Mundaneum (p. 351-363).
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Synthèse des connaissances
ou Philosophie


La synthèse est l’établissement d’une science à connaissance totale, d’une explication du monde (sa conception et ses lois) embrassant toutes les connaissances particulières auxquelles sont réservées l’étude des données analytiques et des synthèses partielles.

La science est un vaste système de rapports qui englobe tout ce que nous connaissons : chaque objet est considéré en fonction de la place qu’il occupe dans le système. Cette place est multiple suivant l’aspect envisagé en lui et ces différents aspects s’y présentent en séries à leur tour systématiquement organisées et coordonnées à l’ensemble. Comprendre (opération individuelle), c’est englober dans un système de notions (son propre système) des éléments demeurés jusqu’alors isolés. La pensée part du réel (données immédiates de la conscience) et tend vers l’intelligible. Ce que cherche la Pensée, ce sont des concepts abstraits, les plus économiques possibles, qui lui servent à traiter avec les faits, à les prévoir, à les saisir, de la manière la plus simple, la plus commode, la plus maniable, à les envelopper dans les formes les plus universelles, les plus systématiques et par conséquent les plus abstraites.

Quantité de sciences restent à construire et d’autres à simplifier, refondre, unifier.

« Les créateurs de sciences imparfaites ont rempli une fonction comparable à celle des carriers qui extraient du sein de la terre et amoncellent en désordre à sa surface les matériaux d’une construction future, œuvre d’architecte et de maçon. Il faut qu’une science supérieure reprenne ces blocs grossiers, les façonne, les dispose d’après un plan d’ensemble et fasse surgir en place d’un tas de fragments sans forme et sans équilibre un monument régulier et stable. » (L. Bourdéau.)

La synthèse générale peut seule donner au problème des solutions originales et fécondes. Toute connaissance peut se réduire à celle de relations classées en groupes particuliers et divisés. Tous les termes exprimant les notions ou les objets d’une science sont susceptibles en principe de relation avec ceux de toutes les autres sciences ; de même ceux exprimant les activités et les arts qui y correspondent. Le nombre des relations correspondant à la réalité est illimité (qu’on calcule par exemple 25 sciences ou groupes de connaissances à 100 termes pouvant tous être mis en relation les uns avec les autres (25 x 100)² = 6,250,000.)

L’histoire de la pensée montre comment la science s’est dégagée de ses origines symboliques, comment la littérature s’est nettement différenciée et constituée en genres bien distincts, comment la philosophie a essayé à peu près toutes les manières possibles de considérer l’univers et de se considérer elle-même.

« Ce sont les Méditerranéens qui ont fait les premiers pas certains dans la voie de la précision des méthodes, dans la recherche de la nécessité des phénomènes par l’usage délibéré des puissances de l’esprit, et qui ont engagé le genre humain dans cette manière d’aventure extraordinaire que nous vivons, dont nul ne peut prévoir le développement et dont le trait le plus remarquable — le plus inquiétant peut-être — consiste dans un éloignement toujours plus marqué des conditions initiales ou naturelles de la vie. » (Paul Valéry.)

La synthèse (science, philosophie) comprend trois choses distinctes mais dont le développement intimement solidaire marque les étapes de la puissance même de l’esprit. La claire position des problèmes, la méthode et l’instrumentation moyenne mis en œuvre pour résoudre les problèmes, les réponses générales aux problèmes posés. Le premier point a été développé tout au cours de cet ouvrage. Reste à traiter du deuxième et du troisième.

Les faits sont reconnus d’une complexité insoupçonnée aux anciens. L’explication totale met en jeu des faits qui relèvent de tous les ordres de science : économiques, sociaux, politiques, psychologiques. Expliquer le monde, reconnaître la destinée humaine nécessite le concours de toutes les sciences et l’établissement au-dessus d’une synthèse qui les coordonne toutes.

Pour comprendre à fond le moindre phénomène, l’être le plus infime et à plus forte raison, pour comprendre l’homme dans ses rapports avec le monde et réciproquement, il est nécessaire de ne rien isoler des connexions des sciences avec toutes les autres, leur dépendance, pour toutes, étant réciproques.

