as—aux. On prononce lâ, dâ, â, devant une consonne, et lâze, dâze, âze, devant une voyelle.

Das—des veut dire aussi quelques comme en français.

ADJECTIFS QUALIFICATIFS

Ceux qui ont leur finale en e muet au masculin, ne changent pas au féminin.

En français les autres adjectifs forment généralement leur féminin par l’addition d’un e muet au masculin. C’est souvent la même chose en bressau ; mais comme celui-ci laisse tomber toutes les consonnes muettes de la fin des mots en général, et n’en fait jamais entendre aucune à la fin des adjectifs masculins, ou les termine par une voyelle sonore (nasalisée ou non) ; dans bien des cas, par conséquent, on ne peut prévoir la consonne, ou les consonnes, dont le féminin fera le rappel pour y ajouter l’e muet. Prenons le type des adjectifs formés par la particule suffixe ard ; au masculin, le français supprime le d et ne conserve que l’r, puisqu’il prononce ar, c’est-à-dire ar’, are ; mais le bressau supprime le d et l’r et ne prononce plus que â. Au féminin, le français rappelle le d tombé du masculin et dit arde ; le bressau ne rappelle que le d, abandonne tout-à-fait l’r, sauf l’allongement de la syllabe âde, en guise de compensation. Mais s’il est permis d’établir cette règle pour les adjectifs formés de la particule ard, il en survient une foule d’autres qui ont aussi le masculin en â, et donnent toute autre chose que âde au féminin, savoir 1° âhe, 2° âkhe, 3° asse, 4° âte, ou même restent invariables, comme vrâ—vrai, vraie. Or, chaque autre termimaison masculine peut fournir la même variété de terminaisons féminines, que l’usage seul peut apprendre.

Nous nous en tiendrons donc à deux simples remarques :

1° La plupart des adjectifs français en eux, euse, font ou, oûse en bressau, et les adjectifs-substantifs, ou substantifs-adjectifs en eur font ou, rasse ; les premiers correspondent à oux et les seconds à our du v. français.

2° Les adjectifs en an, en (français ant, ent), restent invariables au féminin, comme dans le v. français ; excepté néanmoins gran—grand, qui fait grante quand il vient après le substantif, ou quand il en est simplement séparé : ène gran bwayesse—une grande fille, ène bwayesse grante et bwòne ai mairiè—une fille grande et bonne à marier, ène bwayesse qu’a ja grante—une fille qui est déjà grande.

Les adjectifs pris substantivement ou substantifs pris adjectivement se fabriquent à volonté sur toute espèce de verbes ; à moins que la place ne soit déjà occupée par d’autres équivalents, qui font, les uns â-âde, les autres elé-èle ; exemples : brayâ, brayâde—pleuruicheur, habelé, habèle—hablard ; et tous ont un sens défavorable ou de répréhension.

DEGRÉS DE SIGNIFICATION

Le comparatif d’égalité s’exprime par aussi, celui de supériorité par pu—plus, d’infériorité par mwò–moins, ou mi sipas aussi, ou mi autan, mi aukhtan—pas aulant. Pée—pire, et mió ou méyó—meilleur (qui reste invariable au féminin), se traitent comme des adjectifs ordinaires.

Le superlatif absolu s’exprime par tó, tóte—tout, toute, ou bien encore, avec plus d’emphase, par tó-t-ai-fâ—tout à fait, tóte-nate—tout net. (Dans cette formule, tóte remplace par l’effet d’une attraction dont nous verrons encore d’autres exemples). Quand la phrase a un caractère d’exclamation, on peut se servir de mou—moult, braumò—v. français brament, fortement, dukhe—dur, dukhmò—durement. Le français très est complètement étranger au bressau.

Le comparatif relatif s’exprime par pu—plus et mwò—moins, lesquels se renforcent souvent de —tout, tóte—toute : lé tó pu—le tout plus, lé tó mwó—le tout moins, lai tóte pa—la toute plus, lai tóte mwò—la toute moins ; mió, méyó—meilleur, pés—pire, ainsi que manre—moindre (c’est-à-dire de peu de valeur), étant de véritables adjectifs simples plutôt que des superlatifs, ne jouent ce dernier rôle qu’avec le secours de pu—plus : lé pu mió—le plus meilleur, lé pu pée—le plus pire, lé pu manre—le plus moindre. On dit encore : lé pu pée dé tertu—le plus pire de tous, etc., mais alors pu cesse d’être nécessaire, et on peut dire : lé pée dé tertu.

