Monographie de l’abbaye de Fontenay/Chapitre 8

Librairie Saint-Joseph (p. 52-57).

{{t3|Influence de Fontenay sur la science|CHAPITRE VIII


Nos religieux qui ont défriché tant de terres, essarté forêts et broussailles, n’ont pas été aussi féconds en œuvres littéraires. Ils semblent avoir consacré toute leur énergie au sol et avoir laissé la science bien au second rang. La bibliographie ne cite aucun livre composé par un moine de Fontenay, aucun ouvrage scientifique émané de l’abbaye.

Cette absence de livres peut se comprendre aisément. Chaque jour les pères avaient sept heures de travail manuel, et seulement deux heures pour lire, non pour étudier. Ils n’avaient à leur disposition qu’un livre pour lire, réfléchir et méditer, non pour étudier ; point d’autre école que le chapitre, point d’autre lycée que la nature ; point d’autre académie que le préau silencieux où ils se promenaient en rêvant.

Les cloitres ont été témoins de méditations, de réflexions qui pourraient justement nous surprendre par leur élévation ; les salles capitulaires, les plus belles de toute la Bourgogne, pourraient nous redire les sublimes conférences que le Père abbé adressait a ses frères, sur les perfections chrétiennes ou les vices qu’il fallait déraciner pour réformer la nature humaine et la rendre digne du ciel. Toutes ces vieilles figures murales pourraient nous dire aussi combien elles ont vu passer de générations monacales qui avaient préféré le ciel à la terre, et cherché leur sanctification dans la pénitence du travail plutôt que dans la science.

Si nos moines ont composé quelques livres, ceux-ci ont bien pu ne pas parvenir jusqu’à nous, et périr dans les nombreux pillages dont l’abbaye a été la malheureuse victime à différentes époques : en 1359, par les Anglais ; en 1419, par les Robeurs ; en 1590, 1595, par les Ligueurs ; les Lansquenets, les Bourguignons et les Armagnacs ; et la tempête de 1790 les a jetés à tout vent. Dans la vente mobilière de l’abbaye faite par ordre du district de Semur, le sieur Pinard de Rouvray, préposé à cette vente, a fait quatre à cinq lots de livres qui ont été adjugés aux sieurs Maréchal de Montbard et Melot de Semur. Cela explique comment quelques livres de Fontenay sont unis à ceux de Moutiers-Saint-Jean, à la bibliothèque de Semur.

Les religieux des deux abbayes avaient vécu en paix pendant leur vie, il était naturel qu’après leur mort leurs livres fussent réunis dans la poussière de la même bibliothèque, où ils seraient interrogés par de rares lecteurs qui souvent ne soupçonnent pas la science de leurs anciens propriétaires.

Les quatre volumes des Titres et Cartulaires de Fontenay, recueillis par Dom Cercelet en 1717 et copiés en l786 par Bidet, archiviste domicilié à Semur, sont aux archives départementales de la Côte-d’Or. Pendant plusieurs semaines, j’ai eu le plaisir de les fouiller en tous sens, pour en extraire les renseignements que je coordonne. La mine est grande, mais l’exploiteur peu apte à tirer toutes les richesses qui sont cachées dans ses filons abondants.

Quand Fontenay fut tombé en commende en 1547, il eut le malheur d’être donné à des abbés insouciants qui ne craignaient pas de dissiper les titres, les livres, les trésors littéraires de l’abbaye. Indignés d’une telle félonie, les moines obtinrent de Louis XIV l’autorisation d’attaquer leur abbé commendataire, Annet Coustin de Manasdaut et ses héritiers afin de les obliger à rendre ces livres ou une indemnité en compensation. Beaucoup de pièces importantes, telles que la charte de fondation de Fontenay ont été trouvées en 1864 sur les quais de Paris, elles venaient probablement de la négligence de ces abbés qui les emportaient comme des papiers de famille, ou comme des preuves de leur riche commende.

Ce manque de livres composés par des moines de notre abbaye ne prouve pas absolument que la science y fût entièrement abandonnée. Le fait suivant le démontre clairement.