Le problème, en ce temps comme en tous les temps, consiste à trouver un système qui cadre à la fois avec la complexité et l’ampleur reconnue dans la Réalité entière et la « bouillance » que constituent les deux milliards d’humains intellectuels, développés et informés, physiquement en rapport les uns avec les autres.

LA PHILOSOPHIE.


La synthèse c’est l’œuvre de la philosophie conçue au sens général et dont on peut reconnaître une histoire en cinq phases.

1° Le développement de la pensée en Orient depuis ses origines. — 2° Histoire de la pensée dans le monde gréco-romain. S’étend jusqu’au IIIe siècle de l’ère chrétienne. — 3° La philosophie au moyen âge. La philosophie scolastique. — 4° La philosophie depuis Bacon et Descartes jusqu’à nos jours. — 5° La phase dans laquelle nous sommes entrés et qui est caractérisée à la fois par la crise de tous les systèmes, la recherche dans toutes les directions, l’aperçu de données et directions nouvelles.

La philosophie de la nature date des débuts même de la pensée. La philosophie est même conçue, à l’origine, comme étant la science universelle et n’est à ce titre qu’une philosophie de la nature, surtout sensualiste en Ionie, surtout rationaliste dans la Grande Grèce.

Socrate réagit contre cette tendance et prend l’homme comme point de départ et même comme unique objet de réflexion. La plupart de ses disciples s’arrêtèrent, comme lui, sur le seuil des sciences physiques. Platon réintègre dans ses préoccupations la philosophie de la nature, qui est chez lui purement métaphysique et spéculative. Aristote essaie de constituer la physique pour elle-même sur l’observation aidée de la raison. Après lui, Épicure renouvelle le mécanisme de Démocrite et le Stoïcien le dynamisme d’Héraclite. Les Néo-Platoniciens sont de purs spéculatifs.

Le moyen âge néglige l’étude de la nature, sa philosophie est un mélange d’Aristotélisme, de Platonisme et de métaphysique chrétienne. Il tend avec saint Thomas vers une synthèse de la pensée chrétienne et de la pensée antique.

À la Renaissance ressuscitent les anciens systèmes et commence en même temps l’étude scientifique des phénomènes. Elle est encore associée à la métaphysique chez Descartes, Spinoza, Leibnitz. Sous l’influence des écoles expérimentales, elle devient une science positive.

Kant s’attaque au concept métaphysique. Schelling et Hegel essayant encore des constructions a priori. Mais la science s’est réservée l’étude des connexions nécessaires, des phénomènes, et la métaphysique celle des questions de cause et de fin.

La philosophie se présente comme la recherche des principes fondamentaux au moyen desquels la raison doit pouvoir comprendre et expliquer tout le connaissable. De chaque science, de chaque groupe de sciences, il y a une synthèse. La philosophie est la synthèse de ces synthèses. Primitivement la philosophie comprenait toutes les sciences ; celles-ci se sont détachées progressivement. La philosophie conserve encore les parties générales suivantes qui servent de cadre à ses propres synthèses. La cosmologie ou science générale des corps et des phénomènes matériels qui se confond largement avec la physico-chimie générale. La psychologie fondamentale, la science de l’esprit et de ses facteurs. L’ontologie ou métaphysique, science de l’être en général et science de l’ordre objectif qui fonde la cosmologie et la psychologie. La théodicée science rationnelle de Dieu en dehors de toute révélation. La logique qui formule les règles à suivre pour que l’esprit parvienne à la vérité et la critériologie qui expose les fondements de la certitude, les rapports entre le sujet connaissant et l’objet connu. La morale ou éthique, science générale de la conduite, de ses buts et de ses fondements. L’esthétique.

Nombreux sont les systèmes, les uns fragmentaires, ne concernant que certains ordres de question, les autres généraux. Deux grands types de système : 1° le Monisme (Positivisme, énergétisme, matérialisme). 2° L’Idéalisme (Spiritualisme, Thomisme). Il y a aussi toute la philosophie des sciences occultes, la Théosophie, aujourd’hui la Philosophie pratique, la Philosophie de la vie, la Philosophie de l’histoire ou de la civilisation.

À la synthèse, à la Philosophie de donner les grandes conclusions sur l’Univers, ses parties, ses origines, sa nature, son évolution, sa fin et ses fins.

LA MÉTHODE UNIVERSELLE.