POSSESSIFS

Masculin singulier :

Me, mé—mon, te, té—ton, se, sé—son, nóte—notre, vóte—votre, —leur. On prononce mé, té, sé au commencement des phrases, et dans le milieu après un e muet, et devant une consonne. —leur prend toujours un z euphonique devant une voyelle : ló-z-éfan—leur enfant.

Féminin singulier :

Mai—ma, tai—ta, sai—sa, nóte—notre, etc., comme au masculin.

Devant une voyelle, me, te, se prennent toujours l’euphonique n ; si c’est à la suite d’une syllabe finissant en e muet, on a mé-n, té-n, sé-n, si c’est à la suite d’une voyelle sonore, on a me-n, fe-n, se-n, ce qui revient lout simplement à mn, tn, sn : rèwaude mé-n-èfan—prends soin de mon enfant, prò me-n-èfan (= pròm’nèfan)—prends mon enfant.

Mai, tai, sai devant une voyelle deviennent me, te, se, et se traitent comme au masculin : ije â rtrôva me-n-aibaikhe—j’ai retrouvé mon outil, aipwõte mé-n-aibaikhe—apporte mon outil.

Pluriel des deux genres :

Mas—mes, tas—tes, sas—ses, nõs—nos, võs—vos, lós—leurs. Prononcer mâ, nõ, etc., devant une consonne, et mâze, nôze, lóze, devant une voyelle.

DÉMONSTRATIFS

Ces adjectifs sont peu usités, moins encore au pluriel qu’au singulier, et on ne les prend guère qu’en mauvaise part ; ainsi on dira : ouyi-vós ças haurwate—entendez-vous ces personnes légères ? Dèpoûkhi-me fieu ças soûlon—chassez-moi dehors ces ivrognes. La plupart du temps on ajoute au substantif la particule la.

Le masculin singulier fait ce, cé suivant l’euphonie ; le féminin çai ; le pluriel pour les deux genres çâs, qui se prononce çâ devant une consonne, et çâze devant une voyelle.

L’aversion de l’idiome pour cet adjectif provient de sa complète homophonie avec l’adjectif possessif se, sai, sus—son, sa, ses. On le remplace en mettant simplement la particule la ou ci après le substantif : lé saipe-la a khóbe—le sapin-là est creux, lai pème-ci a jandlaue—la pomme-ci est poreuse.

NUMÉRAUX

NUMÉRAUX CARDINAUX

Masculin :

In ou ine—un, pris absolument ; in devant une consonne, ine devant une voyelle.

Féminins :

Ène—une en toute position.

Dousse—deux, pris absolument, et quand le nom des objets énumérés ne suit pas immédiatement le nombre ; dou devant une consonne ; douse devant une voyelle. Dans la locution deux ou trois, la disjonctive ou se perd en quelque sorte dans dou en allongeant la syllabe, et on a doû—trô. Toutefois on dit douse quand il faut dire trôhe, et dousse quand il faut dire trõkhe : douse ou trôhe, dousse ou trõkhe ; c’est l’effet des affinités.

Trõkhe—trois, pris absolument, et quand les objets énumérés ne viennent pas immédiatement après le nombre ; trô devant une consonne ; trôhe devant une voyelle. Dans la formule trois ou quatre on dit indifféremment trô ou qwaite, trôhe ou qwaite et trôkhe ou qwaite.

Qwaite—quatre, en toute position, peut faire aussi qwaitre quand le nom des objets énumérés, venant immédiatement après, commence par une voyelle.

Cinque—cinq, en toute position. Par exception on dit cin avec sou (qui alors remplace )—sous, live—livres (poids et monnaie), fran—francs ; on peut dire cin rzau ou cinque érzau— cinq resaux.

Khée—six, absolument et devant une consonne ; khéehe devant une voyelle.

Sète—sept, absolument et devant une voyelle ; se dit quelquefois devant une consonne en général, et habituellement avec sõ, live, fran et rzau.

Eûte—hait, absolument et en toute position, sauf avec les termes de mesure sõ, live, fran et rzau, auxquelles il faut ajouter les jours, les semaines et les mois, où il fait .