Dés 1195, le prieur Hugues, qui était déjà litterarum scientia præeminens, « qui dum esset omnium divinorum eloquiorum assiduus investigator, prœcipue tamen librorum sancti Augustini ardentissimus amator », avait voué à ce grand saint une tendre dévotion, et avait toujours demandé à Dieu la grâce de mourir le jour de sa fête. Sa prière fut exaucée, et pendant qu’il était déposé à l’église au milieu des Pères psalmodiant l’office des morts, on vit tout à coup une procession descendre du ciel ; des hommes vêtus de blanc étaient conduits par un évêque qui les effaçait tous par sa taille et sa majesté. Les religieux étonnés demandèrent l’explication de cette procession. L’évêque leur répondit : ces hommes en blanc sont les saints qui viennent chercher le frère Hugues ; je suis Augustin, évêque d’Hippone. (Jacques de Voragine, miracl. de St. Aug.)

Dom Martène dans son voyage littéraire de 1717 dit : « Quoique Fontenay ne soit plus ce qu’il a été, il ne laisse pas que d’être une des meilleures abbayes de l’Ordre de Cîteaux ; elle conserve bien les restes de son ancienne splendeur et en particulier un grand nombre de manuscrits qui sont la plupart des ouvrages des Pères de l’Église. » On en trouvera l’énumération aux pièces justificatives.

Il y avait à Fontenay, comme dans tous les couvents de l’Ordre de Cîteaux, un scriptorium, lieu solitaire ou se trouvaient plusieurs tables chargées de parchemins a demi-rongés par les vers, de chartes poudreuses. La se réunissaient les moines écrivains sous la surveillance d’un maître. Le dimanche après complies, on leur distribuait les parchemins et les chartes, l’encre, les stylets et les manuscrits à copier.

Après s’être mis à genoux et avoir dit un Pater, un Ave Maria, un Gloria Patri ils se livraient a leur travail en silence comme dans le cloître. L’un des scriptores les plus habiles était un Rainard Anglicus. (Morimond.)

Pour se faire une idée de la perfection calligraphique à laquelle ils étaient arrivés, il faut consulter les cartulaires du xiie au xive siècle. La netteté, la limpidité, la pureté des caractères annoncent une main intelligente, habile, capable de rivaliser avec les imprimeries les plus distinguées de nos jours.

Beaucoup d’abbés étaient docteurs en théologie, même prédicateurs distingués, comme Marc Coustin de Manasdaut, mort à Bourbonne-les-Bains en 1710. C’est probablement de lui que veut parler Bussy-Rabutin dans la 1331B lettre de Mme de Sévigné, « un jour que nous dînions chez l’abbé de Fontenay, l’élu du clergé aux États de Bourgogne. »

Parmi les savants qui ont pu jeter un certain lustre sur Fontenay, il faut nommer J-B. du Hamel, prieur sous Charles Ferrières de Sauvebeuf. Il publia les Prolégomènes de l’Écriture sainte qu’il édita à Paris en 1706 avec une bible et des notes assez peu estimées. (Feller.)

Dom Cercelet, prieur, qui réunit en quatre volumes les titres et chartes de l’abbaye en 1719.

Dom André Gentil, qui obtint le prix de la société d’Agriculture d’Auch en 1779 ; c’était un véritable savant, auteur de plusieurs travaux scientifiques, la diététique générale des végétaux et l’application de la chimie à l’agriculture, 1777. En 1779, il fit l’analyse de l’eau de la fontaine de Sainte-Reine, prouva qu’elle était légère et comparable à l’eau distillée, parce qu’elle ne contenait point de terre ni sélénite. (Grignard, 343 ; Courtépée, Alise.)

En 1779, il présenta à l’Académie des Sciences et des Arts à Dijon, son procédé pour extraire du vinaigre du petit-lait, ou l’acide acéteux avec le petit-lait. Ce mémoire le fit admettre comme membre de cette académie, « ouï le rapport qui a été fait à la séance de ce jour, par MM. de Morveau et Durand d’un ouvrage de M. Gentil, prieur de Fontenay, qui a pour titre: procédé pour faire le Vinaigre de petit-lait, ou acide acéteux avec le petit-lait, l’Académie a permis à l’auteur de prendre le titre (l’académicien au frontispice de cet ouvrage ; Fait à Dijon, le 29 novembre 1787. Signé Caillet et Moussier. » (Original.)

Nos derniers prieurs étaient collaborateurs de Buffon, Daubenton et Montbéliard de Semur.

Il y avait même à Fontenay un cabinet de minéralogie très riche.


Séparateur