Notions générales. — La méthode est capitale. Elle repose sur les conditions de l’objet et celles du sujet.

1° Sujet : Si notre esprit avait assez de puissance pour embrasser d’un coup d’œil l’ensemble de toutes les vérités et de leurs rapports, nous n’aurions pas besoin de méthode. Mais notre esprit est discursif.

2° Objet : Si les objets de nos connaissances n’avaient entre eux aucun rapport, toute méthode serait inutile, l’étude de faits isolés et indépendants ne pourrait nous donner que la connaissance de ces faits eux-mêmes, sans nous permettre d’en tirer des connaissances en dehors d’eux. Mais il n’en est pas ainsi : tout se tient dans la série des existences comme dans la série des idées ; en les étudiant, on reconnaît que leur ordre est invariable. De là la possibilité de passer d’une idée générale aux idées particulières qu’elle renferme, de conclure des faits particuliers à une loi générale et de passer du connu à l’inconnu.

La méthode comprend l’observation, l’expérimentation, la déduction ; elle comprend aussi la documentation, l’invention, et place y devra être faite à l’intuition. On conçoit une revision complète de tout le savoir, la constitution de toute science particulière sur un plan largement uniforme et commun, une méthode universelle constituée par toutes les méthodes particulières et s’appliquant à tous les ordres de connaissance.

La méthode n’est plus simplement comme pour le logicien du XVIIe siècle, l’art de disposer ses pensées avec ordre pour découvrir la vérité ou pour la prouver aux autres quand on croit la connaître. Le cadre s’est élargi. À côté de la spéculation pure, la réalisation prend dans la vie moderne une place envahissante, elle réagit sur les sciences et sur la philosophie même. Mais la méthode scientifique reste le seul moyen de poursuivre la vérité. (E. W. Bogaert.)

D’autre part, l’idée d’une logique différente de la nôtre (chez l’homme primitif) a été reconnue insoutenable. Elle a fait place à celle d’une mentalité prélogique, c’est-à-dire qui n’est ni anti-logique (elle serait alors inintelligible pour nous), ni alogique (elle serait la confusion même, mais indifférente, dans certains cas, à la contradiction.

STRUCTURE FONDAMENTALE DES SCIENCES.


Structure. — Les rapports ou relations constituent l’élément dernier de toute connaissance. Une science n’est que l’ensemble classé et systématisé des rapports concernant l’objet dont elle s’occupe. L’œuvre première en toute science consiste : 1° à dégager et à définir les rapports fondamentaux. 2° À les exprimer ou dénommer à l’aide de termes qui pourraient être considérés comme leurs équivalents. 3° À dresser les tableaux des termes contraires et des termes corrélatifs. 4° À leur donner une notation. 5° À leur donner une représentation graphique, schématique. 6° À établir ensuite une classification rationnelle et exhaustive de toutes les données de cette science. 6° à construire ou reconstruire sur semblable base les divers objets particuliers de la science envisagés ou les complexes des rapports. 8° À dégager de ces opérations consécutives des conclusions synthétiques sur la structure, les fonctions, le développement, l’histoire de cette science et sur ses rapports avec l’ensemble des sciences et des objets définis par elles.

Unités et Mesures. — Les systèmes d’unités ont été constitués de manière de plus en plus cohérente, extensive, internationale. Il existe aujourd’hui de grandes conventions internationales à ce sujet, et un Bureau international, chargé de la conservation des étalons et des études relatives à leur perfectionnement.

La plupart des systèmes d’autrefois, créés par la seule codification d’unités pour ainsi dire spontanés, possédaient une structure tout à fait régulière ; les unités de divers ordres étaient liées entr’elles par des facteurs disparates et celle des grandeurs de diverse nature n’avaient entr’elles aucun rapport simple. Le système métrique a constitué le premier ensemble établi sur un plan uniforme utilisant un même facteur pour l’extension ou la subdivision des unités fondamentales et créant entre elles des espèces différentes, des relations précises.