Nieufe—neuf, absolument et en toute position ; nieu avec sõ, live, fran, rzau et mwé—mois.

Dẽhe, absolument, ainsi que devant les voyelles, et devant les consonnes douces ou moyennes b, d, g, j, l, m, n, r, v, z et l’aspirée gutturale h ; dẽkhe devant les consonnes fortes c (dur et doux), f, k, p, q, s dure, t, et l’aspirée palatale kh.

Onze—onze. — Dõse—douze. — Trase—treize.

Qwatõhe—quatorze, absolument et devant les voyelles et les consonnes douces, les moyennes, et l’aspirée gutturale h ; qwatôkhe devant les consonnes fortes et l’aspirée palatale kh.

Quinze—quinze — Sase—seize.

Dẽkhète—dix-sept. Comme c’est la réunion de sète avec dẽhe, on a substitué l’aspiration palatale à l’aspiration gutturale, parce qu’elle tient lieu tout à la fois de celle-ci et de l’s éclipsée de sète.

Dẽheûte—dix-huit. — Dẽhnieufe—dix-neuf.

Vinte—vingt. On dit par exception vin sou—vingt sous, vin live—vingt livres (poids ou monnaie), vin fran—vingt francs, et vin rzau ou vinte érzau—vingt resaux.

Vinte-et-y-in—vingt-un ; féminin vinte-et-y-ène—vingt-une. — Vinte-dou, ou douse, ou dousse (voir dou)—vingt-deux. — Vinte-trô, ou trôhe, ou trôkhe (voir trôkhe)—vingt-trois. — Vinte-qwaite, ou qwaitre—vingt-quatre. — Vinte-cinque ou cin (voir cinque)—vingt-cinq. — Vinte-khée ou khéehe (voir khée)—vingt-six. — Vinte-sète ou —vingt-sept. — Vinte-et-y-eûte ou —vingt-huit. On voit que quand le second chiffre commence par une voyelle, il se relie au premier par la conjonction et avec l’euphonique y : vinte-et-y-in ; vinte-et-y-eûte. Il en est de même pour les dizaines supérieures. — Vinte-nieufe ou nieu—vingt-neuf.

Tròn’te ou tròte ou tròne—trente. Cette dernière forme, tròne, n’est facultative que dans les composés supérieurs, excepté encore avec in, eûte et nieufe : avec in et eûte, parce qu’ils commencent par des voyelles, auquel cas t doit se faire entendre ; avec nieufe pour ne pas avoir deux n de suite. Les composés se font comme pour vinte ; de même pour les dizaines supérieures, savoir :

Quarante—quarante. — Cinquante (différence de prononciation dans la première syllabe). Avec cinquante on ne dit plus , mais sou—sous. — Soissante—soixante. — Septante—soixante-dix. — Quatrẽ-vin ou qwaîtrë-vin—quatre-vingts. — Nónante—quatre-vingt-dix.

Cente—cent, absolument et devant une voyelle ; cen devant une consonne ordinairement, et sans exception avec live, fran, sõ et rzau. — Dou sen—deux cents ; trô cen—trois cents ; qwaite cen—quatre cents ; cin cen ou cinque cen—cinq cents ; khée cen—six cents ; sè cen ou sète cen—sept cents ; eû cen ou eûte cen—huit cents ; nieufe cen ou nieu cen—neuf cents.

Mile—mille, Milion—million. Miliare—milliard.

NUMÉRAUX ORDINAUX

Peurmé—premier ; féminin peurmẽre—première. Dousième—deuxième, etc. Tous les autres s’établissent sur le nombre cardinal. Pour le nombre trente simple, l’ordinai ne peut suivre la forme tròne ; il suit rarement tròn’te, mais habituellement tròte, tròtième ; mais quand trente est composé, les trois formes redeviennent facultatives de la même façon qu’au nombre cardinal.

INDÉFINIS

Aucun, une, comme le français avec la différence de la nasale un.

Aute—autre.

Chaique—chaque.

Même, comme le français ; mais il fait môme joint au pronom personnel : mé-môme—moi-même ; ti-môme—toi-même ; lé-môme—lui-mêème ; ène geò lé môme—soi-même c’est-à-dire, une personne lui-même, et non elle-même.

Qué—quel, quelle. Cependant au féminin et devant une voyelle quẽle est facultatif.

Tẽ—tel, telle. Au féminin et devant une voyelle tẽle est facultatif.

—tout, tóte—toute. Devant une voyelle reprend comme euphonique le t tombé : tó-t, ce qui le fait sonner alors comme le féminin tóte : au reste, la même chose se produit en français.

Tertu ou tórtu—tous, tertóte ou tórtóte—toutes.

Tertó ou tórtó—tout pris absolument ou adverbialement.

Devant un nom de nombre qui le complète, tous fait ti au masculin et tite au féminin : ti dousse—tous deux, tite dousse—toutes deux, ti trôkhe—tous trois, tite trôkhe—toutes trois. Si le nom de nombre est précédé de l’article, on revient à tertu, tórtu : tertu las qwaite—tous les quatre.

Le français plusieurs manque en bressau. On y supplée par une périphrase ; pu d’in, pu d’ène—plus d’un, plus d’une, si le nombre ne paraît pas grand ; tó piein—tout plein, pour une grande quantité.

PRONOMS

PERSONNELS

Le pronom de la première personne du singulier a trois formes : 1° i devant une consonne, ou (ce qui équivaut) une voyelle mouillée, diphthonguée : i võ—je vais, i ieu—je veux ; 2° ije, ou 3° je devant une voyelle : ije ò ieu ou j’ò ieu—j’en veux. On préfère presque toujours ije à je.

Me, ou (selon l’euphonie)—me, moi comme régime direct et régime indirect : sé te ieu me fwauché—si tu veux me fâcher ; ieu-te mé fwauché—veux-tu me fâcher ? Déni-me ein live—donnez-moi cinq francs. Après le verbe, si celui-ci finit par un e muet, me fait më = meu : dòne-mẽ cin live—donne-moi cinq francs. Me le se contracte en mi, à moins que l’e de le ne doive s’élider : el mi fèyé ai wẽre—il me le fit (à) voir ; mais el me l’é fâ ai wẽre—il me l’a fait (à) voir.

Mi—moi ; ne s’emploie pas comme régime direct, et il ne s’emploie comme régime indirect qu’avec la préposition ai—à, ai mi—à moi.

Deuxième personne du singulier : te ou (selon l’euphonie)—tu, te, comme régime direct et indirect aussi bien que comme sujet. Après un verbe qui finit par un e muet, te ne fait plus , mais = teu : Dòne-të de waude—donne-toi de garde. Te le se contracte en ti, à moins que l’e de le ne doive s’élider : i ti frâ ai wẽre—je te le ferai (à) voir ; mais i te l’â fâ ai wẽre—je te l’ai fait (à) voir.

Ti—toi, ne se dit pas pour régime direct, et il ne peut se dire pour le régime indirect qu’avec la préposition ai—à : el pwaulré ai ti—il parlera à toi.

Troisième personne du singulier, masculin : el—il, se prononce è devant une consonne, èl’, èle devant une voyelle, é après le verbe, en toute position, c’est-à-dire, que celui-ci finisse par un e muet ou une voyelle sonore, et que ce soit une voyelle ou une consonne qui suive : prò-t-él (= é) waude—prend-il garde ? Prò-t-él (= é) in pau—prend-il un bâton ? Chaîge-t-él (= é) ène charate—charge-t-il une charrette ?

Féminin : elle, comme en français, mais avec des modifications accidentelles : 1° devant une voyelle, pour ne pas confondre le féminin avec le masculin qui alors fait déjà èle, on insiste sur les deux l et on les détache d’une façon toute semblable à la prononciation française de cette phrase : elle l’a ; prononcez donc elle é—elle a, comme si c’était elle l’é ; prononcez elle aitò—elle attend, comme si c’était elle l’aitò. Après le verbe, elle fait éle ; ce pourquoi l’l de el ne se prononce jamais en cette position pour écarter toute équivoque entre le masculin et le féminin.

Dans quelques locutions el se retourne en le, l’, et même  : l’a bwò—il (ce) est bon. (La Fontaine : Par ma barbe, il est bon.) Lè fâ biè lai hlîne mouillée—il fait bien la poule mouillée.