On a établi un système d’unités de longueur (mètre), de surface (are), de volume (mètre cube), de capacité (litre), de masse (gramme), résumé en un tableau fondamental. Afin de faciliter autant que possible les relations commerciales on a réalisé l’échelle décimale complète des unités pour les grandeurs usuelles (multiples : déca, hecto, kilo ; sous-multiples : déci, centi, milli). Mais les unités les plus petites étant seulement d’usage scientifique, on a franchi sans étape intermédiaire le dernier intervalle conduisant par le facteur 1/1000 au micron : au microgramme et au microlitre.

On a ramené, sans cesser d’être intelligibles, les valeurs des grandeurs mesurables au centimètre, au gramme et à la seconde. Le système ainsi constitué, des unités fondamentales ou dérivées est désigné en abrégé sous le nom de système C. G. S. (centimètre, gramme, seconde).

Il existe aujourd’hui de grandes conventions internationales au sujet des unités. Un Bureau international a été fondé, celui de Sèvres, chargé de la conservation des étalons et des études relatives à leur perfectionnement.

Instruments. — Les méthodes reposent largement sur des instruments qui les mettent en œuvre. L’instrumentation scientifique devient formidable. Elle est au travail intellectuel ce qu’est la machine au travail manuel. Les instruments sont combinés entre eux. Les instituts scientifiques sont des « machineries » analogues aux usines (ensembles de machines). Les diverses fonctions de la science donnent lieu à l’organisation du travail intellectuel, vaste économie des biens intellectuels, à concevoir à la manière de l’économie des biens matériels (production, conservation, distribution, répartition, utilisation).

Comme l’autre économie, elle tend à être dirigée, à avoir un plan, à se mondialiser et à être intégrée dans l’idée totale de civilisation — de civilisation universelle.

Si l’individualisme est repoussé parce qu’il ne peut faire face aux besoins collectifs de la société, si le gouvernement des masses est redouté parce que serait sacrifié la fleur de la civilisation intellectuelle parvenue jusqu’à nous, il reste une solution : réaliser, pour prendre part à l’évolution extérieure, un vaste cerveau collectif.

Et le cerveau, avec tout l’acquit des méthodes, l’acquit des résultats, l’agencer pour être à la fois idéation, mémoire, émotion et volonté.

Histoire, étapes de la logique.

1° Dans l’Inde, Gotama a composé longtemps avant Aristote le Nyaya, Il tient chez les Indiens à peu près la même place que chez nous l’Organon d’Aristote. Les religions les plus diverses, les écoles les plus opposées, les sectes les plus ennemies se sont réunies dans l’étude commune d’un ouvrage qui, durant plus de vingt siècles, a pu instruire tour à tour ou tout ensemble brahmanes et bouddhistes, peuples du nord et peuples du midi de la presqu’île, vainqueurs et vaincus.

2° Platon compose sa Dialectique qui répond moins à la science de la logique, c’est-à-dire la méthode. En un certain sens, Platon ouvre une voie à son successeur Aristote.

3° Aristote crée la logique seul en affirmant n’avoir pas eu de prédécesseur. Il l’exposa dans l’organon composé de quatre parties : les catégories, l’hermeneia, les premiers analytiques et les derniers analytiques.

4° Les disciples d’Aristote continuent la tradition du maître et de son école ; la logique passa bientôt dans les écoles rivales. Les stoïciens surtout la cultivaient avec ardeur. Les épicuriens changent son nom en « canonique ». Dès le règne des Ptolemées, î’organon triomphait.

5° La philosophie latine n’y ajouta rien ; Boece traduisit et commenta l’organon.

6° L’école d’Alexandrie plongée dans le mystérieux, accorda peu de temps à la logique. Un disciple de Plotin, Porphyre, mit aux catégories d’Aristote une préface exacte et élégante que la postérité ne sépara plus de l’ouvrage même.

7° L’autorité de l’organon alla croissant au moyen âge. La connaissance des travaux des Arabes a augmenté son empire. La doctrine aristotélique en arriva à partager avec l’Église romaine les souverains pouvoirs. L’organon régna sur les intelligences comme l’évangile sur les âmes.

8° Quand le joug du péripatétisme fut brisé, les novateurs du XVe, du XVIe et du XVIIe siècle, les Ramus, les Bacon, les Descartes prétendirent remplacer l’ancienne logique par une nouvelle. Ils se trompèrent. Ils ne substituèrent pas une logique à une logique, mais délaissèrent la logique, science spéculative, pour instituer la méthode, qui est un art pratique.