Masculin : le ou (selon l’euphonie)—le lui : el le vò—il le vend ; el lé rvò—il le revend ; l’âme dé lé—l’âme de lui ; i m’ò parâ ai lé—je m’en prendrai à lui. Pour le régime indirect, ai lé—à lui peut se remplacer par li—lui comme en français : i li dehé—je lui dis. Après le verbe, si celui-ci finit par un e muet, le fait —leu : cwache-lë (= leu)—cache-le.

Li—lui, c’est-à-dire, à lui, car il ne s’emploie que comme régime indirect et sans la préposition ai.

Féminin : lée—elle ; comme sujet, et puis comme régime indirect avec de et avec ai : dé lée—d’elle, ai lée—à elle, qui peut se remplacer par li—lui ; la—la, comme régime direct.

Quand le régime direct le, la est suivi immédiatement du régime indirect, on peut le supprimer : é-t-él se-n-agen—a-t-il son argent ? I li poutè—je (le) lui porte.

Se ou (suivant l’euphonie}—se comme régime direct et régime indirect.

Si ne répond pas à soi ; c’est absolument la contraction de se le : el si rõté—il se l’enleva. Le bressau n’a pas le correspondant direct du français soi. Il le remplace par le, ou même encore, lé-môme—lui, lui-même.

Première personne du pluriel : nós—nous, se prononce devant une consonne, nóze devant une voyelle.

Deuxième personne : vós—vous, se prononce devant les consonnes, et vóze devant les voyelles. Les pronoms nós, vós différent vocaliquement des adjectifs nõs et võs par la quantité prosodique.

Troisième personne du pluriel masculin : el—ils, ne diffère aucunement du singulier, et se traite de même dans les mêmes positions. — Au XVIe et au XVIIe siècles, c’était l’usage approuvé par les grammairiens français de prononcer le pronom personnel il, ils sans faire entendre s du pluriel devant une voyelle, et sans faire entendre l de l’un ou de l’autre devant une consonne, on disait : i va, i sont, il’ ont.

Lós—eux, elles, comme sujet. Dé lós—d’eux, d’elles. Ai lós—à eux, à elles, leur.

Lôs—les, comme régime direct. Il peut aussi tenir lieu de régime indirect et remplacer ai lós—à eux, à elles, leur, non plus avec ai, mais avec i—y qui lui est suffixé : ẽ-te-pwaula ai lós—as-tu parlé à eux ? O, i lôs-i â pwaula—oui, je leur (z-y) ai parlé[15].

La série des formules : nós-aute—nous autres, vós aute—vous autres, qui s’arrête là tronquée en français, le bressau la complète par lós aute—eux autres, elles autres. Et ce n’est que dans cette formule que lós fait sonner son s finale sur la voyelle initiale du mot suivant ; partout ailleurs, même devant une voyelle, lós se prononce  ; ainsi : lós (= ) essòne—eux ensemble. Cette dérogation à la loi générale de l’s intermittente de tous les vocables similaires provient sans doute de ce que ceux-ci précèdent toujours immédiatement les substantifs, adjectifs, verbes, etc., auxquelles ils se rattachent par la syntaxe, et aussi en conséquence par l’euphonisme ; tandis que lós—eux, elles, représentant un terme antérieur, en est toujours assez isolé pour s’en rendre encore phoniquement indépendant. Cela est si vrai que lôs—les, nós—nous, vós—vous, etc., ne font pas non plus sentir leur s sur la voyelle initiale du mot suivant (excepté dans la formule lôs-i) quand ils viennent après le verbe dont ils sont le sujet ou le régime : bóti-lôs (= ) i fon—mettez-les à terre ; véni-vós (= ) aupròme—venez-vous seulement ? Cette observation doit se reporter comme une exception à ce qui a été dit (page 48) sur la manière de prononcer nós, vós devant une voyelle initiale du mot suivant.

Le pronom lós—eux, elles, est entièrement homophone avec l’adjectif possessif lós ; mais entre l’un et l’autre le contexte ne laisse pas d’équivoque.

Se ou (suivant l’euphonie)—se, pris au pluriel, se comporte en tout comme au singulier.

POSSESSIFS

Le pronom possessif au singulier a deux formes facultatives communes au masculin et au féminin, ainsi qu’au singulier et au pluriel :

Lé mée, lai mée, ou lé miène, lai miène—le mien, la mienne.

Lé tée, lai tée, ou lé tiène, lai tiène—le tien, la tienne.

Lé sée, lai sée, ou lé siène, lai siène—le sien, la sienne.