9° Kant et Hégel réagissent contre l’abandon d’Aristote. Kant n’a pas essayé de refaire Aristote, mais a voulu donner dans sa Critique de la Raison pure une méthode à l’intelligence. Hégel appliqua bien à la science nouvelle qu’il essaya de créer le nom de logique, mais c’est en réalité une ontologie.

10° Les modernes ont créé la logique mathématique cherchant à doter l’antique logique d’un mode d’expression, la notation à l’instar de la mathématique et la figuration à l’instar de la géométrie.

11° Il y a lieu maintenant de compléter la logique par trois branches sinon nouvelles, du moins élargies et organisées : a) une méthodologie générale des sciences ; b) une méthodologie générale de l’expression documentée et matérialisée (livres, œuvres d’art) ; c) une méthodologie générale du « faire », de l’action, s’étendant à toutes les opérations quelles qu’elles soient.

La méthode intégrale serait le « novissimum organum ». Elle s’élèverait comme par degrés, qui seraient rationalisés et universalisés au maximum. La langue à la base (grammaire), l’art de la composition (rhétorique et ses genres), la logique, la mathématique (algorithme ou notion générale, équation, calcul), la science de l’expression complète, la documentation, le système général des sciences (philosophie).

LA SCIENCE UNIVERSELLE.


Toute science, à moins de remonter elle-même toute la lignée des sciences, doit partir de certaines données, formées par d’autres sciences, propositions qui sont les postulats de tous les raisonnements concernant la science envisagée. Toutes les synthèses philosophiques ont été obligées de rencontrer les postulats, les affirmations, les conclusions, les justifications de toutes les sciences et il leur a fallu ou bien après un traitement approprié, les faire entrer dans leur synthèse ou bien les en exclure délibérément.

Il y a donc tels principes universels qui pénètrent quantité des domaines. Au lieu de réunir ces diverses données par leurs principes communs, on préfère déchiqueter ces derniers et les fausser, ou tout au moins les affaiblir pour conserver l’indépendance qu’on a arbitrairement infligé à chacune de leur manifestation.

Il est très remarquable de constater que de nos jours les plus grandes découvertes expérimentales n’ont pas été faites dans le domaine des anciennes sciences bien reconnues, mais dans les zones frontières, le nomans’land des sciences. C’est ainsi qu’on a vu s’édifier une chimie physique, une géologie physique, une astrophysique et une biochimie, etc.

Ainsi une science générale, une philosophie de la science, une encyclopédie sont nécessaires pour unir entre elles toutes les sciences particulières, afin qu’elles y déversent leurs apports fragmentaires, qu’elles y puisent leurs principes, leurs méthodes, le programme de leur développement et qu’elles parviennent à simplifier leur conception et leurs exposés.

De vastes efforts d’explication et de synthèse ne sont pas sans un mouvement d’idées qui renouvelle la position des questions traditionnelles et en fait surgir de nouvelles. Ainsi, la formidable poussée de métaphysique de Kant, Fichte, Schelling et Hegel est tournée bien pour les sciences historiques et naturelles elles-mêmes, après avoir commencé par les jeter dans la confusion et en avoir retardé les progrès.

Aujourd’hui 70 % peut-être des faits scientifiques se synthétisent automatiquement. L’œuvre des synthétiseurs est d’élaborer des structures intellectuelles où puissent prendre place les 100 %.

Chaque époque doit repenser tout le savoir et l’exprimer à nouveau d’après les derniers modes de la conception, de la représentation, de la reproduction. En fait, cela a eu lieu au cours des générations, mais bien lentement, en complément, presque inconsciemment. Il importe que cet objet devienne clair aux esprits et que tâches et modes d’opérer soient nettement considérées.

Le travail de synthèse et de rapprochement s’opère activement. Les théories jusqu’ici isolées dans les sciences mathématiques se synthétisent dans les grandes disciplines dont la formation donne aux recherches des géomètres contemporains un vigoureux essor. La distinction entre la physique et la chimie devient chaque jour moins bien déterminée et on parle constamment de chimie physique. Par l’analyse spectrale, les astronomes et les physiciens ont constaté l’unité matérielle de l’univers dans sa composition chimique. Ils ont pu identifier les diverses radiations lumineuses du soleil, des astres et des étoiles avec celles que nous pouvons réaliser sur terre dans nos laboratoires. La biologie tend à poser le postulat que les phénomènes vitaux se ramènent aux phénomènes physico-chimiques et c’est là pour elle une vue féconde. La biologie est aujourd’hui une excitatrice pour la physico-chimie.