Au pluriel : las mée ou miène—les miens, les miennes, las tée ou tiène—les tiens, les tiennes, las sée ou siène—les siens, les siennes.

La forme ée correspond au latin meus, tuus, suus ; la forme française iène correspond à l’allemand mein, dein, sein. La première est la plus naturelle en bressau, et de beaucoup la plus usitée ; la seconde nous paraît d’importation relativement récente.

Lé nõte—le nôtre, lai nõte—la nôtre, lé võte—le vôtre, lai võte—la vôtre, lé ló—le leur, lai ló—la leur.

Las nõte—les nôtres, las võte—les vôtres, las ló—les leurs. Il n’y a pas d’s dans pluriel, puisqu’elle ne sonne jamais sur la voyelle initiale du mot suivant, pas même du verbe dont il est le sujet : las ló i tẽte aussi—les leurs y étaient aussi ; las ló airon—les leurs auront.

DÉMONSTRATIFS

Ce ou —ce, n’est employé qu’avec le verbe être : c’a mi—c’est moi, cé feu mi—ce fut moi, mò qué ce seu—comment (de quelle manière) que ce soit.

Çou ou çu—ce, est toujours suivi de que : çou qué me rèwête—ce qui me regarde, çu qu’ije aimè le pu ché—ce que j’aime le plus cher (le mieux).

Çou-ci—ceci, çou-la—cela. Ce dernier se contracte en ça comme le français, et prend l’euphonique z devant une voyelle : ça-z-a-bẽ—ça est beau, ça-z-i a—ça y est.

—celui, cèle—celle, est toujours suivi de que—qui, comme en français. Et quand cè, cèle, peut se traduire par quiconque, on est libre de le remplacer par qui, et on a qui que : qui que biame sas rlique sré pòdu—qui (que) blâme ses reliques sera pendu. S’il est suivi de la préposition de marquant la possession ou la causalité, on est libre de le remplacer par l’article : ç’a le Jóson Etiâne—c’est le (celui de) Joseph Étienne, ça ta lai Khimon-Lerò-Diaude—c’était la (celle de) Simon-Laurent-Claude.

Cè-ci—celui-ci, cè-la—celui-là, cèle-ci—celle-ci, cèl’le-la—celle-là. Il faut insister sur les deux l de celle-là comme en français.

La particule déterminative ci, qu’on trouve écrite en v. français cist, prend souvent la flexion féminine cite : cèle-cite, et par attraction, la devient late : cèle-late.

Souvent cè, cèle, est remplacé par aute—autre, avec l’article le et la déterminative enclytique cite et late, laquelle devient alors ordinaire, tant au masculin qu’au féminin : l’aute-cite, celui, celle-ci, c’est-à-dire, l’autre-ci ; l’aute-late, l’autre (masculin et féminin)-là. C’est le te de aute qui amène quasi forcément la forme cite et late, toujours par attraction.

Çõ—ceux, çõle—celles, çõ-ci—ceux-ci, çõle-ci ou cite—celles-ci, çõ-là—ceux-là, çõle-là ou late—celles-là. Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/52 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/53 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/54 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/55 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/56 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/57 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/58 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/59 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/60 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/61 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/62 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/63 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/64 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/65 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/66 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/67 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/68 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/69 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/70 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/71 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/72 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/73 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/74 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/75 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/76 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/77 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/78 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/79 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/80 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/81 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/82 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/83 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/84 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/85 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/86 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/87 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/88 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/89 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/90 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/91 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/92 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/93 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/94 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/95 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/96 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/97 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/98 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/99 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/100 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/101 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/102 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/103 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/104 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/105 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/106 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/107 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/108 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/109

SYNTAXE

La syntaxe du bressau est la même en général que celle de tous les autres patois, lesquels ont conservé beaucoup de tournures en honneur dans le vieux français, et rejetées comme fautes grossières du français moderne. La plupart de ces différences ont déjà été signalées dans chacune des parties du discours où elles se rencontrent ; il nous reste peu de chose à y ajouter.

ARTICLE

Avec les noms partitifs précédés d’adjectifs, l’article das—des, ne fait jamais place à la préposition de : el é das bale róbe—il a des beaux habits, absolument comme dans cette autre phrase : el é das róbe dé velu—il a des habits de velours.