L’activité humaine, après s’être longtemps différenciée tend à l’unité et à l’intégration. La distinction entre science et industrie, éducation et commerce, politique et économique, religion même et action sociale tend progressivement à disparaître. L’unité morale des consciences s’est affirmée au cours de l’évolution historique sous le triple effort pour la liberté, l’égalité, la fraternité, l’unité sociale s’est constituée malgré les races, les classes et les croyances ; sous l’empire des activités croissantes et des distances vaincues tend à se constituer économiquement, juridiquement et politiquement, après la famille, la cité, la nation, la communauté humaine toute entière.

L’ABSTRACTION. L’IDÉAL.


L’abstraction. — L’humanité a progressé à mesure qu’elle s’est élevée dans l’abstraction. La langue avec ses noms généraux et ses termes abstraits, la mathématique passant des nombres concrets aux nombres abstraits, de l’arithmétique à l’algèbre ; la loi, simples ordres visant des cas particuliers au début, se généralise et prend les formes de vastes codifications. L’humanité doit attendre de son nouveau développement une ascension plus haute encore dans l’abstraction.

« Avoir, dit Lebesque, un sens aigu de la réalité qui permet ensuite de se mouvoir avec aisance dans l’abstrait, lorsque sous l’abstrait on commence à savoir voir le concret et dans le général tous les cas vraiment utiles. »

L’idéal. — L’idéal est ce qui existe dans l’idée, dans l’imagination, dans l’entendement, qui est conçu sans être réel. L’homme élève autour de lui un univers idéal auquel par l’action ensuite il donne la réalité et la vie. L’idéal de la vérité, de la beauté et du bien, la perfection en chacun d’eux a traversé le siècle, remontant les plus grandes difficultés mais allant sans cesse en s’accroissant.

L’idéal est authentiquement matériel. La science constate que le beau et le bien, après avoir été considérés comme des entités métaphysiques ne sont plus, pour les physiologistes, que les effets de notre propre constitution intellectuelle ; ils sont rentrés en nous ; la poésie de la nature est dans le cerveau de l’individu ; l’idéal est humain, — donc relatif et bon. Il est une résultante, une idée de possibilité, le désir du mieux ou la recherche du moindre effort. (Van Drunnen.)

L’idéal est semblable à une sphère régulière mais élastique. Déformée et compressée, la sphère reprend sa forme dès que cesse les pressions exercées sur elle. Ainsi l’idéal doit reprendre sa forme intégrale dès qu’ont disparu les circonstances qui l’ont déformé.

Un idéal n’est pas simplement de caractère intellectuel. Il se propose par le sentiment, il demande l’adhésion du cœur.

De toute chose et de toute fonction, il y a lieu de déterminer l’état idéal (standard, étalon).

L’idéalité a un rôle immense à jouer. La seule proclamation des idées, de l’idéal, agit déjà dans le corps social. Leur formulation en principes, constitutions, plans, fournit à tous des critères d’appréciation. C’est comme une grande voix qui fait entendre le cri de la raison et de la conscience.

Peut-être les travailleurs de l’esprit idéaliste ne sont-ils occupés qu’avec des ombres. Mais comme il n’est pas certain que toute la réalité ne soit pas ombre elle-même, la différence entre eux et les réalistes tend à s’effacer. À cela près toutefois que les idéalistes vont aux ombres directement et sans être trompés par l’illusion.

L’idéal, c’est en toute chose la perfection entrevue dans les pérégrinations de la vie. Au milieu des horreurs, des vilainies, c’est lui, comme un bon viatique, qui aide à faire la traversée terrestre.

« L’idéal est quelque chose qui prend tout l’homme et qui, par le dévouement, l’élève au-dessus de lui-même ; quelque chose qui provoque à la fois la certitude et l’enthousiasme, l’élan de l’esprit et l’élan du cœur, qui donne à notre vie entière un sens et une beauté. » (Albert Bayet.)