ADJECTIF

Quand il est déterminatif, il se place avant le substantif : di bian pain—du pain blanc ; dé lai fraide auve—de l’eau froide. Quand il n’est au fond qu’un participe passé, il se place après le substantif : in naivẽ choûhé—un navet poreux ; di pain boukha—du pain boursouflé (dont la croûte supérieure se détache de la mie).

PRONOM

L’emploi du pronom que est beaucoup plus libre et plus varié qu’en français ; il peut se faire à tous les mêmes cas et dans tous les mêmes sens qu’en espagnol.

Le pronom ce devant le verbe être veut toujours celui-ci au Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/111 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/112 Page:Jean Hingre - Monographie du patois de La Bresse (Vosges), 1887.pdf/113

  1. On appelait autrefois granges, par apposition aux villages et aux hameaux, les habitations isolées et jetées çà et là sur les flancs de nos montagnes.
  2. À l’exception néanmoins du th anglais.
  3. Des puristes veulent y entendre et y faire prononcer un e intermédiaire entre le grave et l’aigu ; mais on ne peut guère tenir compte en pratique de cette subtilité raffinée.
  4. Effet tout semblable à celui de la diphthongue allemande ei.
  5. On appelle atone toute syllabe qui ne porte pas l’accent tonique. La syllabe atone par excellence est la finale en e muet.
  6. On relèvera plus loin deux apparences d’exceptions, l’une relative aux nasales m et n, qui, en cette qualité, ne sont pas des consonnes véritables ; l’autre, relative au groupe de r avec une autre consonne qui la précède : br, cr, dr, etc., lequel, à l’attaque, ou au commencement des mots, ne compte que comme une consonne simple, et ne complique pas plus la prononciation.
  7. On voit se produire ici la différence déjà annoncée plus haut relativement au groupe de l’r avec une autre consonne, qui ne compte que pour une seule au commencement du mot, mais bien pour deux au milieu, surtout à la syllabe finale en e muet. Le groupe semble s’y briser pour laisser l’une des deux consonnes à la syllabe précédente et l’autre à la suivante : larme = lar-me, abre = ab-re.
  8. Dans les « Patois lorrains, Nancy, 1881, » faute d’avoir fait attention à l’intermittence de la voyelle e, on présente (passim, surtout pages 45-48) comme aphérésés ou apocopés beaucoup de mots qui ne le sont pas réellement, puisqu’ils ne le sont qu’accidentellement.

    Qu’on nous permette de saisir cette occasion pour déclarer que notre nom a été inséré par erreur parmi ceux des correspondants qui ont procuré à M. Lucien Adam les matériaux trop peu sûrs dont il a su tirer d’ailleurs un si bon parti. Nous n’y avons pas contribué pour la valeur d’un iota.

  9. Les correspondants de l’habile rédacteur des « Patois lorrains, » pages 1-3, se sont donné des peines infinies pour expliquer, chacun à sa manière, et tous d’une manièra plus ou moins douteuse, une chose aussi simple et aussi naturelle. Et ils ne se sont pas évertués moins fort, ni plus heureusement, au sujet de la spiration palatale (p. 25 et suiv.) dont il sera question plus loin.
  10. Nous disons seulement assez exacte, car dans le fait le t ne s’entend pas.
  11. Le français, l’italien, le portugais et l’anglais n’ont pas la spiration palatale.
  12. Il y a cependant une légère exception pour r qui ne s’aspire plus qu’au milieu des mots.
  13. Le Rédacteur des « Patois lorrains » estime (p. xxx et suiv.) que l’aspiration palatale a dû être importée dans notre pays par une invasion germanique qui en aurait doublé la population. Mais comment alors ne coïncide-t-elle jamais dans les mots qui sont communs à nos patois et l’allemand ? Même observation pour le latin : pourquoi ne la mettons-nous jamais non plus où les Romains (qui nous auraient aussi appris à balbutier et à épeler) la mettaient exclusivement ? Pourquoi, au contraire, nous rencontrons-nons juste avec le grec (exemple : aikhe—aisXos) pour un certain nombre de mots communs, et avec d’autres langues encore plus éloignées ?
  14. Cette règle est générale.
  15. Dans les Patois lorrains, pages 78-79, cette formule composée est prise pour un mot simple : lausi, lési, lisi, lâsi, losi, lousi, etc.